Mademba Ndiaye, chargé de communication principal du Bureau de la Banque mondiale (Sénégal, Guinée, Guinée-Bissau, Cap-Vert, Gambie)

Monsieur Ndiaye, pourriez- vous vous présenter à nos lecteurs ?

Je m’appelle Mademba Ndiaye, nom traditionnel courant au Sénégal. J’ai fait un parcours que ne font plus beaucoup d’enfants aujourd’hui. Je n’ai fréquenté que l’école publique, ce qui témoigne d’une certaine évaluation du niveau de notre système éducatif. Après un bac lettre, j’ai eu des problèmes d’orientation. Nous étions en 1976, je voulais faire de la sociologie, mais, sur instruction du Président Senghor, ce département était fermé suite aux événements de 1968 ; j’ai donc fait de la philosophie. Je ne me voyais cependant pas faire de l’enseignement, ne me sentant pas la vocation pour un métier aussi sérieux, surtout pour une discipline qui ne s’enseigne qu’en Terminales.

Ma réorientation a eu pour origine mon désir de faire un travail sur la communication dans les empires ouest-africains. J’étais assez impressionné par l’empire du Wasulu de Samory Touré. Comment une entité de cette dimension pouvait-elle se déplacer en gardant intacte ses structures ? J’avais le pressentiment que cela n’était possible qu’à travers un système de communication qui maintenait une cohésion dans l’empire, ce qui permettait des déplacements physiques sans déstructuration des institutions. Je voulais faire une thèse de communication sur cela : comment la communication a pu empêcher la déstructuration d’un empire qui bouge géographiquement. Je me suis donc orienté vers la communication. Je me suis inscrit au département d’histoire et au CESTI, école de communication de l’Université de Dakar. Mon ambition initiale était d’avoir les concepts nécessaires en communication pour travailler sur ma thèse sérieusement. Il s’est avéré que le CESTI était (et est toujours) aussi une école de journalisme, et que j’ai mordu à l’appât.

A la sortie, j’ai été employé par Abdoulaye Wade (ndlr : devenu président du Sénégal) qui voulait sortir un journal indépendant. Nous étions en 1982-1983 et ce journal s’appelait « Takussan ». Je suis ensuite allé travailler à l’agence de presse sénégalaise puis à « Walf Fadjiri » (ndlr : quotidien sénégalais de référence) où  je faisais de l’info politique. Je suis également membre fondateur de Sud-communication, même si je n’ai jamais vraiment travaillé dans le groupe. J’ai ensuite été appelé par le président Abdou Diouf pour être membre de l’Observatoire national des élections (ONEL) en 1998. A partir de là, je suis sorti du journalisme pour intégrer USAID, puis le PNUD et enfin la Banque mondiale comme spécialiste de la communication.

Je dois dire que pendant ma carrière de journaliste, j’ai dirigé le syndicat des professionnels de l’information et de la communication du Senegal (SYNPICS) et l’Union des journalistes de l’Afrique de l’Ouest (UJAO) et j’ai été délégué pour l’Afrique de la Fédération internationale des journalistes. J’ai été très  préoccupé par les questions éthiques et de déontologie, et j’ai participé à l’élaboration des lois sur la presse au Mali, Niger et au Sénégal, ce qui m’a permis de me confronter aux Etats, surtout avec des procureurs, pour défendre à la fois la liberté de la presse et la vie privée des citoyens. Depuis 2004, je suis à la Banque Mondiale comme responsable  de la communication pour le bureau de Dakar qui couvre cinq pays.

La Banque mondiale n’a pas vraiment bonne presse ; comment analysez-vous l’impact de son action, notamment en Afrique ?

Il y a, je dirais, une Banque mondiale in abstracto, et une Banque mondiale in concreto. La Banque mondiale in abstracto, c’est celle qui se trouve dans la tête de certaines personnes, celle qui se serait arrêtée aux ajustements structurels. Cette idée ne reflète plus la réalité de la Banque mondiale aujourd’hui. Durant la période des ajustements structurels, toutes les politiques publiques étaient dictées par la Banque mondiale et le FMI. Aujourd’hui, elle fait sans doute encore des choses critiquables. Mais ce qu’il faut d’abord dire, c’est que la Banque mondiale (BM) n’est pas l’institution qui va développer les pays africains, c’est une responsabilité qui incombe aux gouvernements. Ses financements représentent moins de 1% du budget de ces Etats ; donc ce n’est pas elle le chauffeur aujourd’hui.

La BM travaille beaucoup avec les sociétés civiles aujourd’hui. Par exemple, la principale entité qui organise le Forum Social Mondial à Dakar qui justifie votre présence, Enda-Tiers monde, travaille avec la Banque mondiale, pour qui elle joue son rôle d’ONG pour défendre les populations affectées par le projet d’autoroute à péage que la Banque mondiale finance en partie. Nous avons donc beaucoup développé les relations avec les ONG et la société civile, ce qui n’était pas le cas il y a quelques années. Il y a un forum spécifique au sein de la BM pour réunir ces ONG et dialoguer avec elles. Elles sont incontournables pour que les dirigeants rendent compte, et cela nous permet de mieux mesurer les problèmes de gouvernance dans les pays où nous intervenons. 

