Comment améliorer les politiques sociales en Afrique ?

Jusqu’en 2012, la protection sociale en Afrique a été très faible ; quoiqu’elle se soit légèrement améliorée au cours des deux dernières années. En effet, la sécurité sociale est principalement réservée aux travailleurs du secteur formel (public ou privé) et l’assistance sociale est très peu développée. Par exemple, l’assurance chômage est disponible uniquement dans six pays dont l’Algérie, l’Afrique du Sud, l’Egypte, l’Ile Maurice, le Nigéria et la Tunisie. L’assurance maladie est rendue universelle dans certains pays comme la Côte d’Ivoire et le Bénin, récemment. Quant à la pension retraite, elle est disponible dans tous les pays et dépend en général du salaire de l’allocataire. Toutefois, son taux de couverture est très faible dans la mesure où elle couvre seulement 8,8% de la population active d’Afrique sub-saharienne en 2010.[1]

Compte tenu de la faiblesse du revenu des ménages, les programmes de sécurité sociale ne peuvent pas être financés surtout lorsqu’ils nécessitent une couverture universelle. Dès lors, les programmes d’assistance sociale destinée en majorité aux personnes âgées et aux orphelins sont les plus répandus. Ces programmes remplacent l’assurance maladie ou la pension retraite pour les plus pauvres. C’est le cas notamment du « National Health Insurance Scheme » du Ghana qui couvre 67% de la population et de la « Old Age Pension » du Lesotho, etc.[2] Alors que l’admission à ces programmes n’est pas soumise à des critères de participation à d’autres programmes, il existe de plus en plus de programmes d’assistance sociale connus sous le nom de « Conditional Cash Transfer » (CCT) qui sont mis en œuvre sur le continent. En contrepartie de la protection sociale, le CCT assure la promotion des dimensions sociales du développement en exigeant la scolarisation des enfants des ménages bénéficiaires de même que leur participation à certains programmes de santé. [3]

Des défis liés à la conception et au financement des politiques sociales en Afrique

Contrairement aux politiques de protection sociale, les politiques d’accès à l’éducation et à la santé ne posent pas de problèmes particuliers de conception. Des exemples de politiques mises en œuvre avec succès et évaluées par le JPal et le IPA sont disponibles et peuvent servir de base à de nouveaux programmes.

S’agissant de la sécurité sociale, la prépondérance de l’économie informelle constitue l’un des freins à son extension à toute la population. En effet, les modalités de sa mise en œuvre dépendent du potentiel de couverture et de la possibilité d’observer les différents types de personnes et leurs comportements.[4] Etant donné le potentiel de couverture, s’il était possible d’identifier les personnes susceptibles d’être au chômage, d’être malades ou de vivre plus longtemps, alors la souscription aux différentes composantes de la sécurité sociale pourrait être laissée à l’initiative de chaque individu. En général, ces conditions ne sont pas vérifiées et requièrent l’universalité des programmes avec une intervention de l’Etat. Plus particulièrement dans le contexte Africain, le potentiel de couverture est très faible compte tenu de la prépondérance de l’économie informelle avec des revenus faibles et instables.

Quant à la conception des programmes d’assistance sociale, le principal défi est celui de la disponibilité d’un système d’information nationale fiable.[5] En effet, leur mise en œuvre nécessite d’identifier et de dénombrer les potentiels bénéficiaires. En l’absence d’un système d’information fiable, les transferts de revenu sont susceptibles d’être moins ciblés à cause de la corruption et des ciblages à connotation politique. Toutefois ce problème se pose avec moins d’acuité pour les programmes d’assistance aux personnes âgées et aux orphelins. Par ailleurs, du fait de l’absence d’une contribution de la part des bénéficiaires, ces programmes sont devenus davantage conditionnels.

En ce qui concerne la soutenabilité du financement des politiques sociales, elle dépend de l’efficacité des politiques mises en œuvre. Si la construction des infrastructures, la gratuité de l’école ou de certains soins de santé, le transfert de fonds à des ménages pauvres permettent de relever la productivité des travailleurs, alors la mise en œuvre des politiques sociales ne dépendra pas du niveau de vie actuelle d’un pays. Dans le cas des pays Africains qui sont en majorité pauvres, le financement de ces politiques ne peut se faire que par le biais de la dette à long terme. Or, la soutenabilité de cette dette dépend évidemment de l’efficacité des politiques mises en œuvre. Il en résulte que l’évaluation des politiques sociales est une composante indispensable de la conception des politiques sociales.

