Art contemporain africain au Dak’Art 2016 : coups de coeur

Dak'Art 2016-Art contemporain africain : L'homme clous d'Alexis Peskine


L'homme-clous, d'Alexis Peskine

Pour les amateurs d’art contemporain africain et les artistes, la Biennale de l’Art – Dak’Art est un événement important à inscrire dans les agendas. Ayant lieu tous les deux ans dans la capitale sénégalaise, elle s’étale sur un mois, trente jours durant lesquels Dakar vibre au rythme de la création artistique. Instituée en 1989 par l’Etat du Sénégal (avec une seule édition dédiée aux Lettres en 1990), elle aura pour volet l’art contemporain deux ans plus tard, en 1992, avant de se tourner définitivement vers la création africaine contemporaine en 1996. Sans faire ma chauvine (sisi un peu quand même !), le Dak’Art subsiste vingt – six ans encore, bon an mal an, car c’est l’un des seuls événements ayant lieu en terre africaine qui met à l’honneur les créateurs africains. 

Petite, je ne me rendais pas compte qu’une telle manifestation se tenait dans nos murs. Je passais devant la galerie nationale, qui se situait à quelques encablures de mon ancien collège, en jetant un œil distrait à ce lieu brillamment éclairé et empli de tableaux. Mais en grandissant, j’ai pris la mesure de cet événement de haute facture. Son logo, créé par feu Amadou Sow, peintre, sculpteur et artiste graphique sénégalais, subit à chaque édition une légère modification, mais la trame reste la même.

L’édition 2014 m’avait trouvée en sol sénégalais, et lorsque ma venue au pays a coïncidé avec l’édition 2016, je me suis dit que décidément j’étais bénie des dieux !

 

Réenchanter la ville

Avec comme thème le réenchantement, la 12ème édition du Dak’Art avec comme commissaire Simon Njami, enchante les innombrables visiteurs qui prennent d’assaut les « OFF » dispersés aux quatre coins de la capitale.

"La cité dans le jour bleu", l’exposition phare du Dak’Art, est la première que j’ai visitée. Installée dans l’ancien palais de justice, sis au Cap Manuel, haut lieu symbolique de la vie politique du Sénégal post – indépendance, mais dans un état de décrépitude avancé, regroupe une palette de créations répondant au thème choisi sous fond bleu, pour coller au thème. Salles d’audience réenchantées en galeries d’art, le lieu est méconnaissable et fait peau neuve.

Art contemporain africain - Dak'Art 2016 : trône des dictateurs déchus
Le trône des dictateurs déchus – Dak'Art 2016 – crédits photo Ndeye F. Kane
Homme-clous et souvenirs de dictature 

Au rez – de – chaussée, l’on tombe sur un portrait grandeur nature fait à partir de clous d’un homme qui vous fixe et semble vous suivre du regard à mesure que vous vous déplacez dans l’édifice. Ce portrait, œuvre de l’artiste Alexis Peskine, continue dans la lignée de la création personnelle de l’artiste : l’acupeinture, où les clous, le bois, et la peinture sont mixés pour donner un mélange éclectique. En traversant la cour du bâtiment, l’on accède par une porte mitoyenne à une grande salle où trône un trône recouvert de velours rouge et surmonté d’un aigle doré … Le trône d’un empereur, dirait – on. L’artiste Fabrice Monteiro invite le visiteur à une réflexion autour des dérives du pouvoir. Des hauts-parleurs distillent des bribes de discours de dictateurs déchus tels que Mobutu, Idi Amin Dada … En partant, le visiteur peut laisser quelques mots dans le livre d’or intitulé ‘Vox Populi’ (la voix du peuple) …

A part l’ancien Palais de Justice, l’exposition qu’a proposée l’artiste Pascal Nampémanla Traoré a largement valu le détour. Sise dans une cour en plein centre-ville dakarois et intitulée Daily Report, elle est essentiellement faite de dessins sur papier journal. Le journal, cet élément faisant partie intégrante de nos vies et qu’on jette une fois « consommé », à savoir lu. Pascal lui donne une seconde vie et nous pousse à voir d’un œil nouveau ce support de lecture. Masques, dessins, portraits sont habilement réalisés dans un savant mélange d’encre et de café. L’artiste réussit un coup de maître dans son « café de l’info » au goût doux-amer.

Art contemporain africain - Dak'Art 2016
Galerie Antenna – crédits photo Ndeye F. Kane
L'or du temps 

La Galerie Antenna n’a pas été en reste dans cette programmation du Dak’Art 2016. Située en plein centre-ville dakarois, à quelques encablures du palais présidentiel, elle a offert une intéressante programmation sous le signe de l’or du temps. Papi, jeune artiste sénégalais dont les tableaux revêtent un délicat liseré doré, a exposé ses tableaux dans la galerie. Portraits (notamment du célèbre photographe Malick Sidibé), scènes de vie, tableaux à thèmes ont constitué l’essentiel de sa production mise à disposition chez Antenna. Maud Villaret, jeune artiste française travaillant autour du wax à travers sa marque Toubab Paris, a aussi exposé ses créations dans la galerie. Colliers, broches, bracelets, véritables œuvres d’art mixées avec du jean, des pierres Swarovski pouvaient être admirées dans la galerie. Comme quoi, la galerie ce n’est pas uniquement des peintures et des sculptures !

 

L'art au secours de l'Histoire

Rufisque, ville située à 25 km au sud-est de Dakar, est une localité empreinte d’Histoire(s). Ancienne commune de plein exercice du temps de la colonisation au même titre que Dakar, Gorée et Saint – Louis, elle est dans un état de délabrement avancé. Les édifices coloniaux, vieux de plusieurs décennies, n’ont jamais été restaurés ou même remplacés. Boubacar Touré Mandemory, photographe issu de la ville, mène depuis longtemps un combat de sensibilisation pour la sauvegarde de ce patrimoine historique. Pour les besoins du Dak’Art, il s’est entouré d’un collectif de jeunes photographes. Avec l’appui de la fondation Sococim, les photographies sont exposées au Centre culturel Maurice Guèye et redorent le blason de cette vieille ville qui a vu passer d’illustres hommes tels que le romancier Abdoulaye Sadji.

