En Ouganda, la course à la pudeur a commencé

ouganda

On a enfin entendu parler de ce pays grand comme une moitié de France la semaine dernière, lorsque le président ougandais Yoweri Museveni, en poste depuis 1986, a signé devant les yeux effarés de journalistes du monde entier la fameuse loi anti-homosexualité. Pour un simple rappel, cette loi prévoit la prison à vie pour tous les « coupables d’homosexualité », sept ans de prison pour toute « promotion de l’homosexualité », et trois pour quiconque connaîtrait un homosexuel et ne le dénoncerait pas dans les 24 heures.

Seulement, les medias sont cyclopes, et n’arrivent en général à se concentrer que sur un seul thème, lorsqu’il s’agit d’un pays peu exposé. Ils semblent pareils à une sorte de phare balayant son œil unique puissant tour à tour sur tel ou tel endroit. L’Ouganda, c’est la loi anti-homosexualité, voilà tout.

Mais c’est aussi bien plus. Une autre loi, nettement moins médiatisée que celle-ci, et pourtant tout autant promulguée, c’est celle dite « anti-pornographie », signée fin décembre. En plus de prévoir un rigoureux arsenal juridique contre tous types de sites plus ou moins recommandable, le texte laisse place à tous types d’interprétations par les forces de l’ordre en proposant la définition la plus floue qui soit de la pornographie contre laquelle il doit lutter : tout procédé, habit ou représentation pouvant provoquer l’excitation sexuelle primaire. Ce qui fait que ce texte a été surnommé à son tour « Loi anti-minijupe », au grand dam des dames du samedi soir.

En dehors des lois, on compte aussi des déclarations, des déclarations qui semblent de plus en plus tapageuses et rigoristes. Le Président Museveni s’est fendu d’une analyse à l’emporte-pièce sur le sexe oral, lors de sa conférence de presse après la signature de la loi anti-homosexualité : les Ougandais ne doivent pas avoir de telles pratiques qui sont néfastes pour la santé, car, argument déroutant, la bouche sert avant tout à manger. Un jugement plutôt malvenu, qui n’a plus grand-chose à voir avec l’homosexualité en fin de compte.

M. Museveni a également une autre obsession pudibonde qu’il voudrait transmettre à sa population : s’embrasser en public serait un crime de lèse majesté, un crime qui l’aurait empêché d’être réélu s’il l’avait proféré, selon l’intéressé lui-même.

Ces lubies semblent de prime abord purement Museveniennes, peu de ses ministres allant plus loin que lui dans la provocation et l’incitation à un train de vie puritain. Ceux qui vont plus loin et qui semblent ouvrir la voie en éclaireurs dans cet obscurantisme sont plutôt à retrouver du côté des églises.

museveniCe rigorisme que marquent ces lois et ces provocations a une origine : la pression qu’exercent les pouvoirs religieux sur le couple présidentiel. Janet Museveni, la Première Dame, a notamment des accointances plus qu’avancées avec les Born-Again, évangélistes influencés et financés par les néoconservateurs nord-américains, prêchant en général un discours assez violent face aux « vices » définis par la Bible.

De plus en plus nombreux, représentant une manne financière importante et noyautant le parti majoritaire NRM, les Born Again semblent la cible électorale à se mettre dans la poche pour les élections de 2016. Et c’est gagné. Le lundi 3 mars dernier, une association de 1000 pasteurs born-again (chacun contrôlant donc plusieurs dizaines voire centaines d’adeptes) s’est ralliée au président, pour les prochaines élections, en le remerciant de son acte « héroïque ». Ce n’est pas la seule religion qui abonde en ce sens : les cadres islamiques du pays ont supplié M. Museveni de signer cette loi, avant de l’applaudir à grand bruit. De son côté, l’Archevêque Ntagali, chef de l’Église anglicane ougandaise, a fait part de la possibilité de se séparer de l’Église anglaise à laquelle elle est rattachée, si les prises de positions contre l’homosexualité continuaient à être condamnées.

Cependant, des déclarations aux faits, il n’y a qu’un pas. Alors qu’on pouvait espérer que ces critiques se cantonneraient aux sphères politico-religieuses, qui sont quand même d’une certaine génération lorsque 80% de la population a moins de 30 ans, la provocation a franchi la frontière du réel.

Suite à la loi anti-pornographie, dont certains doutaient de l’application, des Ougandais ont cru bon de se faire justice par eux-mêmes. Déshabillement de femmes légèrement vêtues en public, violences, viols. Le gouvernement a dû faire marche arrière en demandant explicitement aux fautifs qu’il fallait laisser la police s’occuper de ce dossier. Un gouvernement qui a sa part de responsabilité dans un tel imbroglio, sachant que l’un des secrétaires d’État justifiait il y a quelques mois le viol en cas de provocation vestimentaire.

Dans la presse, c’est encore pire : le Red Pepper, tabloïd racoleur, publie le lendemain de la fameuse signature une liste du « top 200 » des homosexuels en Ouganda. Ils avaient publié également en octobre dernier les photos à peine floutées, de relations homosexuelles. Un journal du même genre, le Rolling Stone, avait publié en 2010 une liste de défenseurs des homosexuels. Résultat : lynchages et mort de David Kato, militant influent, assassiné à son domicile. Le même Red Pepper avait l’habitude de publier de nombreuses photos de soirées de gala de Kampala, des photos évidemment riches en minijupes et tenues légères. Brusque changement d’attitude depuis le passage de la loi : les photos sont floutées, et le journal est donc passé à ce qu’il connaît de mieux dans ce pays : l’autocensure.

