La crise politique et sociale gagne le Burkina suite à la modification constitutionnelle instaurant un Sénat. Au-delà de ce changement institutionnel, les relations deviennent de plus en plus tendues entre la mouvance présidentielle et l’opposition réunie au sein du CFOP-B. Plus que la question du bicaméralisme, le 29 juin, c’est un ras-le-bol général qu’ont exprimé les Burkinabés au pouvoir de Blaise Compaoré.
Depuis le 21 mai 2013, date du vote de la loi organique consacrant ainsi le retour du bicaméralisme parlementaire, la polémique et la tension n’ont cessé de monter au sein des acteurs politiques et de la société civile Burkinabé. L’opportunité de l’instauration d’un sénat dans l’univers institutionnel burkinabè est la source de ce désaccord profond.
Une révision constitutionnelle
L’idée remonte au 3ème congrès extraordinaire du parti au pouvoir, le Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP), tenu les 6 et 7 août 2010. Créer un sénat servirait selon les caciques du pouvoir à « permettre la participation et la représentation de tous les Burkinabès aux différentes institutions de la République ». L’idée a ensuite été reprise par le Conseil Consultatif sur les Réformes Politiques (CCRP), créé à la suite de la grave crise sociopolitique qu’a connu le pays en 2011. Parmi les conclusions « consensuelles » de ses assises, figure en bonne place la création d’un Sénat. Consensus relatif, quand l’on sait que les partis représentatifs de l’opposition regroupés autour du CFOP-B (coalition de l’opposition burkinabè) présidé par Me Bénéwendé S.Sankara ont boycotté le CCRP.
L’instauration du sénat a commencé à se concrétiser le 11 juin 2012, avec l’adoption de la loi constitutionnelle N° 033-2012/AN modifiant l’article 78 de la Constitution qui dispose désormais : « le Parlement comprend deux chambres : l’Assemblée Nationale et le Sénat ».
Cette révision consacre ainsi le retour du bicaméralisme après la courte expérience de la Chambre des Représentants qui a fait office de deuxième Chambre de 1997 à 2002. Parmi les principales raisons alors évoquées pour justifier la suppression de la Chambre des représentants, figurait « son coût financier important ».
Du vote de la loi organique à la montée de la contestation politique
La loi organique portant organisation et fonctionnement du Parlement a été votée le 21 mai 2013 par l’Assemblée Nationale avec les votes du CDP et ceux des partis de la « mouvance présidentielle », tandis que le CFOP-B, désormais présidé par Zépherin Diabré à l’issue des élections du 02 décembre 2013, tenait un rassemblement de protestation contre l’adoption de cette loi. Cette dernière prévoit que le Sénat sera composé de 89 sénateurs dont 29 nommés par le chef de l’Etat. En outre, une révision de la Constitution requiert désormais l’accord des ¾ des membres du parlement réunis en congrès.
Depuis la révision constitutionnelle du 11 juin 2012, le fossé ne cesse de se creuser entre partisans et adversaires du Sénat. Si les défenseurs de la deuxième chambre voient en cette institution un renforcement de la démocratie et une large implication de toutes les couches sociales dans les affaires publiques, ses détracteurs, notamment l’opposition et la société civile, balaient d’un revers de main ces arguments tout en avançant d’autres motifs.
Ainsi, pour l’opposition, le Sénat serait « budgétivore » et ne serait que prétexte à « la modification de l’article 37 de la constitution relatif à la limitation du mandat présidentiel». Cette suspicion de l’opposition n’est pas sans fondement d’autant plus qu’à l’issue des élections législatives du 02 décembre 2012, le CDP a perdu sa majorité qualifiée à l’Assemblée Nationale pouvant lui permettre de rassembler les ¾ requis pour modifier la constitution. Avec cette nouvelle institution, il pourra sans aucun doute opérer toutes les modifications souhaitées.
Quant à la société civile, ses arguments sont plutôt d’ordre social et financier. « Avec le Sénat, on élargit la race des parasites de la république » dixit le Pr Luc M. Ibriga du Centre pour la Gouvernance Démocratique (CGD). Elle juge la nouvelle Chambre « inopportune, inutile et budgétivore » face à la panoplie de revendications sociales non satisfaites. Plus généralement, elle caricature le Sénat comme « la dernière trouvaille d’un régime aux abois pour caser ses vielles machines politiques ».
