Création de la monnaie unique de la CEDEAO : entre fantasmes et réalités

CEDEAOLongtemps évoqué dans les débats publics, le projet de création de la monnaie unique de la  CEDEAO semble se préciser de plus en plus. Après avoir dressé les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de cet ambitieux projet, cet article lance une réflexion sur les conditions à réunir pour la construction d’une solide zone monétaire ouest africaine à même de booster le développement de la région.

1. La monnaie unique de la CEDEAO : un vieux projet qui peine à se concrétiser

Dès la création de l’institution en 1975, l’idée de la mise en place d’une monnaie unique était déjà inscrite dans la vision des pères fondateurs de la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest)[1]. Les premières véritables initiatives n’ont été prises qu’à partir de 1996 avec la création de l’Agence monétaire de l’Afrique de l’Ouest (AMAO). Regroupant les huit banques centrales de la CEDEAO (la BCEAO et les sept banques centrales des pays non membres de la zone franc d’Afrique de l’ouest), l’AMAO qui avait pour mission de piloter la conception et la mise en œuvre opérationnelle de l’ambitieux projet est malheureusement restée inactive pendant les trois premières années suivant sa création. Dans ce contexte, réaffirmant  fermement leur volonté de doter l’Afrique de l’Ouest d’une monnaie unique, les Chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO réunis à Lomé en 1999 ont défini une stratégie dite « approche accélérée de l’intégration » qui vise justement à donner un coup d’accélérateur à ce projet qui commençait à s’enliser. Avec l’adoption de cette nouvelle stratégie, la feuille de route de la création de la monnaie CEDEAO prévoyait deux grandes étapes. Dans un premier temps, les pays non membres[2] de la « zone franc » doivent créer une zone monétaire unique qui fusionnera par la suite avec la zone UMOA (Union Monétaire Ouest Africaine)[3] déjà existante. Ainsi, en 2000, cinq pays (Gambie, Ghana, Guinée, Nigéria, Sierra Leone) non membres de l’UMOA ont défini les bases d’un projet de zone monétaire commune dénommée ZMAO (Zone monétaire d’Afrique de l’Ouest). Depuis cette date, malgré l’appui apporté par les institutions sous-régionales, ce projet n’a pas connu d’avancée majeure. Face à cet immobilisme, et compte tenu du fait que l’avènement de la zone monétaire unique CEDEAO est subordonné à la mise en place de la ZMAO, le conseil des ministres de la CEDEAO réuni en cession extraordinaire à Abidjan en septembre 2013 a exhorté les cinq pays concernés à prendre les dispositions nécessaires en vue de déployer leur projet avant la fin de l’année 2015. En dépit de cette pression supplémentaire, le projet semble encore en gestation à cinq mois de l’échéance fixée ; ce qui amène certains observateurs à proposer de créer la monnaie unique de la CEDEAO sans passer par l’étape intermédiaire de la ZMAO qui alourdit finalement le processus. En tout état de cause, au regard des balbutiements qu’a connu cette initiative depuis son lancement au milieu des années 1990, il est difficile à ce jour d’affirmer que le calendrier initial qui était d’aboutir à la mise en circulation de la monnaie unique de la CEDEAO à l’horizon 2020 sera respecté.

2. D’importants défis restent encore à relever avant le lancement du projet

Le rappel historique présenté dans le paragraphe précédent montre bien que les pays membres de la CEDEAO ont du mal à observer une discipline minimale pour décliner opérationnellement le projet de création de la zone monétaire. Au delà de ces difficultés administratives et techniques qui plombent le démarrage du projet, d’importants défis stratégiques et politiques préalables à la mise en œuvre réussie d’une zone monétaire n’ont jusqu’à présent pas été sérieusement traités, laissant ainsi de nombreuses questions fondamentales sans réponses concrètes dont les plus importantes sont présenté ci-dessous.

  • Un contexte socio-économique peu favorable au succès d’une monnaie commune : à quelques années seulement de la date buttoir prévue pour le lancement de la monnaie, une analyse rapide du contexte économique et social de la région permet de s’apercevoir que les conditions minimales pour le succès d’une zone monétaire restent à construire. En effet, presqu’aucun des quatre critères[4] d’une zone monétaire optimale définis par le prix Nobel d’économie Robert Mundell, ne semble rempli au sein de la CEDEAO. Dans ce contexte, la communauté a défini un ensemble de critères de convergences[5] à respecter par les Etats membres avant la mise en place de la monnaie unique. Ces critères essentiellement composés d’objectifs économiques, que les pays ont d’ailleurs du mal à respecter, devraient être renforcés par des indicateurs sociaux afin d’aboutir à une zone monétaire plus optimale (voir cet article de Georges).
  • La suppression de la zone franc, une question en suspens : la création de la zone monétaire de la CEDEAO implique la disparition du Francs CFA, une monnaie que se partagent des anciennes colonies de la France depuis plus de 70 ans sous le contrôle de la métropole. Au regard du rôle important que joue la zone francs dans sa stratégie de conquête des économies africaines, il est évident que la France opposera une farouche résistance quand il sera question de supprimer cette monnaie. Et paradoxalement, bien qu’étant conscients de cette réalité, les pays membres de l’UMOA restent inactifs et ne se sont  visiblement pas encore décidés à mettre en place une feuille de route claire pour une sortie réussie du système du FCFA.
  • Aucune visibilité sur le régime de change envisagé : Enfin,mais pas des moindres, alors que la CEDEAO semble impatiente de mettre en circulation sa future monnaie unique, la question fondamentale du régime de change (fixe, flottant ou mixte) n’est pas encore clairement tranchée.

