Entretien avec Tidjane Deme, Office lead pour Google Afrique francophone – Volet I

ADI : Comment Google accompagne le développement de l’écosystème digital en Afrique? Et surtout pourquoi le fait-il? 

Nous le faisons parce que nous sommes convaincus qu’il faut que se développe dans la région un écosystème internet qui soit à la fois dynamique et très ouvert. C’est-à-dire un internet où chacun est libre de consulter le contenu qu’il veut et de le consommer comme il souhaite sans entrave.  Malgré le développement que l’on observe actuellement avec l’internet mobile, cela reste insuffisant, nous ne remplissons pas tous les critères. Le débit est faible, le taux de pénétration est très faible. Je prends toujours l’exemple de la lecture d'une vidéo haute définition sans se poser de question de quotas ou de faire des pauses pour attendre que ça charge. On ne peut pas tout faire sur internet et cela coûte relativement cher.

Même ceux qui sont sur Internet n’ont pas encore un accès internet haut débit (broadband). Il y a des tendances à faire de l’internet limité qui favorise les sites web les plus populaires. Real Internet Certains fournisseurs d'accès à l'internet (FAI) proposent des packages qui ne donnent accès qu’à certains sites populaires. Par exemple si un entrepreneur quelconque lance un nouveau service, il n’est pas inclus dans le package et il n’est donc pas accessible à tout le monde. D’où notre volonté d’avoir un internet ouvert. Nous essayons donc de faire face à trois aspects :

  • Nous travaillons sur les problématiques d’accès à Internet, c’est-à-dire les problèmes d’infrastructures qui limitent l’accès, les problèmes de coût et les problèmes de politique publique (régulation) qui limitent le développement d’internet ouvert. Le haut débit à notre entendement permet un accès rapide et à tout contenu.
  • Notre deuxième aspect est le contenu. Aujourd’hui, il y a du contenu dans les médias. Mais ce contenu est sous-représenté sur internet.
  • Notre troisième aspect consiste à encourager les entrepreneurs à développer un secteur en croissance

Développement de l'internet en Afrique francophone / Quelle nuance entre les régions dans l’espace francophone ?

Il y a de nombreuses différences constatées en fonction des pays. Je dépasserai le cadre francophone pour aborder la situation de manière plus globale. Il est difficile de faire des généralités car il y a une cinquantaine de pays avec des spécificités et des contextes différents. Nous faisons des regroupements selon des caractéristiques précises. Et nous analysons des critères précis.

Un des premiers critères qui définit l’accès sur internet est l’état de la régulation et de la règlementation des opérateurs de télécommunications dans chaque pays. C’est cet environnement qui détermine souvent l’état du marché. Et sur cela, nous voyons énormément de différences entre l’Afrique de l’Est anglophone et l’Afrique de l’Ouest essentiellement francophone. De manière générale entre les pays francophones et anglophones, l’état de la régulation est très différent. Nous avons des régulations que je dirais très modernes. En effet, comme le secteur évolue très vite, la régulation doit avoir des mécanismes qui s’adaptent à un environnement qui change très vite, mais ce n'est pas encore le cas dans beaucoup de pays. En guise d'exemple, le Sénégal change sa régulation tous les dix ans. Il y a eu un code des télécoms mis en place en 2001 et un nouveau code des télécoms qui à ce jour n’a pas fait l’objet d’un décret d’application. Donc on évolue avec une loi de régulation qui date de 2001 sur un marché qui a beaucoup évolué depuis. La capacité du système de régulation de s’adapter au marché est un facteur de modernité

Un deuxième aspect sur la régulation qui est très important c’est la segmentation des licences. Les régulations très anciennes (il y a 20 ans) étaient basées sur des licences monolithiques. Une seule licence valait Contentpour être opérateur mobile. Aujourd’hui quand on regarde les marchés des télécoms, il y a beaucoup d’opérateurs qui font des choses très différentes. Par exemple il y a des opérateurs qui font de la data (ISP), les acteurs qui développent les tours mobiles, des antennes qui les partagent ensuite aux différents opérateurs. Vous trouverez également des opérateurs qui font les infrastructures, d’autres qui font de la voix sur IP (VoIP) sur le mobile, d’autres sur le fixe.

Un dernier critère de modernité dans les licences est lié au fait que les télécoms ont longtemps été conçus comme des concessions données à un tiers en vue que celui-ci donne des recettes à l’état. L’approche politique s'est longtemps focalisée sur les recettes et non pas sur l’impact du secteur des télécoms sur l’ensemble de l’économie en générale. Une régulation moderne va mesurer l’impact de chacun des actes de régulation sur le secteur des télécoms et sur l’ensemble de l’économie. Quand on regarde ces trois critères, les pays francophones restent sur des approches encore archaïques, pas très flexibles et qui ne permettent pas l’existence d’un grand nombre d’acteurs et ciblent un nombre restreint d’acteurs que l’on taxe très lourdement (Bénin, Mali, Sénégal, Cameroun, etc). Nous avons totalement l’inverse, avec un souci de bénéfices à long terme, en Afrique anglophone ou au Mozambique (en cours de procédure).

Le résultat de tous ces points crée deux critères qui distinguent les pays. Ensuite, c’est la structure du marché qui en résulte. Dans certains pays vous aurez un marché avec très peu d’acteurs qui gèrent, qui sont très intégrés verticalement et qui font tout. Prenons l’exemple du Sénégal, vous avez trois opérateurs mobiles et un FAI. Au Bénin vous avez cinq opérateurs. Prenons maintenant le Ghana : 5-6 opérateurs, une vingtaine de FAI, plusieurs acteurs qui font du contenu. Pour le Kenya, 13 fournisseurs de capacité internationale, 5 fournisseurs d’infrastructures, le secteur du mobile est peu compétitif avec Safaricom qui domine le marché (85%) mais en amont il y a plusieurs acteurs qui agissent énormément. On classe les pays selon ces trois critères : 1. l’état de la régulation, 2. la dynamique du marché et 3. L’état des infrastructures.

Le 4è critère sur l’état de l’écosystème est celui de l’ensemble des investisseurs qui occupent le marché, créent de l’emploi, de la valeur et que les gouvernements des pays Africains n’ont pas appris à appréhender et à encourager.

Sur les Marketplaces en Afrique francophone. Quels sont les moyens de paiement? Comment observez-vous l’arrivée de ces nouveaux acteurs?

On a longtemps dit que les solutions classiques du e-business ne pouvaient pas marcher en Afrique car il y avait des composants manquants dans l’écosystème digital africain comme le paiement. Quand on regarde l’arrivée de nouveaux acteurs comme Rocket International, Jumia, Kaymu, et Kangoo au Nigeria, il y a deux phénomènes qui expliquent leur développement. Tout d’abord, l’émergence d’une classe moyenne qui grandit dans les mégapoles africaines et qui vit de manière très proche de n’importe quelle classe moyenne en Europe ou aux Etats-Unis. Donc des populations qui possèdent des cartes de crédit, qui consomment en ligne par besoin en raison de leur modèle de vie. Quand cette classe moyenne s’épaissit suffisamment, un marché s’est créé pour dupliquer ce qui se passe en Europe. C’est une de ces raisons qui explique l’arrivée de Jumia, Kaymu, Jovago, etc. Ils ont aussi innové pour atteindre le reste de la population internaute par de nouvelles solutions de paiement. On a toujours pensé que le mobile allait être un relais intéressant pour le paiement. Mais aujourd’hui, quand on regarde ces acteurs, ils contournent le mobile en proposant un paiement à la livraison. Ils n’utilisent pas le mobile comme moyen de paiement. Cela veut dire que les opérateurs sont surement entrain loupé un coche.  Ils ont tous tardé à ouvrir leur interface de programmation (API) aux développeurs. Et cela ne concerne pas que l’Afrique francophone. Safaricom avec son outil populaire M-PESA peine à proposer une solution de paiement en ligne. Orange vient seulement d’annoncer qu’ils vont commencer à tester leur API avec des développeurs pour Orange Money*. Idem pour MTN Money. Donc je pense que les opérateurs n’ont pas encore exploré ce réservoir de développement du Mobile Money qu’est le paiement en ligne. Néanmoins, il y a une bonne base d’utilisateurs qui usent du paiement mobile pour les transferts d’argent et le règlement de facture. Ce n’est donc pas surprenant que ces solutions arrivent avec une classe moyenne qui se développe.

Copyright Photos Google – Will Marlow The real internet – Charles Roffey –

Le contexte de la société numérique Africaine. Interview de Tidjane Deme sur la stratégie générale de Google pour l’Afrique francophone. Propos recueillis en septembre 2015

Mots Clés : Google / Régulation des Télécoms / écosystème digital / Marketplaces / Mobile Money

(*) Propos recueillis en septembre 2015 dans le cadre d'une thése professionnelle sur les leviers du marketing digital pour la promotion des produits culturels africains – ILV Paris – MBAMCI

Alain Mabanckou, écrire pour ne plus se faire voler son enfance

MabanckouLe grand public a découvert Alain Mabanckou il y une dizaine d’années avec son truculent roman Verre Cassé et sa casquette vissée sur la tête. Depuis il est devenu une des voix importantes de la littérature africaine et un emblème de la vitalité culturelle du Congo-Brazzaville. Ce petit pays de quatre millions d’habitants est, il est vrai, un terreau fertile pour l’écriture, que l’on songe à Tchicaya U Tam’si ou Sony Labou Tansi dans le passé. Avec son nouveau roman, Petit Piment, aux éditions du Seuil, Alain Mabanckou nous raconte avec délicatesse le parcours d’un enfant ballotté par une société congolaise peu disposée à lui faire une place. Ce récit initiatique prend aussi une dimension politique. L’auteur y interroge la place de l’enfant dans le Congo socialiste des années 70 et dénonce toutes les formes de crispations identitaires. Pour l’Afrique des idées, Alain Mabanckou revient sur ce roman et sur ses inquiétudes quand à la situation politique de son pays.

