L’Afrique perd sa célèbre dame aux arbres

La Dame aux Arbres était une grande dame au sourire franc derrière lequel trônaient de belles idées et une rare force de caractère. La Dame aux Arbres c’est Wangari Maathai, grande figure kenyane qui s’est éteinte dimanche 25 septembre à l’âge de 71 ans.

Wangari Maathai est d’abord connue et reconnue pour son combat pour la protection de l’environnement et contre la déforestation, mené à travers l’organisation « Green Belt Mouvement » qu’elle créa à la fin des années 70. La « Ceinture Verte » a eu pour vocation première de promouvoir la plantation d’arbres (plus de 30 millions depuis ses débuts), ressource naturelle indispensable aux populations locales (combustible mais aussi instrument efficace contre l’érosion des sols). Ces programmes de plantations d’arbres étaient assurés par les femmes des communautés locales, programmes qui se voulaient aussi un outil efficace d’émancipation. Le mouvement s’est vite élargi au-delà des frontières Kenyanes notamment via la mise en œuvre du Pan African Green Belt Network, qui a permis de dupliquer ces activités à d’autres pays africains (Tanzanie, Malawi, Ouganda, Ethiopie, Lesotho, Zimbabwe, etc).

Au-delà de la seule approche environnementaliste s’ajoute une réflexion d’ordre plus globale sur la gestion des ressources naturelles, qui pourrait être brièvement résumée par Wangari Maathai elle-même : « The environment is very important in the aspects of peace because when we destroy our resources and our resources become scarce, we fight over that » (L’environnement joue un rôle important dans le domaine de la paix car lorsque nous détruisons nos ressources naturelles et que celles-ci se raréfient nous entrons en conflit). C’est en effet pour saluer son approche « holistique » du développement durable que lui a été décerné le Prix Nobel de paix en 2004. Son engagement pour la démocratie, les droits de l’homme et notamment ceux des femmes ont été ainsi récompensés.

Wangari Maathai s’illustre donc comme la « première » à bien des égards et notamment comme la première femme africaine à recevoir le fameux Prix. Avant cela, elle s’était déjà illustrée dans le domaine académique, s’imposant comme la première femme d’Afrique de l’Est et de l’Ouest à obtenir une licence en biologie (d’une université américaine du Kansas) puis un doctorat. C’est aussi la première femme de la région à obtenir une chaire (au département d’anatomie vétérinaire) et à accéder au statut de professeur agrégée (en 1976 et 1977 respectivement).

Au niveau politique, Wangari Maathai a également eu un rôle de garde fou et d’ « élément perturbateur » face au régime du Président Arap Moi – ce qui lui vaudra plusieurs arrestations malgré le caractère non violent des actions qu’elle a entreprises (comme la manifestation pacifique au côté de femmes de prisonniers politiques pour obtenir leur libération). Le lien entre ses actions pour la préservation de l’environnement et son engagement politique pourrait être résumé par Wangari Maathai ainsi : « It is the people who must save the environment. It is the people who must change their leaders. We must stand up for what we believe in ». Wangari Maathai voulait démontrer que chaque citoyen pouvait prendre son destin et celui de son pays en main. En réalité, le simple fait d’organiser un mouvement tel que la Ceinture Verte composé de femmes menant des actions concrètes, seules instigatrices et décideuses d’un projet commun constituait déjà un acte politique en soi. Le pouvoir de démonstration du Green Belt Movement (« la société civile est capable de s’organiser, de se mobiliser et d’aboutir à des résultats concrets ») a beaucoup insécurisé le régime Moï qui, malgré de nombreuses tentatives, n’a finalement pas réussi à faire taire la Dame aux Arbres.

Politiquement engagée depuis de nombreuses années, c’est en 2002, après l’avènement du multipartisme, qu’elle obtient un siège au Parlement à la quasi unanimité des voix (98%). Elle fut ensuite nommée ministre adjointe de l’Environnement sous la présidence de l’actuel Président kenyan, Mr. Mwai Kibaki dont elle n’hésitera pas non plus à faire la critique après l’épisode houleux des élections de 2007.

Aussi, les réactions nationales et internationales ont été vives et unanimes. Tout le monde regrette la perte de celle que beaucoup (en particulier au Kenya) considèrent comme « un modèle », une « héroïne », un « mentor », « une source d’inspiration », « une digne représentante de son pays à l’étranger ». Beaucoup lui sont reconnaissants des combats qu’elle a menés dont les résultats sont encore visibles aujourd’hui. La capitale kenyane lui est notamment redevable de son opposition victorieuse contre la construction d’un building de 60 étages, décidé sous le régime du Président Arap Moi, sur le parc Uhuru (un des poumons verts de Nairobi) ainsi que son engagement pour la préservation de la forêt de Karura (au Nord de la ville). Le Green Belt Mouvement prévoit d’ailleurs l’installation d’un monument commémoratif à Karura même. De nombreux livres de condoléances ont été ouverts à divers endroits clefs de Nairobi et le seront dans chacune des 47 circonscriptions que compte le Kenya pour relayer les messages de soutien de la communauté kenyane à la famille de Wangari Maathai.

Enfin, son dernier « combat » devra être mené par ses proches : respecter sa dernière volonté de ne pas être enterrée dans un cercueil en bois… 

Léa Guillaumot