3. Le rationnel de la création de la zone monétaire devrait être guidé par la « raison » plutôt que la « passion »

Que la CEDEAO exprime un vif intérêt pour une monnaie régionale au moment où la zone Euro affiche un bilan mitigé près de quinze ans après le lancement de sa monnaie commune (l’Euro) est une bien curieuse coïncidence qui suscite réflexion. Quelles sont alors les motivations d’une telle initiative et que peut-elle apporter à la région ? De fait, au delà d’une simple expression des velléités souverainistes et révolutionnaires, pour qu’elle soit porteuse de synergies positives, la décision de  création de la zone monétaire doit avant tout être fondée par une volonté d’accélérer et d’améliorer l’intégration économique de la sous-région. En effet, les revendications de souveraineté bien qu’étant nobles, relèvent du politique et donc de l’émotionnel, ce qui peut parfois conduire à la déraison. Ainsi, le projet de création de la monnaie unique doit être considéré comme un processus normal de l’intégration des peuples d’Afrique de l’Ouest et non pas un quelconque défi lancé à des puissances étrangères. Cela suppose de traiter la question avec toute la rigueur qui s’impose en abordant avec minutie et intelligence l’ensemble des défis techniques et stratégiques préalables au succès de toute zone monétaire. C’est uniquement à ce prix que l’avènement de la zone monétaire de la CEDEAO pourrait catalyser le développement des pays membres en produisant des avantages tels que  l’accroissement du commerce intra-régional, la réduction des coûts de transaction, la maitrise de l’inflation, la protection contre la dévaluation etc.

En définitive, si elle parvient à surmonter les obstacles se dressant sur le chemin de la mise en place de sa monnaie unique, la CEDEAO qui reste d’ailleurs un modèle d’intégration réussi en Afrique notamment avec son passeport unique garantissant une libre circulation des personnes, marquera un grand pas dans le processus d’émergence de ses pays membres. Toutefois, pour éviter un effet de massue, il est important de dépassionner les débats en mettant l’accent sur les aspects économiques de sorte à pouvoir construire sereinement une zone monétaire solide reposant sur des fondamentaux inébranlables.

Lagassane Ouattara


[1] La CEDEAO comprend 15 pays : Nigéria, Ghana, Sierra Leone, Guinée, Libéria, Cap Vert, Gambie, Côte d’Ivoire, Sénégal, Burkina Faso, Niger, Mali, Togo, Benin, Guinée Bissau

[2] Les pays ouest africain non membres de la zone francs (Nigéria, Ghana, Siera Leone, Guinée, Libéria, Cap Vert, Gambie) possèdent chacun une monnaie, soit un total de 7 différentes monnaies.

[3] L’UMOA (Union et Monétaire de l’Afrique de l’Ouest) est une organisation sous-régionale qui regroupent huit pays (Côte d’Ivoire, Sénégal, Burkina Faso, Niger, Mali, Togo, Benin, Guinée Bissau) de l’Afrique de l’Ouest ayant en commun une monnaie dénommée « Francs CFA » héritée de la colonisation française. Cette monnaie est gérée par la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO)

[4] Les critères d’une zone monétaire optimale selon Robert Mundell : une parfaite mobilité des travailleurs, un mouvement libre des flux de capitaux, une économie suffisamment diversifiée et un système fiscale commun facilitant le transfert des capitaux d’un pays à un autre

[5] Les 4 principaux critères de convergences de la CEDEAO : Equilibre budgétaire/PIB >= -4% ; taux d’inflation<=5% ; Réserves brutes >=6 mois ; Financement du déficit budgétaire par la Banque centrale par rapport aux recettes fiscales de l’année précédente <=10%

Pour une baisse du coût du crédit au sein de l’UEMOA

fonds-souverainsDe nombreux observateurs soutiennent que les banques de la sous-région ouest-africaine affichent une situation de surliquidité structurelle. Pourtant, l’offre de crédits au sein de l’espace UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest Africaine)  reste l’une des plus chères au monde. Au deuxième trimestre de l’année 2014, le taux débiteur moyen, hors taxes et charges, pratiqué par les banques de l’UEMOA était de 7,16%. Même si ce taux a connu une légère baisse par rapport aux deux dernières années, il reste encore au-dessus des taux pratiqués dans certaines zones monétaires des pays émergents et développés. Dans le rapport annuel sur la zone franc produit par la Banque de France en 2012, le taux d’intérêt débiteur moyen hors taxes et charges de l’UEMOA était de 8%, contre 6,3% et 3,8% respectivement au Maroc et en France; soit des différentiels  de taux de 1,7  et 4,2  points.