Ces quelques expositions visitées ça et là à travers Dakar constituent l’essentiel de mes plébiscites pour le Dak’Art 2016. Pour le moment … Car il faut bien que le réenchantement dure encore longtemps, pour coller au thème de cette biennale 2016 !

Histoire de la langue malagasy

Mon intention est de donner un minimum de ce qu’il faut savoir de la langue malagasy actuelle à l’intention du plus grand nombre plutôt que des spécialistes. Force est de constater que la plupart des locuteurs de cette belle langue ignorent son histoire, c’est-à-dire sa formation et son évolution.

Le terme malagasy
Au départ, l’adjectif dérivé du nom de pays Madagascar était madécasse. Ce terme, utilisé pour la première fois par les tribus du Sud de la Grande l’Ile s’est transformé en malagasy, parce que dans cette partie du pays, souvent le son ‘de’ se transforme en ‘le’ ou ‘la’. Les Français arrivés à la fin du XIXe siècle comme colonisateurs ont francisé le mot malagasy, devenu ainsi malgache ! Entre l’adjectif madécasse-malagasy et la francisation «malgache», le rapport (linguistique) n’est pas évident. D’aucuns pensent que «malgache» a été forgé à dessein, peut-être pour donner une connotation péjorative au mot ; «malagasse» conviendrait mieux et serait moins suspect.

Langue et dialectes
Il y a 18 dialectes à Madagascar, un chiffre correspondant au nombre des tribus malagasy. Evidemment, je fais une simplification. Il y a peut-être plus de dialectes que de tribus car dans certaines régions, plusieurs clans font partie d’une même tribu et parlent leurs dialectes. Et toutes les tribus forment une seule ethnie, au sens premier du terme, l’ethnie malagasy. Ces dialectes ont, par définition, un substrat commun mais aussi des traits caractéristiques les distinguant les uns des autres. En termes plus simples, les dialectes malagasy sont des variantes d’une même langue. Elles varient dans l’espace et aussi dans le temps.
Le substrat vient du Pacifique, et fait partie des langues austronésiennes parlées aussi en Asie du Sud-Est. Il a été enrichi, entre autres, par des mots bantus et swahili, mais aussi plus tard des mots anglais et français. Par ailleurs, je suis tenté de trouver des traces sémitiques dans la langue malagasy. Car la structure des mots, par exemple les substantifs par leurs suffixes qui souvent désignent le possessif, fait penser aux substantifs dans la langue hébraïque.

La langue malagasy actuelle
Il y a deux thèses populaires qu’il faut considérer avec prudence. La première développe l’idée de l’existence de plusieurs langues, plutôt que des dialectes, à Madagascar. Or nous savons qu’un Malagasy de l’extrême sud de l’Ile qui va à l’extrême nord, c’est-à-dire à 1600 km de chez lui, parlera correctement le dialecte du nord en quelques semaines. Les difficultés qu’il rencontrera se situent essentiellement au niveau du vocabulaire et de la prononciation. Un exemple peut appuyer cette idée : un texte traduit par les missionnaires lazaristes au XVIIe siècle dans le dialecte Mahafaly, une tribu du sud, aux environs de Tolagnaro actuel, est intelligible aujourd’hui aux autres tribus de l’Ile. Il avait la substance de la langue malagasy commune. La deuxième thèse affirme que le dialecte merina, de l’une des tribus du centre, est devenu la langue officielle de Madagascar. Cette thèse ressemble à une simplification de la formation d’une langue officielle. Certains l’adoptent sans doute par manque d’information.

Le processus de la formation de la langue officielle malagasy suit les mêmes règles qu’ailleurs. Deux exemples suffisent pour l’expliquer. Nous savons que la France a plusieurs langues –plutôt que des dialectes. Le breton est une langue celtique que ses locuteurs partagent en partie avec les Gallois et les Ecossais. Nous pouvons également citer le catalan qui a des affinités avec les langues d’origines latines, l’occitan et bien d’autres langues. Il fallait attendre la Renaissance et surtout la Réforme du XVIe siècle pour que le français devienne la langue officielle et ce, grâce en grande partie à la traduction de la Bible dans cette langue. La traduction de la Bible en français est donc un facteur unificateur car à côté de leurs langues maternelles, les Français parlaient la langue officielle. Nous considérons ainsi le XVIe siècle comme le siècle de l’envol de la littérature française avec comme acteurs principaux Rabelais, Du Bellay, Ronsard, Marot (le protestant), Théodore de Bèze (l’assistant du Réformateur Jean Calvin) et bien d’autres. L’Allemagne a connu le même processus bien avant la France. Grâce à la traduction d’abord du Nouveau Testament par le Réformateur Martin Luther et plus tard de toute la Bible, ce grand pays au départ hétérogène a une langue commune, l’allemand. 

Le cheminement de la langue malagasy
Nous partons donc de l’idée qu’il y a plusieurs dialectes à Madagascar. Ils ont les mêmes origines et gardent le même substrat. Ils se sont progressivement enrichis des mots étrangers, mais souvent pas de la même manière, puisque les dialectes varient, comme nous l’avons dit, dans le temps et dans l’espace. Quand les missionnaires de la London Missionary Society sont arrivés sur la côte est, dans la ville de Toamasina actuelle, la plus grande ville de la région Betsimisaraka en août 1818, ils ont décidé d’aller plus à l’intérieur de la Grande Ile pour arriver à Antananarivo, la plus grande ville de la région Merina certainement pour des raisons stratégiques. Antananarivo était en effet la capitale du Royaume de Madagascar –mais certains royaume n’étaient pas encore acquis à l’unification par le roi Radama I. Pour eux, il fallait y commencer l’œuvre missionnaire.