Devant cet engrenage subit et inquiétant, le seul moyen de se rassurer reste de relativiser. Dans le temps comme dans l’espace : combien de temps cette course au clocher durera-t-elle ? Le Président Museveni est loin d’être très populaire dans le pays, et c’est clairement avec le sujet de l’homosexualité qu’il a réussi à rassembler un parti qui le défiait. Sur la pornographie, il est déjà beaucoup moins suivi. Ensuite, l’Ouganda continue son ouverture et donc à s’occidentaliser, des cinémas ouvrent, de somptueux malls remplis de chaînes internationales (le premier KFC a été célébré avec enthousiasme en novembre) et cela ne va pas sans influencer les mœurs. Si la loi anti minijupes fait scandale, c’est justement parce que de plus en plus de femmes en portent.

L’aspect de leurre qu’ont ces lois dans un contexte où le pays continue d’avoir une grande part de sa population sous le seuil de pauvreté devrait aussi s’estomper au bout d’un certain temps si le développement ne suit pas le rythme effarant de la démographie (6 enfants par femme en moyenne).

Enfin, ces lois ne concernent également que la capitale en elle-même, concrètement, sachant que le pays est faiblement urbanisé (13%). La minijupe et la pornographie n’ont pas grand écho dans les campagnes, où la loi est par ailleurs disputée entre chefs traditionnels (l’Ouganda comprend encore plusieurs royaumes officiellement reconnus) et représentants du gouvernement.

Quelques motifs d’espoirs, donc, qui tendent à penser que cette course n’a pas beaucoup d’intérêt à aller plus loin. Un risque politique que le Président Museveni a tout intérêt à éviter, lui qui doit plutôt jouer habilement ces derniers temps pour surfer sur la vague des tensions palpables dans la population.

Noé Michalon

L’homophobie africaine

Terangaweb_Homosexualité Afrique

Jeudi 27 juin 2013, date cruciale dans la tournée de Barack Obama sur le continent africain. Lors d’une conférence de presse à Dakar, où il a à ses côtés son homologue sénégalais, Macky Sall, de nombreuses questions touchant notamment les domaines économique et politique sont abordées. Cependant, le président le plus puissant au monde mettra le doigt sur un sujet tout particulièrement délicat sur le continent tout entier : l’homosexualité.  Ainsi, le sujet s’invite encore sur la table et il devient de plus en plus épineux de déterminer quel sera le futur de la communauté LGBTI en Afrique.

L’homosexualité ne peut être africaine ? Balivernes !

Cet argument est soulevé sans relâche par une majorité de pays africains et pourtant, la vérité est loin de s’y trouver. Avant d’aller plus loin, il convient de s’accorder sur un point : l’homosexualité n’est propre à aucun territoire. Elle s’est manifestée à travers le monde à des échelles différentes et dans des contextes variés. Il est donc incongru d’accuser les Occidentaux d’être à l’origine de l’arrivée de cette « perversion » en Afrique.  Et plutôt que de le fuir, les Africains devraient mieux se pencher sur leur passé. Le concept trouve certes ses origines en Grèce et en Rome antiques mais ceci constituerait un argument peu pertinent dans cette analyse. En effet, si on s’intéresse aux différentes langues parlées autrefois ou présentement sur le continent, on remarquera que le concept d’homosexualité y était présent depuis bien avant l’arrivée des missionnaires et colonisateurs. Les rites initiatiques et pratiques ethniques n’en sont que plus démonstratifs. Dans son article intitulé « L'homosexualité en Afrique : sens et variations d'hier à nos jours », le sociologue Camerounais, Charles Guebogo nous apprend que les pratiques homosexuelles étaient courantes au sein de l’ethnie des Quimbandas, en Angola et que les individus de même sexe qui entretenaient des rapports sexuels étaient également désignés sous ce nom. Toujours en Angola, dans la tribu des Wawihé, l’homosexualité et la bisexualité se traduisaient par « omututa » et le terme « okulikoweka », signifiant littéralement les actes sexuels entre femme-femme et homme-homme, continue encore  d’être utilisé. Au Nord du Nigéria, les Hausa désignent l’homosexualité masculine par le terme « dan kashili » et une autre appellation populaire, « dan daudu », veut dire « les hommes qui agissent comme des femmes et couchent avec des hommes ». En outre, en Afrique de l’Est, le « basha », en kiswahili, est considéré comme « l’homme qui rentre dans ses partenaires/amis » tandis que le terme « haji » désigne le vrai homme, l’homme puissant. Qui plus est, en Tanzanie, il a été découvert qu’à Zanzibar, les pratiques lesbiennes étaient désignées par le terme « kulamba » ou « kulambana » et qu’elles traduisaient la pratique du cunnilingus. Une autre appellation dite « kusagana » était considérée comme le fait de se frotter les parties intimes. Et la liste est longue. Comment ignorer ces preuves linguistiques ? Du Nigéria, en passant par le Cameroun, l’Afrique de l’Est et l’Afrique du Sud, l’histoire elle-même et le langage ne trompent pas. Ces deux reflets de l’identité d’une communauté nous prouvent que l’homosexualité a bel et bien un vécu sur le continent et, ce qui est plus frappant est qu’elle a fait partie intégrante des coutumes de plusieurs tribus présentes sur ces terres. Alors pourquoi afficher un tel rejet aujourd’hui ?

