Burkina Faso: Y a-t-il péril dans la demeure Compaoré ?

Terangaweb_Blaise CompaoréAvant le 21 mai dernier, date du vote de la Loi organique portant organisation et fonctionnement du parlement instituant un Sénat, nul n’aurait parié sur une telle accélération vertigineuse de l’histoire quelques mois plus tard au Burkina Faso.  La scène politique de ces deux dernières décennies se résumait ainsi : un parti au pouvoir ultra majoritaire, sûr de ses forces, face à une opposition divisée et émiettée. Mais une chose est certaine : depuis le 21 mai, l’échiquier politique est en pleine recomposition et bouillonnement.

Quelques moments politiques forts de l’année 2013

Le débat politique national connait un regain d’intérêt ces derniers mois tant au niveau de la classe politique que de la société civile.  Le Sénat et l’article 37 de la constitution (qui dispose que le Président n’est rééligible qu’une seule fois) sont les points saillants qui divisent l’opinion. Le début de la contestation nationale fut véritablement sonné le 29 juin 2013 à travers une marche-meeting organisé par le CFOP (Chef de File de L’opposition Politique) et qui a drainé des centaines de milliers de manifestants dans plusieurs villes du Burkina. Pendant ce temps, l’autre camp, le parti au pouvoir CDP (Congrès pour la Démocratie et le Progrès)  multipliait également ses sorties pour la mise en place effective de ce Sénat.  Ses militants seront aussi dans la rue le 6 juillet 2013 : bien qu’initialement présentée comme une marche « pour la paix sociale », la manifestation, à en croire les pancartes, visait avant tout à réitérer leur attachement à la mise en place du Sénat et leur volonté de voir modifier l’article 37 afin  de permettre à Blaise Compaoré de se représenter en 2015. Le défi était donc lancé.

Un mois après la première marche, le 28 juillet 2013, l’opposition réunie au CFOP revient à la charge. Elle a le soutien de la grande majorité des structures de la société civile qui oppose également un refus catégorique à la mise en place du Sénat et surtout aux velléités de modification de l’article 37. Forte de ce soutien de toutes les forces hostiles « aux manœuvres du régime en place », une grande marche-meeting est organisée sur toute l’étendue du territoire nationale. Elle mobilise plus que la précédente et l’opposition prend plus de confiance, s’organise et renforce l’EMCP (l’Etat-Major Permanent de Crise). Zéphirin Diabré, chef de file de l’opposition politique, multiplie les sorties et appelle la population à rester mobilisée. Contre toute attente, le 30 juillet 2013, le président du Faso déclare depuis Yamoussoukro qu’« une marche n’a jamais changé une loi ». Le climat politique se crispe, son « manque de culture » est dénoncé, les déclarations fusent de partout.

Quelques mois après cette déclaration hasardeuse, le chef de l’Etat « dans sa quête de paix et de cohésion sociale » entame des échanges avec le corps religieux. Cette carte sera aussitôt grillée. L’église catholique réitère son refus à la mise en place du Sénat. Les autres composantes se trouvent profondément divisées par la question. Une tentative de semer la division au sein des différentes confessions religieuses est dénoncée. Le secrétaire exécutif national du CDP (SEN) Assimi Koanda est hué à la grande mosquée de Ouagadougou. C’est dans cette confusion générale que le chef de l’État suspend le processus de mise en place du Sénat en commandant un « rapport d’étape circonstancié sur le processus d’opérationnalisation du Sénat ». Cette « reculade » est perçue comme une « demi-victoire » par le camp adverse : le régime vient de démontrer, contrairement à la déclaration de Yamoussoukro, qu’il n’est pas aussi sûr de ses forces. Malgré tout, chaque partie multiplie les rencontres avec sa base. La presse et les réseaux sociaux deviennent le centre d’expression des opinions.  Tout semble pourtant calme pendant quelques semaines, jusqu’à ce que Blaise Compaoré lâche ces mots à la presse « le Sénat sera bel et bien mis en place » et «la constitution n’interdit pas de modifier l’article 37 ». C’était le 12 décembre 2013 à Dori lors des festivités des 53 ans de l’indépendance du Burkina Faso.

Les opposants sortent de nouveaux de leur sommeil temporaire, la société civile aussi. Lors de la commémoration le 13 décembre 2013 du quinzième anniversaire de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo, les responsables du Balai Citoyen affirment reprendre la lutte après les fêtes. 2014 s’annonce donc être l’année de toutes les tensions avant « l’assaut final » en 2015, avec les élections. Le CDP se prépare lui aussi, et la Fédération associative pour la paix et le progrès avec Blaise Compaoré (FEDAP/BC), qui regroupe les soutiens du Président, n’est pas en reste. Mais la grande surprise viendra à nouveau du régime en place, au début du mois de janvier.

