Quelle évolution à 50 ans des ressources naturelles de l’Afrique ?

Le développement de l'Afrique pour les décennies à venir sera déterminé par l’évolution d’un certain nombre de facteurs globaux, qu’ils soient humains ou physiques, et des politiques adoptées en réponse à ces changements. Selon une étude de la banque africaine de développement (BAD), l’Afrique est confrontée à trois formes de changements de son environnement physique : le changement climatique, l’évolution des ressources naturelles renouvelables et non renouvelables du continent et la disponibilité des terres et de l'eau sur le continent. Comment ces changements se dessinent-ils et quelles sont leurs conséquences ?

Alors qu’elle n’a guère contribué au réchauffement climatique, l’Afrique est très vulnérable à ses impacts à cause de sa faible capacité d’adaptation. Couplé aux catastrophes naturelles (sécheresse, inondations, variabilité des précipitations) qui touchent déjà la plupart des pays africains, le réchauffement climatique est très néfaste pour le développement socio-économique, la stabilité et le bien-être de la population africaine. Les modèles climatiques projettent une augmentation de température moyenne de 3° C à 4 ° C d'ici la fin du siècle en Afrique. Même en ce qui concerne les précipitations avec leur forte variabilité spatio-temporelle, un consensus semble se dégager : On observera une humidification de l’Afrique orientale et dans une moindre mesure de l’Afrique de l'Ouest et un assèchement plus important du Sahara et du Sud de l’Afrique. Enfin l'élévation de niveau de la mer affecterait les iles, les zones côtières et les deltas. Un mètre du niveau de mer en plus se traduirait par des pertes sévères dans l'agriculture littorale, ainsi que la submersion des certaines infrastructures économiques et occasionnerait des déplacements des populations.

Une grande partie de ressources de base de l'Afrique est sous-utilisée. Selon la BAD, il est probable que l'Afrique abrite environ 30% des réserves minérales de la planète (40% de l'or mondial, 60% du cobalt, 72% du chrome et 65% des diamants). Compte tenu de la hausse des prix des matières premières et de la forte croissance économique notamment de la Chine, les investissements augmenteraient dans ce secteur ainsi que dans les infrastructures connexes pour sécuriser l’approvisionnement en matières premières. Des nouvelles mines ouvriront pour les nouveaux types de produits pour lesquels il faudra des métaux spécifiques, tandis que la baisse des teneurs en minerais dans les produits, le recyclage et la substitution entraîneront la fermeture d'autres mines. Certains pays bénéficieront de ces changements, tandis que d'autres, autrefois fortement tributaires des recettes minières et minérales, devront se diversifier dans d'autres secteurs.

Concernant son environnement naturel, l’Afrique a perdu plus de 4 millions d'hectares de forêts par an (trois fois plus que la moyenne mondiale) de 1990 à 2005. La déforestation est plus rapide en Afrique de l'Ouest (où 80% de la forêt d'origine humide a été défrichée) et à Madagascar, mais elle est également présente en Afrique centrale. La conversion des terres à l'agriculture (60%), la récolte du bois et l'exploitation commerciale illégale ou mal contrôlée de la forêt sont les sources de cette déforestation. Pour les écosystèmes marins, la plus grande menace est la surexploitation par la pêche artisanale et la pêche industrielle. Les espèces sont en train de s'épuiser à un rythme qui fait de l'effondrement de la pêche une possibilité d'ici à 2060. Dans la plupart des zones, la pêche s'est révélée difficile à réglementer. Beaucoup de propriétaires de flottes étrangères n'ont pas d'accords avec les États côtiers en Afrique. Ces flottes pêchent soit illégalement dans les eaux territoriales qui sont en grande partie sans surveillance.

