Protection de l’environnement : Quel potentiel pour l’approche propriétariste en Afrique ?

Sans titreLes enjeux environnementaux en Afrique sont énormes, du souillage du Delta du Niger au traitement des déchets et des effluents, en passant par la surexploitation des ressources halieutiques des côtes. En matière de protection de l’environnement, l’approche par les droits de propriété a été développée depuis les années 80, en réaction à la fois à l’approche réglementaire et à la nouvelle tradition juridique « Law & Economics » fondée sur le critère de l’efficience. Elle propose un retour à la règle de responsabilité civile et se révèle être une alternative promouvant à la fois le respect des droits, la croissance et l’environnement. Mais qu’en serait-il en Afrique ?

L’approche réglementaire remonte aux travaux de l’économiste Arthur Pigou sur les « externalités négatives » de l’activité économique : pollution de cheminées d’usine, effluents toxiques déversés dans des rivières, pesticides agricoles dans les nappes phréatiques etc. Autant de « déservices » produits par le pollueur de manière annexe à sa production « économique » et pour lesquels il n’y a pas de compensation pour dédommager les pollués. Pigou considérait qu’il y avait là un échec du marché à internaliser le coût dit « social » de la pollution et que le rôle de l’État consistait à rétablir « la vérité des prix » en internalisant ce coût social, en faisant payer le pollueur un montant équivalent aux dommages, par le biais d’une taxe. C’est le principe du pollueur payeur.

Une des critiques adressées à Pigou, notamment par le Prix Nobel d’économie Ronald Coase, est que c’est bien souvent l’intervention de l’État par la réglementation autorisant des activités polluantes, et ce, contre la règle de la responsabilité, qui a encouragé des pollutions, au nom de la croissance, du bien public, de l’emploi etc. La corruption et un certain « capitalisme de connivence » peuvent aussi expliquer cet état de fait – surtout en Afrique.

Ensuite, pourquoi parler d’échec du marché alors que ce dont on parle sont très souvent des « biens libres », non appropriés ? C’est en fait ici la référence, bien connue, à la tragédie des vaines pâtures de Garret Hardin. Lorsqu’une pâture n’est pas appropriée et qu’elle est en libre accès, chacun, même s’il est motivé initialement par un élan vertueux de gestion de la ressource, a intérêt l’utiliser au maximum avant que les autres ne fassent de même et n’épuisent finalement la ressource. Dans tous les cas, l’accès libre génère pour les acteurs, qui « se servent » dans la ressource ou en la polluent allégrement, une incitation court-termiste. L’air ou l’eau d’une rivière sont des biens libres, certains animaux sauvages en liberté sont aussi des bien libres. L’approche propriétariste consiste à développer des droits de propriété là où il n’y en a pas et à les faire respecter – contre les pollueurs et « exploiteurs » – là où il y en a.

L’approche propriétariste se développe aussi en réaction contre la ligne de pensée « Law & Economics », qui pose la « réciprocité » dans la pollution (c'est à dire le fait que j'interdise à une usine de polluer constituerait une sorte de pollution en soi…) et insiste sur l’analyse coût/bénéfice totale, ouvrant la voie à la sacralisation de la maximisation du bien-être social, qui vient à faire l’équation entre justice et efficience. Autant d’idées très problématiques pour un véritable propriétariste, puisque toute la dimension de principe de la propriété est assez rapidement évacuée, au profit d’un calcul d’ingénierie sociale.

Tout le propos de l’approche propriétariste est de réinsuffler de la responsabilité dans les questions d’environnement, notamment par l’outil de la propriété  – la responsabilité lui étant consubstantielle. Un propriétaire a un intérêt à la fois à ne pas polluer sa propriété et à empêcher les autres propriétaires de la polluer, comme ces derniers ont un intérêt à l’empêcher de polluer la leur. Une règle de la responsabilité civile relativement stricte fournit des incitations pour les pollueurs potentiels à être beaucoup plus précautionneux et s’ingénier à trouver des solutions non polluantes.

L’approche propriétariste fait cependant face à certaines limites, notamment en Afrique.

