M. Boisgibault, pourriez-vous nous présenter votre parcours et expliquer pourquoi vous vous intéressez à l’Afrique?
Je suis diplômé d’un Master de Sciences de Gestion de l’Université Paris Dauphine avant d’effectuer le MBA de HEC avec un programme d’échange à la Wharton School de l’Université de Pennsylvanie. Je suis du reste membre du Wharton club of Africa, responsable du secteur énergie et de la France.
J’ai fait ma carrière dans le secteur de l’énergie à la fois du coté bancaire, chez EDF et GDF-Suez à Londres. Convaincu par le développement des énergies renouvelables, j’ai créé, d’une part, la société VALMERE quand je suis revenu en France et, d’autre part, j’ai commencé les enseignements en énergies renouvelables et efficacité énergétique au Master Energie Finance Carbone de Paris Dauphine, à Supelec, l’Ensta Paris-Tech et l’Ecole Polytechnique (Master REST) et au certificat énergie d'HEC.
J’ai rapidement compris qu’il y avait un énorme potentiel pour les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique en Afrique et qu’il fallait se préparer à développer cette filière sur ce continent également.
Quels est selon vous ce potentiel en énergies renouvelables?
D’une part, géographiquement l’Afrique dispose des conditions favorables. Au niveau des cours d’eau déjà. Des grandes infrastructures en sont sorties tels que le barrage d’Assouan. Un potentiel hydraulique à ne pas oublier. Il y a également le vent, avec les alizés qui soufflent constamment sur les côtes marocaines, par exemple, et le soleil qui est disponible partout. Ces richesses peuvent être exploitées dans la mesure du possible pour compléter les énergies traditionnelles.
D’autre part le constat est relativement simple. On observe une population qui augmente de manière importante et un problème d’accès à l’énergie récurrent. Les statistiques de la banque mondiale notamment montrent clairement que l’Afrique est le continent où la population a le moins d’accès à l’énergie. Il faut noter que le délestage qui engendre la colère des populations peut être un enjeu politique majeur comme lors des dernières élections présidentielles au Sénégal.
Certains pays ont des ressources pétrolières et gazières importantes mais elles sont jusque là entourées d’une sorte de “malédiction“ et n’ont pas assez profité à la population.
Dans votre livre «l’énergie solaire après Fukushima: La nouvelle donne», vous défendez la thèse selon laquelle les énergies renouvelables sont une évidence et qu’elles finiront par s’imposer?
Je défends cette thèse, notamment pour l’Afrique mais elles ne vont pas remplacer les autres sources classiques. Elles viennent en complément et devraient progressivement se développer pour prendre une place prépondérante. Un enjeu important pour l’Afrique est lié aux équipements. L’Afrique ne produit pas encore suffisamment de panneaux solaires, d’éoliennes, de turbines, d'onduleurs…L’enjeu est de les acheter (à la Chine, à l’Union Européenne) et d'organiser la logistique, le stockage, la construction dans les meilleures conditions possibles.
Le coût d’investissement des projets d’énergies renouvelables est considéré comme important et les sources de financement sont rares. Ne pensez vous pas ce sont des freins à cette évidence?
Le coût d’investissement est certes important mais je tiens à dire que pour construire une centrale thermique au fioul ou une plate-forme pétrolière par exemple, le coût est aussi élevé. C’est donc un problème récurrent pour tous les projets énergétiques. L’avantage dans le cas des énergies renouvelables est qu’on peut développer des micro projets moins onéreux tout comme de très grands projets tels qu’à Ouarzazate au Maroc. Lorsqu’il n’y a pas de réseau de distribution d’électricité, des micro projets peuvent fournir l’électricité aux villages qui ne sont pas connectés.