Dans Petit Piment, vous reprenez un personnage récurrent dans la littérature: l’orphelin, l’enfant des rues. Qu’est ce qui vous intéresse dans cette figure ?

C’est un personnage qui me ressemble. Toute la vie il reste en quête d’une famille. La question du père et de la mère est essentielle dans ce livre. J’ai eu la chance de vivre mon enfance avec les deux, mais je les ai perdus par la suite. Cela a créé un vide tel que mes trois derniers livres posent cette question de l’orphelin, de l’absence et du vol de l’enfance par les adultes. Parce que les adultes n’ont jamais assumé le rôle qui était le leur durant l’enfance de cette jeunesse africaine. Celle-ci est désormais perdue, sans repères, sans aucune autre éducation que celle de la rue, de la loi du plus fort. Petit Piment, c’est le prototype de l’enfant africain qui n’a pas eu la chance d’avoir de vrais parents, une vraie éducation et qui désormais ne peut compter que sur la force de son destin qu’il se forge lui-même en posant des actes dans la vie quotidienne.

Le livre est d’ailleurs dédié à un enfant dont on se sait pas très bien si il s’agît de vous ou d’un jeune homme que vous avez rencontré au Congo.

C’est un mélange de tout ça. De moi et d’un personnage que j’ai rencontré qui lui était déjà âgé mais qui voulait vraiment être un personnage de roman car il estimait que la vie y serait meilleure que dans le monde réel.

C’est aussi un roman politique sur le Congo socialiste. Quels souvenirs gardez-vous de cette période ?

C’était l’endoctrinement, la tenue scolaire identique, les récitations des discours du président de la République. Nous pensions que tout cela était normal, que tous les enfants de la terre devaient aimer leur président comme si il était leur père. Mais il fallait du recul pour comprendre que nous étions dans un système du culte de la personnalité. Et que ce culte de la personnalité a peut être fait plus de ravages que la colonisation dans la mentalité des Africains, parce que ça nous a donné le sens des intolérances, et poussé à considérer que dès qu’on a le pouvoir c’est pour soi-même et pas pour le peuple. Ils voulaient nous voler notre enfance et ils y ont réussi parce qu’on a créé des perroquets, des béni oui oui, une jeunesse qui s’est endormie pendant longtemps et qu’il faut réveiller le plus vite possible.

Deux femmes jouent un rôle central dans votre texte, une infirmière dans l’orphelinat, et une mère maquerelle, qui prend Petit Piment sous son aile. Que représentent-elles ?

L’infirmière est une forme de Mère Teresa, elle représente l’adoucissement, l’épaule sur laquelle peuvent se reposer les enfants. La deuxième femme Maman Fiat 500 est une prostituée et dirige dix filles dans la prostitution. C’est l’exemple de la situation dans laquelle on pense qu’il faut lui jeter la pierre mais en réalité, elle sert de lien, prend sous sa protection les enfants des rues, les nourrit. Elle incarne le prolongement de la maternité auprès d’enfants qui souffrent de n’avoir jamais eu de mère. On peut juger la prostitution comme un tas d’immondice, je voulais trouver à l’intérieur une pépite d’or et cette pépite d’or, c’est Maman Fiat 500.

ll y a un autre personnage central dans ce livre comme dans vos deux ouvrages précédents, c’est la ville de Pointe Noire, où vous avez grandi au Congo. Comment décririez-vous cette ville aux lecteurs qui ne la connaissent pas ?

Ça fait trois livres que je tourne vraiment autour de Pointe Noire. Je l’avais fait dans Demain j’aurai vingt ans, puis en 2013 dans Lumières de Pointe Noire, et maintenant dans Petit Piment. C’est une sorte de trilogie. Cela rappelle le fait que nos mamans préparaient en général la cuisine sur trois pierres sur lesquelles il y avait la marmite, posée au dessus du feu. J’ai posé trois pierres, et la marmite Pointe Noire est posée sur ces trois pierres. Moi j’ajoute le feu pour faire bouillir quelque chose, remettre en bonne condition. Je ne sais pas encore si il y aura une quatrième pierre et comment j’arrangerai l’installation. Pointe Noire reste le personnage de tous mes romans. Elle est le prototype de la ville africaine, côtière, avec l’océan Atlantique, le chemin de fer Congo-Océan, un centre-ville très européen, des quartiers populaires et une grande artère qui coupe la ville en deux et qui s’appelle l’avenue de l’Indépendance, dans un pays qui paradoxalement n’a pas l’air indépendant. Quand on a visité Pointe Noire, on a visité beaucoup de capitales africaines.

La ville a aussi une dimension mystérieuse, difficile à appréhender au premier regard…

Pointe Noire a l’habitude de cacher son passé. Elle est tentaculaire et ne se livre pas facilement. Quand vous arrivez, il faut traverser tout le centre ville pour aller dans les quartiers populaires. Ce sont des enchevêtrements qu’il faut connaître. Dans un quartier comme le Rex ou le quartier Trois-Cents, si vous ne faites pas attention, vous vous perdez dans les sinuosités. C’est une ville dont il faut découvrir les mystères. Elle est comme une tortue. Dès qu’elle voit venir un étranger, elle rentre sa tête dans sa carapace. Si l’étranger ne fait pas attention, il va prendre la carapace pour une pierre et marcher dessus.

Dans Petit Piment, vous racontez aussi une opération pour renvoyer les prostitués dans leur pays d’origine, le Zaïre. Ce thème fait écho à une vague d'expulsions lancée par les autorités de Brazzaville en 2014. Est-ce votre manière de la dénoncer ?

Quand j’écrivais le livre, j’ai lu avec exaspération la chasse aux “Zairois”. Ca m’a révolté, indigné. J’ai trouvé aberrant que les Congolais de Brazzaville chassent les Congolais de Kinshasa. Parce que après tout, nous sommes un peuple avec la même culture, la même langue, la même civilisation. Se chasser les uns les autres c’est faire le jeu des anciennes puissances coloniales qui ont établi les frontières que nous avons. Ca a été un choc de voir mon pays capable de faire ça. Si la France faisait ce genre de choses, on dirait aussitôt que c’est une politique d’extrême droite.

Petit_Piment

Stylistiquement, Petit Piment ne prend-il pas une forme plus classique que vos précédents textes. Il semble davantage porté par le récit et les personnages que par la truculence qu’on pouvait lire dans Verre Cassé…

Chaque roman doit avoir sa texture. Le pire pour un écrivain c’est de vouloir écrire le même roman, parce qu’on pense avoir trouvé la recette. Il faut se laisser porter par la voix des personnages. Dans Petit Piment, il y a plusieurs voix. La voix de la description, car il faut bien expliquer l’itinéraire de quelqu’un, son destin. Puis dans une deuxième partie, il y a une autre voix, quand le personnage arrive dans les quartiers populaires et commence à perdre la raison. Là on retrouve l’absurde et des situations cocasses qui rappellent des romans que j’avais écrit avant. Je laisse toujours marcher les personnages. Il y a toujours une route même si dans Petit Piment, elle est peut être en train de se transformer en impasse.  

En parlant d’impasse, vous vous êtes exprimé publiquement sur la situation politique de votre pays pour demander à votre président de ne pas s’accrocher au pouvoir. C’est une des premières fois que vous prenez position aussi clairement. Pourquoi maintenant ?

Parce que j’ai senti un appel du peuple congolais et de la jeunesse. Avant c’était juste quelques personnes de la diaspora qui voulaient ma voix. Mais je ne parle jamais au nom des intérêts de quelques individus. Et je ne suis pas candidat à quoi que ce soit. Je ne parle qu’en tant qu'écrivain et en tant que Congolais. Si on devient comme l'ambassadeur de son pays à l'étranger, il faut le faire quand vous sentez que les fondements de la nation sont en train de trébucher. Dans l'intérêt du Congo-Brazzaville, le président Denis Sassou Nguesso ne doit pas se représenter pour un autre mandat. Je pense qu'il faut qu'il favorise une transition vers une nouvelle génération. Mais l'opposition congolaise est l'opposition la plus bête au monde, je m'excuse de le dire, parce que elle ne sait pas ce qu'elle veut, elle vit aux dépens du gouvernement donc sa parole n'est pas forcément légitime. En disant au président Sassou Nguesso de ne pas se présenter, je ne donne pas un chèque en blanc à cette mauvaise opposition pour qu’elle aille squatter le pouvoir. Je voudrais que mon pays puisse trouver les moyens de porter au pouvoir une nouvelle génération qui n'a jamais été corrompue par le système.

Mais que faire aujourd’hui. Si on ne passe pas par l’opposition, par qui passer ?

L'opposition a pris en otage la jeunesse congolaise. Elle a menti, elle a fait croire que son heure était venue de gouverner. Ils ont emmené les jeunes dans la rue, et quand ça a commencé à crépiter l'opposition s'est cachée et a laissé la jeunesse congolaise sous les balles. L'opposition est complice du manque de transition au Congo-Brazzaville, elle est peut être pitoyable dans ce sens là. Si il y a une élection présidentielle je m'exprimerai. Si on arrive encore à imposer aux Congolais par la peur, par les armes, un régime dictatorial qui va encore prendre des années, le monde entier prendra date. Mais chaque chose a une fin, nul n'est immortel sur cette terre, vous pouvez gouverner comme vous voulez mais à un moment donné l'âge naturel va vous faire défaut.