Depuis les assises du CCRP, l’opposition burkinabè a amorcé une dynamique d’unité historique pour contrer les velléités du pouvoir à vie imputées à tort ou à raison au régime en place. « L’Appel de Kombissiri » qui a réuni les deux plus grands groupes parlementaires de l’opposition, l’Union pour le Progrès et le Changement (UPC) et l’Alternance Démocratie et justice (ADJ).
Le succès de la marche du 29 juin
Le 26 juin, le conseil des ministres adoptait « un décret portant convocation du corps électoral pour l’élection des sénateurs représentant les collectivités territoriales ». « Au terme de ce décret, le corps électoral est convoqué le dimanche 28 juillet 2013 pour l’élection des trente neuf (39) sénateurs représentant les collectivités territoriales ». En réponse, le 29 juin 2013, à l’initiative de ces deux groupes parlementaires ainsi que d’autres partis extraparlementaires et quelques structures de la société civile, une marche d’envergure nationale pour protester contre la mise en place du Sénat a été initiée.
C’est dans ce climat de tension qu’à Koudougou, Bobo-Dioulasso, Dédougou ou Ouahigouya, les populations sont sorties pour exprimer leur refus du Sénat et leur ras-le-bol contre la politique générale du gouvernement avec en ligne de mire le président Blaise Compaoré. On pouvait lire sur les pancartes et entendre les slogans scandés par les manifestants : « non au Sénat, oui à une école de beaux-arts », « un WC public vaut mieux que le Sénat », « Compaoré quitte le pouvoir. L’été noir », « Blaise dégage », « non à la modification de l’article 37 »…
A Ouagadougou, l’itinéraire de cette marche devrait conduire au rond-point des Nations-Unies ou un émissaire du Premier Ministre devrait attendre les marcheurs pour recevoir leur mémorandum. Ne s’étant pas présenté au lieu indiqué et vu que la mobilisation était celle des grands jours, le cordon sécuritaire visiblement dépassé n’a pu empêcher le débordement. La frustration était grande face à cette attitude « insultante du peuple » et la volonté des manifestants de marcher sur l’Assemblée nationale a déclenché des tirs de gaz lacrymogène par les forces de l’ordre. Contrairement aux informations communiquées par les médias publics, des dizaines de blessés ont été notés.
Réunie à son siège dès le lendemain de cette marche historique pour une conférence de presse, l’opposition s’est félicitée de cette manifestation et a appellé la population burkinabè à rester mobilisée pour de mots d’ordres futurs entrant dans le cadre de cette lutte.
Malgré cela, le parti au pouvoir tient mordicus à son Sénat et multiplie les démarches pour sa mise en place effective. Par ailleurs le CDP sera également dans la rue le 06 juillet prochain pour une marche-meeting sur le thème «Paix sociale, consolidation de la démocratie et développement» a laissé entendre Assimi Kouanda, secrétaire exécutif national du parti lors d'une conférence de presse tenue le mercredi 03 juillet 2013. Cette réforme du gouvernement a divisé le pays et fait éclore des idées auprès de différentes couches sociales. L’indignation a gagné du terrain, des mouvements populaires jaillissent, les burkinabè de l’extérieur se mobilisent et des leaders d’opinions sur la scène nationale et internationale s’affichent publiquement contre ce « bâillonnement du peuple ».
« Le ballet citoyen » dont les initiateurs ne sont autres que les artistes musiciens engagés Smokey et Sams’k le Jah, deux idoles de la jeunesse burkinabè, est ainsi né le jour de la marche. Il compte « assainir de façon citoyenne et propre le Faso » en constituant « une force citoyenne nouvelle qui résiste et s'organise pour une "vrai démocratie", une "bonne gouvernance" et un "meilleur vivre-ensemble" au Faso ».
En attendant, une autre marche de protestation est prévue le 20 juillet 2013. Cette fois à l’appel de la Coalition Contre la Vie Chère et l’impunité (CCVC), une union de structures de la société civile réunissant pratiquement tous les syndicats de travailleurs et certains partis politique de l’opposition. Le refus du Sénat s’y invite également. Ce qui promet une nouvelle journée de tension dans le pays. Tension de laquelle, nous l'espérons, émergera une nouvelle réalité positive pour le Burkina Faso.
Ismaël Compaoré et Noraogo Paul Nabi