Pour une couverture médicale efficace en Côte d’Ivoire

CMU

Les systèmes de protection sociale lorsqu'ils fonctionnent bien, ont le double avantage d'assurer une redistribution optimale des ressources et d’inciter la population à augmenter sa propension à consommer pour relancer l'économie. En effet, lorsque le système de protection sociale d'un pays est défaillant, les ménages ont tendance à épargner à titre privé pour prévenir les risques sociaux. Ce qui conduit à une faiblesse de la demande interne et donc à une forte dépendance de l'économie à des chocs externes.

Consciente de cette réalité, la Côte d’Ivoire s’est engagée au cours des dernières années à développer un système de protection sociale fiable. Ainsi, après les difficultés de mise en oeuvre du projet d’Assurance Maladie Universelle (AMU) par le précdent gouvernement, le nouveau gouvernement ivoirien a développé le concept de Couverture Maladie Universelle (CMU) pour promouvoir un système de protection sociale ; la lettre « A » du projet précédant étant remplacé par le « C ». Suite à l’adoption par l’Assemblée Nationale en mars 2014 du projet de loi instituant la CMU, le gouvernement ivoirien a sélectionné en octobre 2014, une société chargée d’enrôler les assurés. L’opération d’enrôlement devrait débuter le 29 décembre 2014.

Cette étape cruciale démontre que le pays a atteint un point de non retour dans le processus de déploiement d’un système de couverture maladie. Toutefois, l’instauration de ce « pacte social » suscite autant d’espoirs que de doutes. En effet la réussite de ce projet passera par la capacité du pays à relever les trois grands défis suivants : la qualité des prestations médicales, une structure de financement optimale et une gestion rigoureuse et efficace.

1. Le défi de l’amélioration de la qualité des prestations médicales

Les ivoiriens ont encore en mémoire la tragique épisode de la jeune mannequin Awa Fadiga décédée en mars 2014 au CHU de Cocody (Abidjan) où elle avait été évacuée d’urgence suite àune agression. Cette mort que ses proches mettent à tord ou à raison au passif du personnel médical accusé de négligence, avait mis en ébullition la société civile, obligeant le gouvernement ivoirien à présenter ses condoléances à la famille éplorée et à limoger le Premier Responsable de la structure concernée. Tout récemment, c’est au tour du célèbre rappeur ivoirien Stézo d’enfoncer le clou en attribuant le décès de son ami et challenger de longue date Almighty survenu en novembre 2014, à la piètre qualité du service du CHU de Treichville (Abidjan) où ce dernier s’était rendu pour recevoir des soins suite à une simple crise de paludisme.

Ces difficultés auxquelles font faceles établissements sanitaires, en matière de prise en charge des patients, constituentle premier défi auquel devrontfaire face les autorités ivoiriennes pour réussir le projet de la CMU. En effet, la pérennité du système repose avant tout sur la satisfaction des affiliés. Ainsi, le gouvernement devra renforcer sa politique en matière de santé, notamment :

  • Renforcer le personnel médical : Selon l’OMS, la Côte d’Ivoire affiche un ratio de personnels de santé (médecins, d'infirmiers et Sages-Femmes) par habitants de moins de 7/10 000 alors que la norme mondiale est de 25/10 000. L’Etat devra donc recruter en nombre suffisant, des agents de santé qualifiés dotés du sens de probité qui s’attachent à respecter le serment d’Hippocrate qu’ils ont prêté.

  • Equiper les hôpitaux en matériels de pointe: Le développement technologique de ces dernières années a permis de mettre à la disposition du secteur de la santé, des équipements sophistiqués de tout genre permettant de faciliter le travail des professionnels de la santé. Le pays devra donc renforcer son matériel médicalafin d’offrir des services de qualité aux patients.

  • Multiplier le nombre d’établissement de santé: l’accès aux structures de santé demeure toujours difficile pour les populations, notamment en zone rurale. Certaines populations continuent de parcourir plusieurs kilomètres pour recevoir les premiers soins dans un établissement de santé digne du nom. Il est dès lors impératif, afin d’assurer le succès de ce projet, de doter le pays d’infrastructures suffisantes, et plus proches des populations,

Ces actions qui nécessitent des investissements colossaux appellent à des moyens novateurs pour assurer leur financement, une question déjà abordée dans un article de Nelly Agbokou[1].