Le président Sassou Nguesso a-t-il fait du mal à votre pays ?

Je ne juge pas le président Sassou Nguesso mais dans son intérêt je pense qu'il devrait prendre la posture du sage et pousser à la transition. Il y a des choses qui se sont faites dans ce pays, on ne peut pas le nier. Mais après trente ans, il y a quand même la fatigue et l’usure du pouvoir. Ce n'est plus le président qui gouverne mais c'est un clan qui profite. Trente ans au pouvoir, c'est trente ans de privilèges, d'entourage, d'un clan qui est en train de manger ce que le peuple aurait pu manger. Je crois que le changement de la constitution a été fait pour le maintenir au pouvoir. Aujourd'hui je peux vous parier vu le larbinisme de l'opposition que nous aurons Sassou Nguesso qui va rempiler pour deux mandats.

Certains Africains vous reprochent de plaire davantage aux lecteurs blancs et de ne pas être lu en Afrique. Cette critique vous touche-t-elle ?

Cela ne m’affecte pas car 99,9% des gens qui le disent ne m’ont jamais lu. Ca vient souvent de la diaspora, des gens qui sont coupés des réalités africaines. Est-ce qu’ils savent que je suis au programme dans les collèges et les lycées au Bénin ? Que je suis étudié dans les universités africaines ? Ou que les Ponténégrins se disputent Lumières de Pointe Noire… Dire qu’on écrit pour les blancs, c’est idiot, c’est une forme de fondamentalisme et d’intégrisme. Cela vient de gens qui veulent tout expliquer par la couleur de peau. C’est hors de ma conception. Je n’aime pas expliquer mon existence parce que je suis noir ou parce que mon peuple a subi l’esclavage ou la colonisation. J’explique mon existence par les actes que je pose au présent en évitant de commettre les mêmes erreurs que dans le passé. Je suis noir, j’en suis fier. Je suis Africain, je ne l’oublie jamais. Mais je suis aussi quelqu’un qui vit avec les autres et la place et la vie des autres m’intéressent. Je voudrais être un écrivain qui sans cesse est en train d’ouvrir les portes et les fenêtres et non les fermer. Ceux qui veulent entrer dans ma maison, ils sont les bienvenus, ceux qui veulent entrer dans les maisons où ils s’enferment à clé, tant pis pour eux, le monde continuera avec ceux qui ont l’art d’ouvrir les fenêtres.

Propos recueillis par Adrien de Calan

Source Photo Gilbert Lieval

Entretien avec Hemley Boum : Plongée dans le maquis camerounais

Hemley Boum, écrivaine camerounaise, est l'auteure d'un roman remarquable alliant faits historiques et fiction autour du leader nationaliste Ruben Um Nyobé et du volet bassa du maquis camerounais. Les maquisards, ce roman,  est publié aux éditions La Cheminante et disponible en librairie ou en ligne. La romancière camerounaise a accepté de se prêter au jeu des questions-réponses sur ce thème sensible, douloureux et peu connu de la décolonisation en Afrique.


HemleyBoum

Hemley Boum, Bonjour. Vous avez choisi d’écrire sur le maquis camerounais. Un roman plutôt qu’un essai…

C’est un roman intense, complexe avec plusieurs entrées, plusieurs histoires qui s’imbriquent, s’enlacent afin de donner de la cohérence à l’ensemble. Il est assez métaphorique aussi. Je comprends que l’on choisisse certaines portes d’entrée plutôt que d’autres, c’est la liberté du lecteur. Même si « Les Maquisards » est un roman très documenté mais il ne s’agit en aucun cas d’un essai. J’ai délibérément choisi les éléments historiques qui venaient nourrir ma fiction et mis la grande Histoire au service des existences individuelles des hommes et des femmes dont il est question ici. Bien que certaines actions en background se déroulent ailleurs, j’ai choisi une unité de lieu, la forêt bassa, et partant de là, d’étendre ma narration sur plusieurs générations de personnes. L’idée étant d’être au plus près des êtres, au plus près de leur parcours de vies, leurs espoirs, leurs ambitions afin d’expliquer pourquoi toutes ces personnes, ces paysans se sont engagés dans un combat de cette ampleur. Je n’aurais probablement pas pu me permettre une telle licence dans le cadre d’un essai. 

C’est votre marque de fabrique déjà observée dans le précédent roman Si d’aimer…

Oui, nous sommes au plus près des désordres humains, de nos humanités. C’est une littérature qui est dans l’intime, elle se veut être au plus près des hommes.

Comment passe-t-on de Si d’aimer… à ce nouveau roman Les maquisards?

C’est difficile à expliquer, des évènements personnels, des commentaires, des rencontres m’ont fait comprendre qu’il y avait là un sujet d’une extrême gravité et que comme beaucoup de camerounais de ma génération, je passais à côté d’un pan important de l’histoire de mon pays. Ce qui était une vague curiosité s’est changé en interpellation puis en nécessité impérieuse. Je me suis aperçue que plusieurs personnes dans mon entourage immédiat avaient été impactées par cette histoire, avaient personnellement souffert dans cette lutte, elles avaient perdu des membres de leurs familles, des patronymes avaient dû être changés pour échapper à la répression, des villages que je croyais immuables dataient des déplacements forcés de population organisés par l’administration coloniale dans sa stratégie pour isoler les rebelles réfugiés dans la forêt.

En pays bassa, les paysannes pratiquent l’agriculture par jachère. Elles laissent respirer la terre pendant de longues périodes. Des personnes m’ont expliqués qu’encore dans les années 80-90, il arrivait qu’en abordant une nouvelle terre, qu’elles tombent sur des charniers. J’avais l’impression d’ouvrir une boite de Pandore.

J’ai effectué quasiment toutes mes études au Cameroun, et dans mon parcours scolaire je n’ai pas été frontalement confrontée à cette histoire. Si je l’ai rencontrée, c’était tellement édulcoré, peu mis en avant que j’ai zappé. Jusqu’à quel point mon esprit subodorant la supercherie s’est fermé aux faux-semblants officiels. Combien sommes-nous de ma génération à avoir réagi ou à réagir encore ainsi ?

Ecrire sur Um Nyobé, est-ce que le projet a été difficile? D’ailleurs Um Nyobé, est-il personnage prétexte dans votre roman? Comment avez-vous reconstitué cet univers?

Dans les maquisards, Mpodol* n’est pas un personnage prétexte. C’est un vrai personnage qui impulse des choses. Il existe. Il y a quelque chose qui va se mettre en place entre lui et ses proches. Pour connaitre Mpodol, il faut écouter ses discours.  Il est très différent d’un Césaire ou plutôt d’un Senghor, d’ailleurs ils n’avaient aucune sympathie l’un pour l’autre. L’homme d’Etat Sénégalais a été particulièrement injuste avec les nationalistes camerounais, mais ce n’est pas le sujet. Mpodol a du respect pour le français, la langue française, mais il n’a pas cette admiration béate devant la culture française que vont avoir certains leaders africains. Son père est un patriarche traditionnel et il est lui-même très ancré dans la culture bassa. Il a peu d’amis hormis un noyau dur de personnes qui restera jusqu’au bout et dont plusieurs partageront son sort tragique. Il n’est pas mondain. Ce qui va faire le roman, c’est cela, toute cette force, ces passions, cet engagement sans concession, tout cela concentré dans cette forêt, cette cabane, leur environnement naturel. Mpodol n’est pas un poète, un grammairien ou quelqu’un qui a le goût des belles phrases, des envolées lyriques. Il cherche le mot juste, la bonne intonation. Ses discours aux Nations Unies sont révélateurs, il est précis, convaincant, factuel. Il a une mentalité de juriste. Quand il rentre dans les textes français, il les aborde avec profondeur, il les dissèque car il pense que c’est là que ça se joue et qu’il s’agit d’un combat loyal. C’était leur force et leur terrible faiblesse, ces hommes étaient capables de comprendre la complexité d’un texte, sans toutefois saisir l’esprit des rédacteurs. Il pensait sincèrement que cela se jouait à la loyale.

 Au début le livre devait se concentrer sur Um Nyobe, j’ai travaillé sur cinquante pages puis j’ai bloqué. La construction avait du mal à avancer. C’est à ce moment que j’ai créé le personnage d’Amos qui est son double. Ainsi Amos existe et Um Nyobé prend sa place de leader. Il devient un personnage. Je peux donc exploiter les aspects historiques et la dimension personnelle, je peux l’insuffler dans leur relation.

Ces personnages de fiction prennent une place très importante. Le roman prend la forme d’une saga familiale. Il y a des femmes fortes. Il est question de deux femmes particulièrement Thérèse Nyemb et Esta Mbondo Njee.

Elles sont toutes fortes. Likak aussi est une femme forte. Si être une femme forte c’est ne pas se laisser briser, dévaster par l’adversité, même Jeannette et Christine Manguele sont fortes à leur manière.

C’est un roman très féminin. Il y a une démarche de montrer ces femmes qui bougent, bousculent la société bassa traditionnelle.