Après leur prise d’indépendance, de nombreux pays africains adoptèrent des textes de lois copiant ceux des puissances coloniales. Ces textes condamnaient toutes les pratiques sexuelles entre individus de même sexe, les considérant comme des crimes passibles d’emprisonnement (et pourtant les prisons sont un lieu privilégié pour les homosexuels en Afrique) ou d’une lourde amende. Sans mentionner les pressions sociales qui mettent les homosexuels au pied du mur : un homosexuel doit désormais se cacher.

Le combat persiste …

Ainsi, une véritable chasse aux homosexuels a débuté en Afrique. Aujourd’hui, ce sont 38 pays sur 53 qui condamnent cette orientation sexuelle. Les peines vont d’une forte amende, à un emprisonnement ou encore à la peine capitale.  Le procès de deux Camerounais avait notamment défrayé les chroniques en 2012. Ces derniers avaient dénoncé les conditions de détention et les examens rectaux humiliants auxquels ils devaient faire face mais ils avaient finalement été acquittés, après une forte mobilisation internationale. En Ouganda, un pays fortement influencé par les évangélistes américains ayant échoué à obtenir gain de cause chez eux face aux nombreuses lois en faveur de la communauté LGBTI, le chemin des homosexuels est tout particulièrement semé d’embûches. Les parlementaires s’acharnent à instaurer des lois plus draconiennes à l’encontre de cette communauté et le gouvernement a indiqué à ONUSIDA que les programmes d’éducation destinés aux homosexuels seraient considérés comme une infraction pénale, tout en menaçant d’expulser l’organisme. Par ailleurs, un Ougandais étant au courant des faits et actes d’un homosexuel sans pour autant le dénoncer peut aussi faire face à une condamnation. Pour protéger ce qu’ils appellent la morale publique, certains gouvernements sont prêts à tout. Ainsi, dans des pays comme la Mauritanie, le Soudan ou la Somalie, une personne  ayant des rapports sexuels avec une autre de même sexe doit être exécutée sans préavis. Cependant, quelques espoirs naissent tout de même dans certaines parties du continent.

… des deux côtés !

Sans aucun doute, l’Afrique du Sud est une étoile montante en termes de tolérance et de respect de l’identité sexuelle des LGBTI. Malgré les « viols correctifs » relevés de certaines lesbiennes, il faut considérer le fait que le pays fournit des efforts colossaux pour soutenir cette minorité. Ainsi, c’est en 2002 que la loi sud-africaine ouvre l’adoption aux couples homosexuels et en 2006, elle ouvre le mariage aux couples de même sexe. Dans cette lancée, l’Afrique du Sud est suivie par le Cap-Vert, Sao Tomé et Principe, l’Ile Maurice et les Seychelles qui se sont engagés à abandonner toute peine à l’encontre des LGBTI. Aussi, des pays tels que le Botswana et le Mozambique ont supprimé leurs textes de lois discriminatoires relatifs au droit du travail et fondés sur l’orientation sexuelle des individus. En outre, il faut noter que de nombreux pays d’Afrique subsaharienne n’ont encore instauré aucune disposition législative officielle par rapport aux homosexuels. Il est donc difficile de déterminer s’ils y sont les bienvenus ou non et si leur identité y est reconnue. Il s’agit de la République Démocratique du Congo, de la République Centrafricaine, de la Côte d’Ivoire, du Gabon, de Madagascar, du Burkina Faso, du Niger, du Tchad et du Rwanda. Une très faible lueur se fait donc voir pour la communauté LGBTI mais leur lutte n’est évidemment pas près de finir.

L’Afrique n’est pas encore prête à accepter les LGBTI

Considérés comme étant foncièrement pervers dans la majorité des pays africains, les homosexuels ne peuvent pas s’afficher au grand jour. Quand bien même, il y aurait des textes de lois les protégeant, c’est parfois la police elle-même qui les transgresse. Les individus ayant des rapports sexuels avec d’autres de même sexe font face à des menaces ou de nombreux chantages et ne bénéficient d’aucune autonomie financière ni d’accès aux soins médicaux. Beaucoup de LGBTI africains ont ainsi décidé d’émigrer, clandestinement ou non. Laissant derrière eux leurs familles et leurs amis les ayant reniés, ils courent se réfugier dans les pays occidentaux, dans la majorité des cas. Ces pays, où l’émancipation et le respect des droits des homosexuels sont en train d’évoluer, représentent un havre de paix pour eux. Cependant, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a décrété qu’à moins d’être victime d’une persécution grave dans leur pays d’origine ou qu’une condamnation soit effectivement appliquée à leur encontre, les homosexuels africains ne bénéficieraient pas du statut de réfugié dans l’Union. Cette décision a été fortement déplorée par l’organisation Amnesty International, luttant farouchement pour le respect des droits des personnes LGBTI. Ainsi, les homosexuels africains sont obligés de fuir constamment même si certains d’entre eux bénéficient toutefois d’aide et de soutien provenant d’associations de protection des droits de l’homme, de lobbyings, de groupements gays locaux et de certains proches tenant leur identité secrète. Par ailleurs, de nombreuses voix se sont élevées au sein de la communauté internationale, particulièrement dans les pays du Nord comme la France ou les Etats-Unis, incitant les Etats africains à remettre en question leur jugement et le statut juridique de cette minorité.