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Evolution des taux debiteurs moyens (hors taxes et charges) des banques de l UEMOA. Source : BCEAO – Rapport annuel de la Commussion Bancaire

En prenant en compte les taxes et charges rattachées à l’obtention d’un prêt, le coût total du crédit supporté par un emprunteur de l’espace UEMOA varie en moyenne entre 10% et 15% selon les pays. Face à ces taux exorbitants qui défient toute rationalité, de nombreux demandeurs potentiels de crédits renoncent à recourir aux banques ; ce qui contribue à baisser la consommation et l’investissement, pénalisant ainsi la relance de l’économie. Pour comprendre le rationnel qui pousse les banques à proposer des taux élevés, il convient d’en rappeler les déterminants. Le taux d’intérêt représente le prix du temps (durée du prêt) et du risque (de non remboursement) que la banque prend en octroyant un crédit. La valeur du temps étant théoriquement la même dans toutes les régions du monde, la seule variable explicative des différentiels de taux reste le « risque », qui est une notion renfermant plusieurs facteurs  (politique, économique, psychologique etc.). Ainsi, le coût exorbitant du crédit dans l’UEMOA peut s’expliquer par différents facteurs dont nous présentons ci-dessous ceux qui nous semblent les plus significatifs :

  • l’instabilité socio-politique et économique : Toutes les institutions financières du monde intègrent systématiquement le risque pays dans la valorisation des coûts des crédits qu’elles octroient à leurs clients. Ainsi, le marché du crédit de l’UEMOA subit depuis plusieurs années, le double effet de l’instabilité socio-politique et la fragilité de l’économie de la région. Le retour relatif de la stabilité politique (avec la fin de la crise en Côte d’Ivoire et la défaite des terroristes au nord du Mali) ainsi que le regain de vitalité économique dans la région ne sont pas suffisants pour rassurer les institutions financières. Il faudra plusieurs décennies consécutives de stabilité politique et de croissance économique pour changer la perception du risque.
  • le taux directeur de la BanqueCentrale: Le taux directeur est le taux auquel les banques empruntent auprès de la BCEAO. Plus ce taux est élevé, plus les taux accordés aux clients finaux à l’autre bout de la chaine l’est. Pendant longtemps, les taux directeurs étaient restés élevés au sein de l’UEMOA. Mais au cours des dernières années, la BCEAO a envoyé des signaux forts au marché. Entre 2009 et 2015, le taux de guichet de prêt marginal de la BCEAO est passé de 4,75% à 3,50%. Toutefois, les canaux de transmission entre taux directeurs et taux débiteurs dans la zone étant faibles, la baisse des coûts financiers pour les emprunteurs reste très limitée suite à un changement de politique de la BCEAO.
  • un déficit  d’informations fiables entrainant une mauvaise appréciation du risque : Dans les pays de l’espace UEMOA, les banques disposent de très peu de leviers pour évaluer le profil de risque de leurs clients (localisation géographique, solvabilité financière, situation sociale etc.). La centrale de bilan de la BCEAO, qui est sensé fournir une banque de données significatives aux institutions financières leur permettant d’apprécier de manière objective la situation des clients, connait des disfonctionnements structurels. Ainsi, l’absence de visibilité sur le profil de risque des emprunteurs potentiels conduit d’une part à une réticence des banques à prêter et d’autre part à une hausse des coûts des prêts octroyés. Pour remédier à cette situation, la BCEAO a entrepris de déployer des Bureaux d’Information sur le Crédit, qui sont des structures qui collectent et compilent des informations sur les antécédents de crédit ou de paiement d'un emprunteur. Ceci devrait permettre d’atténuer l’asymétrie d’information et rassurer ainsi les banques qui pourraient revoir leurs taux à la baisse.
  • une défaillance juridique et institutionnelle : le niveau élevé du coût du crédit peut également s’expliquer par la difficulté qu’ont les régulateurs du secteur bancaire à imposer leur autorité aux banques de la région. Le Conseil des Ministres de l’UEMOA a vaguement fixé le taux d’usure (niveau maximum de taux praticable) à 15%  sans qu’il n’y ait de mécanisme précis de contrôle des conditions de fixation des taux appliqués par les banques. Ainsi, les banques disposent d’une large marge de manœuvre pour maximiser leur gain. L’important écart de 6,5% à 11,5% entre les taux auxquels les banques empruntent auprès de la BCEAO (3,5%)  et les taux qu’elles appliquent à leurs clients ( entre 10% et 15%) , est ainsi déterminé dans des conditions opaques. D’ailleurs, la difficulté qu’a la BCEAO à  faire respecter la mesure de gratuité de 19 services bancaires listés dans un communiqué publié en juillet 2014 (http://www.bceao.int/Communique-de-presse-2985.html) démontre l’urgente nécessité de renforcer le cadre institutionnel pour un meilleur contrôle des pratiques des banques.

Le coût élevé des taux au sein de l’UEMOA n’est pas une fatalité. Les autorités de régulation disposent de leviers pratiques qu’ils devraient actionner de manière efficace pour réduire à court terme, le coût du crédit :