Cascade de démissions au CDP

5 janvier 2014,  coup de tonnerre dans le paysage politique national. Le parti au pouvoir est secoué d’hémorragie. 3 gros bonnets viennent de quitter le navire emportant dans leur mouvement 72 autres de leurs camarades. Il s’agit de  Roch Marc Christian Kaboré (ancien président de l’Assemblée nationale de 2002 à 2012), Simon Compaoré (ancien maire de Ouagadougou de 1995 à 2012) et Salif Diallo (ex-conseiller spécial de Blaise Compaoré et ancien ministre d’Etat, ministre de l’agriculture). C’est à travers une déclaration  rendue publique le 4 janvier et adressée au secrétariat exécutif national (SEN) du parti  qu’ils ont égrené leurs griefs. « Par les violations répétées de ses textes fondamentaux, la caporalisation de ses organes et instances, les méthodes de gestions fondées sur l’exclusion, la délation, les intrigues, l’hypocrisie, la coterie, vous êtes parvenu, en si peu de temps, à vider cette plateforme fondatrice de son contenu initial, et à liquider les nombreux acquis chèrement conquis par le travail inlassable de ses militants » pouvait-on lire dès le deuxième paragraphe. Aussi ils affirment assister à des « tentatives d’imposer la mise en place du sénat aux forceps et à des velléités de réviser la constitution dans le but de sauter le verrou des limitations du mandat présidentiel dans un contexte où le peuple est profondément divisé » avant de conclure en annonçant leur « démission du Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP)».

En réponse à cette déclaration, le SEN du CDP rétorque en qualifiant ces démissions de « non évènement » et en qualifiant les auteurs de traitres, de spécialistes en intrigues et manœuvres de déstabilisations etc. Les conflits internes de ce parti étaient un secret de polichinelle et les risques d’implosion étaient plus ou moins prévisibles. En effet, en 2009 déjà Salif Diallo dénonçait dans une interview accordée à L’Observateur Paalga la patrimonialisation du pouvoir, toute chose qui lui a valu une exclusion du bureau politique national du parti alors présidé par Rock Marc Christian Kaboré. Quelques années plus tard, en mars 2012, lors du congrès du parti, nouveau coup d’éclat. Plusieurs cadres historiques dont Rock Mark Christian Kaboré, Simon Compaoré sont débarqués des instances dirigeantes. Juste après cette douche froide, aux élections législatives et municipales couplées du 2 décembre de la même année, ces derniers sont aussi écartés des différentes listes bien qu’ils sont des figures emblématiques dans leurs localités respectives voire au plan national. Alors qu’un malaise profond était perceptible au sein de ce parti, les nouveaux « patrons » du parti dirigé par Assimi Koanda arguent de la nécessité du rajeunissement comme argument.

Ainsi, à l’image des refondateurs et d’autres anciens camarades comme Zéphirin Diabré, Ablassé Ouédraogo qui animent l’opposition, ils ont eux aussi claqué la porte de ce « méga »-parti qu’ils ont construit de toutes pièces. Au-delà des déclarations et autres clashs par presse interposée avec leurs camarades d’hier, les nouveaux opposants ont entamé leur initiation le 18 janvier dernier lors de la grande marche nationale contre le Sénat, la modification de l’article 37 et la politique générale du gouvernement. Ce 25 janvier, ils ont procédé à la création de leur nouveau parti, le Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP) dont Roch Marc Christian Kaboré préside aux destinés.  Toutefois, la question de leur crédibilité et sincérité fait débat. Ce qui est certain, des choses se préparent ; seuls les oracles politiques pourraient prédire l’avenir au pays des hommes intègres.

 Ismaël Compaoré et Noraogo Nabi

 

Grève de la faim : une méthode de revendication en vogue sur le continent

grevedelafaimeLe phénomène de grévistes de la faim est récurrent ces derniers temps sur le Continent. Au Sénégal, la grève de la faim des bacheliers non orientés de Ziguinchor et surtout celle tragique des étudiants de licence géographie de l’Université Cheick Anta Diop dont trois (3) se sont immolés par la suite a montré une autre tournure de cette forme de lutte.

En Côte d’Ivoire ce sont les ex-travailleurs de la SOTRA (Société de Transport Abidjanais) qui ont entamé une grève de la faim le 18 mars dernier pour réclamer les mesures d’accompagnement depuis leur licenciement le 10 février 2012. 

