Histoire de l’Afrique (3) : le royaume d’Aksoum

L’Ethiopie, sans doute la région la plus anciennement habitée de manière continue par l’homme[1], est également un territoire qui présente une très longue histoire étatique. Nous retiendrons ici en ce qui la concerne la datation de Richard Pankhurst[2] : Préhistoire (période avant -3000 av J.-C.) ; Antiquité (3000 av. J.-C. à 1270) ; Moyen-Age (1270 – début du XVI°)[3]. Les populations éthiopiennes « préhistoriques » s’inscrivent assez rapidement dans les grandes dynamiques d’innovation de l’époque (sédentarisation, agriculture, élevage, commerce de long court, spiritualité et monuments funéraires). Au début de l’Antiquité, les populations éthiopiennes s’organisent autour de trois grandes communautés : Berbarata dans la région nordique, Tekrau (ancêtre communauté Tigré) au centre et Arem au sud (ancêtre communauté Amhara). Ces communautés sont en relations commerciales avec les populations égyptiennes dès le début de l’Ancien Empire, et sans doute avant même sa formation. Les murs du portique funéraire de la reine Hatchepsout (Ancien Empire Egyptien, règne de -1479 à -1457) donnent une représentation des biens importés du Pays de Pount (nom donné par les Egyptiens à l’Ethiopie) : encens, myrrhe, cannelle, or, ivoire, ébène, plumes d’autruches, peaux de panthère et bois précieux.

Un premier processus réussi de centralisation du pouvoir donne naissance au royaume de D’mt (prononcer Damaat) vers 800 av J.-C. Les informations sur ce royaume sont très parcellaires et proviennent essentiellement de sources du royaume sabéen du Yémen, qui entretenait des relations étroites avec D’mt. Il semble que ce royaume ait développé de nouveaux procédés d’irrigation, faisait usage de la charrue et exploitait le fer pour des outils et des armes. L’unité du royaume aurait été brisée trois cents ans après sa formation, donnant naissance à des plus petites entités politiques, desquelles émergera à partir du 1er siècle après J.-C. le royaume d’Aksoum qui réunifiera la région, avant d’en étendre considérablement les frontières.

A son apogée au 1er siècle après J.-C ., le territoire du Royaume d’Aksoum s’étend sur 1 250 000 km², incluant ce qui serait aujourd’hui le nord de l’Ethiopie, Djibouti, le Somaliland, l’Erythrée, une grande partie du Soudan, le sud de l’Egypte, les côtes sur la Mer Rouge du Yémen et du sud de l’Arabie Saoudite. La capitale, Aksoum, est située sur les hauts plateaux du nord-est de l’Ethiopie. Ce royaume a construit sa puissance sur sa maîtrise avancée de sa production agricole (système sophistiqué d’irrigation et de terrassement de pierres à flanc de coteau pour la rétention d’eau, adapté aux particularités géographiques du pays), sur la production/extraction et le commerce de produits primaires précieux (ivoire, or, émeraudes, soie, épices) qui s’appuyait sur le contrôle des grandes routes maritimes de la Mer Rouge et de l’Océan indien à partir du port principal d’Adulis.

La civilisation Aksoum a développé et formalisé une langue de communication, le Guèze (Ge’ez), doté d’un alphabet dès le III° siècle pour sûr, et qui s’est imposée comme la langue des commerçants et des savants pour cette vaste région du monde. Le Royaume d’Aksoum battait également sa propre monnaie, devenue monnaie d’échange bien au-delà de ses frontières, des pièces aksoumites ayant été retrouvées jusque dans le sud-ouest de l’Inde. Son rayonnement et sa puissance étaient particulièrement importants dans les premiers siècles de notre ère, le prophète mésopotamien Mani (216-277) la citant parmi les quatre grandes puissances du monde à son époque, aux côtés de l’Empire romain, de la Perse et de la Chine. Il s’agissait également d’un Etat somptuaire, qui a laissé à la postérité de nombreux monuments comme les obélisques géants, des constructions monumentales taillées dans la pierre, en plus des vestiges de ses importants travaux publics de terrassement. Preuve du dynamisme économique de ce royaume et de la centralisation du pouvoir par une administration entreprenante dont le Negus était la clé de voute.