  • Renforcer le cadre règlementaire: Le mécanisme de calcul des taxes et charges liées à l’octroi d’un prêt doit être encadré par une législation précise. Il s’agit de fixer des barèmes formels (de taxes et charges) de sorte à réduire la marge de manœuvre des banques dans la détermination des taux. Dans cette même logique, à l’instar de la récente loi sur la gratuité des services bancaires, les autorités devraient commanditer une étude sur la structure des charges liées à l’octroi des crédits, afin d’envisager la suppression de certaines d’entre elles qui ne se justifieraient pas.
  • Le contrôle des activités des banques : Le véritable défi des autorités bancaires est moins la définition d’un cadre réglementaire que le suivi de sa mise en œuvre effective. La non répercutions des baisses des taux directeurs sur les taux débiteurs des banques en est une parfaite illustration. Ainsi, la BCEAO devrait moderniser et renforcer ses missions de contrôle. En l’occurrence, en plus des missions périodiques de contrôle sur pièces basées sur le reporting des banques, il faudrait conduire des audits inopinés afin de mieux évaluer les pratiques des banques au quotidien. Au regard de l’opacité qui entoure les activités de certaines banques, il est important que la BCEAO renforce son personnel par des professionnels aguerris spécialisés dans la conduite de missions de cette nature. Il peut également être envisagé de recourir de manière ponctuelle aux services d’un cabinet spécialisé afin de traiter certaines problématiques qui peuvent s’avérer complexes.
  • Développer la concurrence dans le secteur : promouvoir des solutions alternatives de financement (finance islamique -prêt à taux zéro-, marchés boursiers, fonds d’investissements etc.) afin d’intensifier la concurrence pour faire baisser les taux. Par ailleurs, Il convient également d’améliorer le climat des affaires et de développer des solutions de garanties institutionnelles au bénéfice des emprunteurs  pour réduire le «  risque perçu » par les banques.
  • Réduire l’asymétrie d’information en rendant disponibles des informations détaillées et fiables sur la situation financière des agents économiques, notamment les ménages et les PME. A cet égard, la BCEAO doit accélérer le déploiement du projet des bureaux d’information sur le crédit.

Il apparaît aujourd’hui que le coût considérable du financement bancaire au sein de l’UEMOA, tient davantage à la faiblesse institutionnelle de la BCEAO à faire appliquer les règles qui régissent la pratique de l’activité bancaire, qu’aux arguments classiques comme l’inexistence d’informations sur les demandeurs de crédits ou l’instabilité économique et socio-politique. Une situation qui se traduit par une quasi-inefficacité de la politique de la BCEAO, même pour des mesures visant directement le marché financier. S’il convient d’améliorer l’environnement des affaires et de fournir un accompagnement aux demandeurs de crédit (ce que les Etats tentent de faire, avec des outils variés, selon les pays) ; il est impératif que la BCEAO renforce son mécanisme de supervision afin que les canaux de transmission de sa politique, notamment ceux visant le secteur bancaire, puissent entrainer à la baisse le coût du crédit dans la région afin de faciliter l’accès aux financements, nécessaires à la relance de la consommation et de l’investissement qui sont les moteurs de l’économie.

Lagassane Ouattara

Le numérique ne portera pas le développement des pays africains

22068197L’explosion de l’économie numérique en Afrique …

L’économie numérique reste l’un des rares secteurs dans lesquels l’Afrique a réussi à réduire son retard par rapport aux pays développés. De fait, le continent a extraordinairement réussi à s’accrocher au rythme phénoménal de la croissance de ce secteur au cours des dernières années en s’appropriant les solutions qu’il offre. Selon le rapport 2012 de l’Observatoire de la téléphonie mobile en Afrique subsaharienne, le taux de pénétration de la connexion mobile en Afrique est passé d’à peine 2% en 2000 à plus de 63% en 2013 et devrait atteindre 78% en 2016. Une tendance qui est confirmé par McKinsey Global Institute (MGI) dans son rapport de novembre 2013 intitulé "Les lions passent au numérique : le potentiel de transformation d'internet en Afrique", qui souligne que la contribution d'internet au PIB de l'Afrique passerait de 18 Mds USD en 2013 à 300 Mds USD en 2025.

Derrière ces chiffres mirobolants, se cachent de grosses multinationales et surtout de nombreuses PME locales détenues par des nationaux. En effet, au cours de la dernière décennie, l’on a assisté à une floraison de petites entreprises qui opèrent dans le secteur de l’économie numérique. Ces « business de stars » (pour paraphraser le ministre français de l’économie Emmanuel Macron), se développent généralement à l’initiative de jeunes africains issus de la diaspora qui essaient de dupliquer des business model  qu’ils ont eu l’opportunité de découvrir en occident. Ainsi, sans avoir la prétention d’être exhaustif, on peut classer les business du numériques en Afrique en trois grands groupes :

  • La création de sites internet qui proposent différents services dont : l’information grand public, le commerce en ligne et les réseaux sociaux.  Le site de vente en ligne « JUMIA » et le site d’information « abidjan.net » qui ont le vent en poupe actuellement en sont une parfaite illustration.

  • Développement d’applications et plateformes informatiques: Il s’agit de programmes adaptables à différents supports (ordinateur, smartphone, tablette, etc.) qui proposent entre autre des services de géolocalisation et de traçabilité aux particuliers et entreprises

  • Déploiement de systèmesd’information et de gestion : logiciels clé en main de gestion d’activité proposés aux entreprises

Le succès enregistré par les entreprises de ce secteur s’explique sans doute par le fait que les barrières à l’entrée sont très faibles. En effet, ce type d’activités est peu exigeant en investissement et en ressources humaines. Avec un ordinateur et une seule personne disposant d’une bonne maitrise de l’informatique, on peut lancer un business de ce type en quelques mois. Par ailleurs, ces entreprises offrent une grande flexibilité dans leur gestion. La plupart des grosses entreprises du numérique (Google, Microsoft, Facebook etc.) qui dominent le monde actuellement sont nées dans des chambres d’étudiant ou des garages.