Mais alors, quel avenir pour les homosexuels africains ?

Donner une réponse à cette question serait impossible face à l’incertitude et la précarité de la situation actuelle. Néanmoins, les Etats africains devraient cesser de considérer l’homosexualité tel un « héritage occidental » et accepter le fait que la présence de cette identité sexuelle sur le continent a précédé l’avènement des lois coloniales. Avant tout, il est important d’admettre que les textes juridiques discriminatoires vis-à-vis des LGBTI africains trahissent la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) et il est déplacé et illogique de prétendre le contraire. Cependant, chaque pays a certes un héritage culturel – et religieux, concernant par exemple, les pays influencés par la charia ou les autorités religieuses – ce qui implique forcément que chaque Etat ne peut qu’évoluer à son propre rythme. Des discussions doivent donc nécessairement avoir lieu afin de respecter les droits fondamentaux de chacun tout en essayant de pérenniser les relations au sein de la société civile africaine. Bien évidemment, aucun choix n’est facile à prendre dans un cas pareil et les enjeux non-négligeables ne facilitent pas la tâche aux Etats de ce continent. L’Afrique doit néanmoins sortir de son coin et tenter de parvenir à un point d’accord satisfaisant pour chaque partie. Le ciel semble tout de même se dégager peu à peu, lorsque des pays comme le Kenya se mettent lentement à réévaluer leurs textes juridiques et réfléchir à une nouvelle approche pour mieux intégrer les LGBTI. Il serait fort prématuré de prononcer un futur favorable à cette communauté en Afrique, spécialement au Maghreb, en Mauritanie, ou au Soudan du Sud, mais le processus de tolérance et de respect de ces « nouveaux » genres et identités sexuels est définitivement en marche. C’est une autre étape que l’Afrique doit affronter et tous les yeux sont rivés sur elle. 

Macky Sall, Obama et la peine de mort

Nous vivons en un temps où, Dieu merci, une condamnation à mort ne déshonore plus personne.

Malatesta, II, 4, Malatesta

Henri de Montherlant

 

Que le président Macky Sall en soit conscient ou non, la logique qui mène à la pénalisation de l'homosexualité est proche de celle qui sous-tend la peine de mort. On ne peut pas etre abolitionniste "à moitié".

Obama Macky SallLa presse africaine a fait grand cas de l’échange aussi courtois qu’"incisif" entre le président Barack Obama et son homologue sénégalais Macky Sall au cours de leur conférence de presse conjointe, jeudi dernier. La visite d’état d’Obama coïncidait avec la décision de la cour suprême américaine invalidant la loi de défense du mariage [voir Libération, 26/06/2013] qui le définit comme l’union entre un homme et une femme. Interrogé sur la portée de cette décision et la question du statut social de l’homosexualité, Obama eut recours à son sauf-conduit favori, le principe "éternel" et commun à toutes les « grandes religions » qui dit en susbstance : « ne fais pas à autrui ce que tu n’aimerais pas qu’on te fasse » [se reporter ici pour toutes les variantes de la « règle d’or »]. Macky Sall opta pour une défense plus subtile, rappelant que sur ces questions, il était nécessaire de respecter les dynamiques propres à chaque société, et glissant au passage que le Sénégal avait quant à lui déjà aboli la peine de mort… Cette réponse pas tout à fait du berger à la bergère a fait les gorges chaudes de bien des journalistes et commentateurs [voir Dakar Actu, la BBC, Afrik.com, le Journal du Mali, African Review, Guinée Conakry Info] et gagné les applaudissements de la rue dakaroise.

Macky Sall : la réponse du berger au berger

Ce qu’il faut pour être « courageux », aujourd’hui, n’arrête pas de me surprendre [Terangaweb, 08/05/2011]. La réponse toute en esquive et en approximations de Macky Sall, donnée dans un contexte apaisé, sur un ton mineur, souriant et détendu a été accueillie comme une version moderne de David contre Goliath, le courageux Macky contre le tout-puissant Barack [Le New York Times]. Sur le ton de la conférence de presse et la teneur exacte des échanges (loin de la chronique martiale relatée par la presse) le lecteur pourra se reporter à la retranscription de la rencontre [Département d’Etat, 27/06/2013]. Sur la réponse de Macky Sall, on ne peut que pointer les demi-mensonges et incohérences.

Prenons-en la partie centrale : "Le Sénégal est un pays tolérant qui ne fait pas de discrimination en termes de traitement sur les droits (…). Mais on n'est pas prêts à dépénaliser l'homosexualité. C'est l'option du Sénégal pour le moment. Cela ne veut pas dire que nous sommes homophobes. Mais il faut que la société absorbe, prenne le temps de traiter ces questions sans qu'il y ait pression. (…) "C'est comme la peine de mort, une question que chaque pays traite [à sa façon]. Nous l'avons abolie depuis longtemps. Dans d'autres pays, elle s'impose parce que la situation l'exige. Nous respectons le choix de chaque Etat."

