Les perspectives de L’ADI pour 2015

LogoTempChers amis de L’Afrique des Idées,

En ce nouvel an, L’Afrique des Idées, en tant qu’association de loi 1901 ayant pour objectif de contribuer au débat public sur l’Afrique, entre dans sa 5ème année d’existence. Depuis la mise en place de notre site internet terangaweb.com en janvier 2011, environ 1 300 articles d’analyse ont été publiés. Nos membres ont également été à l’initiative d’une vingtaine de conférences en Afrique et en France avec comme intervenants des personnalités issues aussi bien du secteur privé que du secteur public, des universitaires aussi bien que des professionnels de premier plan.

De façon spécifique, l’année 2014 a été un tournant majeur pour L’Afrique des Idées qui se positionne désormais résolument comme un think-tank qui a vocation à proposer des idées novatrices dans les domaines de l’économie, de la politique et de la culture. Au-delà des articles d’analyse, L’Afrique des Idées propose des notes d’analyse, des enquêtes ainsi que des études de recherche. Les résultats de notre étude sur la croissance inclusive, menée en partenariat avec l’Ecole d’Economie de Paris, ont ainsi été présentés à L’Université des Nations Unies à Helsinki et publiés récemment dans la série des documents de travail de l'UNU-WIDER. Afin d’appuyer cette nouvelle orientation, un conseil scientifique d’une dizaine d’universitaires et de professionnels issus du droit, de la finance et de l’économie apporte son expérience et son expertise pour mieux orienter l’essor de L’Afrique des Idées.

Dans le sillage du travail effectué en 2014, les perspectives de développement de L’Afrique des Idées s’articulent autour de trois axes. Il s’agit d’abord de crédibiliser davantage notre positionnement de think-tank en apportant au débat public des contributions scientifiques sur des thèmes tels que la mesure de l’impact de la croissance africaine, les classes moyennes africaines, les politiques de concurrence, la fiscalité et le foncier. Il s’agit ensuite de renforcer notre ancrage local sur le continent à travers l’ouverture de bureaux dans trois pays africains à l’image de celui de Dakar qui sert depuis deux ans de laboratoire de notre déploiement. Il s’agit enfin de donner davantage de visibilité à nos productions et à notre structure à travers une communication d’influence plus proactive et l’organisation d’un rendez-vous majeur que nous voulons annuel. A travers ces trois axes, nos équipes consacrent leur savoir-faire et leur dynamisme au développement de L’Afrique des Idées et à la structuration d’une agora de qualité sur l’Afrique, et en Afrique.

Les résultats de L’Afrique des Idées et les perspectives pour cette année ne sont en effet possibles que par l’engagement remarquable d’une centaine de jeunes professionnels et chercheurs, africains et non africains, mus par une conviction forte : dans un contexte où l’Afrique connait des transformations sociales et économiques inédites et attire l’intérêt du monde entier, il est nécessaire d’apporter au grand public, notamment aux africains eux-mêmes, une connaissance fine et équilibrée des dynamiques en cours. Cette contribution au débat public passe aussi par une (ré)appropriation, par la jeunesse africaine elle-même, du discours sur l’Afrique, de la même manière que la croissance du continent doit s’effectuer en priorité au profit des populations locales, les deux aspects étant du reste fortement liés. Tel est le sens de l’afro-responsabilité qui est, depuis plus de quatre ans, au cœur de notre démarche. Tel est le sens de l’engagement de L’Afrique des Idées qui a pour ambition de structurer, dans le temps long, un think-tank de référence porté par la jeunesse africaine.

Excellente année 2015 !

Nicolas Simel Ndiaye

L’actualité de la Négritude: être et demeurer métis

La Négritude est de nos jours trop vite évacuée quand on ne finit pas de reprocher aux écrivains qui en furent les pionniers d’avoir écrit en français. Pourquoi les poètes de la Négritude ont-ils écrit en français? Fut-ce-t-elle un classique, cette question semble la plus à même de laisser transparaitre en l’occurrence l’actualité de la Négritude dont elle révèle d’ailleurs la quintessence.