La recherche de financement est bien sur déterminante, à la fois en capital et en dette. Dans l’union européenne par exemple, les pouvoirs publics ont mis en place des politiques de soutien avec des tarifs de rachat avantageux qui permettent de vendre l’électricité produite à un tarif bonifié garanti pendant 20 ans. C’est un mécanisme pour lever des fonds et financer des projets par de la dette à 80%. En Roumanie, un système de certificat vert est mis en place pour les producteurs d’énergies vertes. Le meilleur cadre réglementaire doit être mis en place dans les pays d'Afrique.
Je précise que le Président de la Société Africaine pour les Biocarburants et les Energies Renouvelables (SABER, ABREC en anglais), basée à Lomé, a apprécié mon ouvrage qui a été présenté à l'African Power Forum en septembre 2012 à Marrakech. Il vient de passer une commande à l'éditeur pour diffuser cent exemplaires en Afrique de l'Ouest. VALMERE se positionne pour aider SABER à réussir sa levée de fonds de plusieurs centaines de millions d'euros et ses investissements dans des projets innovants africains. On prévoit des actions de communication autour de l'ouvrage pour inciter les entrepreneurs africains à signaler leurs projets.
Quelle évaluation faites-vous des pays qui ont lancé des grands projets d’énergies renouvelables? Faut t il attendre un retour d’expérience suffisant avant de généraliser?
Il faut s’y lancer tout de suite mais prudemment. Les pays n’ont pas les mêmes réserves en pétrole et en gaz et par conséquent pas les mêmes stratégies. Je prends l’exemple de l'Algérie et du Maroc, de la Côte d’Ivoire et du Togo, les premiers riches en hydrocarbures, pas les seconds. On peut bénéficier des expériences d’autres pays mais on ne doit pas simplement copier le modèle mais l'adapter : petits projets tels que les lampadaires solaires, photovoltaïque pour villages isolés et plus grands projets.
Qu’en est-il maintenant de l’efficacité énergétique en Afrique?
Elle est peut être plus importante que la question des énergies renouvelables. Dans le cadre de mon enseignement, j’ai demandé cette année à deux étudiantes de faire un mémoire sur l’efficacité énergétique au Togo et je les ai mises en contact avec le ministère de l’énergie. On peut penser que l’efficacité énergétique ne concerne que les pays riches qui gaspillent beaucoup et se demander si c’est un sujet qui concerne l’Afrique. Nous avons constaté que le Togo avait démarré un programme d’efficacité énergétique assez intéressant notamment pour les éclairages publics à Lomé. Des réflexions sont faites pour améliorer la consommation d’énergie lors des cuissons. Je suis intervenu à Tétouan au Maroc sur la consommation des bâtiments publics et des éclairages publics. Une telle ville dépense plus d’un million d’€/an dans l’éclairage public, et la consommation électrique des stades de football pour les nocturnes peut être un enjeu.
Il faut réfléchir à la fois aux normes thermiques plus efficaces pour la construction, aux transports et à l’industrie.
Il ya un volet des gaz à effet de serre?
Les pays africains, dans le cadre du protocole de Kyoto pour l’atténuation du changement climatique, sont classés hors annexe 1 c’est-à-dire qu’ils n’ont pas d’objectif contraignant en matière de réduction des émissions des gaz à effet de serre. Cependant aux différentes conférences sur le climat, ils ont fait preuve de leurs grands intérêts pour ces discussions et pour trouver les meilleurs pratiques. Ils ont fait leurs communications nationales aux Nations Unies et ont montré des progrès très intéressants.
Enfin un volet formation?
La formation à tous les niveaux est importante pour développer les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique. Une formation continue pour les fonctionnaires, souvent formatés pétroles et nucléaires. Une formation adaptée pour les techniciens et les ingénieurs. Ma recommandation serait de les assurer dans le cadre des universités existantes et non de créer de nouveaux instituts déconnectés des dispositifs existants.
Je souhaite que tous vos lecteurs se mobilisent autour de ces sujets, en créant des groupes de travail, d'échanges. Je veux alimenter les réflexions par des publications pertinentes, des enseignements, des missions de conseil et développer les partenariats innovants euro-africains.