Je ne sais que faire, personnellement, de la première partie : la pénalisation de l’homosexualité – article 319 du code pénal sénégalais (Ministère de la Justice, PDF) – est, par définition, une discrimination, un traitement différencié vis-à-vis de la loi, instauré en fonction des préférences et attitudes privées d’un individu. Quelqu'un de plus intelligent que moi devra m'expliquer comment cela cadre avec l’analyse de Macky Sall. Sur la question de la « tolérance » dont ferait preuve la société sénégalaise, il pourrait suffire de lire les réactions de la rue dakaroise à la réponse de Macky Sall, telles que recueillies par le correspondant du New York Times (cf. supra). On pourrait également se reporter à un rapport d’Amnesty International de Novembre 2010 sur les exactions commises au Sénégal contre les personnes homosexuelles ou perçues comme telles par la population et les forces de police [Amnesty International, « Craindre pour sa vie », 2010]. On pourrait enfin s’inquiéter du recours au terme « tolérance » qui pour toute son apparente innocuité, implique une « sorte de refus péniblement refoulé, une sorte de résignation » (Jean Dausset, Courrier de l’Unesco, Sept. 1982, p.69 – PDF)  

C’est un magnifique geste de jiu-jitsu politique de la part de Macky Sall que d’avoir transformé cette réponse inadéquate en attaque voilée contre la pratique de la peine de mort aux USA. Ça lui permet à la fois d’éviter complètement le sujet et de paraître résister aux tous puissants USA. S’en contentera qui voudra. Pour ceux que ça interesse et pour ce que ça vaut, comparé à plusieurs autres pays africains [Amnesty International, Juin 2013], le traitement réservé dans le droit et dans la société aux homosexuels  au Sénégal est relativement modéré. En grande partie parce que le texte de la loi n’est pas appliqué aussi souvent que cela – que même le Président de la République se réjouisse de l’inapplication des lois est assez rare pour être noté. Mais enfin… Depuis le temps que j’écris sur ce sujet, j’ai l’horrible impression de me répéter et d’ennuyer le lecteur – autant que je m'ennuie à répéter ces évidences.

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L'Etat, l'individu et la peine de mort

L’esquive de Macky Sall est un peu plus grave qu’il ne le semblerait à première vue. Dans la condamnation, la pénalisation de pratiques individuelles et personnelles, il y a un instinct autoritaire. Cette concession de pouvoir à l’Etat sur les vies des individus n’est pas, dans ses fondements moraux, si différente que ça de la peine de mort. L’utilisation aléatoire et mesquine de la peine de mort par le président Yahya Jammeh en Gambie [Geopolis France Info] ou les efforts des parlementaires Ougandais pour rendre l’homosexualité passible de la peine capitale [Terangaweb, 25 mai 2011] viennent renforcer cette similarité.

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Au-delà de tous les sentimentalismes et de toutes les positions morales ou religieuses, l’argument central contre la peine de mort, à mes yeux, a trait aux limites imposées au pouvoir de l’état. Tous les régimes totalitaires étaient des régimes d’homicides d’état, sans aucune exception. La suppression de la peine de mort de nos arsenaux juridiques est une réaffirmation de la primauté de l’individu, sur l’état et sur la société. Celle-ci peut condamner, ôter les libertés civiles et politiques, bannir et punir, elle n’a pas le droit d’être vengeresse et de supprimer ce droit inaliénable, individuel à la vie.

La mort est définitive, incorrigible, irrattrapable. La justice des hommes est imparfaite, corruptible et corrigeable. Pour ces simples raisons pratiques, la peine de mort devrait être ôtée des mains de l’Etat. Ainsi, ce qui rend la peine de mort « raisonnable » aux yeux de ses partisans, est précisément ce pour quoi elle est condamnable : son caractère définitif, absolu et totalitaire.

Il suffit de feuilleter le catalogue des indignités humaines que constitue l’application de la peine de mort aux Etats-Unis pour se rappeler que la plupart du temps, ce droit de tuer concédé à l’Etat ouvre la voie à une application capricieuse, mesquine, barbare et petite-bourgeoise de la loi : surreprésentation des minorités ethniques et des pauvres parmi les condamnés, malades mentaux et enfants croupissant dans les couloirs de la mort, exécutions pour la forme, organisées par convenance politique, les veilles d'élections présidentielles ou législtaives, etc.

La liste des « crimes » passibles de la peine de mort, à travers le monde, est hautement variable et incohérente, reflet des préjugés et arriérations de chaque société : on peut être condamné à mort pour adultère dans une dizaine de pays, la possession de certaines quantités de drogue peut vous valoir votre vie, dans plus d’une quinzaine d’Etats, vous pouvez être condamnés à mort pour « crimes de nature économique » dans quinze autres, etc. [Chacun pourra se construire, selon son estomac, un catalogue intime de ces incohérences sur ce site : Death Penalty Worldwide]

La survivance de la peine capitale aux USA est une infamie. L’utiliser comme parade à la pénalisation de l’homosexualité au Sénégal, comme le fit Macky Sall et ses compatriotes qui s’empressèrent d’acquiescer, est à peine moins grave. Là où l’Etat a obtenu le droit de régenter les esprits et de condamner des « aberrations » individuelles pour lesquelles il n’y a aucune victime, sur la simple désapprobation morale ou religieuse du chef, de son clan ou même de sa majorité, là s’ouvre une brèche et un acquiescement à l’autorité toute puissante et omnisciente de l’Etat qui sont dangereux.