Ces missionnaires ont entrepris la traduction de toute la Bible en malagasy. En juin 1835, les Malagasy avaient la Bible dans leur langue. Il est évident que le malagasy de la Bible est très proche du dialecte merina par le vocabulaire, les phonèmes, la prononciation et les idiomes, les traducteurs côtoyant quotidiennement les Merina au milieu desquels ils vivaient. Ils étaient aussi proches de la famille royale soucieuse de la sauvegarde et du développement des us et coutumes, et surtout de la langue. C’est d’ailleurs à cette époque que l’Etat a adopté l’alphabet latin au détriment du Sorabe, l’écriture arabe ! Nous pouvons bien imaginer que des mots (et leur graphie) et des concepts ont été inventés, comme au temps de Luther qui traduisait le Nouveau Testament et des réformateurs français qui traduisaient toute la Bible. Comme en Allemagne et en France au XVIe siècle, la littérature malagasy dans sa forme moderne est née grâce en grande partie à la traduction de la Bible. Elle s’est développée et s’est enrichie de nouveaux concepts et de nouveaux mots empruntés ou tout simplement forgés. Actuellement elle est capable de dire l’essentiel.

Un autre cheminement
Nous pourrions imaginer un autre scenario quant au développement de la langue malagasy. Les missionnaires de la LMS auraient pu rester à Toamasina –du nom d’un missionnaire Thomas Bevan, en région Betsimisaraka ! Ils auraient alors traduit la Bible dans un malagasy très proche du dialecte Betsimisaraka, notamment en vocabulaire et en prononciation. Les autres tribus pourraient alors comprendre ce malagasy avec un petit effort de leur part. Le malagasy officiel serait légèrement différent de ce qu’il est actuellement.

Le malagasy de l’avenir
Comme toutes les langues, le malagasy se forme et se forge tout au long de l’histoire. Certes, elle est riche dans certains domaines comme dans les relations humaines, mais elle doit se laisser enrichir par l’apport des dialectes qui ont des termes précis, mais aussi des sons, des diphtongues et des idiomes que la malagasy officiel n’a pas. Les locuteurs de la langue malagasy, actuellement au nombre de 19 à 20 millions, et les éducateurs en particuliers, doivent accepter la dialectique entre le malagasy officiel et le dialecte, entre le développement de cette langue qui unit tous les Malagasy, et la sauvegarde des dialectes qui expriment la diversité dans cette unité. 

 

Solomon Andria

Les conflits du Mozambique (1) : la guerre d’indépendance

A travers cet article, Terangaweb inaugure une nouvelle série dans la rubrique Histoire, dédiée aux conflits qui ont marqué le continent Africain et constituent des moments certes douloureux, mais aussi décisifs. Il s’agira non seulement d’analyser les différentes dimensions de ces conflits, des acteurs impliqués et des conséquences pour les peuples concernés, mais aussi de les replacer dans leur contexte régional et international.

Le Mozambique a connu, durant près de trois décennies, deux conflits particulièrement meurtriers, qui ont non seulement eu un impact fort sur ses habitants, mais aussi sur l’Afrique australe, et au delà, ont constitué un des terrains d’affrontement de la Guerre Froide. Avant de traiter de la guerre civile qui fera rage jusqu’en 1992, il convient de remonter à la lutte indépendantiste, conflit colonial qui dura de 1964 à 1975.

Le contexte : une des plus vieilles colonies du monde 

Présents sur le littoral de l’océan Indien dès 1498 à travers les expéditions de Vasco de Gama, les Portugais  établirent une présence durable dans la région, d’abord avec des comptoirs commerciaux dédiés au commerce des esclaves, puis remontèrent le Zambèze et explorèrent l’intérieur des terres.  Dès le XVIème siècle, des colons s’établirent dans ces territoires, et développèrent la culture du sucre et du coton. En 1752, le territoire du Mozambique sera ainsi doté de sa propre administration, concentrant tous les pouvoirs aux mains des gouverneurs militaires et maintenant les populations locales dans un état de servage.

Néanmoins, et à partir du XIXème siècle, le déclin de leur empire colonial et l’établissement d’autres puissances dans la région (Britanniques et Français), obligea les Portugais à réformer le système. Ils accordèrent à trois compagnies privées le droit d’exploiter les ressources de la majeure partie du territoire pendant cinquante ans. Plusieurs siècles de colonisation maintinrent le Mozambique dans un état de sous développement chronique et sa population dans une situation d’extrême pauvreté.  

Le régime dictatorial de Salazar amorça une nouvelle ère, qui visait à pleinement intégrer le territoire à la métropole. Des organes représentatifs furent mis en place, mais réservés aux seuls colons, et des investissements furent consacrés au développement des infrastructures de la région. Parallèlement, l’émigration Portugaise vers les colonies fut encouragée, ce qui fit passer le nombre de colons au Mozambique de 30.000 en 1930 à 200.000 au début des années 1970. En 1951, alors que les premières revendications autonomistes se font entendre, le Mozambique est proclamé province d’outre-mer par le Portugal.

Le déclenchement de la lutte 

Encouragés par un contexte régional mondial favorable à la décolonisation, des groupes nationalistes voient le  jour pour exprimer  les revendications de la population rurale et illettrée qui forme la majorité des habitants du Mozambique, et réclamant la fin du système colonial. Sous l’impulsion de l’intellectuel Eduardo Mondlane(1920-1969), sociologue formé aux Etats Unis, et avec le soutien de Julius Nyerere et Kwane Nkrumah, un Front de Libération du Mozambique (FRELIMO) est formé le 25 juin 1962 à Dar es Salam (Tanzanie) pour réclamer l’indépendance du pays.

Après deux ans de structuration, et suite à l’échec de tentative de libération pacifique, le FRELIMO décide de déclencher la lutte armée à partir de 1964.Depuis sa base arrière en Tanzanie, il mène des campagnes de plus en plus structurés en territoire Mozambicain. Mais les quelques milliers d’hommes que compte l’aile militaire du FRELIMO demeureront toujours en large infériorité numérique face à l’armée Portugaise, qui déploie jusqu'à 24000 hommes en 1967, et recrute autant de soldats localement.