…ne doit pas masquer les vrais enjeux : bâtir un secteur industriel productif

Au regard de cette forte capacité du continent à absorber les nouvelles technologies, l’on a tendance à oublier que l’Afrique accuse un retard séculaire dans le secteur de l’industrie, qui reste incontournable dans la construction d’une économie stable et durable, et qui se manifeste par une importation massive de produits manufacturés, notamment dans les secteurs de l’agro-industrie, des électro-ménagers & électroniques, du BTP, de l’industrie automobile, de l’industrie textile, de l’énergie, de l’eau & assainissement . Bien que le numérique offre des solutions permettant d’accroitre l’efficacité de l’activité économique, il ne peut être considéré comme un socle sur lequel repose l’économie d’un pays. Il sert simplement de catalyseur pour les secteurs fondamentaux qui constituent les principaux leviers du développement. A ce titre, il ne génère pas suffisamment d’emplois, canal principal de distribution des revenus, et n’a qu’un effet très limité sur les autres secteurs d’activités.  Ainsi, il est urgent que les pays africains arrêtent de s’auto-satisfaire du succès du « soft-business » pour se recentrer sur la construction d’un vrai secteur industriel (chaînon manquant de nos économies) afin d’inonder le marché local et international de produits manufacturés « made in Africa ». Ce n’est que par ce canal que l’Afrique pourra véritablement faire face aux réels défis, à savoir : la création d’emplois pérennes, la réduction de la dépendance vis-à-vis de l’extérieur, la réduction du coût de la vie, l’amélioration des conditions de vie des ménages, etc.

Compte tenu de sa complexité, le développement du  secteur secondaire, requiert une forte implication de l’Etat qui doit créer toutes les conditions pour accompagner les entrepreneurs. Ainsi, la révolution industrielle africaine passera nécessairement par les étapes suivantes :

  • L’Acquisition du savoir et du savoir-faire: Développer des écoles spécialisées et refonder la formation de sorte à permettre aux jeunes apprenants de s’approprier les fondamentaux des sciences et de la technologie. Les pays développés regorgent de nombreuses personnes qui disposent d’un savoir-faire avéré dans divers domaines et qui sont aujourd’hui hors du système après avoir fait valoir leur droit à la retraite. Les Etats africains pourraient collaborer avec ces derniers en les recrutant comme formateurs afin qu’ils transmettent leur savoir-faire aux jeunes africains. L’objet de cette approche de collaboration « Etat à individus » est de contourner le schéma traditionnel de collaboration « Etat à Etat » (coopérants) qui, en raison d’enjeux stratégiques, a été nuisible aux pays africains au cours du dernier demi-siècle. 

  • S’inscrire résolument dans une logique de transfert de technologie Dans la réalisation des grands projets publics, les Etats africains ont généralement recours à des multinationales qui interviennent comme des prestataires de services, qui une fois le projet achevé, empochent leur dû et disparaissent. Il faudrait que désormais, les Etats africains mettent à profit ces projets structurants pour aider les PME nationales à devenir de véritables champions. Pour ce faire, les termes des contrats liant les Etats à ces sociétés étrangères doivent inclurent entre autre les closes suivantes: recruter des nationaux à des postes de direction,  travailler en partenariat avec des PME locales, s’engager à  transmettre le savoir-faire de manière transparente à l’acteur local etc.

  • Opter sans complexe pour un protectionnisme intelligent : pour protéger les PME locales face à la concurrence des multinationales, les Etats africains doivent courageusement opter pour un protectionnisme intelligent visant à leur accorder un accès privilégié au  marché national, notamment les contrats publics. De nombreux pays émergents d’Asie et d’Amérique latine régulièrement cités en exemple pour leur performance économique ont bâti leurs fondamentaux à partir d’un fort protectionnisme. La Corée du Sud par exemple, sous la houlette du Général Park qui régna de 1962 à 1979, a mis en place une politique de protectionnisme qui impose des barrières à l’entrée aux entreprises étrangères ; ce qui a permis d’accélérer le développement de petites entreprises locales (les chaebol). Aujourd’hui, on compte entre autres parmi ces sociétés, de grandes marques comme Hyundai, LG, Samsung, etc.

En définitive, au-delà de l’enthousiasme suscité par l’économie numérique, le développement d’un tissu industriel fort et durable doit être la priorité des pays africains au cours des années à venir. C’est uniquement à ce prix qu’elle pourra véritablement obtenir son indépendance économique. Cet objectif ne pourra être atteint, s’il n’est soutenu par un mécanisme de financement adéquat, et ce dans la mesure où il est envisagé dans un modèle pseudo-protectionniste. Un prochain article discutera des options de financement qui peuvent être développées dans cette configuration.

Lagassane Ouattara

Pour une couverture médicale efficace en Côte d’Ivoire

CMU

Les systèmes de protection sociale lorsqu'ils fonctionnent bien, ont le double avantage d'assurer une redistribution optimale des ressources et d’inciter la population à augmenter sa propension à consommer pour relancer l'économie. En effet, lorsque le système de protection sociale d'un pays est défaillant, les ménages ont tendance à épargner à titre privé pour prévenir les risques sociaux. Ce qui conduit à une faiblesse de la demande interne et donc à une forte dépendance de l'économie à des chocs externes.

