Au coeur des manifestations étudiantes à Ouagadougou

Répondant à l’appel de l’ANEB-Ouagadougou (l’Association Nationale des Etudiants du Burkina), élèves, étudiants ainsi que plusieurs militants d’autres couches sociales se sont réunis le vendredi 11 mars 2011 au terrain Dabo Boukary [1] de l’université de Ouagadougou pour une marche pacifique de protestation s’inscrivant dans la droite ligne de l’affaire de Koudougou. La direction générale de la police était la destination finale de la marche, où une lettre de protestation devrait être remise. Un meeting devait ensuite être organisé sur le campus au retour de la marche.
La marche débuta aux environs de 8h45 avec une participation de plusieurs centaines de manifestants. Les chants, slogans et pancartes anti-impérialistes accompagnaient les manifestants. Chacun exprimait, à sa manière, son ras-le-bol continu vis à vis des forfaits commis par ceux qui sont censés protéger le peuple et de l’impunité galopante qui caractérise le pays. A 400 mètres de l’université, au rond-point de la Paix, deux grandes murailles d’« hommes en tenue » bloquaient l’itinéraire prévu par les manifestants. La marche se voulant pacifique, l’itinéraire étant bien tracé et dûment communiqué aux autorités, les manifestants refusèrent catégoriquement de rebrousser chemin.
Les esprits s’échauffèrent progressivement. Ne sachant que faire pour disperser cette masse homogène, motivée et impatiente de poursuivre son chemin, sous l’œil innocent de la «rue de la Paix », ces « hommes en tenue » chargèrent à coups de bombes lacrymogènes tirées à bout portant. Les manifestants qui n’avaient pour seule arme que leur bouche pour revendiquer, ont été confrontés à ces actes de barbarie. Une chasse à l’homme s’ensuivit : ce fut le sauve-qui-peut du côté des manifestants qui se replièrent sur l’université.
Frustrés et blessés dans leur amour propre, les étudiants se réorganisèrent en cinq grands fronts pour mener la résistance contre les « forces de l’ordre ». Les CRS, la gendarmerie, l’armée de terre et de l’air, tous étaient mobilisés avec un véritable arsenal de combat face aux étudiants armés de pierres ramassées à la va-vite pour se défendre et résister sur le campus. La bataille fut rude et enragée.
Au bout de cinq heures d’intenses affrontements, les blessés se multiplièrent et le manque criard des moyens de résistance des étudiants se fit sentir. C’est ainsi que le campus fut assiégé et maîtrisé aux environs de 14h. Mais le combat se poursuivit sur d’autres fronts non loin de l’université (Zogona et Wemtenga). Vers 17h30, tous les manifestants furent cependant maîtrisés, vue la brutalité et les moyens mis en oeuvre pour réprimer la manifestation. Bilan : plusieurs blessés par bastonnades, gaz lacrymogènes, balles à blanc et même balles réelles [2]…et près de 19 étudiants arrêtés et détenus. Malgré cela, un autre meeting était annoncé pour le mardi 15 mars, toujours à l’université.

La fermeture des universités publiques et des services sociaux aux étudiants

Dès le vendredi 11 mars, des accusations étaient émises à la télévision nationale et sur des chaînes de radio par certaines autorités à l'encontre des étudiants et de l’Association Nationale des Etudiants du Burkina,  qui auraient été manipulés par l’opposition et l’extérieur. De retour du panel des chefs d’Etats africains à Addis-Abeba sur le conflit ivoirien, le président Compaoré est enfin sorti de son mutisme pour se prononcer sur les évènements du 22 février. Dans son discours, il n’a eu aucun mot pour les familles des victimes et ne s’est intéressé qu’à son fauteuil et aux édifices publics en évoquant des "actes de vandalisme". Un communiqué du gouvernement du 14 mars est venu rajouter au déni des autorités quant à la  réalité de la situation. Un congé anticipé fut donné aux élèves pour la période du 14 au 28 mars. Les universités publiques, restaurants et infirmeries universitaires comprises, ont été fermées jusqu’à nouvel ordre. C’est ainsi que les étudiants ont été mis à la porte des cités universitaires par les gendarmes, les laissant face à eux-mêmes.
Il s’agit là d’un véritable crime ! La majorité de ceux qui résident en cité viennent d’autres localités du pays et parfois de l’extérieur (notamment de la Côte d’Ivoire) et sont dans des situations sociales difficiles. L’infirmerie a été fermée en dépit des malades en cours de traitement. Heureusement, la solidarité estudiantine et le soutien d’âmes généreuses au sein de la population ont permis à beaucoup d’étudiants d’avoir un toit et de quoi se mettre sous la dent.
Mais fort malheureusement, certains ont été acculés à d’autres pratiques pour pouvoir s’en sortir. C’est le cas de certaines étudiantes qui se sont adonnées à la prostitution rien que pour avoir le transport retour pour rejoindre leurs parents. Cela confirme le mépris de nos autorités, prêtes à sacrifier la catégorie la plus fragile de la population pour assurer son maintien au pouvoir. Attitude d'autant plus aisée que leur progéniture se trouve le plus souvent à l'extérieur, dans les grandes universités européennes, américaines. Ils se soucient d’autant moins de l’avenir des étudiants au Burkina.

Le meeting avorté du 15 mars 2011

Le mardi 15 fut également une date décisive. Le meeting était prévu à l'université de Ouagadougou à 8h. Les étudiants sont arrivés pour constater la transformation de leur université en camp militaire. Un avion survolait  l’université. Face à cette situation, les étudiants s’organisent et bloquent les routes. Un affrontement de quelques heures les opposera aux « hommes en tenue ». Une rencontre entre autorités et étudiants a finalement eu lieu le vendredi 25 mars dernier et a abouti à la réouverture des universités publiques ainsi que des œuvres sociales au profit des étudiants, à partir du mardi 29 mars 2011.
A l’université de Ouagadougou, les activités ont aujourd’hui bien repris mais au ralenti. Du fait des nombreuses interruptions, certains n’ont toujours pas terminé leur année académique 2009-2010…
Toutes les exigences des étudiants n’ont pas encore été satisfaites, et des élèves ainsi que des étudiants croupissent toujours à la maison d’arrêt et de corrections de Ouagadougou. Le problème demeure donc et des solutions définitives de sortie de crise ne sont toujours pas trouvées. Les élèves de Koudougou (ville ou Justin Zongo a été assassiné) ont encore lancé un ultimatum en refusant l’accès des classes le 28 mars (date de réouverture des écoles primaires et secondaires), et ce jusqu’à ce que justice soit rendue et leurs camarades libérés. Risquons-nous encore une reprise de ces manifestations ? L’étudiant doit il avoir foi aux autorités et ne compter uniquement que sur les œuvres sociales ? N’a-t-il pas d’autres choix ou ne peut-il pas se créer lui-même d’autres alternatives ? Ces questions méritent d’êtres posées.
 

De notre correspondant à Ouagadougou, Ismael Compaoré
 

[1] : Ce terrain rend hommage à Dabo Boukary, étudiant en 7ème année de médecine assassiné en 1990.

[2]: Cette accusation d’utilisation de balles réelles est également corroborée par la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) : http://www.fidh.org/Burkina-Faso-Les-autorites-doivent-mettre-un