Des suggestions de politiques sociales à envisager

Au regard de l’état des politiques sociales en Afrique et de leurs contraintes, il n’est pas évident de proposer une solution qui conviendrait à tous les pays. Toutefois, pour rendre les suggestions de politiques sociales plus spécifiques, l’ensemble des pays Africains a été divisé en trois groupes selon l’efficacité actuelle de leurs politiques sociales. L’appréciation de l’efficacité des politiques sociales s’est faite sur la base des moyens employés et des résultats obtenus. En termes de moyens, ce sont les parts du revenu national dédiées aux dépenses de santé et d’éducation qui ont été prises en compte. Quant aux résultats obtenus, ils regroupent le taux brut de scolarisation au primaire et au secondaire, l’espérance de vie à la naissance, la part des personnes de plus de 65 ans couvertes par la sécurité sociale et le revenu brut par habitant. Ces informations proviennent des bases de données de la Banque Mondiale et de l’Organisation Mondiale pour la Santé et de l’Administration de la Sécurité Sociale des Etats-Unis. Les moyens ont été mesurés en 2009 alors que les résultats correspondent à au mesures faites en 2010 et 2011.

Classification des pays selon l’efficacité de leur politique sociale

Source : Mes propres calculs à partir des variables décrites ci-dessous.

Sur l’axe horizontal, les pays qui sont plus à droite ont obtenus les meilleurs résultats ; contrairement à ceux qui sont à gauche. Sur l’axe vertical, les pays qui sont plus en bas emploient des moyens plus élevés que la moyenne; par opposition à ceux qui sont plus en haut.

Il ressort de ce graphique qu’on peut distinguer trois groupes de pays. D’abord, ceux qui ont obtenus des résultats significatifs avec de faibles moyens ; c’est le cas de l’Algérie, de la Tunisie et des Seychelles entre autres. Par rapport au pays moyen en Afrique, ces pays ont des politiques sociales satisfaisantes quoique des progrès restent à réaliser sur l’assurance chômage et la qualité de l’éducation.

Ensuite, on distingue un deuxième groupe de pays dans lesquels des efforts sont consentis sur le financement des politiques sociales ; mais les résultats restent limités. C’est le cas notamment de l’Afrique du Sud, du Sénégal et du Kenya entre autres. Ainsi, il faudra identifier pour ces pays les raisons de ce décalage entre les moyens mis en œuvre et les résultats obtenus.

Enfin, le dernier groupe est constitué des pays où les moyens sont faibles et les résultats limités. C’est le cas du Bénin, de l’Angola et de Madagascar entre autres. On constate également que l’économie informelle est plus importante dans les pays de ce dernier groupe. La promotion de l’emploi formel et des structures de micro-assurance maladie peut être adaptée à ces pays en attendant une diminution significative du secteur informel avant de lancer des programmes de sécurité sociale. Autrement, l’extension de la sécurité sociale aux travailleurs de l’économie informelle n’encourage pas le passage à l’économie formelle.

 

Georges Vivien Houngbonon

 

 



[1] Nos calculs à partir des données contenus dans le document de discussion de la Banque Mondiale intitulé « International Patterns of Pensions Provision II » Annex III, tableau 51.

[2] Rapport Européen sur le développement, 2010.

 

[3] Rapport de la Banque Mondiale sur les programmes CCT : « The Cash Dividend », 2012

[4] Ce sont des paramètres  liés aux risques de « sélection adverse » et d’ « aléa moral ».

[5] De plus en plus de pays utilisent maintenant les transferts par le téléphone mobile. C’est le cas du programme Livelihood Empowerment Against Poverty au Ghana.

Protection sociale et développement humain

 

En dehors de ses fonctions régaliennes, le champ de l’intervention publique regroupe principalement les politiques économiques (sectorielles, fiscales ou monétaires) et les politiques sociales. Alors que les politiques économiques émanent directement de la nécessité d’une intervention extérieure au marché pour assurer l’efficacité de l’allocation des ressources, les politiques sociales résultent quant à elles des objectifs de redistribution et sont donc sujettes à des controverses sur leur périmètre et leur financement. Cependant, il existe des justifications économique et juridique à leur mise en œuvre.

Sur le plan économique, la mise en œuvre des politiques sociales permet d’assurer la participation et la productivité des agents économiques, gage d’une expansion du marché et d’une croissance économique forte et stable. Dès lors, les politiques sociales sont particulièrement déterminantes pour les pays en développement.[1] D’un point de vue juridique, l’accès à la sécurité sociale, la protection contre le chômage, l’assistance sociale et l’accès à la santé et à l’éducation sont garantis à tous par les articles 22, 23, 25 et 26 respectivement de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.

De l’importance des politiques sociales en Afrique

Même si un consensus semble avoir été trouvé sur l’importance relative des politiques sociales, leur mise en œuvre reste limitée sur le continent Africain. Dès lors, il importe d’apprécier leur ampleur et leurs spécificités, d’identifier les défis liés à leur conception et à leur financement et de suggérer des stratégies de politiques sociales à envisager compte tenu des défis identifiés.