Consciente de cette réalité, la Côte d’Ivoire s’est engagée au cours des dernières années à développer un système de protection sociale fiable. Ainsi, après les difficultés de mise en oeuvre du projet d’Assurance Maladie Universelle (AMU) par le précdent gouvernement, le nouveau gouvernement ivoirien a développé le concept de Couverture Maladie Universelle (CMU) pour promouvoir un système de protection sociale ; la lettre « A » du projet précédant étant remplacé par le « C ». Suite à l’adoption par l’Assemblée Nationale en mars 2014 du projet de loi instituant la CMU, le gouvernement ivoirien a sélectionné en octobre 2014, une société chargée d’enrôler les assurés. L’opération d’enrôlement devrait débuter le 29 décembre 2014.

Cette étape cruciale démontre que le pays a atteint un point de non retour dans le processus de déploiement d’un système de couverture maladie. Toutefois, l’instauration de ce « pacte social » suscite autant d’espoirs que de doutes. En effet la réussite de ce projet passera par la capacité du pays à relever les trois grands défis suivants : la qualité des prestations médicales, une structure de financement optimale et une gestion rigoureuse et efficace.

1. Le défi de l’amélioration de la qualité des prestations médicales

Les ivoiriens ont encore en mémoire la tragique épisode de la jeune mannequin Awa Fadiga décédée en mars 2014 au CHU de Cocody (Abidjan) où elle avait été évacuée d’urgence suite àune agression. Cette mort que ses proches mettent à tord ou à raison au passif du personnel médical accusé de négligence, avait mis en ébullition la société civile, obligeant le gouvernement ivoirien à présenter ses condoléances à la famille éplorée et à limoger le Premier Responsable de la structure concernée. Tout récemment, c’est au tour du célèbre rappeur ivoirien Stézo d’enfoncer le clou en attribuant le décès de son ami et challenger de longue date Almighty survenu en novembre 2014, à la piètre qualité du service du CHU de Treichville (Abidjan) où ce dernier s’était rendu pour recevoir des soins suite à une simple crise de paludisme.

Ces difficultés auxquelles font faceles établissements sanitaires, en matière de prise en charge des patients, constituentle premier défi auquel devrontfaire face les autorités ivoiriennes pour réussir le projet de la CMU. En effet, la pérennité du système repose avant tout sur la satisfaction des affiliés. Ainsi, le gouvernement devra renforcer sa politique en matière de santé, notamment :

  • Renforcer le personnel médical : Selon l’OMS, la Côte d’Ivoire affiche un ratio de personnels de santé (médecins, d'infirmiers et Sages-Femmes) par habitants de moins de 7/10 000 alors que la norme mondiale est de 25/10 000. L’Etat devra donc recruter en nombre suffisant, des agents de santé qualifiés dotés du sens de probité qui s’attachent à respecter le serment d’Hippocrate qu’ils ont prêté.

  • Equiper les hôpitaux en matériels de pointe: Le développement technologique de ces dernières années a permis de mettre à la disposition du secteur de la santé, des équipements sophistiqués de tout genre permettant de faciliter le travail des professionnels de la santé. Le pays devra donc renforcer son matériel médicalafin d’offrir des services de qualité aux patients.

  • Multiplier le nombre d’établissement de santé: l’accès aux structures de santé demeure toujours difficile pour les populations, notamment en zone rurale. Certaines populations continuent de parcourir plusieurs kilomètres pour recevoir les premiers soins dans un établissement de santé digne du nom. Il est dès lors impératif, afin d’assurer le succès de ce projet, de doter le pays d’infrastructures suffisantes, et plus proches des populations,

Ces actions qui nécessitent des investissements colossaux appellent à des moyens novateurs pour assurer leur financement, une question déjà abordée dans un article de Nelly Agbokou[1].

2. Le défi du financement optimal de la caisse de la CMU

Nul doute que le défi du financement de la future caisse de solidarité, demeure un enjeu crucial pour le succès de ce projet. Dans un contexte où le budget de l’Etat est limité, le gouvernement devra faire preuve d’une grande imagination pour trouver les fonds nécessaires à l’alimentation de la caisse de la CMU. Différentes options sont envisagés. Le système de la CMU tel que conçu par le gouvernement, propose deux régimes : un régime contributif et un régime non contributif.Le premier (contributif) propose aux populations, une offre de soins contre une contribution forfaitaire mensuelle de 1000 FCFA par assuré. Ceci soulève deux problématiques majeures. Les populations pourraient avoir bien de mal pour s’acquitter de ce montant. En effet, le taux de pauvreté[2] avoisine 49% en Côte d’Ivoire : près de la moitié de la population gagnerait en moyenne moins de quinze mille francs CFA (15 000 FCFA) par mois. Ainsi, consacrer 1000 F, soit 6,5% de leur revenu mensuel au financement d’une quelconque assurance santé, serait un trop grand sacrifice pour eux. Aussi, l’administration pourrait bien avoir du mal à recouvrer les cotisations. Dans un contexte où le taux de bancarisation est très faible (12%), la solution d’un prélèvement automatique sur comptes bancaires ne ferait pas sens. Il faudrait alors mettre en place un système de recouvrement innovant et efficace pour collecter les fonds dans les délais auprès des assurés.