Les enseignements du conflit

Deux facteurs ont permis au mouvement de se maintenir : le soutien de la population,  influencée autant par la perspective de l’indépendance que par l’idéologique communiste du FRELIMO, et le soutien international dans le contexte de la Guerre Froide. Ainsi, l’Union Soviétique et la République Populaire de Chine livreront des quantités importantes d’armes au mouvement, alors que l’Algérie assurera la formation militaire des combattants.

La guérilla menée par le FRELIMO a également su prendre avantage du terrain accidenté et boisé, ainsi que du climat de la région, en menant des attaques lors des périodes de fortes pluies pour empêcher l’aviation portugaise d’exprimer sa supériorité aérienne. Les mines anti-personnelles utilisées massivement par la guérilla ont  par ailleurs contribué à affaiblir le moral des troupes coloniales et à rendre l’ennemi encore plus insaisissable.

Alors que le conflit s’enlise, le Portugal a su mobiliser ses alliés de l’OTAN pour développer des moyens de lutte anti-insurrectionnelle. En particulier, la mise en place de troupes d’élites rapidement transportables par hélicoptères et l’usage systématique de l’aviation, ont permis aux forces Portugaises de lancer des contre-offensives qu’elles espéraient décisives, telle que l’opération Nœud Gordien en Juin 1970 qui a mobilisé prés de 35000 soldats. Les ratissages de l’armée Portugaise et la politique de regroupement forcée des populations visait par ailleurs à couper la guérilla de son soutien populaire. Cette radicalisation du conflit s’accentue après l’assassinat du leader du FRELIMO Eduardo Mondlane, tué par l’explosion d’un colis piégé déposé dans son quartier général à Dar es Salam.

Le temps de l’indépendance

Après plus d’une dizaine d’années de lutte, la guerre d’indépendance du Mozambique devint une guerre d’usure qui instaura un doute profond jusqu’au sein de l’armée portugaise, des autorités et de la population de la métropole. La légitimité de la lutte anti-insurrectionnelle sera davantage ternie par la révélation de massacres commis par l’armée Portugaise à l’encontre de civils soupçonnés de soutenir le FRELIMO, tel que celui des villageois de Wiriyamu en 1972.

Economiquement, les guerres coloniales (au Mozambique mais aussi en Angola) plombaient les finances du Portugal (40% du budget national) et accentuaient son isolement sur la scène internationale. Ces conflits constituent l’un des facteurs du déclenchement de la Révolution des Œillets  en avril 1974, qui mit fin au régime dictatorial et accorda leur indépendance aux colonies portugaises, plusieurs années après la fin des dernières colonies Britanniques et Françaises sur le continent Africain. C’est ainsi l’armée qui aura menée ce changement politique majeur à partir de la métropole, exténuée par des années d’effort inefficace et déterminée à mettre fin à un dangereux statu-quo colonial en ouvrant des négociations qui déboucheront sur l’indépendance du Mozambique, le 25 juin 1975 (soit 13 ans exactement après la création du FRELIMO).

Avec un bilan de plus de 3500 morts pour l’armée portugaise, 10 000 morts pour les combattants du FRELIMO et  50 000 civils tués durant le conflit, la guerre d’indépendance du Mozambique est l’une des luttes de libération les plus meurtrières du continent, un des fronts de la Guerre Froide et un conflit riche d’enseignements historiques, stratégiques, et humains.  L’indépendance du Mozambique ne fut néanmoins qu’une étape sur le long chemin vers la paix, qui allait passer par une guerre civile longue et particulièrement destructrice.

Nacim KAID SLIMANE

 

 

Le Grand Zimbabwe

Les actuels Zimbabwe et Mozambique sont des foyers de peuplement humain très anciens et actifs, les habitants ayant adopté l’agriculture dès 8000 ans avant J.-C. Au VI° siècle de notre ère, les populations Gokomere s’illustrent par une intense activité d’extraction et de travail de l’or, par leur qualité artisanale dont viennent témoigner des vestiges d’objets en céramique, des bijoux et des sculptures. L’élevage de bovins et l’agriculture y étaient très développés. Il s’agissait d’une population guerrière, qui s’est illustrée dans la construction de forts en pierre, mais également d’une société commerciale connectée à une forme ancienne de mondialisation, puisqu’y ont été retrouvées des poteries chinoises et des objets en provenance d’Inde.

Un long processus de centralisation du pouvoir et de rigidification des strates sociales, basée sur la division du travail (artisans, mineurs, paysans-éleveurs, noblesse guerrière, commerçants) a conduit à une forme de féodalisme avancé, incarné dans un Etat puissant, à l’origine de l’avènement du Grand Zimbabwe, nom qui désigne aussi bien le royaume que l’édifice monumental qui abritait la Cour royale des Shonas. Ce site, achevé au XIII° siècle et qui existe toujours de nos jours, est une ville de pierres étendue sur 7 km² qui abritait jusqu’à 5000 personnes intra-muros. Le Grand Zimbabwe étendait son contrôle sur l’actuel Zimbabwe, l’Est du Botswana et le Sud-Est du Mozambique et y battait sa propre monnaie. Si cette civilisation n’a pas développé son propre alphabet, elle était coutumière de l’arabe, devenu langue d’échange pour les commerçants des côtes est-africaines.

L’océan indien a été le vecteur de nombreuses relations d’échanges de populations, de connaissances et de technologies entre l’Afrique, le monde arabo-musulman, le sous-continent indien et même la Chine. La présence de commerçants arabes et indiens sur les côtes mais également à l’intérieur des terres australes est ancienne. La plupart des villes importantes de ces régions étaient multiculturelles. Le swahili est le fruit de ce métissage entre des langues bantous et l’arabe, et s’est rapidement imposé comme la langue véhiculaire

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[1]par excellence de l’Est africain. Premier partenaire commercial de cette région, la côte ouest de l'Inde exportait principalement des textiles en direction de l’Afrique, et en recevait des objets artisanaux en fer et en or, de l’ivoire, et des carapaces de tortues. L’océan indien était également le théâtre d’un commerce d’esclaves en provenance d’Afrique, principalement des populations pastorales ou de chasseurs-cueilleurs capturées par les populations africaines mieux organisées politiquement et militairement.