In concreto, on ne fait plus d’ajustements structurels depuis très longtemps. L’argent que nous mettons au Sénégal va dans la santé, l’éducation, les infrastructures, les restructurations urbaines, pour que les gens vivent dans des conditions meilleures. C’est cela que nous essayons de mettre en œuvre, nous encourageons les Etats à avoir des documents de politiques sociales, et c’est dans ce cadre que nous les aidons dans leur financement. Nous essayons d’appeler d’autres partenaires pour financer ces investissements. Par exemple, sur un projet d’autoroute au Sénégal actuellement, sur une enveloppe de 600 milliards de CFA, la BM vient avec 80 milliards, mais nous avons attiré la Banque Africaine de Développement, l’Agence Française de Développement, et donné confiance à la société Eiffage pour s’engager aussi dans le projet. Ces changements se sont ressentis à l’intérieur même de l’organisation et du personnel de la BM. Nous sommes passés d’une banque d’ingénieurs, à une banque où on retrouve aussi des journalistes, économistes, spécialistes des questions sociales, ce qui lui donne une dimension humaine beaucoup plus importante et beaucoup plus centrée sur le règlement des questions sociales.

Comment s’est passée votre transition entre le métier de journaliste et celui de communicant ?

Cela n’a pas été facile. Le journalisme a ses règles et c’est un travail très valorisant. Dans le domaine de la communication, ces valeurs journalistiques peuvent toujours exister en nous mais on a en perspective la réputation de l’institution que l’on sert. C’est un peu cela la difficulté au départ, parce que l’institution a des règles et des procédures qui vont parfois à l’encontre même du journalisme. Il est heureux que cela nous permette de mettre de l’info aux journalistes pour les appuyer dans leur travail. La mise à disposition libre des bases de données de la Banque mondiale a ainsi beaucoup aidé les journalistes. Même durant le Forum Social Mondial, quand les gens attaquent la banque, ils utilisent les données de la banque !

Quels conseils donneriez-vous à de jeunes africains ?

Bien faire leurs études. Le capital humain, c’est la principale richesse d’un pays. Un pays ne peut pas réussir sans des jeunes bien formés. C’est la responsabilité individuelle des jeunes d’acquérir les connaissances les plus récentes et les plus pointues dans leur domaine. On n’a pas le droit d’être mauvais, on n’a pas le droit de voir petit. Il faut voir grand en se disant que « mon but n’est pas tant de revenir, mais de participer au progrès du pays, du continent et du monde ». Il ne faut pas accepter de s’enferrer dans un nationalisme étroit qui ne permet pas de se rendre compte que le développement de l’humanité est de la responsabilité de chacun. C’est pour cela qu’il ne faut pas avoir peur de faire des études qui n’auraient pas d’application directe dans son pays d’origine. Il n’y a aucun complexe à faire ce genre d’études. Il faut se dire nous devons être les meilleurs dans ce que nous faisons, au même titre que les américains et asiatiques.

Il y a bien sûr le problème du retour au pays pour ceux qui ont fait leurs études à l’étranger. Cependant, on peut parfaitement être à Dakar et être déconnecté du Sénégal. La présence physique, aujourd’hui dans ce monde avec les nouvelles technologies, n’est pas la chose la plus importante. La chose la plus importante est de contribuer au rayonnement de son pays là où l’on est ; c’est dans ce monde global que l’on doit faire son chemin. Une telle démarche d’esprit va apporter du progrès au monde et au Sénégal. Il faut avoir cette volonté d’être dans le monde et de contribuer à l’avancement du monde.

Il faut dire aussi qu’il y a  un manque d’orientation qui conduit certains jeunes dans des études qui les mènent à des impasses. On ne peut pas faire 1000 étudiants en marketing. Il faut encourager des filières très précises et faire en sorte qu’ils y réussissent. Il faut que les filières scientifiques et techniques soient valorisées, tout en maintenant des études littéraires de qualité, au lieu de faire des Facultés de lettres et de sciences humaines des fourre-tout. Enfin, il y a des problèmes d’infrastructure aussi : dans une université de 70 000 étudiants conçue pour 20 000 étudiants, il est difficile de faire dans la qualité. Il faut donc faire des réformes partagées avec la communauté éducative au sens large, pour que le gosse puisse entrer dans des structures de formation de qualité lui permettant, plus tard de réussir dans un monde très compétitif.

Des jeunes comme vous qui ne sont pas là physiquement, mais qui sont là où se fait le progrès scientifique, et qui participent à ce mouvement de pensée, c’est capital. Cela revivifie la pensée africaine, et cela permet de prendre le leadership dans la pensée. C’est les gens de votre génération qui sont en train de faire faire les avancées les plus importantes. Bill Gates, il y a 20 ans, c’était un gosse. Et pourtant il avait la capacité de changer le monde. Il faut libérer la parole et l’énergie des jeunes pour pouvoir dire le monde comme ils voient le monde. Un site comme le vôtre, Terangaweb, pourrait être un creuset où se fait ce changement, ce qui est capital pour l’Afrique.

Interview réalisée par Emmanuel Leroueil