En ce qui concerne le régime non contributif qui s’adresse aux personnes en situation d’indigence, l’Etat s’engage à injecter dans les caisses de la CMU une somme forfaitaire annuelle qui pourrait aller jusqu’à 50 Mds FCFA. Ceci souligne la nécessité pour l’Etat de centraliser les nombreux fonds existants et éparpillés sous diverses formes (Programme Présidentiel d’Urgence (PPU), Fonds d’entretien routier, Fonds d’Investissement en Milieu Rural (FIMR) etc.) en créant un fonds unique tel que discuté dans un article précédent[3], pour en assurer une gestion optimale et en tirer les ressources nécessaires pour financer de tels projets en plus d’investir dans des PME.

Par ailleurs, il peut également être envisagé de prélever une somme sur le bénéfice des entreprises privées qui réalisent de supers-profits au titre de leur contribution à la solidarité nationale. Toutefois, il convient de bien ficeler cette politique pour éviter de tomber dans le cercle vicieux que l’économiste Arthur Laffer caricature en disant « trop d’impôts tue l’impôt »

3. Le défi d’une gestion rigoureuse et efficace de la CMU

Pour qu’un système de protection sociale soit viable, il est indispensable d’assurer la bonne gestion des réserves issues des cotisations des assurés afin d’éviter les crises de liquidité. La plupart des caisses de prévoyance sociale qui fonctionnent correctement procèdent à des investissements dans des actifs rentables afin de dégager des surplus. Ceci permet d’assurer à la fois le paiement des droits des affiliés à temps et de disposer d’une marge pour la gestion des dépenses de fonctionnement courant.

Cependant, dans nombre de pays africains, l’Etat a en général une forte ingérence dans la gestion des caisses de protection sociale et a souvent tendance à utiliser ces ressources pour financer des dépenses publiques qui n’ont aucun lien avec les problématiques de protection sociale. Par ailleurs, certaines institutions de sécurité sociale procèdent à de mauvais choix d’investissement en achetant des actifs peu rentables. Ces opérations contre-productives conduisent à une destruction des ressources collectées ; ce qui conduit à de fréquentes crises de liquidité.

Cette politique de gestion approximative liée à une mauvaise gouvernance entraine naturellement des désagréments liés au retard ou au non paiement des droits ; ce qui contribue à fragiliser la confiance entre les assurés et les institutions de prévoyance sociale.

En vue de bâtir une institution de protection sociale crédible, capable d’inciter la population à souscrire aux prestations qui leurs sont proposées, l’Etat de Côte d’Ivoire devra veiller à mettre en place un écosystème de bonne gouvernance en désignant des dirigeants compétents et intègres à la tête de la caisse de la CMU.

En définitive, la Côte d’Ivoire qui aspire à l’émergence, comme nombre de pays africains, devrait s’assurer que les trois préalables sus mentionnés c'est-à-dire l’amélioration de la qualité des services de santé, la mise en place d’une structure de financement optimale et la bonne gouvernance, sont assurés afin de réussir à développer avec succès sa politique de couverture maladie universelle.

Lagassane Ouattara


[2]le pourcentage de la population qui gagne moins d’un dollar (environ 500 FCFA) par jour

Faut-il un fonds souverain en Côte d’Ivoire ?

3h1e8fovA l’instar de la plupart des économies africaines, la question du difficile accès des PME au financement s’est toujours présentée en Côte d’Ivoire comme un défi auquel les décideurs politiques et économiques peinent à trouver des solutions efficaces et durables. En effet, les conditionnalités actuelles d’accès au crédit restent quasi impossibles à franchir par les PME ivoiriennes, qui occupent pourtant une place primordiale dans le tissu industriel du pays : selon le ministère du commerce, les PME représentent 80% des entreprises et contribuent pour près de 20% au PIB et emploient environ 23% de la population active. C’est à juste titre qu’à l’occasion de la cérémonie d’inauguration du siège du patronat ivoirien baptisé« la Maison des entreprises »  qui s’est tenue à Abidjan le 19 septembre 2014, le Chef de l’Etat AlassaneOuattara a fait cet appel de pieds aux institutions financières implantées dans le pays :«En Côte d’Ivoire le constat est clair: le secteur financier ivoirien ne contribue pas encore suffisamment au financement de l’économie nationale ».

Des raisons complexes à la base du difficile accès des PME au financement…

Une analyse profonde de la question permet de réaliser que la problématique du difficile accès des PME au financement est plus complexe qu’elle ne parait. En effet, s’il est vrai que de nombreuses institutions financières, guidées par leur logique purement capitaliste, ne jouent pas pleinement leur rôle de financement de l’économie, la réalité du terrain nous impose néanmoins, de constater que la plupart des PME présentent un profil de risque élevé en raison du manque de visibilité de leurs activités dû à un environnement politico-économique fragile ; ce qui contribue à les rendre insolvables. Ainsi, le mécanisme traditionnel de financement par prêt bancaire s’avère inefficace puisque le risque de non remboursement est réel.