Le jeudi 21 mars 2013, c’était le tour à la FILSHA (Filature du Sahel) au Burkina. Seydou Ouedraogo, secrétaire général des délégués du personnel, soutenu par ses camarades entame une grève de la faim illimitée pour dénoncer les diverses pressions patronales dont il est la cible et les conditions précaires de travail.

Un autre cas interpellateur au Burkina-Faso qui aurait pu tourner à l’immolation est celui d’Hippolyte Bado, assistant de la Garde de Sécurité Pénitentiaire en service à la Maison d’Arrêt et de Correction de Ouagadougou. C’était le 06 avril dernier. Même s’il nie avoir voulu s’immoler, l’on a tout de même retrouvé de l’essence et un briquet à ses cotés pendant sa grève de la faim.

A Djibouti le 10 Avril, ce sont une cinquantaine de prisonniers politiques du pénitencier de Gabode dont certains ont été arrêtés avant la crise postélectorale du 22 février 2013 qui ont débuté une grève de la faim. Dénonçant une parodie de justice et leurs conditions de détention, ils ont le soutien de la Ligue Djiboutienne des Droits de l’Homme (L.D.D.H).

En Afrique du nord, plus particulièrement en Algérie, ce sont 18 céramistes à Guelma qui ont entamé une grève de la fin ce 14 avril. Ils réclament à la direction d’ETER SPA entre autres le payement de huit mois d’arriérés de salaire.

Autant de frustrations dans plusieurs pays différents, mais un seul mode de combat ; la grève de la faim. Tenaillé par leurs situations respectives, ils n’ont trouvé autres moyens de se faire entendre qu’une violence personnelle. Surprenante méthode surtout quand cela se passe en Afrique.

Cela marque une tournant, un nouveau militantisme revendicatif très engagé mais extrêmement pacifique. Est-ce la fin des casses et autres formes de manifestations violentes aux conséquences néfastes sur l’économie d’un pays ?

Un nouveau militantisme revendicatif

Moins connu il ya quelques années, ou même pas dans certain pays, la grève de la faim est en train de se frayer un chemin en Afrique au point de surclasser les autres méthodes classiques de contestation, parfois entachées de violence. Elle marque un renouveau, un début d’une ère de militantisme revendicatif basé sur la violence sur soi et non sur autrui ou sur les édifices publics souvent pris pour cible. Le message est fort, l’acte ne l’est pas moins, mais le défi reste entier quant à l’obtention d’un résultat satisfaisant au même titre que ceux qui usent d’autres formes de luttes : faire entendre sa cause et en obtenir le gain.

 A travers un renoncement à la violence à l’image de Gandhi ou de Martin Luther King, ils sont désormais des centaines décédés ou vivants à avoir privilégié ce recours plutôt qu’un autre. S’il y avait un slogan commun aux grévistes de la faim, ce sera peut être « la satisfaction ou la mort ». Qu’est-ce qui peut bien conduire un homme à cet extrême, ce suicide silencieux ?

 « La satisfaction ou la mort »

Les frustrations font désormais partie du quotidien des citoyens dans la plupart des pays africains. Elles sont le produit de privations qui trouvent plusieurs origines.

La structure de la société africaine est particulière. La sphère des dépenses d’un travailleur par exemple ne se limite pas seulement à sa petite famille, ses parents devant profiter de lui comme il a profité lui aussi des autres avant. C’est le cycle de la famille garante de la chaine de solidarité. Un seul maillon de cette chaine en panne peut compromettre la survie et l’avenir de toute une famille.

Au même moment les licenciements abusifs ont tendance à se légaliser dans les entreprises. Une pression certaine doublée d’un stress permanent entretien les journées d’un bon nombre de travailleurs confrontés souvent à des patrons intouchables protégés parfois au plus haut sommet de l’Etat. Par exemple, des dossiers de confrontations entre employeurs et employés trouvent leur dernière demeure dans les tiroirs des tribunaux s’ils ne dorment pas éternellement dans les directions du travail.

Des milliers de déflatés rasent ainsi les murs sur le continent en entendant leur tour en justice, qui peut être n’arrivera jamais. Peut-on parler de surprise quand de tels profils entament une grève de la faim ? Un exemple parmi tant d’autres qui illustre l’état d’esprit dans lequel peuvent se trouver les futurs candidats à ce choix radical et dangereux.

Les injustices sociales semblent être la première cause pouvant conduire à cet extrême. La précarité peut donc conduire au suicide. En trame de fond, la mal gouvernance, le favoritisme, le népotisme, la gabegie, voire l’impunité. Autant de choses qui peuvent justifier ce dégoût de la vie que manifestent certaines personnes véritables candidats au suicide.

Ismaël Compaoré 

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