Votre propos est étonnant. Il y a des hommes forts dans ce roman. Amos Manguele est une grosse personnalité. Alexandre Muulé Nyemb, Ruben Um Nyobe aussi… Mais, comme ils coexistent avec des femmes de caractère dans une relation de complémentarité, vous en déduisez que le roman est féminin. L’important c’est que ces personnes, hommes et femmes, sont puissantes en tant qu’individus mais aussi en tant que communauté, les deux sont liés, imbriqués même. Cela explique leur engagement.

En outre, l’immense implication des femmes dans le mouvement national Camerounais et la guerre de libération est une vérité historique. Mes personnages sont fictifs, cependant dans la réalité, des femmes seront assassinées en même temps que Ruben Um Nyobe ce jour là à Boumnyebel.

Ici, le propos n’est-il pas de dire que ce sont les femmes qui introduisent une certaine rupture? De plus, on pense à un roman comme Cent ans de solitude de Gabriel Garcia-Marquez : La malédiction et le silence. Y-a-t-il de votre  part une réflexion sur la malédiction et les chaines de silence qui se reproduisent de génération en génération? Qu'est-ce que ce silence ?

Le poids des non-dits, le poids du silence sur des faits aussi graves, sur des atteintes aussi importantes aux populations d’un pays provoque un sentiment de honte diffus mais bien réel. Un manteau de violence et de peur a été posé sur cette période.

On peut se demander pourquoi Um Nyobé n’a pas eu la même reconnaissance que Lumumba. D’abord, ce n’est pas le même profil de personne. D’une part. Et d’autre part, le maquis Camerounais s’est fait en deux temps. Il y a le maquis en pays bassa qui fait l’objet du traitement de mon roman. Puis après l’indépendance, il y a eu le volet en pays bamiléké. Le gouvernement camerounais d’Ahidjo avec l’appui logistique, financier et militaire de l’ancienne métropole s’attèlera  à la traque des partisans qui continuent le combat en pays bamiléké. Vous savez, dans la spiritualité bamiléké, il y a des pratiques très fortes autour du crâne des ancêtres. Alors les forces conjointes en lutte contre les nationalistes vont systématiquement trancher les têtes de leurs adversaires et les accrocher sur des pics. Peut-on imaginer une telle violence, une si grande volonté de destruction va au-delà de la nécessité de mater la rébellion, il s’agit de soumettre, de dévaster et d’instaurer durablement la terreur.  Sauf qu’au moment où cela a lieu, le gouvernement au pouvoir est Camerounais. Certaines personnes impliquées dans ces exactions sont encore au pouvoir aujourd’hui. Cela ne facilite pas le devoir de mémoire. Mais les temps changent, j’ai bon espoir. Nous devrons tôt ou tard affronter nos propres démons.

Sur la place des colons : Pierre Le Gall, le colon, est le personnage pour lequel vous introduisez le moins de nuances. Qu’incarne-t-il pour vous? Sur la rencontre entre la femme africaine et l’homme occidental?

Non, je n’ai pas introduit de nuance sur ce personnage pour une raison simple, ce que j’ai écrit sur ce personnage est bien en deçà de ce que les témoignages laissent entendre du comportement de certains colons. La colonisation en elle-même était un système d’une extrême violence uniquement justifiée par des intérêts économiques. La nuance s’inscrira plus globalement dans le livre, le roman dans son ensemble fait coexister des personnes que tout oppose et qui malgré tout se rejoignent dans une commune humanité.

Vous savez certains sujets sont plus porteurs que d’autres. Par exemple dans mon précédent roman Si d’aimer… je raconte cette relation entre le personnage de Céline et son proxénète. Et plus loin dans le roman, je parle aussi de la relation d’amour entre Céline et Paul. Une relation plus apaisée beaucoup plus belle. Mais on me parle toujours de la première et rarement de la seconde. Avec Les Maquisards, c’est un peu la même chose. Il y a Pierre Le Gall, mais aussi son pendant, son fils Gérard, ou la sœur Marie-Bernard qui offre une vision différente des relations entre les personnages y compris dans ces configurations tendues.  Et puis, au cœur même de la rébellion, lorsque les choses se corsent, des partisans se retournent contre les populations, ceux dont l’implication dans le mouvement est mise en doute sont molestés, terrorisés, le personnage de  Joseph Manguele traduit bien cette réalité aussi. 

Ce n’est pas un problème de couleur de peau, cela ne l’a jamais été, en tout cas pas dans mon écriture. Il s’agit plus fondamentalement du respect de l’autre dans son humanité et sa singularité, du respect de l’autre comme unique garantie d’une relation que l’on veut sincère.

Pouvez-vous nous parler la construction de vos personnages? 

Je suis profondément dans l’intime. Les écrivains américains sont doués pour cela, quelqu’un qui fait cela et qui me bouleverse, c’est l’auteur américaine Toni Morrison mais aussi Philip Roth dans un livre que j’adore qui s’appelle « La tache », ou Faulkner dans « Absalon, Absalon ». Même l’incroyable James Ellroy est sacrément doué dans cet exercice. Et Balzac dans la littérature française.

Lorsque vous avez fini de les lire, les pires personnages ont une humanité. Il y a des choses à voir au-delà des actes qu’ils posent. Ils ont une intériorité. C’est de la bonne fiction. Celle qui donne l’impression que nous sommes dans une tragédie antique, chaque personnage est potentiellement Orphée, Perséphone Médée…C’est la fiction que j’aime, celle qui repousse les limites et qui dit l’Histoire, la vie et ses bifurcations dans toute leur complexité en partant de l’humain lambda, vous, moi, n’importe quel personnage de roman. C’est celle que j’essaie d’écrire.

Sur la place de spiritualité dans le livre, il y a une approche un peu manichéenne. Mais sans aller dans le détail, vous présentez cette thématique sous un angle particulier, avec l’idée d’un éventuel retour en arrière, vers ces croyances ancestrales. Est-ce le cas?

Peut-on revenir en arrière? Tant de choses ont été détruites. Pour illustrer mon propos, je raconterai une situation que Soyinka a vécue en Jamaïque à l’époque où il est chassé du Nigéria par Sani Abacha. Soyinka raconte dans ses mémoires que son errance à travers le monde le mène à un village en Jamaïque qui porte le même nom que son propre village de naissance et où l’on pratique un rite à un dieu Yoruba qui est profondément pur. En fait, les jamaïcains avaient gardé des aspects de ces pratiques qui avaient été violemment combattus par le système colonial.  

Les croyances et la spiritualité des groupes humains en Afrique datent de l’Egypte ancienne, Cheikh Anta Diop ainsi que des anthropologues de l’Afrique anglophone, Nigéria, Ghana, ont longuement analysé cet héritage. Il faut comprendre que les croyances africaines, ces spiritualités si anciennes ne sont pas, dans leurs essences, prosélytes. C’est une manière d’être, d’exister dans un accord parfait avec son environnement, son groupe incluant les vivants et les morts. Ce sont des communautés qui comprennent bien que la spiritualité est intime, confidentielle. Elle dépend de votre relation, votre histoire propre en tant qu’individu et en tant que groupe avec les divinités que vous vénérez et à ce titre ne peut en aucune manière être imposée à d’autres.  

Aujourd’hui et c’est bien là le paradoxe, le retour des jeunes vers ces spiritualités africaines se fait contre, en réaction de… Il ne s’agit plus d’un être au monde fluide et naturel, mais d’une spiritualité de combat et de revendication.  Je comprends la démarche mais je ne suis pas certaine que ce soit judicieux.

Est-ce que la fiction peut permettre un changement, introduire le débat?

C’est le rôle de la fiction. Elle permet la prise de recul sur la situation. L’Histoire sur laquelle l’on choisit d’édifier la mémoire d’un peuple est avant toute chose un choix idéologique, cela a l’air d’une science, mais au fond c’est un tri de ce qui va renforcer la conscience de faire corps, le lien, la communauté. Appelez-le prise de la Bastille, République, Guerre de Sécession, Shoah, ainsi s’écrit la légende des peuples, les valeurs qu’ils partagent. La fiction participe à bâtir des édifices imaginaires forts.  Au Cameroun, nous n’avons pas tant que cela des motifs de fierté collective et symbolique, les forces disproportionnées lâchées sur ces personnes de rien, ces paysans désarmés, ces instruits de premières générations, sont une honte et le resteront de toute éternité. Le courage de ces hommes et ces femmes, de même que le sacrifice consenti, est notre plus grande fierté ; quelque chose d’assez solide pour bâtir une Nation. 

Vous avez une profonde connaissance de la culture bassa. Pouvez-vous nous en parler?

Je me suis intéressé à ces données. Comme je l’ai dit plus haut, je voulais ancrer mes personnages dans une réalité sociale et spirituelle forte. Etre au plus près de leur réalité, de leur vécu. Pour cela je devais m’imprégner de la culture bassa, la comprendre dans ses nuances et ses non-dits. Me l’approprier. Je ne regrette pas, j’ai beaucoup appris, mieux compris. Cela reste une belle expérience personnelle.

Il y a  une déstructuration très forte portée au niveau des filiations. Quel est votre propos à ce sujet?

La sexualité telle que la conçoit, l’église catholique, avec cette notion de culpabilité est très peu présente dans les sociétés traditionnelles, elle n’a même pas de sens dans ce contexte. Dans l’organisation sociale traditionelle, la parenté est sociale avant d’être biologique Chez moi, quand une femme avait un enfant avant le mariage, c’était un très bon point, elle avait fait la preuve de sa fécondité alors sa dot était plus importante. Les peuples sont pragmatiques, la cohésion du groupe prime sur l’idéologie, la spiritualité et les croyances travaillent dans ce sens. À ce titre la complémentarité des hommes et de femmes est à la fois économique, sociale, politique et spirituelle.