Homophobie : « l’Afrique » comme excuse

Avec tous les défis que l’Afrique subsaharienne doit affronter, il est étonnant de noter l’importance que ses leaders politiques ou religieux, de même que ses opinions publiques accordent à l’homosexualité. L’Afrique est aujourd’hui le continent le plus répressif et le plus rétrograde à l’égard des LGBT. Cela n’a pas suffi.
 
Après l’Ouganda, voici que le Nigéria se lance bille-en-tête dans la répression des homosexuels, sous prétexte d’interdire le mariage gay.
 
Je pensais avoir épuisé ce sujet dans le chapitre traitant de l’homosexualité dans le dossier de Terangaweb sur l’Afrique et ses minorités. Le format un peu classique, journalistique de ce dossier appelait certaines précautions de langages dont je peux me dispenser dans cette chronique.
 
Mis simplement : il y a mille raisons de s’en prendre aux homosexuels. N’y mêlons pas l’ « Afrique ». Elle n’y est pour rien. Je ne connais aucune valeur, aucune morale, aucune sagesse proprement « africaine » supérieure aux libertés fondamentales garanties par les conventions internationales des droits de l’homme.
 
Plus clairement encore : soit toutes les pratiques et traditions des sociétés traditionnelles africaines sont à défendre et perpétuer, soit il n’en existe aucune qui par son caractère « africain » se retrouve dispensée de l’analyse critique et de l’inféodation aux principes élémentaires des droits humains. On ne peut pas rejeter l’excision et fermer les yeux devant les viols correctifs de lesbiennes, condamner les massacres d’albinos et applaudir la peine de mort par lapidation des homosexuels.
 
Allons plus loin dans l’absurde. Admettons que l’homosexualité soit une invention et une importation occidentales – cette idée farfelue est réduite à néant dans le dossier de Terangaweb, mais admettons. La démocratie parlementaire aussi a été inventée par et importée de l’Occident. Il en va de même pour le french-kiss, les antirétroviraux, l’électricité, le catholicisme ou la frite.. Si son origine occidentale supposée condamne l'homosexualité, alors, oui les sénateurs nigérians devraient se rebeller aussi contre la pizza!
 
L’explication pro-africaniste tout comme la défendre antioccidentale échouent à élever l’homophobie virulente en Afrique au dessus de son véritable rang : une obsession moyenâgeuse.
 
On pourrait me retorquer : "avec tous les maux dont souffre l’Afrique, s’il n’y a que ça qui vous indigne…" Nul besoin d’être libéral pourtant, pour se rendre compte que le sort réservé aux minorités est un indicateur sûr de l’état moral d’une société. Après les homosexuels, à qui d'autres s'en prendront-ils? Les femmes célibataires? Les handicapés? Les antimilitaristes? Les athées? Bientôt, moi?.
 
Pour le reste, c'est-à-dire la parade officielle sous laquelle cette homophobie est savamment dissimulée, i.e. la hantise du mariage gay, je ne crois pas avoir quoi que ce soit à rajouter aux lignes suivantes écrites il y a deux ans :
 
Au fond, qu’est-ce qui les choque dans le mariage homosexuel ? De voir deux hommes se tenir la main, s’embrasser (parce que l’homosexualité féminine est considérée comme un épiphénomène, un fantasme masculin, deux femmes qui s’embrassent suivent leur pente sensuelle et féminine, au pire c’est un divertissement, au mieux des préliminaires, on a tous, déjà, rêvé d’un « plan à trois ») ? De voir les fondements de la famille s’ébouler ? Alors pourquoi interdire le mariage forcé et autoriser le divorce ?
 
Si le plus important est que la famille (père-mère-enfants) soit maintenue intacte pourquoi autoriser des comportements qui la détruise ? Si le reflexe est celui de conservation, l’espèce humaine devant se perpétuer, pourquoi ne pas interdire aux femmes et hommes stériles de se marier ? Pourquoi ne pas engager des éducateurs familiaux qui vérifieront que toute femme s’acquitte de son devoir de fécondité ?
 
Je suis opposé au mariage en tant que tel, parce que ce n’est qu’un contrat, comme celui qu’on signe au début d’une location, à l’achat d’une voiture, quand on rejoint l’armée. Rien de plus, qu’un simple papier paraphé. C’est déjà une calamité qu’autant de gens succombent à ce dispendieux luxe, pourquoi devrait-on autoriser d’autres groupes humains à s’y adonner ? Mais dès lors qu’on est pour le mariage, je ne vois pas très bien sur quelles bases on refuserait  les serments des « folles ».
 
Je crois que ce qui les ulcère dans le mariage homosexuel, c’est de voir deux hommes trahir leur statut d’homme pour se rabaisser à celui de « femme ». Ils se font une idée tellement vague et bête de l’homosexualité qu’ils la considèrent comme une déchéance. La réduisant à une simple pénétration sodomite. Ils se font une idée tellement mesquine de la liberté humaine, qu’ils pensent que l’humanité est libre d’agir comme eux agissent et point autrement. Liberté d’imiter. Liberté de se taire. Liberté de mentir. Liberté de feindre. Liberté de la fermer.
 