Enfin en ce qui concerne la disponibilité des terres et de l’eau, environ 21% de la superficie totale de l'Afrique est adaptée à la culture mais les experts s'accordent à dire que les sols de l'Afrique sub-saharienne sont les plus dégradés du monde. Les causes principales sont l'érosion et l'épuisement des minéraux (la perte de nutriment vitaux du sol). Avec l'augmentation de la pression démographique, il est probable que ces dégradations s’accélèrent et certains experts agricoles estiment que cela entrainerait des baisses de rendement de 17 à 30% en 2020, voire 50% dans les 30 à 50 ans.

L'Afrique est l’un des continents les plus secs. Environ 82% de ses terres sont classées comme arides ou semi-arides et elle ne dispose que de 9% des ressources mondiales en eaux renouvelables. Les pays nord-africains sont fortement tributaires des eaux souterraines, et de nombreux pays sont en train de pomper ces eaux souterraines plus vite qu'elles ne peuvent se renouveler. La consommation d'eau augmentera pour les usages domestiques, l’irrigation et l’industrie. En Afrique subsaharienne, le pompage d'eau et la consommation totale d'eau augmenteront au moins jusqu'en 2025. Étant donné les tendances actuelles de croissance de la population et les modes d'utilisation de l'eau, les résultats des recherches indiquent qu'un certain nombre de pays vont dépasser les limites de leurs capacités terrestres des ressources en eau d'ici 2025. Les projections indiquent que le nombre de personnes vivant dans les zones de stress hydrique en Afrique concernera 35 à 45% du total de la population continentale en 2055, même en l'absence de changement climatique. Les populations en situation de risques écologiques devraient être de 350 à 600 million de personnes.

Les incertitudes qui entourent cette vision de l'Afrique en 2060 sont bien sûr énormes, mais une chose semble claire: ces tendances appellent des réponses politiques fortes. La BAD qui a effectué cette étude pour tracer la voie de la croissance inclusive insiste sur les évolutions politique et institutionnelle qui doivent accompagner ces évolutions physiques.
En 2060, un grand nombre des ressources minières actuelles seront épuisées et les stocks de ressources renouvelables pourraient être sérieusement appauvris. Ceci ne veut pas nécessairement dire une baisse globale de revenus des ressources naturelles pour l'Afrique, mais plutôt des nouvelles possibilités à la fois en termes d'emplacement et de composition des ressources. Pour les pays qui ont épuisé leurs ressources naturelles, il se posera la question de transition du modèle économique. D’autres feront de nouvelles découvertes et suivront l'évolution des structures globales de la demande. Pour ces économies, le défi majeur sera de savoir comment faire face à la volatilité des marchés et gérer leurs nouvelles ressources pour le développement à long terme. Pour faire face à ces défis, il faut des efforts concertés et des approches communes. Compte tenu de la piètre performance de l’Afrique pour la gestion de ses ressources naturelles, un changement majeur d'approche des politiques économiques actuelles en direction d’une stratégie de croissance endogène et inclusive est nécessaire.

Djamal M. HALAWA

L’Afrique perd sa célèbre dame aux arbres

La Dame aux Arbres était une grande dame au sourire franc derrière lequel trônaient de belles idées et une rare force de caractère. La Dame aux Arbres c’est Wangari Maathai, grande figure kenyane qui s’est éteinte dimanche 25 septembre à l’âge de 71 ans.

Wangari Maathai est d’abord connue et reconnue pour son combat pour la protection de l’environnement et contre la déforestation, mené à travers l’organisation « Green Belt Mouvement » qu’elle créa à la fin des années 70. La « Ceinture Verte » a eu pour vocation première de promouvoir la plantation d’arbres (plus de 30 millions depuis ses débuts), ressource naturelle indispensable aux populations locales (combustible mais aussi instrument efficace contre l’érosion des sols). Ces programmes de plantations d’arbres étaient assurés par les femmes des communautés locales, programmes qui se voulaient aussi un outil efficace d’émancipation. Le mouvement s’est vite élargi au-delà des frontières Kenyanes notamment via la mise en œuvre du Pan African Green Belt Network, qui a permis de dupliquer ces activités à d’autres pays africains (Tanzanie, Malawi, Ouganda, Ethiopie, Lesotho, Zimbabwe, etc).