La question de l’appropriation est centrale. Sur un plan technique, il faut rappeler que l’évolution technologique permet l’évolution juridique, non seulement en termes de barrières physique pour « propriétariser » une ressource en restreignant son accès (par exemple pour les éléphants), mais aussi en termes de traçabilité des pollutions pour traquer les responsables. Mais les choses ne sont pas toujours simples et le coût de ces « enclosures » et de leur surveillance n’est pas négligeable : qui va pouvoir payer dans des pays pauvres ?

Sur un plan institutionnel les choses sont aussi problématiques. Les propriétaristes doivent s’inspirer des travaux d’Elinor Ostrom : les cas de « privatisation par le haut » comme de « réglementation par le haut » peuvent mener à des catastrophes. L’absence d’une justice indépendante faisant respecter la règle de la responsabilité est évidemment ici au cœur du problème. Si l’appropriation permet l’émergence d’un capitalisme de connivence entre politiques, juges et propriétaires-pollueurs, elle perd totalement son intérêt.

Ensuite, l’importation de modes de propriété allogènes dans un ordre institutionnel local peut conduire à un « clash institutionnel » entre règles locales et importées, semant la confusion juridique et empêchant en définitive toute clarté et donc toute responsabilisation. La grande leçon africaine, c’est qu’il n’y a pas « un » mode de propriété – celui de la propriété individuelle – comme solution propriétariste. La propriété en commun peut fonctionner si on maximise la responsabilisation des acteurs et qu’on s’adapte au mieux aux conditions institutionnelles et techniques locales. L’approche est résolument décentralisée, « bottom up ». Elle insiste sur le rôle des barrières permettant l’exclusion de la ressource, sur l’existence de règles internes à la communauté pour gérer la ressource, sur le caractère local de ces règles et de la capacité à gérer les resquilleurs.

En dépit de ses limites, l’approche propriétariste offre un potentiel non négligeable en Afrique qui ne devrait pas être ignoré par les amis de la nature.

Article d'Emmanuel Martin, initialement paru sur http://www.libreafrique.org/

Le défi de la sécurité humaine en Afrique

Nous continuons aujourd'hui notre série sur la sécurité en Afrique. Après le panorama de Vincent Rouget sur les conflits armés en 2013, Ndeye Debo Seck s'intéresse au concept de « sécurité humaine » et nous montre que les pouvoirs publics peinent encore à développer des politiques de protection des civils adéquates faces aux nouvelles menaces sécuritaires.

TW_Human SecurityLes défis qui se posent à la sécurité en Afrique sont énormes. Ils ont entre autres noms, sécurité alimentaire, mal-gouvernance,  criminalité, inégalités sociales, emploi des jeunes, faible couverture sociale, changement climatique. Véritables freins au développement économique, ils posent avec acuité le problème de la prise en charge des préoccupations et du bien-être des populations. Au-delà de la défense, de la sécurité publique et du maintien de la paix, une gestion transversale des questions de sécurité est cruciale pour les États et les populations africaines.

Des manquements à la sécurité des civils

En Afrique, la gestion de la sécurité se résume bien souvent à disposer de forces de police et de forces armées. Elles se distinguent notamment dans les opérations de maintien de la paix et la gestion des conflits. Toutefois, les foyers de tension restent vifs où la sécurité des populations civiles est mise en danger. Si la protection des biens et des personnes est en principe au cœur de leurs missions et rôles, parfois, ces forces de sécurité  manquent à leurs devoirs. Elles se distinguent ainsi par leur incapacité à faire face à des agressions.