Oh, je suis moi aussi totalement opposé aux revendications communautaires, à la gay pride, en vérité festival de débauche et flagrant attentat à la pudeur. Mais personne ne me convaincra qu’il est bon et juste de laisser des adolescents se suicider parce qu’ils se pensent différents et qu’ils n’ont jamais été attirés par les « seins des filles » alors qu’ils succombent si vite au charme d’une poitrine virile et ferme. Personne ne pourra plus me persuader qu’il est juste et bon de pendre des homosexuels parce qu’ils s’adonnent à des activités contraires à la volonté d’un dieu nouveau qui n’existait pas ou se taisait du temps d’Hadrien et de Walt Whitman.
 
La « communauté » homosexuelle aura beaucoup fait pour être ghettoïsé et accentuer sa mise à l’index. Mais jamais ces excès ne compenseront le silence d’un Mauriac, l’opprobre qui s’abattit sur Jacob Bean, les absences des autorités publiques durant les années Sida.
 
Ces ombres chinoises qui nous observent et que nos regards baissés, nos poings serrés alors qu’elles espéraient des mains tendues, ont laissé à l’abandon, nous jugent de l’au-delà, nous dévisagent et nous jaugent : hommes de peu de cœur.
 
Ceux-là ne sentent pas que c’est un peu de leur liberté qu’ils perdent lorsqu’ils ignorent les atteintes aux libertés des autres. Les cons. Il faudrait être juif pour être épouvanté par la Shoah?
 
Et puis, j’ai déjà voyagé par-delà le mur de la haine, je l’ai vue, l’ai embrassée. J’en suis revenu désillusionné et individualiste à un degré difficilement imaginable. Ce que je veux, ce n’est pas « pour la soif universelle, pour la faim universelle », c’est par pur égoïsme que je le souhaite.
 
De toute façon, d’avance, je me garde le droit de visiter toutes les rives du fleuve.
 
Joël Té-Léssia
 
Sources photo: Gay Pride New York 2008 / 20080629.10D.49816 / SML par See-Ming Lee  http://www.flickr.com/photos/seeminglee/2622323523/

L’Afrique et ses minorités (II): les homosexuels en Afrique

Le parlement Ougandais a clos sa session ordinaire 2011 sans parvenir à faire voter le projet de loi déposé par le député David Bahati, le 14 Octobre 2009 visant à réprimer encore plus durement l’homosexualité en Ouganda. Les principales mesures proposées initialement étaient les suivantes :
• Gays et lesbiennes reconnus coupable d'avoir des rapports sexuels homosexuels seraient condamnés, au minimum, à la prison à vie.
• Séropositifs et malades du Sida ayant des pratiques homosexuelles pourraient être exécutés.
• Les homosexuels ayant des relations sexuelles avec un mineur, ou ayant eu plus d’une relation  homosexuelle peuvent également recevoir la peine de mort. [1]
• Interdiction de la "promotion de l'homosexualité».
• Toute personne connaissant des homosexuels ou témoin de pratiques homosexuelles est tenue d’en informer les autorités en moins de 24 heures, sous peine d’encourir jusqu’à trois ans de prison.[2]

L’homosexualité est déjà illégale en Ouganda et punie de 14 ans de prison. Le projet de loi dans sa forme initiale aurait rapproché l’Ouganda de la Mauritanie, et de certains Etats du Nord du Nigeria et du Soudan, où l’homosexualité est déjà punie par la peine capitale. L’Afrique subsaharienne, il convient de le rappeler, n’est pas seule à développer cette obsession haineuse, proprement moyenâgeuse à l’encontre des homosexuels – en Europe, aux États-Unis, dans le monde Arabe, en Chine, en Inde, en Amérique latine et ailleurs, il existe encore de farouches résistances et oppositions à l’homo ou bisexualité. C’est pourtant le continent qui dans son ensemble, a, de loin, les lois les plus sévères à l’égard des homosexuels[3]. La situation s’est considérablement dégradée au cours de la dernière décennie. Trente-huit pays africains sur cinquante-trois condamnent l’homosexualité d’une façon ou d’une autre [4]. Même en Afrique du Sud, seul pays de la région à reconnaître le mariage gay, il n’est pas rare que des lesbiennes soient victimes de « viols correctifs ». [5]

