Développer l’industrie du cinéma en Afrique

une_cinemaLorsqu’on observe les budgets colossaux des films américains, on arrive vite à la conclusion que l’industrie cinématographique peut contribuer à créer beaucoup d’activités économiques, voire d’emplois. De même, quand on considère le contenu des films américains et leur influence sur le rayonnement international des Etats-Unis, on ne peut que conclure à l’importance stratégique du cinéma dans la visibilité internationale d’une nation. C’est aussi à la même conclusion qu’on arrive lorsqu’on prend en compte « l’exception culturelle » Française. Dès lors, il convient d’accorder une place plus importante à l’industrie cinématographique dans les réflexions sur le développement de l’Afrique.

La bonne nouvelle, c’est que l’Afrique n’a plus besoin d’aller chercher loin les recettes pour développer son industrie cinématographique. Aujourd’hui, le Nigéria offre un exemple à suivre à travers son industrie cinématographique communément appelé « Nollywood ». Cependant, à l’heure actuelle, nous savons très peu de la conjonction de facteurs qui a conduit à l’émergence et au succès grandissant de cette industrie au Nigéria. Pourquoi n’avons-nous pas observé le même succès dans d’autres pays ? Qu’est ce qui a fait la différence ? Le succès Nigérian est-il transposable dans d’autres pays africains ?

Les quelques rares publications sur l’émergence de Nollywood nous fournissent quelques réponses à ces questions. Cependant, celles-ci ne nous semblent pas satisfaisantes. L’un des ouvrages qui examine cette question avec beaucoup d’adresse est celui de Pierre Barrot intitulé « Nollywood : Le phénomène de la vidéo au Nigéria ». A partir de l’article dont il a fait l’objet sur ce site web on y apprend que la présence d’investisseurs locaux, l’acquisition des nouvelles technologies et l’utilisation optimale des ressources sont les trois principaux facteurs qui expliqueraient le succès nigérian. A y voir de près, on constate que toutes ces conditions sont également réunies dans plusieurs autres pays comme le Ghana, le Kenya ou l’Afrique du Sud. Cependant, en dépit des multiples tentatives qui sont faites dans ces pays pour développer l’industrie du cinéma, le succès n’est pas encore au rendez-vous.

L’une des conditions que nous avons identifiée et qui semble expliquer le succès nigérian est l’économie d’échelle. Ce paramètre économique qui baisse significativement les coûts unitaires de production à mesure que le marché potentiel s’élargit permet d'expliquer l’émergence de l’industrie cinématographique au Nigéria. C’est elle qui a permis de rentabiliser les productions coûteuses du cinéma et d’inciter les investisseurs locaux à placer leurs actifs dans ce secteur. C’est aussi elle qui a incité les entrepreneurs à adopter les nouvelles technologies pour profiter davantage les économies d’échelles. Enfin, c’est elle qui a induit l’utilisation optimale des ressources pour satisfaire aux exigences de rentabilité des investisseurs.

Etant le pays le plus peuplé d’Afrique avec plus de 168 millions de personnes en 2012, loin devant l’Egypte et l’Ethiopie (87 millions), le Nigéria présente cette particularité démographique nécessaire à l’activation des économies d’échelle qui sont très importantes dans l’industrie cinématographique. Il en est de même pour le succès croissant de Hollywood qui peut se permettre de financer des films très coûteux, mais de très bonne qualité, vendus dans le monde entier.[1] A elles seules, les économies d’échelles induites par la démographie exceptionnelle du Nigéria peuvent expliquer les trois facteurs identifiés dans les publications actuelles comme sources de l’émergence du cinéma au Nigéria.

Compte tenu du caractère exogène de cette cause, il en résulte que le succès nigérian sera difficile à répliquer dans d’autres pays africains. Même en tenant compte des perspectives démographiques, très peu de pays africains seraient en mesure de faire émerger une industrie de production cinématographique comme celle du Nigéria. Par conséquent, il serait intéressant de voir une convergence des politiques de la culture entre les pays africains de manière à soutenir la montée en puissance de Nollywood comme le hub du cinéma africain à l’échelle mondiale. Cela passera par davantage de collaborations entre les cinéastes nigérians et ceux des autres pays africains. Cette tendance est actuellement en cours entre le Ghana et le Nigéria où l’on observe que des acteurs nigérians et ghanéens jouent dans le même film. En plus, la contribution des Etats africains à la formation des ressources humaines et à la mise en place des infrastructures nécessaires à la production ne serait plus que souhaitable.

Nonobstant la conclusion à laquelle nous sommes parvenus, il n’en demeure pas moins que le mystère persiste sur les mécanismes microéconomique, politique et social qui ont assuré le succès de  Nollywood non seulement au Nigéria mais de plus en plus dans toute l’Afrique. Des réflexions plus poussées méritent d’être menées sur la question afin d’accompagner le développement de cette industrie si capitale dans le processus du développement. Me permettant de compléter cette citation attribuée à Edouard Herriot, je dirai que la culture n’est pas seulement ce qui reste quand on a tout oublié ; mais c’est aussi ce qu’il y a d’original à partager avec les autres ; le cinéma en est une.

 

Aller plus loin :

NOLLYWOOD : La réussite made in Nigeria

 

Georges Vivien Houngbonon

 

 

 

 

 

 


[1] La production du film Avatar a coûté 387 millions de dollars US. (cf. Wikipédia)