C’est également par l’océan indien que les Portugais sont arrivés sur les côtes du Zimbabwe à la fin du XV° siècle, rentrant en contact avec le royaume Shona des Torwa et le royaume du roi Monomotapa, successeurs du Grand Zimbabwe qui s’était délité au cours du XV° siècle.

 

Emmanuel Leroueil

 


[1] : Il s’agit en fait plutôt d’un groupe de langues qui partagent une structure commune forte, leur permettant de communiquer entre elles. Le Kiswahili en est désormais une version standardisée, langue nationale de la Tanzanie, du Kenya et de l’Ouganda.

Histoire de l’Afrique (3) : le royaume d’Aksoum

L’Ethiopie, sans doute la région la plus anciennement habitée de manière continue par l’homme[1], est également un territoire qui présente une très longue histoire étatique. Nous retiendrons ici en ce qui la concerne la datation de Richard Pankhurst[2] : Préhistoire (période avant -3000 av J.-C.) ; Antiquité (3000 av. J.-C. à 1270) ; Moyen-Age (1270 – début du XVI°)[3]. Les populations éthiopiennes « préhistoriques » s’inscrivent assez rapidement dans les grandes dynamiques d’innovation de l’époque (sédentarisation, agriculture, élevage, commerce de long court, spiritualité et monuments funéraires). Au début de l’Antiquité, les populations éthiopiennes s’organisent autour de trois grandes communautés : Berbarata dans la région nordique, Tekrau (ancêtre communauté Tigré) au centre et Arem au sud (ancêtre communauté Amhara). Ces communautés sont en relations commerciales avec les populations égyptiennes dès le début de l’Ancien Empire, et sans doute avant même sa formation. Les murs du portique funéraire de la reine Hatchepsout (Ancien Empire Egyptien, règne de -1479 à -1457) donnent une représentation des biens importés du Pays de Pount (nom donné par les Egyptiens à l’Ethiopie) : encens, myrrhe, cannelle, or, ivoire, ébène, plumes d’autruches, peaux de panthère et bois précieux.

Un premier processus réussi de centralisation du pouvoir donne naissance au royaume de D’mt (prononcer Damaat) vers 800 av J.-C. Les informations sur ce royaume sont très parcellaires et proviennent essentiellement de sources du royaume sabéen du Yémen, qui entretenait des relations étroites avec D’mt. Il semble que ce royaume ait développé de nouveaux procédés d’irrigation, faisait usage de la charrue et exploitait le fer pour des outils et des armes. L’unité du royaume aurait été brisée trois cents ans après sa formation, donnant naissance à des plus petites entités politiques, desquelles émergera à partir du 1er siècle après J.-C. le royaume d’Aksoum qui réunifiera la région, avant d’en étendre considérablement les frontières.

A son apogée au 1er siècle après J.-C ., le territoire du Royaume d’Aksoum s’étend sur 1 250 000 km², incluant ce qui serait aujourd’hui le nord de l’Ethiopie, Djibouti, le Somaliland, l’Erythrée, une grande partie du Soudan, le sud de l’Egypte, les côtes sur la Mer Rouge du Yémen et du sud de l’Arabie Saoudite. La capitale, Aksoum, est située sur les hauts plateaux du nord-est de l’Ethiopie. Ce royaume a construit sa puissance sur sa maîtrise avancée de sa production agricole (système sophistiqué d’irrigation et de terrassement de pierres à flanc de coteau pour la rétention d’eau, adapté aux particularités géographiques du pays), sur la production/extraction et le commerce de produits primaires précieux (ivoire, or, émeraudes, soie, épices) qui s’appuyait sur le contrôle des grandes routes maritimes de la Mer Rouge et de l’Océan indien à partir du port principal d’Adulis.

La civilisation Aksoum a développé et formalisé une langue de communication, le Guèze (Ge’ez), doté d’un alphabet dès le III° siècle pour sûr, et qui s’est imposée comme la langue des commerçants et des savants pour cette vaste région du monde. Le Royaume d’Aksoum battait également sa propre monnaie, devenue monnaie d’échange bien au-delà de ses frontières, des pièces aksoumites ayant été retrouvées jusque dans le sud-ouest de l’Inde. Son rayonnement et sa puissance étaient particulièrement importants dans les premiers siècles de notre ère, le prophète mésopotamien Mani (216-277) la citant parmi les quatre grandes puissances du monde à son époque, aux côtés de l’Empire romain, de la Perse et de la Chine. Il s’agissait également d’un Etat somptuaire, qui a laissé à la postérité de nombreux monuments comme les obélisques géants, des constructions monumentales taillées dans la pierre, en plus des vestiges de ses importants travaux publics de terrassement. Preuve du dynamisme économique de ce royaume et de la centralisation du pouvoir par une administration entreprenante dont le Negus était la clé de voute.

Le royaume d’Aksoum va muer au rythme des grandes dynamiques globales de l’époque, comme le développement du monothéisme. Le commerçant syrien Frumence aurait introduit le christianisme au sein du royaume et convertit le Negus Ezana dans les années 340. Le christianisme devient religion officielle, faisant du royaume d’Aksoum historiquement le deuxième Etat chrétien au monde après l’empire romain. Le règne d’Ezana, qui se poursuivra jusqu’en 390, coïncide avec les dernières heures de gloire du royaume d’Aksoum.