…qui nécessitent une intervention de l’Etat à travers la mise en place d’un fonds souverain

Dans ce contexte d’impasse, l’Etat de Côte d’Ivoire ne doit pas se contenter de dénoncer l’inaction des banques. Il doit prendre ses responsabilités en se positionnant clairement comme un partenaire financier privilégié des porteurs de projet. Pour parvenir à jouer efficacement ce rôle de partenaire financier,  une solution idoine s’offre à notre pays : la création d’un fonds souverain.  En effet, la Côte d’Ivoire peut capitaliser sur son énorme potentiel en ressources naturelles pour constituer une manne financière importante en vue de mettre en place son fonds souverain. De fait, le secteur primaire qui représente plus de 29% du PIB en 2013 (BAD, African Economic Outlook) est dominé par l’exploitation forestière et les cultures industrielles d’exportation (café, cacao, palmier à huile, hévéa etc.). En plus de cela, le secteur minier qui a contribué en 2013 à hauteur de 4.6% au PIB (BAD, African Economic Outlook) prend progressivement de l’ampleur dans l’économie du pays. En Avril 2014 par exemple, le groupe français TOTAL a fait l’une de ses plus grandes découvertes  de pétrole en Afrique de l’Ouest  au large de San Pedro, dans le sud-ouest de la Côte d'Ivoire.

Le gouvernement de Côte d’Ivoire peut réaménager l’utilisation des recettes issues de l’exploitation de ses ressources naturelles pour consacrer une partie au financement d’un fonds souverain dont le but sera de soutenir le développement des PME. En effet, à condition d’être rigoureusement géré, les fonds souverains se présentent comme un puissant levier pour répondre efficacement au défi de financement des PME.

Ainsi, face à la stratégie d’investissement des partenaires financiers privés qui repose essentiellement sur la recherche de rentabilités élevés à court terme, le fonds souverain devra proposer aux PME, un package de solutions de financements moins exigeants qui privilégientleur développement sur le long terme. Il s’agit pour le fonds souverain, d’adopter la posture d’un allié dont le but est d’abord et avant tout d’aider les PME à transformer leurs faiblesses en force pour devenir à moyen ou long terme, des champions nationaux qui porteront l’économie du pays.

Un recours croissant aux fonds souverains à travers le monde.

En plus d’offrir des opportunités de financement pour les entreprises, l’une des raisons qui pousse les pays à créer des fonds souverains est qu’ils favorisent la gestion optimale des revenus issues des ressources naturelles afin d’éviter la fameuse «malédiction des ressources naturelle». Les exemples de réussite de fonds souverains à travers le monde sont légions. Grâce à ses revenus pétroliers, la Norvège a réussi à bâtir le plus gros fonds souverain au monde qui est aujourd’hui une structure clé dans l’architecture économique du pays. La plupart des pays du golf arabe producteurs de pétrole disposent de fonds souverains qui jouent un rôle de premier plan dans le financement de leurs économies.

En Afrique subsaharienne, l’Angola et le Nigeria sont en tête du classement des plus gros fonds d’investissement. D’autres pays tels que le Gabon, la Guinée Equatoriale et le Ghana ont également mis en place des fonds souverains. Tout récemment, le Sénégal qui dispose pourtant de très peu de ressources naturelles a lancé son fonds souverain pour apporter une réponse appropriée à la question du manque de financement des PME.

Des conditions préalables à respecter pour le succès du fonds souverain

Bien que les fonds souverains soient un levier capable d’apporter une réponse à l’épineux problème du financement des entreprises, il convient de noter que leur existence en soi n’est pas une panacée.Pour éviter de créer un effet de massue, les fonds souverains doivent être utilisés à bon escient. Ainsi, le succès de tout fonds souverain est subordonné entre autres aux préalables suivants :

  • Diversifier les sources de revenus destinées à alimenter le fonds : La Côte d’Ivoire dispose de diverses ressources naturellesqui peuvent servir de base de collecte des revenus (taxes, prime d’exploitation etc.) pour alimenter les fonds souverains.Le fonds se présentera comme une caisse unique qui centralise l’ensemble des revenus de l’Etat non destinés directement au financement du budget.
  • Transparence et rigueur dans la gestion des ressources : Le manque de transparence et de rigueur sont lesprincipales causes de l’échec des fonds souverains. Il est donc crucial de créer les conditions d’une gestionrigoureuse qui s’inscrit dans une vision claire et ambitieuse
  • Mécanisme d’investissement : Le fonds souverain devra apporter des capitaux sous forme de fonds propres pour prendre des parts dans le capital des PME. Ceci permet à la fois de bénéficier des dividendes généréset d’avoir un regard sur la gouvernance afin de contribuer à améliorer la gestion de la société pour l’inscrire sur la voie de la croissance.
  • Définir une stratégie d’investissement efficace : La ligne directrice du fonds doit être clairement établie. Il s’agit de définir entre autres : les secteurs cibles prioritaires, le montant des tickets de financement, la durée moyenne de l’investissement, la nature de la prise de participation (minoritaire vs majoritaire) etc.Pour ce faire, l’équipe dirigeante devra être composée de professionnels confirmés rompus au métier de la finance et de l’investissement

La Côte d’Ivoire devrait s’inspirer de ces success stories pour lancer son fonds souverain avec pour objectif spécifique de contribuer au financement des PME qui seront des champions nationaux capables de porter l’émergence du pays.  Avec son énorme potentiel en ressource naturelles et le dynamisme de son économie, les conditions sont favorables à la réussite d’un fonds souverain en Côte d’Ivoire.

Lagassane Ouattara