Léopold Sédar SENGHOR lui-même répondait à cette question dans la postface d’Ethiopiques[1]

Voici (et on y reviendra) ce qu’en dit le poète de la Négritude et non moins futur membre de la prestigieuse Académie française : « Mais on me posera la question : pourquoi, dès lors, écrivez-vous en français? – Parce que nous sommes des métis culturels… ».Objet Inconnu

Cette question n’a pas non plus laissé indifférent le philosophe français Jean Paul SARTRE. Il convient à ce propos de rappeler que SARTRE est sans doute le philosophe occidental qui a le plus flirté avec le mouvement de la Négritude. C’est lui qui écrit en 1948, à la demande de SENGHOR et de Alioune DIOP, la préface devenue ô combien célèbre de l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française [2]. C’est surtout en s’appuyant sur cette envolée préfacière baptisée Orphée noir , beaucoup plus « que ce qu’en disaient les Nègres eux-mêmes » [3], qu’on va discuter la Négritude.

Pour SARTRE, le décalage entre la langue française et l’être africain a pu constituer une explication. En effet la Négritude a été un phénomène, au sens étymologique du terme, surtout (pas seulement) poétique. Or que n’a-t-on appris de Mallarmé et des surréalistes au sujet de la poésie si ce n’est  que celle-ci trouve sa profondeur dans l’écart entre le langage et ce que le poète veut exprimer ?  Or encore, écart ne saurait être plus grand que celui qui sépare a priori la langue française par exemple, celle du colon, de la réalité africaine que les poètes colonisés célébraient. L’explication de SARTRE parait ingénieuse et littérairement pertinente, encore faudrait-il que les poètes de la Négritude y aient pensé en écrivant en français.

Mais SARTRE dit aussi autre chose que met particulièrement en lumière l’analyse du philosophe sénégalais Souleymane Bachir DIAGNE[4]. C’est que les poètes négro-africains ont vécu dans la dispersion au sens physique i.e. géographique du terme. Et de ce fait comme le mentionne Souleymane Bachir DIAGNE en résumant en substance SARTRE, « l’africanité, parce qu’elle est exilée de soi et dispersée, se constituera dans la (langue) francophone en exigeant ainsi que la langue qui parle naturellement l’universel la reçoive. »

Reste que SARTRE se trompe manifestement car l’africanité, aux antipodes d’un exil est, comme l’a toujours professé SENGHOR, un Royaume d’enfance d’une part et d’autre part surtout car le recours à la langue française ne s’est guère faite par défaut. Bien au contraire, peut-être paradoxalement aussi, mais sans doute de toute évidence pour un SENGHOR, cela allait de soi : écrire dans une langue occidentale, le français en l’occurrence, résidait dans la quintessence de la Négritude.

En effet si la Négritude est ce que les Africains anglophones ont appelé « The african personnality », elle est aussi et surtout « l’affirmation de soi comme acteur potentiel d’un dialogue. » SENGHOR l’a dit : la Négritude est un humanisme qui participe de la civilisation de l’universel qui est elle-même pour l’essentiel dialogue des cultures. Pour les négro-africains, quel moyen de dialogue avec la culture occidentale serait plus judicieux que de lui emprunter sa langue pour lui exprimer l’expérience négro-africaine ? C’est sans doute là l’une des formes de métissage les plus abouties d’autant plus que la Négritude est au plus haut point métissage. Et c’est parce qu’elle est métissage qu’elle existera tant que les africains seront à la surface de la terre. La Négritude n’est pas “ghettoïsation”, c’est plutôt l’affirmation d’une présence africaine en mouvement i.e. qui va vers l’autre en vue d’un métissage : une expérience et un état d’esprit dira-t-on.

Dès lors on perçoit mieux son actualité qui fait qu’elle dépasse le cadre conjoncturel et historiquement limité de la lutte contre la colonisation pour s’inscrire dans un processus jamais abouti et toujours renouvelé.

C’est bien cette Négritude qui nous interpelle vivement !

 

Nicolas Simel Ndiaye