Prises entre deux feux dans des conflits dont elles ignorent bien souvent les tenants et aboutissants,  les populations civiles paient toujours un lourd tribut. Ce sont à chaque fois des centaines de milliers de déplacés et de réfugiés qui fuient les zones de conflits pour échapper aux pillages, massacres et agressions sexuelles. Les chiffres des viols de masse devenus une véritable arme de guerre donnent froid dans le dos. Pendant le génocide rwandais, entre 300 000 et 500 000 femmes auraient été violées. Au Nord-Kivu, depuis 1996, 500 000 victimes âgées de 18 mois à plus de 60 ans ont été répertoriées.  A cela s’ajoute le phénomène des enfants soldats dans de nombreux pays comme l’Ouganda, la République Démocratique du Congo, la Somalie et le Soudan. D’après les estimations, au milieu des années 2000, près de 100 000 enfants soldats étaient actifs dans diverses zones de conflits, « certains âgés d'à peine neuf ans, étaient impliqués dans des conflits armés exposés à la violence voire à l’esclavage sexuel ».

Autrement, les forces de sécurité sont elles-mêmes impliquées dans des exactions.  En septembre 2009, 157 personnes sont tuées, des centaines blessées et de nombreux viols perpétrés par des « militaires » lors d’une manifestation contre la candidature du capitaine Moussa Dadis Camara à la présidentielle guinéenne. En août 2012 à Marikana, en Afrique du Sud,  des policiers sud-africains tirent sur une foule de mineurs manifestant pour l’augmentation de leurs salaires. 34 d’entre eux sont tués et de nombreux blessés seront poursuivis pour meurtre et tentative de meurtre avant d’être libérés.

Protection civile et sécurité sociale

Face aux incendies, inondations, naufrages, effondrements d’édifices, ou encore explosions, les capacités de relèvement et de résilience des Etats sont souvent mises à rudes épreuves.  Ils peinent alors à établir des mécanismes viables pour prévenir ou atténuer les conséquences des accidents, catastrophes naturelles et désastres écologiques.

La nuit du 26 septembre 2002, vers 23 heures, le bateau Joola sombrait au large de la Gambie, faisant près de 2000 victimes. 64 personnes furent rescapées. Le bateau transportait bien plus que les 550 passagers réglementaires. Lors d’une conférence dans le cadre de la commémoration du naufrage, deux rescapés, Patrice Auvray et Ibrahima Ndaw, qui a perdu trois enfants, dénonçaient un « deuxième naufrage », notamment la lenteur dans la mobilisation des secours et la gestion calamiteuse du dossier des familles de victimes. En effet, les secours officiels ne sont arrivés que le lendemain dans l’après-midi. Une plainte a été déposée par des familles de victimes françaises en France sans que les responsabilités n’aient été situées.

Sur le plan de la sécurité alimentaire, à un an de l’échéance des Objectifs du Millénaire pour le Développement, les prévisions de la Banque africaine de développement (BAD) sont alarmantes.  « L’Afrique ne pourra nourrir que la moitié de sa population d’ici à 2015 ». Pourtant, la sécurité alimentaire figure au rang des priorités et en 2003, les Etats africains s’étaient engagés à investir 10% de leur budget dans l’agriculture. Un engagement que seuls 10% d’entre eux ont tenu. En termes d’accès aux services sociaux de base, il est problématique dans la  majeure partie du continent. L’Organisation internationale du travail révèle que seule 5 % à 10 % de la population active bénéficie d’une couverture sociale en Afrique. Alors que près de 80% de la population n’a pas accès aux soins de santé de base. Les dépenses de santé ne représentent que 4,3 % du produit intérieur brut (PIB) des Etats du continent.  Le fossé est ainsi grand entre des pays comme la Guinée équatoriale où les dépenses de santé s’élevaient à 896 dollars par personne  en 2011 et la Centrafrique ou le Niger où elles ne dépassent pas 16 dollars par habitant.

La sécurité humaine en question 

Pour pallier les besoins colossaux en investissements, une prise en charge supranationale des questions sécuritaires est plus que nécessaire. C’est à cette gestion intégrée qu’appelle le concept de la sécurité humaine développé suite au rapport du PNUD sur le développement humain de 1994. Dans son chapitre « Les nouvelles dimensions de la sécurité humaine », le rapport recommande d’aller au-delà des mécanismes traditionnels de gestion de la sécurité et de prendre en compte la sûreté physique, le bien-être économique et social, le respect de la dignité humaine,  la protection des droits et libertés fondamentales. La sécurité est ainsi pensée par rapport aux conditions de vie des personnes, leur accès à l’emploi et à la santé, la stabilité politique et économique. Sur cette lancée, la Commission sur la Sécurité Humaine a été mise en place en 2000.