Un dernier point sur la place de la langue bassa. Manguele communique en bassa avec les autres membres de la guérilla. Quel regard portez-vous sur les langues africaines. Y-a-t-il un enjeu à revenir vers elles, comme elles ont été un moyen de communication sécurisé dans le maquis bassa?

Les bassa, comme quelques autres groupes tribaux au Cameroun ont très vite appris à écrire leur langue. Les églises protestantes américaines installées dans cette zone dès la fin du XIXème choisissent de commencer les apprentissages avec l’écriture et la lecture du bassa. Elles n’ont pas la même appréhension de la question que les catholiques français qui en interdisent formellement l’utilisation à l’école. Ce qui donne une génération de personnes qui non seulement évolue dans leur environnement naturel en parlant leur langue maternelle, mais en plus ont appris à l’intellectualiser à la façon occidentale. C’est un vrai atout. 

En outre, les pères fondateurs de l’UPC étaient issus de tous les grands groupes ethniques camerounais. Cela a permis une transmission du message en langue locale qui a surtout infusé auprès de ceux à qui personne ne prenait la peine d’expliquer les enjeux économiques dont ils étaient l’objet. Tout d’un coup, nous sommes dans de l’entre soi, un immense entre soi qui réunit les camerounais en excluant l’occupant. Et bien sûr les communications qui ont lieu dans les centres urbains plus hétéroclites en terme de population que les villages le sont en français. Le mouvement développe ainsi une souplesse, une adaptabilité supplémentaire.

La langue est un enjeu de communication majeur. Chacune d’elle véhicule ses propres subtilités, un imaginaire, une histoire que l’on peut traduire dans une autre langue bien sûr mais sans jamais être assuré d’avoir respecté au-delà de la lettre, l’esprit. Malgré tout, comme le reste, elles vivent et meurent, remplacées par d’autres plus accessibles ou que sais-je. Mais à chaque fois qu’ainsi disparaît une langue, la perte est à la fois silencieuse, dévastatrice et sans rémission. 

Hemley Boum, merci !

Merci!

Propos recueillis par Laréus Gangoueus

Ousmane Diarra, l’interview d’un romancier déterminé

#Rentréelittéraire2004 A l’occasion de la parution de son nouveau roman La route des clameurs aux éditions Gallimard, l'écrivain Malien Ousmane Diarra a bien voulu répondre à nos questions. Découvrez cet auteur étonnant et passionnant basé à Bamako qui nous avait, pendant la crise Malienne, gratifié de son regard sur la situation.
 
 
#Afriquedesidées :
Monsieur Ousmane Diarra, bonjour !
Vous êtes l’auteur de plusieurs romans parus aux éditions Gallimard. Pouvez-vous vous présenter aux internautes fréquentant le blog littéraire Chez Gangoueus ?
 
Ousmane Diarra : Je suis Malien, né à Bassala, un village Bambara du Mali. J’ai perdu mes parents à l’âge de deux ans. Ceci explique en grande partie mon amour de l’écriture, laquelle est devenue ma confidente aussitôt que j’ai appris à écrire et à lire. Imaginez si je devais, oralement confier à ma mère tout ce que j’avais à lui confier quand j’étais petit, mes joies comme mes peines ! On m’aurait sans doute pris pour un fou. Alors, je les écrivais et me les relisais.
 
 Je ne veux pas dire par là que personne ne s’est occupé de moi. Mes oncles et mes tantes et bien d’autres personnes, de mon village à Bamako, m’ont pris en charge et sont bien occupés de moi. Vous connaissez la solidarité africaine. Ce n’est pas un vain mot pour moi. Je lui dois tout.
Cependant, il y a, dans la tête d’un orphelin qui n’a pas connu ses parents, même pas en photo, un grand point d’interrogation tellement intime qu’il ne peut le confier qu’à l’écriture. Oui, l’écriture et la lecture sont devenues mes parents adoptifs et spirituels. Sans aucune exagération.
J’ai publié des romans aux Editions Gallimard, mais aussi des nouvelles, de la poésie et des livres pour enfants au Mali et en France, dont certains sont traduits en anglais et en suédois.  Je continue de raconter des histoires aux enfants, à l’Institut français du Mali comme à la maison. J’adore les contes. Avant l’écriture, ils ont nourri mon imagination et ma sensibilité.
Je vis donc au Mali, travaille au Mali. Je suis professeur de Lettres de Formation, bibliothécaire de métier. Je voyage souvent pour parler de ma littérature.
 
#Afriquedesidées :
Quand on observe la collection Continents noirs de Gallimard où paraissent vos romans, force est de constater que peu d’auteurs basés en Afrique y sont publiés. Quelle est l’histoire de votre rencontre avec ce prestigieux éditeur?
 
Ousmane Diarra :
Le Directeur de la collection, Jean-Noël SCHIFANO, est un homme formidable, expérimenté, fin connaisseur de la psychologie des auteurs. Je veux dire fin pédagogue.  Dès qu’il a reçu et lu le manuscrit de « Vieux lézard », mon premier roman, il a commencé par me féliciter et m’a promis de le publier. Il l’a fait. Et il ne s’est pas trompé car à sa sortie, le roman a été très remarqué. Ce fut la même chose pour ceux qui ont suivi. Il sait encourager, guider, conseiller ses auteurs. Il les aime. On est des frères, des confrères, des copains. C’est le bon éditeur qui forme le bon auteur. Jean-Noël Schifano est un professionnel.
 
#Afriquedesidées
Nous allons naturellement aborder le contenu de votre nouveau roman dont le titre est singulier :  La route des clameurs. Pouvez-vous nous parler du choix de ce titre?
 
Ousmane Diarra
Dans un chapitre du roman, le jeune narrateur fait un cauchemar. Avec son père, au milieu d’une immense foule d’hommes, de femmes, d’enfants de toute la planète terre, ils font face aux juges suprêmes du Jugement dernier. Il y a deux routes, l’une, celle du Jardin des délices éternelles, conduit au paradis, tandis que l’autre, La Route des Clameurs, conduit à l’enfer. C’est là donc que vient le titre du roman. 
 
#Afriquedesidées :
Vous avez choisi de traiter dans ce roman un sujet particulièrement sensible, dans le feu d’une actualité que vous abordez avec beaucoup de recul. Pouvez-vous revenir sur ce qui a déclenché l’acte d’écriture sur la question du djihadisme et de l’épisode de la rébellion islamiste au Mali?
 
Ousmane Diarra :
Ousmane Diarra – Photo Catherine Hélie / Gallimard
Dans mes nouvelles comme des mes romans précédents, je n’ai pas arrêté d’attirer l’attention sur la montée de l’islamisme intolérant au Mali comme dans la sous-région. Tout commence par la violence verbale dans les prêches, à la radio, à la télévision et ensuite les places publiques ont été prises d’assaut par les prêcheurs incultes, qui insultent tout le monde, enseigne la haine dans la société, la haine contre les non-musulmans qu’ils appellent les cafres, la haine contre ceux qu’ils appellent les « mauvais musulmans », lesquels ne sont autres que les musulmans modérés, qui respectent les autres confessions. Cet islam soudanais que nous connaissons jusque-là, où les imams et les « tontiguis » (adeptes des religions traditionnelles) coexistaient pacifiquement. J’ai donc vu tout cela changé, jusqu’au déclenchement du nouveau jihadisme.  Je savais que cela allait arriver. J’en ai parlé dans « Pagne de femme » où j’ai décrit jusqu’au coup d’état qui allait créer le chaos et précipiter la chute des trois régions entre les mains de islamistes dont la majorité est composée d’étrangers.
 
Ce qui a donc déclenché l’écriture de « La route des clameurs », c’est la douleur de cette invasion du Mali, la destruction de notre patrimoine humain, culturel, historique, celle des liens séculaires qui nous unissaient, liens humains… C’était comme si, encore vivant, je sentais tout mon être, tout mon corps partir en lambeaux. J’avoue que je ne dormais presque plus, de douleur et de colère. Car voilà que malgré notre islam presque millénaire, d’autres venaient nous dire que nous n’étions pas assez musulmans et prenaient cela pour prétexte pour détruire notre pays, le démembrer, le dépecer. Il ne s’agit pas d’islam mais d’une nouvelle entreprise coloniale qui ne dit pas son nom, d’une invasion impérialiste sous le couvert de l’islam, doublé d’un mépris souverain pour tous nos oulémas, pour tous nos cadis, pour tous nos imams, ceux présents comme ceux du passé. Une négation de tous ceux que nos ancêtres ont faits pour que soyons aujourd’hui là, avec des pays, avec des civilisations. Nous sommes redevenus ces « sauvages » à civiliser au sabre !
 
#Afriquedesidées :
Votre écriture porte à la fois une distance au travers du ton à la fois ironique et plein d’humour de votre personnage narrateur et en même temps une sourde colère que l’on peut également ressentir au fil des pages. Est-ce là le résultat d’une tension entre l’actualité brulante et la tentative de prise de distance du romancier?
 
Ousmane Diarra :
Exactement. Mais cela vient aussi de ma culture. Même dans le malheur, nous savons tellement nous moquer, tant de nos sicaires que de nos propres défaillances. Cela permet d’éviter de sombrer dans le désespoir, lequel est improductif.  
 