Le déclin commence véritablement au VII° siècle avec l’expansion de l’Islam qui prive le royaume de son contrôle du Yémen et remet en cause son hégémonie sur les routes commerciales maritimes. Des problèmes environnementaux auraient également contribués à ce déclin, la surexploitation agricole conduisant à un appauvrissement des sols qui, dans une période de diminution des précipitations, aurait provoqué d’importantes famines. Le pouvoir central éthiopien migre et quitte les hautes-terres du nord-est où est située Aksoum pour les terres du centre de l’Ethiopie, où se concentre désormais la production agricole du royaume. Ce déclin, riche en péripéties historiques, voit le rétrécissement progressif de la zone de contrôle et d’influence du royaume d’Aksoum. A la fin du X° siècle, s’impose le fondateur de la dynastie Zagwé qui s’inscrit dans une continuité historique différente de celle de la dynastie salomonienne dont se réclamaient tous les Négus d’Aksoum. Ce changement dynastique marque la fin du royaume d’Aksoum, mais non pas la fin de la présence étatique sur les terres éthiopiennes. Un dirigeant se réclamant de la dynastie salomonienne reprend le pouvoir en 1270, début du Moyen-Age éthiopien.

Cette période de l’histoire éthiopienne se caractérise par le raffermissement du système féodal. Sans doute plus de 95% de la population est composée de petits paysans, dépendants de régimes fonciers qui varient suivant les régions et les époques. Il y avait une grande diversité de systèmes coutumiers, juridiques et politiques sur l’étendue de l’empire éthiopien au Moyen-Age. Mais tous les paysans sont lourdement imposés par une classe rentière composée de l’empereur, de la noblesse, du clergé et d’une lourde administration. Au bas de l’échelle sociale, les paysans sans terres ainsi que les métayers qui devaient, si l’on s’en réfère à la situation de la fin du XIX° siècle, jusqu’à 75% des récoltes aux propriétaires, en plus d’autres impôts et des corvées obligatoires. Bien que sans doute plus complexe car plus étendu et devant faire face à une diversité culturelle et géographique supérieure sur son territoire, le système féodal éthiopien n’est pas sans rappeler celui d’Europe centrale et de l’Est, qui n’a pas permis le développement d’une classe bourgeoise à même d’en réformer les structures comme en Europe occidentale. Contrairement au Royaume d’Aksoum, l’Ethiopie du Moyen-Age n’est plus une grande puissance commerciale, et la division sociale sépare d’un côté les producteurs appauvris ou asservis (l’esclavage y était développé), et les rentiers de tous acabits. Il a manqué à l’Etat éthiopien cette classe de marchands et d’entrepreneurs qui allait permettre à l’Europe de connaitre le grand « bond en avant » de la modernité.

Emmanuel Leroueil

 


[1] : On y retrouve en effet les vestiges les plus anciens au monde de toutes les étapes de l’évolution humaine, qu’il s’agisse de types d’hominidés anciens (5,8 millions d’années) ou des plus anciennes traces connues de l’homo sapiens, l’homo sapiens idaltu (154 000 ans)

[2] : The Ethiopians : A history, Richard Pankhurst, 2001

[3] : La datation de Pankhurst se prolonge avec le XVI° siècle ; la période gonderienne (1632-1769) ; le Zemene Mesafent (1769-1855) ; l’époque moderne (1855-1991) ; l’époque contemporaine (de 1991 à nos jours).

Histoire de l’Afrique (2) : l’Antiquité dans la vallée du Nil

La première forme d’Etat en Afrique est celle de l’empire de l’Egypte antique qui, sur trois millénaires (-3500 jusqu’à -31 lorsqu’elle devient une province romaine) et plus de vingt dynasties entre l’Ancien Empire et le Nouvel Empire, a laissé à l’humanité des œuvres qui continuent encore de façonner son imaginaire : les grandes pyramides, les vestiges des tombes pharaoniques les hiéroglyphes, la munificence pharaonique. Toute « civilisation monumentale » s’appuie sur la captation d’un surplus économique important qui peut être réinvesti dans des activités de prestige et dans des infrastructures collectives coûteuses. En l’occurrence, pour l’Egypte antique, il s’agit d’abord d’un surplus agricole tiré des récoltes excédentaires permises par des systèmes d’irrigation très performants. L’empire égyptien produit également un excédent économique lié à son artisanat proto-industriel particulièrement développé. Les roseaux du Nil, matière première abondante, servent par exemple à fabriquer du papyrus (papier), des pirogues, des voiles, des nattes, des récipients ménagers, qui sont vendus sur les marchés locaux et régionaux. Le commerce contribue aussi de manière importante à la richesse égyptienne.

L’excédent économique produit par ces différentes activités est en partie capté par le pouvoir central. Ce dernier s’appuie sur une administration particulièrement sophistiquée. Spécialisée et hiérarchisée, l’administration de l’Egypte antique compte beaucoup de lettrés, les scribes, qui tiennent les comptes et communiquent par écrit pour relier entre elles les différentes composantes de l’empire. Ils édictent des règles pour la gestion des champs, des troupeaux, sur l’entrée et de la sortie des bateaux. Les fonctions régaliennes de la justice, de la sécurité militaire, des affaires internationales, font partie déjà partie des attributions de cette administration. A son sommet, le vizir, sorte de Premier ministre, qui reporte directement au pharaon, qui est à la fois une puissance temporelle et intemporelle, un chef d’Etat et une représentation divine sur terre. Le pharaon s’appuie, dans le cadre de cette dernière fonction, sur un puissant clergé religieux.
La civilisation égyptienne tient sa grandeur et son rayonnement au rôle qu’y a joué le savoir. L’adoption rapide de l’écriture dynamise la diffusion et la reproduction des idées. L’Egypte joue un rôle central dans la production mondiale des connaissances de l’époque, dans le champ de la géométrie, des mathématiques, dans le développement de la médecine ou des techniques d’architecture.