La « question de l’homosexualité » est un sujet, à la base, assez ennuyeux et secondaire. Les pratiques intimes de personnes consentantes n’ont pas lieu d’être discutées sur la place publique, ni de devenir un handicap dans la vie sociale, professionnelle ou même familiale de qui que ce soit. Il ne s’agira pas ici de reprendre ce débat rendu complexe par la radicalité des positions et sentiments qu’il déclenche, mais plutôt d’évoquer un des aspects de la question, mis en évidence par l’initiative parlementaire en Ouganda : l’inafricanité de l’homosexualité.
Cet élément, dans le débat en Ouganda, est allé de paire avec l’abominable mensonge selon lequel les homosexuels Ougandais entendaient « recruter et ‘convertir’ à l’homosexualité un million d’enfants »[6]. Plusieurs leaders religieux et politiques africains – au premier rang desquels les très réservés Robert Mugabe et Olusegun Obasanjo ou les archevêques Robert Sarah et Charles Palmer-Buckle – ont par le passé, repris à leur compte l’antienne de l’irréligiosité, de la non-africanité et de l’importation depuis l’Occident des pratiques homosexuelles.
Tout est risible dans ses déclarations. Est-il idée (ou idéologie) moins africaine, typiquement importée de l’Occident que le Christianisme ? Pourtant, aucun de ces « penseurs » ne voit l’incongruité d’un recours aux valeurs chrétiennes contre l’homosexualité. De plus, leur ignorance réelle ou feinte de l’histoire du continent a de quoi surprendre. Des relations homosexuelles à la Grecque ont existé dans les sociétés traditionnelles d’Afrique subsaharienne bien avant l’arrivée des explorateurs. Chez les Zandé d’Afrique centrale ou les Fon de l’ancien Dahomey, chez les Tswana ou les Ila, Thonga, Naman d’Afrique australe [7] des rites, comportements et pratiques homosexuelles et lesbiennes ont été largement répertoriés et documentés [8]. Il en est de même chez les Hausa du Nigeria ou les Maale du sud de l’Éthiopie, les Nyakakusa en Tanzanie, les Ovimbundu en Angola, chez les Swahili de la région de Mombasa tout comme au Lesotho des pratiques transgenres et transsexuelles sont également identifiées [9]. Il n’y a, de fait, rien de typiquement non-Africain dans l’homosexualité. En Ouganda même, le Roi Mwanga II ordonna le massacre entre 1885 et 1887 de missionnaires chrétiens dont les 22 martyrs Ougandais canonisés en 1964 par Paul VI, en partie, parce qu’ils dénonçaient les pratiques homosexuelles en cours au palais. Pour le président Ougandais ces martyrs sont la preuve… que l’homosexualité est contraire aux traditions du pays [10], lecture paradoxale s’il en est.

Tout cela serait simplement méprisable et négligeable si des vies humaines n’étaient pas en jeu ou si ce climat de mensonge – le pasteur Ougandais Martin Ssempa allant jusqu’à présenter des vidéos pornographiques scatologiques comme exemple des pratiques homosexuelles ordinaires [11] – et de haine ne débouchaient pas déjà sur des appels au meurtre – le 09 octobre dernier, un journal Ougandais publiait sa liste de cent personnalités homosexuelles sous l’injonction « pendez-les ! » [12].
Il y a ici quelque chose qui renvoie à la mythologie de l’exceptionnalisme africain. Qu’elle soit positive ou négative, l’idée sous-jacente est néfaste. L’Afrique aurait ainsi, par son exceptionnalité historique et culturelle, le droit de se départir des règles juridiques, morales et logiques qui régissent le reste du monde. Que ce soit dans le domaine économique, culturel et politique toutes les expériences fondées sur ce particularisme ont échoué. La reconnaissance et la protection des droits des homosexuels, l’acceptation généralisée de leurs pratiques et choix de vie est souvent un long et tortueux cheminement, qui est loin d’avoir abouti même dans les pays occidentaux les plus libéraux. Il n’est pas question de tenir l’Afrique à des critères moraux ou juridiques plus sévères. La protection des minorités a toujours été un test de l’état d’une civilisation. C’est un examen que l’Afrique est en train de rater.
La question de l’homosexualité est elle-même accessoire mais elle met en évidence, dans nombre de pays d’Afrique subsaharienne, autant chez les hommes politiques que dans les opinions publiques, une incapacité profonde à reconnaître et accepter l’universalité des droits de l’homme. En filigrane, ce qui se lit c’est qu’eux-aussi, sont, quelque part… inafricains. Il est impossible d’esquiver le sujet des minorités homosexuelles en Afrique tout en prétendant tenir aux Chartes internationales des droits humains.
 

Joel Té Léssia

[1] Suite à d’intenses pressions internationales, la prison a perpétuité a été substituée à la peine de mort, laissant ainsi ouverte la possibilité que les condamnés puissent… « guérir » (Uganda lawmakers remove death penalty clause from anti-gay bill : http://articles.latimes.com/2011/may/12/world/la-fg-uganda-gays-20110512)

[2] http://articles.cnn.com/2009-12-08/world/uganda.anti.gay.bill_1_gays-death-penalty-aids-prevention?_s=PM:WORLD

[3] Idem p.7

[4] State-sponsored  Homophobia : A world survey of laws prohibiting  same sex activity between  consenting adultshttp://old.ilga.org/Statehomophobia/ILGA_State_Sponsored_Homophobia_2010.pdf

[5] http://www.msnbc.msn.com/id/39742685/ns/world_news-africa/t/gays-uganda-say-theyre-living-fear/

[6] http://www.npr.org/2011/05/12/136241587/author-of-ugandas-anti-homosexuality-bill-gives-defense

[7] http://www.afrik-news.com/article16397.html?artpage=3-3

[8] Stephen O. Murray. Homosexuality in “Traditional” Sub-Saharan Africa and Contemporary South Africa, http://semgai.free.fr/doc_et_pdf/africa_A4.pdf

[9] http://www.glbtq.com/social-sciences/africa_pre,2.html

[10] http://articles.sfgate.com/2010-06-09/news/21902413_1_ugandan-government-anti-gay-openly-gay-episcopal-bishop

[11] http://www.youtube.com/watch?v=euXQbZDwV0w

[12] http://news.change.org/stories/ugandan-tabloid-tells-people-to-hang-homosexuals