#Afriquedesidées :
L’Islam est au coeur de ce roman, du moins sa prise en otage par une frange de fondamentalistes et d’intégristes portant un projet politique. Une prise de parole qu’on imagine complexe quand on est Malien et qu’on habite à Bamako?
 
Ousmane Diarra :
Je pense que tout homme a un devoir envers son pays et envers l’humanité tout entière : savoir dire non à l’imposture, quel que soit ce que cela peut lui coûter. Je parle surtout aux jeunes. Car c’est eux qui servent de chair à canon et le seront dans le futur si l’on ne les aide à ouvrir les yeux. On leur prendra leur terre, on fera d’eux des esclaves soumis. Beaucoup le sont d’ailleurs déjà, des enfants talibés devenus esclaves au nom d’Allah. C’est terrifiant. Déjà, les jihadistes recrutaient parmi eux. Tout le monde le sait. Il faut aider la jeunesse à avoir de l’esprit critique pour échapper aux marchands d’illusions de tout bord. 
Quant aux conséquences pour ma modeste personne, franchement, ça ne m’intéresse pas. Ma petite vie ne vaut pas mieux que celle des milliers de femmes, d’enfants, d’hommes, civils comme militaires, qui ont payer et continuent de payer de leur vie en combattant ces envahisseurs immondes.
 
#Afriquedesidées :
Pouvez-vous revenir sur le concept des gamins imams qui est traité dans la première partie de votre roman et que vous semblez avoir observé au Mali. Que traduit-il?
 
Ousmane Diarra :
Je vous réponds par la voix d’un de ces gamins imams de Bamako, qui, il n’y a pas si longtemps que cela, se vantait de posséder une voiture de marque V8, se comparant  à vieil imam aujourd’hui décédé qui, malgré sa notoriété et la vénération par tout le Mali, n’a jamais possédé une voiture. Pourtant, cet homme que j’ai connu à la radio, à la télé et que j’ai rencontré personnellement, a réussi, pacifiquement et par ses grandes qualités humaines, à faire adhérer à l’islam des milliers de maliens animistes. Je ne l’ai jamais entendu traiter les non-musulmans de « cafres ». C’était un homme pieux, dont les portes étaient ouvertes à tout le monde. C’était un saint, celui-là, qui ne prêchait que la paix et la fraternité entre tous les hommes.
Les Gamins imams dont je parle sont ces jeunes incultes qui sont partis glaner quelques sourates dans les pays du Golfe, qui ont en même temps amassé beaucoup d’agent et sont revenus au pays avec la mission de ré islamiser leurs compatriotes à coup de sabre s’il le faut. Ils sont totalement incultes, tant de l’islam qu’ils prétendent défendre que de leur propre culture. Ils sont incultes et immatures. Ils sont tout sauf des hommes religieux. 
 
#Afriquedesidées :
Nous avons le sentiment qu’il s’agit d’un roman à la fois sur les désillusions autour de l’exercice du pouvoir temporel qui corrompt quelque soit l’idéologie « vertueuse » qui sous-tend ceux qui prétendent l’appliquer?
 
Ousmane Diarra : 
C’est ce que je viens de dire. Ceux-là dont je parle dans mon roman sont à la conquête du pouvoir temporel. Ils veulent y arriver par tous les moyens, surtout en se servant de l’islam. Ils sont violents, arrogants et veules. Ils terrorisent les populations par leurs prêches, les abêtissent par des faibles et les détournent de leurs préoccupations terre à terre : travailler dur pour se libérer de la faim et de la maladie, travailler dur et étudier pour que l’Afrique sorte de l’ornière. 
 
#Afriquedesidées :
Votre personnage narrateur est un pré-ado qui porte à la fois son regard sur deux figures de l’autorité : celle de son père, un artiste-plasticien qui n’entend ne point céder aux allégeances du pouvoir en place et la bien-pensante du milieu, celle du Mabu Maba, le calife, autorité de l’état. Que représentent ces deux figures pour vous?
 
Ousmane Diarra : 
Pour parler court, la figure de l’artiste-plasticien est celle d’une Afrique débout, lucide, courageuse qui se bat pour sa place au monde. Et ne désespère jamais.  Une Afrique s’affirme, qui, malgré les vicissitudes de l’histoire, malgré les douleurs présentes, refuse de se prosterner, de se prostituer. Parce qu’elle croit en sa victoire sur l’adversité. 
C’est aussi celle, partout au monde, de l’artiste, de l’intellectuel intègre et intransigeant sur les principes d’humanité.Partout où sévit la violence aveugle et la barbarie, où sévit le mensonge, il faut qu’il y ait des femmes et des hommes qui osent dire non. Même si c’est au péril de leur vie. C’était le cas pour le Mali, cela reste le cas au Mali et bien d’autres pays d’Afrique et du reste du monde. 
Quant au faux Calife Mabu Maba et ses mille épithètes, c’est celle de tous ces larrons de toutes engeances, leaders religieux, politiques, d’opinion,  qui profitent de la crédulité, voire de la naïveté des peuples africains pour brader l’Afrique à vil prix et se forger un destin. Sans parler des profits bassement matériels qu’ils tirent de ce commerce immonde. Il y en a eu dans le passé, il y en a de nos jours encore.
 
#Afriquedesidées :
Dans ce livre, il est également question de la transmission. La figure de père instruit empêche sûrement le jeune Bassy d’être un enfant soldat comme les autres. Comment l’éducation peut-elle être un moyen de lutter contre l’obscurantisme et le fanatisme religieux?
 
Ousmane Diarra :
Vous avez, j’impute moins les malheurs de l’Afrique à sa pauvreté matérielle qu’au déficit de l’éducation, surtout celle qui a suivi l’imposition de certaines mesures par le FMI et La Banque mondiale à partir des années 1980. Lesquelles mesures ont sauvagement frappé l’éducation publique, républicaine, laïque et obligatoire dont ma modeste personne est le fruit. Une jeunesse bien éduquée, bien instruite, c’est la plus grande source de richesse du monde, mais quand elle reste dans l’ignorance et l’obscurantisme, c’est une redoutable bombe que n’importe quel marchand d’illusions peut utiliser. Quand s’y ajoutent la misère matérielle et le désespoir, gare au chaos généralisé !
 
#Afriquedesidées :
Quels sont vos auteurs référents en littérature? Il y a un parti pris remarquable au niveau du style et de l'écriture dans ce roman La route des clameurs. Au delà votre propre voix, l'écriture d'un autre auteur vous a-t-elle influencée ?
 
Ousmane Diarra
Vous savez, j’ai beaucoup lu dans ma jeunesse.  Je continue d’adorer lire, et de toutes les littératures du monde. J’ai aimé le style de « Le bruit et la fureur » de William Faulkner. J’ai  aimé le style et le personnage  d’Albert Camus dans « L’étranger » ; « L’anté-peuple »  de Sony Labou Tansi, « Le devoir de violence » de Yambo Ouologem ;  la beauté et la simplicité du style d’Alain Mabanckou  dans « Mémoires de porc-épic », Massa Makan Diabaté dans sa trilogie de Kuta, Ahmadou Kourouma dans « Le soleil des indépendances », Thierno Monenembo… Sans oublier les contes et les fables que je raconte aux enfants depuis 1994. La liste est donc longue. Je ne sais pas qui m’a influencé.
 
#Afriquedesidées :
Pouvez-vous nous recommander trois lectures pour terminer cette interview?
 
Ousmane Diarra :
Pour ne pas faire de jaloux, passons outre les grands classiques et les écrivains contemporains de langue française ! 
Je citerai donc :
« Le tigre blanc » de l’Indien Aravind Adiga
« L’immeuble Yacoubian » de l’Egyptien Alaa El Aswany
« Syngué Sabour : la pierre de patience » de l’Afghan Atiq Rahimi.
 
#Afriquedesidées :
Monsieur Ousmane Diarra, merci !
 
Ousmane Diarra
C’est à moi de vous remercier.
 
Propos recueillis par Laréus Gangoueus
 
 

Fiction-Miroir-Réalité et vice versa : Le cas Nollywood

ARLEQUINMusique, cinéma, séries tv, mode : des secteurs liés à l'image. Des secteurs qui rapportent. Des secteurs à la vitalité économique témoin de la capacité et du besoin du continent de créer de la valeur ajoutée à partir de ses cultures et pour répondre à ses préoccupations. Des secteurs rangés sous le fanion : Industries créatives.

Et les industries créatives Chers Tous, sont, comme nous l'indique notre ami commun Wikipédia, « les acteurs majeurs de l'économie de la connaissance. Leur développement rapide est le reflet de la contribution de plus en plus importante de l'économie de l'immatériel à la croissance économique. » Je reviendrai vers vous sur les effets de cet immatériel dans nos vies, à l'occasion d'autres articles.

Je vais ici vous rapporter la voix d'un des acteurs de cette industrie.

E-Interviews

Il s'est déroulé du 5 au 8 juin 2014 au cinéma l'Arlequin à Paris, la deuxième édition du Nollywood week festival.

Serge Noukoue en est le Directeur exécutif. Afféré et très sollicité, c'est par e-mail qu'il a finalement pu nous consacrer quelques minutes d'un temps toujours précieux.

Suivra l'interview de Shari Hammond, Responsable des partenariats.

J'ai demandé à ces deux personnes clefs du festival, de répondre à des questions sur cet événement, sur les industries créatives et sur l'interpénétration entre fiction et réalité.

Clic-Text-Send avec Serge Noukoue – Directeur exécutif

SN(1)GLF : Serge, quel est votre parcours ? Votre histoire ? Votre relation avec les industries créatives ?