La Nubie: les royaumes de Koush, Napata et Méroé

Plus bas dans la vallée du Nil, en Nubie (Nord-Soudan actuel), s’est développée une autre société agraire complexe organisée en Etat, d’une extrême longévité. La toponymie de cette civilisation change suivant les époques et les dynasties régnantes : on parle de période pré-Kerma (8000 – 2500 av J.-C.), du Royaume de Kerma, du nom de la ville capitale (2500 – 1500 av. J.-C.) puis, après une période de domination égyptienne, du Royaume de Napata (VII° au IV° siècle avant notre ère), et enfin du Royaume de Méroé (300 av. – 350 apr. J.-C.). Durant l’Ancien Empire, les Egyptiens désignaient cette région comme le Royaume de Koush. Cette civilisation est moins connue que la précédente, sans doute parce que ses pyramides sont moins monumentales mais surtout parce que, à notre connaissance, les écritures funéraires de cette région n’ont toujours pas été déchiffrées.

Si la Nubie est moins monumentale que l’Egypte, c’est aussi parce que les conditions de développement y sont plus difficiles : le climat se caractérise par des sécheresses fréquentes, le relief est accidenté et rocailleux, moins propice à l’agriculture que les terres limoneuses égyptiennes. S’y développe toutefois une civilisation nubienne qui se singularise de l’Egypte par ses croyances religieuses, ses constructions et rites funéraires, son écriture, mais aussi par son modèle économique. La Nubie a été le théâtre d’une domestication précoce du bœuf durant la période pré-Kerma qui l’a conduit à une spécialisation dans l’élevage. Mais, surtout, Kerma puis Méroé étaient des villes et royaumes carrefour commercial, qui servaient de liens entre le monde méditerranéen, les tribus nomades des déserts environnants et l’Afrique sub-saharienne. Elles sont donc devenues des plaques-tournantes pour l’échange de produits rares. Cette civilisation a également fait preuve de grands talents militaires (notamment dans l’art des fortifications), rendus nécessaires par un environnement instable et belliqueux. Les Nubiens ont fourni l’essentiel des troupes d’élite de l’empire égyptien. Les rapports entre l’Egypte et la Nubie se sont généralement caractérisés par une suzeraineté exercée par la première sur la seconde. Le royaume de Koush a longtemps été l’arrière-cour de l’Egypte, sa base de repli. Les rapports se sont parfois inversés, notamment pendant les périodes de troubles politiques internes ou d’attaques externes subies par l’Egypte. La XXVe dynastie égyptienne a été fondée par un roi Koush, Piankhy.

L’Etat successeur du royaume de Koush en Nubie, le royaume de Napata, a accru son indépendance vis-à-vis de l’Egypte. C’est en 500 av. J.C. que la capitale du royaume est transférée de Napata à Méroé, plus au Sud. Ce transfert marque le début d’une nouvelle ère de prospérité, liée à l’exploitation du fer et au déclin relatif de l’Egypte voisine, successivement attaquée par les Assyriens, les Perses, les Grecs puis les Romains. Méroé est historiquement le premier centre d’activités métallurgiques d’Afrique. L’utilisation proto-industrielle du fer est l’une des plus grandes avancées technologiques en Afrique durant toute la période des sociétés agraires complexes. Si le fer était présent en Egypte plusieurs millénaires avant J.-C., c’était comme objet de luxe et non comme objet d’usage courant. Ce n’est que vers le VII° siècle avant l’ère chrétienne que les Nubiens exploitent leurs mines de fer pour produire des équipements militaires et agricoles.

Après la chute du royaume de Méroé et sa subdivision en trois royaumes qui marque le début d’une période agitée et de déclin, cette région du Haut-Soudan sera bientôt placée dans la zone d’influence du royaume d’Aksoum (Ethiopie).

Emmanuel Leroueil

Histoire de l’Afrique (1) : l’âge primitif

Historiens et idéologues ont longtemps fait de l’Afrique une « exception » dans l’histoire de l’Humanité. Souvent sur un registre dépréciateur, rengaine trop bien connue sur l’inexistence de civilisations africaines, sur le caractère primitif de l’homo africanus. En réaction, les mouvements modernes de revalorisation culturelle ont eu tendance à essentialiser et porter au pinacle une culture et des modes civilisationnels typiquement africains, et donc exceptionnels. Du fait de l’histoire récente qui a été celle du continent (traite négrière, colonialisme, néo-colonialisme), la question de la revalorisation culturelle des Africains ou, sur une thématique assez proche, des Noirs, est particulièrement sensible. Ce sentiment naturel de revalorisation, s’appuyant sur des faits historiques avérés, n’en présente pas moins le défaut de s’arc-bouter sur des références et des valeurs particularisées, magnifiées, essentialisées, de perdre de vue la perspective générale dans laquelle l’Afrique n’a jamais cessé d’être imbriquée, la dynamique qui a impulsé les évènements passés et façonne notre présent. Se voiler les yeux sur la normalité de l’histoire africaine au sein de l’histoire globale, c’est se priver de la compréhension de sa situation actuelle et des potentialités à venir.

L’Humanité primitive

Les premières traces prouvées de vie humaine, qui remontent selon les estimations entre 7 et 5 millions d’années, ont été trouvées en Afrique, dans la région qui va du Tchad actuel à la Corne de l’Afrique. Les premières étapes de l’évolution humaine s’y sont déroulées, qui ont vu la différenciation des hominidés (Australopithecus africanus) avec des familles de singe biologiquement proche, les premiers nommés se distinguant progressivement des autres par la bipédie, l’usage d’outils de pierre rudimentaires (homo habilis, 3 millions d’années), l’accroissement relatif du volume du cerveau et le développement d’une posture debout continue (homo erectus, 1,7 million d’années). Ces hominidés ont vécu pendant des millions d’années en petits groupes humains de quelques dizaines de personnes, nomades vivant de chasse et de cueillette. De grandes migrations ont eu lieu à partir du foyer africain initial durant ces millions d’années, qui ont vu progressivement les différents continents se peupler d’hominidés, l’homo sapiens apparaissant sur plusieurs continents quasiment à la même époque (200 000 ans).