Quelle est la place de la sécurité humaine dans le dispositif sécuritaire des pays et institutions africains ? Quelle prise en charge  face à la résurgence de nouveaux défis tels que les effets adverses du Changement Climatique et l’urbanisation galopante ?

Il existe une volonté manifeste de prise en charge des questions de sécurité en Afrique. De nombreuses stratégies et plans ont été mis en œuvre pour prendre en charge la sécurité des biens et des personnes, le maintien de la paix, la sécurité maritime, la gestion de catastrophes naturelles et les changements climatiques. L’Union africaine dispose d’un Conseil de Paix et de Sécurité calqué sur le modèle du Conseil de sécurité de l’ONU.  Le Protocole d’Accord sur la Sécurité, la Stabilité, le Développement et la Coopération adopté en 2002, la Politique africaine commune de défense et de sécurité (PACDS) depuis 2004 et l’Architecture africaine de paix et de sécurité (APSA) sont autant d’instruments de mise en œuvre des mécanismes de veille et d’alerte pour apporter une réponse à la question de la paix et de la sécurité. Au niveau de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), le Mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité de 1999 et le Protocole additionnel sur la Démocratie et la Bonne gouvernance de 2001 servent de cadre à la promotion de l’Etat de droit, de la démocratie et de la bonne gouvernance en Afrique de l’Ouest.  La feuille de route Vision 2020 décline également la stratégie de la CEDEAO pour mettre en place «  une communauté intégrée, un marché commun dynamique, une monnaie unique » et aller au-delà des États, vers une CEDEAO des peuples.  Un atelier sur "la Sécurité humaine en Afrique de l'Ouest: défis, synergies et actions pour un agenda régional" a été tenu en mars 2006. L’atelier a identifié entre autres défis à la sécurité humaine, l’extrême pauvreté, la sécurité alimentaire, la gestion de l’environnement, la gouvernance, la protection et la justice sociales. Le rapport de synthèse recommande  la sécurité humaine et la Protection Sociale comme éthique de gouvernance démocratique et la mise à profit des instruments et institutions disponibles pour la collecte, l’analyse, et l’échange d’informations. La stratégie de développement de la BAD pour la période 2013-2022 a permis la mise en place du fonds, Africa50Fund pour favoriser le financement d’économies à faible émission de carbone et résilientes au changement climatique. Plus globalement, la stratégie entend favoriser une croissance inclusive et durable avec des financements dans des  secteurs tels que les énergies propres et renouvelables, l’accès à l’eau, aux soins de santé.

La formation en matière de gestion de la sécurité est également en pleine essor. Au Burkina Faso, un Institut supérieur d’études de protection civile (ISEPC) a été inauguré en octobre 2012. L’école à vocation régionale est entièrement dédiée à la formation des acteurs confrontés aux problématiques de protection civile dans les pays d'Afrique. Quelques pays disposent de la formation en actuariat et gestion de risques, notamment l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Côte d’ivoire et plus récemment le Sénégal. Elle est souvent incluse dans des cursus dévolus à la Statistique, à l'Économie Appliquée, à l’analyse d’information ou encore à l’analyse financière. Certains instituts proposent un module en prévoyance sociale. En termes de sécurité alimentaire, de protection sociale ou encore de protection civile, les stratégies de relance sont légion. ONG, bailleurs de fonds, société civile, et acteurs sont souvent mobilisés pour apporter des réponses par une gestion intégrée des questions de sécurité alimentaire et de développement durable.

Des actions qui peuvent augurer de lendemains meilleurs pour la sécurité à l’échelle du continent. Reste pour les autorités et les acteurs du secteur à susciter la vocation chez les jeunes étudiants et à se doter des moyens de leurs ambitions par des actions concertées et planifiées et une  distribution idoines des ressources.

Ndèye Débo Seck