SN : Après un Master en Management de Projets Culturels à Paris, je me suis dirigé vers l'audiovisuel de manière générale, en faisant tout d'abord des stages. Puis, très rapidement, je me suis mis en tête de contribuer au développement du secteur audiovisuel en Afrique. C'est une vaste tâche et ce n'est pas évident de savoir par où commencer quand on a à cœur une mission comme celle-là.

J'ai d'abord travaillé en tant que Chargé de projets à Canal France International. Par la suite, j'ai décidé de voler de mes propres ailes en montant ce projet de festival, que j'envisage comme un outil de développement au service de l'industrie du cinéma nigérian.

GLF : Nollywood week festival est un événement organisé par Okada Media, une association loi 1901 en France et créée en 2013.

Quel objet poursuit cette association ? Qui en sont les membres ? L'association est-elle la meilleure structure juridique pour encadrer un tel évènement ?

SN : L'association nous a en effet semblé être la meilleure forme juridique pour ce projet. Mais le projet a précédé la création de l'association. Okada Media a donc été créée parce qu'il fallait une entité juridique pour porter le festival.

Ses membres sont les 3 personnes qui dirigent le festival : Nadira Shakur, Shari Hammond et moi-même. Nous avons également d'autres personnes qui nous ont aidées tout au long de la préparation du festival et qui souhaitent s'impliquer à long terme autour de ce projet.

En tout, l'association compte une petite vingtaine de membres.

GLF : La NWF existe(ra)-t-elle dans d'autres pays ? Présumez-vous ou connaissez-vous le besoin des consommateurs en cinéma nigérian sur les différents continents ? Quelle est votre unité de mesure ?

SN : Potentiellement oui, la Nollywood Week peut avoir lieu dans d'autres endroits. Nous ne nous y sommes pas encore attelés car cela nécessite un travail important en amont et en premier lieu un modèle économique.

GLF : « Okada est l'appellation communément donnée aux moto-taxis que l'on trouve dans de nombreuses villes du Nigéria. Synonyme de débrouillardise et de créativité, l'arrivée de l'Okada a permis de combler un vide et de faciliter l'accès à des zones autrement inaccessibles. En tant que créateur d'accès au meilleur du contenu "Made in Nigeria", ce nom s'est imposé comme une évidence aux organisateurs de la Nollywood Week. » in nollywood.com

Quel est votre ambition à court, moyen et long terme ? Est-ce d'être une courroie de transmissions pour d'autres industries, d'autres géants du continent ? Ou est-ce de travailler dans cette industrie ?

SN : Créer un accès qualitatif au contenu Nollywoodien de qualité est notre objectif. On peut estimer que notre festival nous permet de remplir cet objectif. Cependant, le combat est encore long. Et nous aurons gagné la bataille que lorsqu'il sera normal de voir au cinéma en France, des films nigérians à l'affiche, ou alors sur les grandes chaînes de télévisions de ce pays.

Il est important que l'Afrique consomme ses propres produits culturels et il est important qu'elle les exporte également. Nous avons décidé de nous focaliser sur un pays : le Nigéria. Mais globalement, c'est de ça dont il s'agit. Le cinéma est un secteur stratégique, mais il n'est pas impossible que dans le futur on élargisse notre action à d'autres disciplines.

SALLEGLF : Dans un avenir plus ou moins lointain, le Nigéria pourrait-il devenir un centre de formation cinématographique pour le continent ?

SN : C'est possible, mais ce qui serait davantage intéressant serait que le modèle nigérian fasse des émules ailleurs sur le continent.

Et ce que j'appelle le modèle nigérian ici, consiste à produire des films de manière indépendante avec une véritable optimisation des coûts de production et une autonomie financière.

Dans d'autres parties du continent, les longs-métrages de cinéma ne voient le jour que lorsque les financements en provenance de l'Occident sont obtenus. Cette situation n'est pas acceptable et le Nigéria représente à cet égard un exemple.

GLF : L'Etat nigérian, accompagne-t-il, encadre-t-il cette industrie ? De quelle manière ?

SN : Au Nigéria, qui est un Etat fédéral, force est de constater que depuis peu, le gouvernement central tout comme les Etats locaux – avec une mention particulière pour celui de Lagos qui fait partie des plus dynamiques en la matière – ont donné le La pour que l'investissement culturel soit considéré comme un élément clé de la politique publique.

Des prêts sont proposés aux réalisateurs, des salles de cinéma voient le jour un peu partout. L'importance du secteur est enfin reconnue par l'administration qui y voit un pourvoyeur d'emplois pour la jeunesse, ainsi qu'un vecteur de bonne image du pays à l'étranger.

GLF : Vous étiez présent au Forum économique de la Cade sur Bâtir des industries modernes et compétitives en Afrique. Jeudi 12 juin, vous avez, aux côtés de Sylvestre Amoussou (Réalisateur-Producteur de cinéma), Xavier Simonin (Directeur technique du Festival A Sahel Ouvert de Mbumba au Sénégal) et Jacques Nyemb (Avocat associé), été invité d'honneur de la rencontre-débat de la Cade sur Economies culturelles et créatives d'Afrique : Quelles contributions au développement socio-économique ?

Doit-on comprendre que miser sur la culture et incidemment sur les valeurs ajoutées créées par les activités de ce secteur-industrie peut-être un levier de développement pour notre continent ?

SN : La Culture, les Industries créatives représentent effectivement un outil pour le développement. La difficulté est qu'il faut  avoir conscience de cela pour pouvoir élaborer des stratégies appropriées et les mettre en œuvre. Les industries créatives doivent créer de la richesse et des emplois en Afrique, comme elles le font ailleurs. Le potentiel est là. Les stratégies un peu moins. Mais c'est pour ça qu'il faut regarder vers ce qui fonctionne.  Et le Nigeria, malgré tous les problèmes auquel ce pays est actuellement confronté, semble avoir pris conscience de l'importance des industries créatives. Il faut que d'autres pays s'inspirent de ce qui se fait là-bas et adaptent certains procédés à leurs réalités propres.

GLF : Pour finir, j'aimerais en revenir à des considérations socio-philosophico-culturelles. Le continent est confronté comme partout ailleurs à des problématiques identitaires. Et vous ? Etes-vous un Français d'origine béninoise ou un Béninois de nationalité française ?

SN : J'ai les deux nationalités. Les deux passeports. Maintenant en ce qui concerne mon identité personnelle, elle est on ne peut plus hybride. J'ai vécu en France certes, mais aussi au Sénégal, au Cameroun, en Centrafrique, aux Etats-Unis, au Brésil et ma femme est Afro-Américaine.

Tous ces voyages m'ont nourri. J'ai toujours été curieux et ouvert sur le monde. Le Nigeria m'influence énormément. J'y puise mon inspiration pour beaucoup de choses. Je rêve de décloisonnements, d'échanges. L'Afrique en a besoin. J'ai été dans toutes les régions en Afrique, qu'il s'agisse d'Afrique Centrale, d'Afrique de l'Ouest, d'Afrique Australe, d'Afrique de l'Est, du Nord… Et même si j'ai horreur des généralisations, je peux affirmer une chose : Personne ne connait moins l'Afrique que les Africains eux mêmes… C'est une triste réalité qui puise ses sources dans un passé douloureux que nous connaissons tous. Mais c'est bien à nous-mêmes de choisir si l‘on veut que ce passé continue de nous définir ou pas.

FILE ATTENTEGLF : Quel est l'accès des Nigérians à son cinéma ? Que reflète ce cinéma de ce pays ?

SN : Cet accès pourrait être amélioré. Le cinéma nigérian est populaire sur place bien évidement, mais nous sommes loin de ce que représente Bollywood pour les Indiens par exemple.

GLF : Vous ne semblez pas être un prestataire au service de la culture nigériane, mais un entrepreneur qui investit avec toute l'acuité d'un citoyen conscient des différents enjeux, dans un domaine à forte valeur ajoutée.

J'évoque là votre sélection méticuleuse, aussi bien dans la diversité des sujets évoqués dans les différents films, que dans les personnalités de la délégation nigériane. Des personnes que je qualifierais d'éclairées et engagées. Pouvez-vous nous édifier sur ces points? Quel public visait cette programmation ?

SN : L'idée était de mettre en avant la qualité de l'industrie cinématographique nigériane et de mettre également en avant sa diversité. Il fallait donner à voir un panel de films qui traite des thèmes différent les uns des autres.

L'idée était aussi de présenter ce pays sous son meilleur jour. C'est une sorte d'Opération-séduction d'une certaine manière.

Je pense que ça permet de tordre le cou aux idées reçues. Le Nigeria fait partie de ces pays qui font l'objet de beaucoup de clichés. Clichés négatifs la plupart du temps. Il est important d'aller à l'encontre de tout ça et de rendre possible un véritable échange, un véritable dialogue.

GLF : Afrique anglophone/Afrique francophone, avez-vous observé des disparités entre ces deux blocs ? Que ce soit au niveau culturel, structurel, économique ou autre ?

SN : Les disparités sont importantes… L'Afrique Anglophone est plus avancée économiquement. Peut-être plus décomplexée culturellement aussi. Mais ce qui est primordial, c'est de faire en sorte que ces deux blocs se parlent et échangent, parce qu'ils n'ont finalement que très peu l'occasion de le faire. Et la Nollywood Week sert aussi ça. A décloisonner.