Il y a environ 50 000 ans, un « grand bond en avant » vient accélérer ce mouvement évolutionniste, jusque-là extrêmement lent, car essentiellement biologique. Les travaux des archéologues mettent à jour sur des sites est-africains des outils de pierre standardisés ainsi que des bijoux, signes d’une systématisation plus poussée des modes d’organisation de ces petites communautés humaines et d’une complexité avancée des relations sociales. 10 000 ans plus tard, la présence d’outils standardisés et de bijoux est également avérée au Proche Orient et en Europe du Sud, soit par un mouvement endogène de découvertes congruentes entre ces différents groupes éloignés géographiquement, soit par transmission de connaissance du fait des migrations.

Les débuts de la domestication de la nature par l'homme

Le second « grand bond en avant », lié à l’usage de l’agriculture et de l’élevage, est encore plus déterminant pour la suite de l’évolution de l’Humanité. Il a lieu vers 11 000 av J.-C., époque correspondant à la fin du dernier âge glaciaire. L’agriculture et l’élevage marquent le début de la domestication de la nature par l’homme. Le biologiste américain Jared Diamond remarque : « L’essentiel de la biomasse (matière biologique vivante) de la terre est constituée de bois et de feuilles, en majeure partie indigestes. En sélectionnant et en cultivant les rares espèces de plantes et d’animaux comestibles, en sorte qu’ils forment non plus 0,1%, mais 90% de la biomasse sur un arpent de terre, nous obtenons beaucoup plus de calories et pouvons donc nourrir bien plus de pasteurs et de paysans – de dix à cent fois plus – que des chasseurs-cueilleurs. La force numérique brute a été le premier des multiples avantages militaires acquis par les tribus productrices de vivres sur les tribus de chasseurs-cueilleurs. » (Jared Diamond, De l’inégalité parmi les sociétés, 1997).

Avec l’agriculture et l’élevage, les hommes se sédentarisent, les communautés humaines s’agrandissent, se complexifient avec le début d’une division sociale du travail, et les premières organisations pré-étatiques (tribus, chefferies) se développent. L’agriculture offre un bon exemple d’un processus catalytique, qui alimente d’autres dynamiques qui se renforcent mutuellement dans un cycle de rétroactions positives et produisent ainsi une réalité nouvelle. Grâce à une meilleure alimentation, la population augmente, la division du travail au sein de communautés élargies renforce les capacités techniques (irrigation, outils agricoles et d’élevage, commerce de troc), qui améliorent la productivité de l’agriculture, laquelle impacte de nouveau la démographie, et ainsi de suite. Les estimations démographiques du passé font ainsi état d’une population mondiale de 10 millions d’habitants en 10000 av J.-C., qui s’élève ensuite à 200 millions d’habitants au début de l’ère chrétienne, puis à 1 milliard au début de la révolution industrielle, en 1800. Les principales limites au processus catalytique agricole ont sans doute été liées à l’aléa climatique (les sécheresses causant régulièrement des famines meurtrières), biologique (bactéries, maladies) et à la frontière technologique des techniques agricoles primitives et antiques, qui a rapidement limité la productivité agricole. A petite échelle géographique, la loi de Malthus, selon laquelle l’expansion de la population et donc des besoins alimentaires conduit à l’exploitation de terres agricoles de moins en moins bonne qualité, aux rendements décroissants, a également limité le processus de catalyse agricole. Si la croissance démographique est supérieure à la croissance des capacités de production agricole, vient un moment où une partie de la population meurt de faim ou est obligée de migrer au loin.

L’agriculture serait initialement apparue dans l’Asie du Sud-Ouest, dans ce qui sera appelé plus tard le Croissant fertile ou le Proche-Orient. Il semblerait qu’en Afrique, notamment dans la région du Sahara, l’une des régions d’Afrique les plus habitées au Néolithique, verdoyante et irriguée par des lacs importants, les hommes aient d’abord domestiqué des animaux avant de domestiquer des plantes. Au Néolithique, ces « chasseurs négroïdes du Sahara néolithique », selon l’expression de Cheikh Anta Diop, sont parvenus à domestiquer certains animaux, et développent un mode de vie pastoral. La désertification progressive du Sahara les aurait poussés à migrer vers le bassin du Nil, où ont été découvertes les premières traces de sédentarisation de communautés humaines élargies et la preuve d’une production agricole en Afrique. En 6000 av J.-C., on retrouve en Egypte et dans la région de l’actuelle Ethiopie des cultures agricoles du Croissant fertile (blé, orge), mais aussi des traces de légumes locaux comme le chuffa, preuves de l’imbrication de l’Afrique aux grandes dynamiques globales de l’évolution humaine. A la même période, des communautés du Sud-Est de l’Europe et de l’Asie du Sud-Est adoptent également la production agricole.

Le centre névralgique de l’humanité, le moteur de l’évolution globale, se trouve alors au niveau du Croissant fertile avec pour prolongement la vallée du Nil. C’est dans cette région qu’apparaissent les premières chefferies, organisations rationalisées de sociétés humaines complexes de plusieurs milliers d’habitants. Le processus de catalyse précédemment décrit se prolonge en rétroactions positives entre d’une part des méthodes d’organisations ainsi rationalisées (irrigation, développement des techniques agricoles, diversification et amélioration de la qualité des plants, division du travail au sein de la communauté, capacités guerrières renforcées), la productivité alimentaire et la démographie. Ces sociétés humaines se complexifient et se développent, passant du stade de tribus à celui de chefferies, pour ensuite atteindre celui d’Etats. La Mésopotamie aurait donné à l’histoire la première forme constituée d’un Etat autour de 3700 av J.-C. Peu de temps après, les « populations négroïdes » du bassin du Nil fondent l’Egypte antique, la première dynastie de l’Ancien Empire étant historiquement située à 3500 av J.-C. Il faudra encore attendre 1500 ans pour que des Etats apparaissent dans les Andes, en Chine et en Asie du Sud-Est, et quasiment 2000 ans pour qu’ils s’implantent en Afrique de l’Ouest.

 

Emmanuel Leroueil