Le royaume d’Aksoum va muer au rythme des grandes dynamiques globales de l’époque, comme le développement du monothéisme. Le commerçant syrien Frumence aurait introduit le christianisme au sein du royaume et convertit le Negus Ezana dans les années 340. Le christianisme devient religion officielle, faisant du royaume d’Aksoum historiquement le deuxième Etat chrétien au monde après l’empire romain. Le règne d’Ezana, qui se poursuivra jusqu’en 390, coïncide avec les dernières heures de gloire du royaume d’Aksoum.

Le déclin commence véritablement au VII° siècle avec l’expansion de l’Islam qui prive le royaume de son contrôle du Yémen et remet en cause son hégémonie sur les routes commerciales maritimes. Des problèmes environnementaux auraient également contribués à ce déclin, la surexploitation agricole conduisant à un appauvrissement des sols qui, dans une période de diminution des précipitations, aurait provoqué d’importantes famines. Le pouvoir central éthiopien migre et quitte les hautes-terres du nord-est où est située Aksoum pour les terres du centre de l’Ethiopie, où se concentre désormais la production agricole du royaume. Ce déclin, riche en péripéties historiques, voit le rétrécissement progressif de la zone de contrôle et d’influence du royaume d’Aksoum. A la fin du X° siècle, s’impose le fondateur de la dynastie Zagwé qui s’inscrit dans une continuité historique différente de celle de la dynastie salomonienne dont se réclamaient tous les Négus d’Aksoum. Ce changement dynastique marque la fin du royaume d’Aksoum, mais non pas la fin de la présence étatique sur les terres éthiopiennes. Un dirigeant se réclamant de la dynastie salomonienne reprend le pouvoir en 1270, début du Moyen-Age éthiopien.

Cette période de l’histoire éthiopienne se caractérise par le raffermissement du système féodal. Sans doute plus de 95% de la population est composée de petits paysans, dépendants de régimes fonciers qui varient suivant les régions et les époques. Il y avait une grande diversité de systèmes coutumiers, juridiques et politiques sur l’étendue de l’empire éthiopien au Moyen-Age. Mais tous les paysans sont lourdement imposés par une classe rentière composée de l’empereur, de la noblesse, du clergé et d’une lourde administration. Au bas de l’échelle sociale, les paysans sans terres ainsi que les métayers qui devaient, si l’on s’en réfère à la situation de la fin du XIX° siècle, jusqu’à 75% des récoltes aux propriétaires, en plus d’autres impôts et des corvées obligatoires. Bien que sans doute plus complexe car plus étendu et devant faire face à une diversité culturelle et géographique supérieure sur son territoire, le système féodal éthiopien n’est pas sans rappeler celui d’Europe centrale et de l’Est, qui n’a pas permis le développement d’une classe bourgeoise à même d’en réformer les structures comme en Europe occidentale. Contrairement au Royaume d’Aksoum, l’Ethiopie du Moyen-Age n’est plus une grande puissance commerciale, et la division sociale sépare d’un côté les producteurs appauvris ou asservis (l’esclavage y était développé), et les rentiers de tous acabits. Il a manqué à l’Etat éthiopien cette classe de marchands et d’entrepreneurs qui allait permettre à l’Europe de connaitre le grand « bond en avant » de la modernité.

Emmanuel Leroueil

 


[1] : On y retrouve en effet les vestiges les plus anciens au monde de toutes les étapes de l’évolution humaine, qu’il s’agisse de types d’hominidés anciens (5,8 millions d’années) ou des plus anciennes traces connues de l’homo sapiens, l’homo sapiens idaltu (154 000 ans)

[2] : The Ethiopians : A history, Richard Pankhurst, 2001

[3] : La datation de Pankhurst se prolonge avec le XVI° siècle ; la période gonderienne (1632-1769) ; le Zemene Mesafent (1769-1855) ; l’époque moderne (1855-1991) ; l’époque contemporaine (de 1991 à nos jours).