J'ai la chance de parler anglais et français et je suis assez content que cela permette à des Nigérians d'échanger avec des Sénégalais pendant le festival par exemple. Ce sont de petites choses, mais on peut en espérer d'heureux résultats : des amitiés qui se créent, qui pourront déboucher sur des partenariats, sur des co-productions… Qui sait ? C'est aussi ça la magie des rencontres et c'est pour ça qu'il faut plus de rencontres entre Africains francophones et Africains anglophones.

GLF : Serge Noukoue, merci.

SN : Merci à vous. Merci pour votre intérêt et pour vos bonnes questions!

Clic-Text-Send avec Shari Hammond – Responsable Partenariats

SH(1) Chers internautes, Shari Hammond est en ce moment entre deux voyages, non pas de type astral, mais professionnel et d'ordre privé. Dès qu'elle posera un pied sur la terre ferme d'Ile-de-France (région administrative de France au coeœur de laquelle se niche sa capitale : Paris), je m'en irai lui porter un verre d'eau fraîche, lui transmettrai vos meilleures salutations et lui demanderai de m'accorder pour vous un entretien.

En attendant cet autre rendez-vous, j'espère que cette petite e-causerie avec Serge Noukoue vous a édifié sur l'importance de donner à voir du beau, de la qualité, du rêve, sans nier ou renier la réalité.

Mais surtout, à ceux qui sciemment ou pire en moutons de Panurge méconnaissent, sabotent, outragent leurs cultures, empêchant rayonnements culturels et retombées économiques, sachez qu'il n'est pas trop tard pour faire amende honorable, revenir à de meilleurs sentiments et surtout affronter votre miroir culturel en toute sérénité.

Gaylord Lukanga Feza.

Entretien avec Louis Boisgibault, Président de VALMERE

M. Boisgibault, pourriez-vous nous présenter votre parcours et expliquer pourquoi vous vous intéressez à l’Afrique?

BoisgibaultJe suis diplômé d’un Master de Sciences de Gestion de l’Université Paris Dauphine avant d’effectuer le MBA de HEC avec un programme d’échange à la Wharton School de l’Université de Pennsylvanie. Je suis du reste membre du Wharton club of Africa, responsable du secteur énergie et de la France.

J’ai fait ma carrière dans le secteur de l’énergie à la fois du coté bancaire, chez EDF et GDF-Suez à Londres. Convaincu par le développement des énergies renouvelables, j’ai créé, d’une part, la société VALMERE quand je suis revenu en France et, d’autre part, j’ai commencé les enseignements en énergies renouvelables et efficacité énergétique au Master Energie Finance Carbone de Paris Dauphine, à Supelec, l’Ensta Paris-Tech et l’Ecole Polytechnique (Master REST) et au certificat énergie d'HEC.

J’ai rapidement compris qu’il y avait un énorme potentiel pour les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique en Afrique et qu’il fallait se préparer à développer cette filière sur ce continent également.

Quels est selon vous ce potentiel en énergies renouvelables?

D’une part, géographiquement l’Afrique dispose des conditions favorables. Au niveau des cours d’eau déjà. Des grandes infrastructures en sont sorties tels que le barrage d’Assouan. Un potentiel hydraulique à ne pas oublier. Il y a également le vent, avec les alizés qui soufflent constamment sur les côtes marocaines, par exemple, et le soleil qui est disponible partout. Ces richesses peuvent être exploitées dans la mesure du possible pour compléter les énergies traditionnelles.

D’autre part le constat est relativement simple. On observe une population qui augmente de manière importante et un problème d’accès à l’énergie récurrent. Les statistiques de la banque mondiale notamment montrent clairement que l’Afrique est le continent où la population a le moins d’accès à l’énergie. Il faut noter que le délestage qui engendre la colère des populations peut être un enjeu politique majeur comme lors des dernières élections présidentielles au Sénégal.

Certains pays ont des ressources pétrolières et gazières importantes mais elles sont jusque là entourées d’une sorte de “malédiction“ et n’ont pas assez profité à la population.

Energie Solaire FukushimaDans votre livre «l’énergie solaire après Fukushima: La nouvelle donne», vous défendez la thèse selon laquelle les énergies renouvelables sont une évidence et qu’elles finiront par s’imposer?

Je défends cette thèse, notamment pour l’Afrique mais elles ne vont pas remplacer les autres sources classiques. Elles viennent en complément et devraient progressivement se développer pour prendre une place prépondérante. Un enjeu important pour l’Afrique est lié aux équipements. L’Afrique ne produit pas encore suffisamment de panneaux solaires, d’éoliennes, de turbines, d'onduleurs…L’enjeu est de les acheter (à la Chine, à l’Union Européenne) et d'organiser la logistique, le stockage, la construction dans les meilleures conditions possibles.

Le coût d’investissement des projets d’énergies renouvelables est considéré comme important et les sources de financement sont rares. Ne pensez vous pas ce sont des freins à cette évidence?

Le coût d’investissement est certes important mais je tiens à dire que pour construire une centrale thermique au fioul ou une plate-forme pétrolière par exemple, le coût est aussi élevé. C’est donc un problème récurrent pour tous les projets énergétiques. L’avantage dans le cas des énergies renouvelables est qu’on peut développer des micro projets moins onéreux tout comme de très grands projets tels qu’à Ouarzazate au Maroc. Lorsqu’il n’y a pas de réseau de distribution d’électricité, des micro projets peuvent fournir l’électricité aux villages qui ne sont pas connectés.

La recherche de financement est bien sur déterminante, à la fois en capital et en dette. Dans l’union européenne par exemple, les pouvoirs publics ont mis en place des politiques de soutien avec des tarifs de rachat avantageux qui permettent de vendre l’électricité produite à un tarif bonifié garanti pendant 20 ans. C’est un mécanisme pour lever des fonds et financer des projets par de la dette à 80%. En Roumanie, un système de certificat vert est mis en place pour les producteurs d’énergies vertes. Le meilleur cadre réglementaire doit être mis en place dans les pays d'Afrique.

Je précise que le Président de la Société Africaine pour les Biocarburants et les Energies Renouvelables (SABER, ABREC en anglais), basée à Lomé, a apprécié mon ouvrage qui a été présenté à l'African Power Forum en septembre 2012 à Marrakech. Il vient de passer une commande à l'éditeur pour diffuser cent exemplaires en Afrique de l'Ouest. VALMERE se positionne pour aider SABER à réussir sa levée de fonds de plusieurs centaines de millions d'euros et ses investissements dans des projets innovants africains. On prévoit des actions de communication autour de l'ouvrage pour inciter les entrepreneurs africains à signaler leurs projets.

Quelle évaluation faites-vous des pays qui ont lancé des grands projets d’énergies renouvelables? Faut t il attendre un retour d’expérience suffisant avant de généraliser?

Il faut s’y lancer tout de suite mais prudemment. Les pays n’ont pas les mêmes réserves en pétrole et en gaz et par conséquent pas les mêmes stratégies. Je prends l’exemple de l'Algérie et du Maroc, de la Côte d’Ivoire et du Togo, les premiers riches en hydrocarbures, pas les seconds. On peut bénéficier des expériences d’autres pays mais on ne doit pas simplement copier le modèle mais l'adapter : petits projets tels que les lampadaires solaires,  photovoltaïque pour villages isolés et plus grands projets.

Qu’en est-il maintenant de l’efficacité énergétique en Afrique?

Elle est peut être plus importante que la question des énergies renouvelables. Dans le cadre de mon enseignement, j’ai demandé cette année à deux étudiantes de faire un mémoire sur l’efficacité énergétique au Togo et je les ai mises en contact avec le ministère de l’énergie. On peut penser que l’efficacité énergétique ne concerne que les pays riches qui gaspillent beaucoup et se demander si c’est un sujet qui concerne l’Afrique. Nous avons constaté que le Togo avait démarré un programme d’efficacité énergétique assez intéressant notamment pour les éclairages publics à Lomé. Des réflexions sont faites pour améliorer la consommation d’énergie lors des cuissons. Je suis intervenu à Tétouan au Maroc sur la consommation des bâtiments publics et des éclairages publics. Une telle ville dépense plus d’un million d’€/an dans l’éclairage public, et la consommation électrique des stades de football pour les nocturnes peut être un enjeu.

Il faut réfléchir à la fois aux normes thermiques plus efficaces pour la construction, aux transports et à l’industrie.

Il ya un volet des gaz à effet de serre?

Les pays africains, dans le cadre du protocole de Kyoto pour l’atténuation du changement climatique, sont classés hors annexe 1 c’est-à-dire qu’ils n’ont pas d’objectif contraignant en matière de réduction des émissions des gaz à effet de serre. Cependant aux différentes conférences sur le climat, ils ont fait preuve de leurs grands intérêts pour ces discussions et pour trouver les meilleurs pratiques. Ils ont fait leurs communications nationales aux Nations Unies et ont montré des progrès très intéressants.

Enfin un volet formation?

La formation à tous les niveaux est importante pour développer les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique. Une formation continue pour les fonctionnaires, souvent formatés pétroles et nucléaires. Une formation adaptée pour les techniciens et les ingénieurs. Ma recommandation serait de les assurer dans le cadre des universités existantes et non de créer de nouveaux instituts déconnectés des dispositifs existants.

Je souhaite que tous vos lecteurs se mobilisent autour de ces sujets, en créant des groupes de travail, d'échanges. Je veux alimenter les réflexions par des publications pertinentes, des enseignements, des missions de conseil et développer les partenariats innovants euro-africains.