2. Le défi du financement optimal de la caisse de la CMU

Nul doute que le défi du financement de la future caisse de solidarité, demeure un enjeu crucial pour le succès de ce projet. Dans un contexte où le budget de l’Etat est limité, le gouvernement devra faire preuve d’une grande imagination pour trouver les fonds nécessaires à l’alimentation de la caisse de la CMU. Différentes options sont envisagés. Le système de la CMU tel que conçu par le gouvernement, propose deux régimes : un régime contributif et un régime non contributif.Le premier (contributif) propose aux populations, une offre de soins contre une contribution forfaitaire mensuelle de 1000 FCFA par assuré. Ceci soulève deux problématiques majeures. Les populations pourraient avoir bien de mal pour s’acquitter de ce montant. En effet, le taux de pauvreté[2] avoisine 49% en Côte d’Ivoire : près de la moitié de la population gagnerait en moyenne moins de quinze mille francs CFA (15 000 FCFA) par mois. Ainsi, consacrer 1000 F, soit 6,5% de leur revenu mensuel au financement d’une quelconque assurance santé, serait un trop grand sacrifice pour eux. Aussi, l’administration pourrait bien avoir du mal à recouvrer les cotisations. Dans un contexte où le taux de bancarisation est très faible (12%), la solution d’un prélèvement automatique sur comptes bancaires ne ferait pas sens. Il faudrait alors mettre en place un système de recouvrement innovant et efficace pour collecter les fonds dans les délais auprès des assurés.

En ce qui concerne le régime non contributif qui s’adresse aux personnes en situation d’indigence, l’Etat s’engage à injecter dans les caisses de la CMU une somme forfaitaire annuelle qui pourrait aller jusqu’à 50 Mds FCFA. Ceci souligne la nécessité pour l’Etat de centraliser les nombreux fonds existants et éparpillés sous diverses formes (Programme Présidentiel d’Urgence (PPU), Fonds d’entretien routier, Fonds d’Investissement en Milieu Rural (FIMR) etc.) en créant un fonds unique tel que discuté dans un article précédent[3], pour en assurer une gestion optimale et en tirer les ressources nécessaires pour financer de tels projets en plus d’investir dans des PME.

Par ailleurs, il peut également être envisagé de prélever une somme sur le bénéfice des entreprises privées qui réalisent de supers-profits au titre de leur contribution à la solidarité nationale. Toutefois, il convient de bien ficeler cette politique pour éviter de tomber dans le cercle vicieux que l’économiste Arthur Laffer caricature en disant « trop d’impôts tue l’impôt »

3. Le défi d’une gestion rigoureuse et efficace de la CMU

Pour qu’un système de protection sociale soit viable, il est indispensable d’assurer la bonne gestion des réserves issues des cotisations des assurés afin d’éviter les crises de liquidité. La plupart des caisses de prévoyance sociale qui fonctionnent correctement procèdent à des investissements dans des actifs rentables afin de dégager des surplus. Ceci permet d’assurer à la fois le paiement des droits des affiliés à temps et de disposer d’une marge pour la gestion des dépenses de fonctionnement courant.

Cependant, dans nombre de pays africains, l’Etat a en général une forte ingérence dans la gestion des caisses de protection sociale et a souvent tendance à utiliser ces ressources pour financer des dépenses publiques qui n’ont aucun lien avec les problématiques de protection sociale. Par ailleurs, certaines institutions de sécurité sociale procèdent à de mauvais choix d’investissement en achetant des actifs peu rentables. Ces opérations contre-productives conduisent à une destruction des ressources collectées ; ce qui conduit à de fréquentes crises de liquidité.

Cette politique de gestion approximative liée à une mauvaise gouvernance entraine naturellement des désagréments liés au retard ou au non paiement des droits ; ce qui contribue à fragiliser la confiance entre les assurés et les institutions de prévoyance sociale.

En vue de bâtir une institution de protection sociale crédible, capable d’inciter la population à souscrire aux prestations qui leurs sont proposées, l’Etat de Côte d’Ivoire devra veiller à mettre en place un écosystème de bonne gouvernance en désignant des dirigeants compétents et intègres à la tête de la caisse de la CMU.

En définitive, la Côte d’Ivoire qui aspire à l’émergence, comme nombre de pays africains, devrait s’assurer que les trois préalables sus mentionnés c'est-à-dire l’amélioration de la qualité des services de santé, la mise en place d’une structure de financement optimale et la bonne gouvernance, sont assurés afin de réussir à développer avec succès sa politique de couverture maladie universelle.

Lagassane Ouattara


[2]le pourcentage de la population qui gagne moins d’un dollar (environ 500 FCFA) par jour