Dans cet article, les politiques sociales regroupent à la fois les dimensions sociales du développement et la protection sociale. Essentiellement, les dimensions sociales du développement, ou encore les dimensions du développement humain, concernent l’accès à l’éducation et à la santé ; alors que la protection sociale désigne à la fois les programmes contributifs comme la sécurité sociale et les programmes non contributifs comme l’assistance sociale.[2] L’accès à l’éducation et à la santé inclus la construction des infrastructures, la gratuité de l’école primaire et/ou secondaire et la gratuité de certains soins de santé pour tout ou partie de la population. En ce qui concerne la sécurité sociale, il s’agit notamment de l’assurance chômage, la pension de retraite et l’assurance maladie. Enfin, l’assistance sociale inclut tout programme non-contributif qui assure un minimum de revenu aux bénéficiaires.

Du lien entre les dimensions sociales du développement et la protection sociale

L’accès à l’éducation et à la santé constitue deux piliers essentiels du développement dans la mesure où il assurent la disponibilité d’entrepreneurs innovants et de travailleurs productifs susceptibles de créer de la valeur ajoutée. Bien que cette assertion soit partagée par tous, il n’en demeure pas moins que le taux brut de scolarisation en Afrique est l’une des plus faibles au Monde, avec 105% en moyenne au primaire et seulement 45% en moyenne au secondaire en 2009.

A moyen égal, la scolarisation au primaire en Afrique n’est pas liée au niveau de vie d’un pays. Cela est notamment dû au fait que le taux brut de scolarisation est proche de la moyenne  dans la plupart des pays. Il semble donc que des progrès aient été réalisés sur l’accès au primaire dans la plupart des pays Africains. Cependant, la réalisation de « l’éducation primaire pour tous » reste liée au niveau de vie.[3] Il en est de même pour la scolarisation au secondaire qui demeure faible avec une moyenne de 45% des enfants en âge d’être scolarisés qui sont effectivement inscrits.

Dès lors, des programmes d’incitation à la scolarisation ont été mis en œuvre dans la plupart des pays avec succès. Comme en témoigne le cas de la Tanzanie et du Burkina-Faso où la construction massive de salles de classes et la gratuité des frais de scolarité a induit une forte augmentation de la participation au cours primaire.[4] Par ailleurs, d’autres programmes ont été mis en œuvre à l’échelle communautaire et ont contribué à augmenter la participation à l’école primaire. Il s’agit par exemple de la distribution gratuite d’uniformes, de livres ou de repas aux élèves Kenyans.

En dépit de ces succès, d’importants défis restent à relever notamment sur la qualité de l’éducation primaire et sur l’accès au secondaire. En effet, les évaluations précédemment citées montrent que ces différents programmes n’ont pas contribué à baisser les taux d’abandons avant la cinquième année et les redoublements. De plus, les efforts sont jusqu’ici limités au niveau primaire, quoique certains pays comme le Burkina-Faso ont récemment étendu le principe de la gratuité au niveau secondaire. Par ailleurs, de précédents articles sur Terangaweb ont également évoqués la problématique de la qualité de l’éducation en Afrique du Sud, au Maroc et en Algérie, et au Bénin.

En ce qui concerne l’accès à la santé, la part du revenu consacrée aux dépenses de santé est élevée dans les pays où l’espérance de vie est faible. Dans ce contexte, les dépenses publiques liées à la santé ne sont pas liées au niveau de vie, ce qui expose davantage les ménages pauvres aux risques de maladies et d’érosion de leurs revenus dans les dépenses de santé. Ce résultat traduit la faible couverture des systèmes d’assurance maladie ; autrement, les dépenses de santé des ménages ne devraient pas dépendre de leur revenu.

En définitive, les performances des dimensions sociales du développement sont étroitement liées à l’ampleur de la protection sociale. En effet, en l’absence d’un système de protection sociale, l’occurrence d’une maladie peut entamer le revenu des ménages et par conséquent leur capacité à scolariser les enfants. Cela conduit globalement à une faible productivité et donc un faible niveau de revenu, qui à son tour entretien la fréquence des maladies et la capacité d’entreprendre. Ce cercle vicieux qui s’installe en l’absence de la protection sociale est confirmé dans le contexte Africain où les données montrent qu’un faible niveau de protection sociale est généralement associé à un faible niveau de revenu, de santé et d’éducation.[5]




 

Georges Vivien Houngbonon

 

Crédit photo : World Bank.


[1] On entend par marché restreint, une économie où la valeur et la fréquence des transactions économiques sont faibles.

[2] Un programme est contributif lorsque le montant de l’allocation dépend de la contribution de l’allocataire.

[3] L’éducation primaire pour tous est un concept défini par l’UNESCO et qui regroupe les composantes accès, qualité, alphabétisation et égalité des genres. Il est mesuré à parti de l’indice de l’éducation pour tous (IDE) qui attribue un poids uniforme à chacune de ces composantes. Le niveau de vie est mesuré par le revenu national brut par habitant à prix constant.

[4] Deininger, Klauss. 2003. “Does cost of schooling affect enrollment by the poor? Universal primary education in Uganda,” Economics of Education Review, 22, 291305.

[5] L’ampleur de la protection sociale est mesurée à partir de la part des personnes de plus de 65 ans couvertes par la sécurité sociale.