Au-delà de la seule approche environnementaliste s’ajoute une réflexion d’ordre plus globale sur la gestion des ressources naturelles, qui pourrait être brièvement résumée par Wangari Maathai elle-même : « The environment is very important in the aspects of peace because when we destroy our resources and our resources become scarce, we fight over that » (L’environnement joue un rôle important dans le domaine de la paix car lorsque nous détruisons nos ressources naturelles et que celles-ci se raréfient nous entrons en conflit). C’est en effet pour saluer son approche « holistique » du développement durable que lui a été décerné le Prix Nobel de paix en 2004. Son engagement pour la démocratie, les droits de l’homme et notamment ceux des femmes ont été ainsi récompensés.

Wangari Maathai s’illustre donc comme la « première » à bien des égards et notamment comme la première femme africaine à recevoir le fameux Prix. Avant cela, elle s’était déjà illustrée dans le domaine académique, s’imposant comme la première femme d’Afrique de l’Est et de l’Ouest à obtenir une licence en biologie (d’une université américaine du Kansas) puis un doctorat. C’est aussi la première femme de la région à obtenir une chaire (au département d’anatomie vétérinaire) et à accéder au statut de professeur agrégée (en 1976 et 1977 respectivement).

Au niveau politique, Wangari Maathai a également eu un rôle de garde fou et d’ « élément perturbateur » face au régime du Président Arap Moi – ce qui lui vaudra plusieurs arrestations malgré le caractère non violent des actions qu’elle a entreprises (comme la manifestation pacifique au côté de femmes de prisonniers politiques pour obtenir leur libération). Le lien entre ses actions pour la préservation de l’environnement et son engagement politique pourrait être résumé par Wangari Maathai ainsi : « It is the people who must save the environment. It is the people who must change their leaders. We must stand up for what we believe in ». Wangari Maathai voulait démontrer que chaque citoyen pouvait prendre son destin et celui de son pays en main. En réalité, le simple fait d’organiser un mouvement tel que la Ceinture Verte composé de femmes menant des actions concrètes, seules instigatrices et décideuses d’un projet commun constituait déjà un acte politique en soi. Le pouvoir de démonstration du Green Belt Movement (« la société civile est capable de s’organiser, de se mobiliser et d’aboutir à des résultats concrets ») a beaucoup insécurisé le régime Moï qui, malgré de nombreuses tentatives, n’a finalement pas réussi à faire taire la Dame aux Arbres.

Politiquement engagée depuis de nombreuses années, c’est en 2002, après l’avènement du multipartisme, qu’elle obtient un siège au Parlement à la quasi unanimité des voix (98%). Elle fut ensuite nommée ministre adjointe de l’Environnement sous la présidence de l’actuel Président kenyan, Mr. Mwai Kibaki dont elle n’hésitera pas non plus à faire la critique après l’épisode houleux des élections de 2007.

Aussi, les réactions nationales et internationales ont été vives et unanimes. Tout le monde regrette la perte de celle que beaucoup (en particulier au Kenya) considèrent comme « un modèle », une « héroïne », un « mentor », « une source d’inspiration », « une digne représentante de son pays à l’étranger ». Beaucoup lui sont reconnaissants des combats qu’elle a menés dont les résultats sont encore visibles aujourd’hui. La capitale kenyane lui est notamment redevable de son opposition victorieuse contre la construction d’un building de 60 étages, décidé sous le régime du Président Arap Moi, sur le parc Uhuru (un des poumons verts de Nairobi) ainsi que son engagement pour la préservation de la forêt de Karura (au Nord de la ville). Le Green Belt Mouvement prévoit d’ailleurs l’installation d’un monument commémoratif à Karura même. De nombreux livres de condoléances ont été ouverts à divers endroits clefs de Nairobi et le seront dans chacune des 47 circonscriptions que compte le Kenya pour relayer les messages de soutien de la communauté kenyane à la famille de Wangari Maathai.

Enfin, son dernier « combat » devra être mené par ses proches : respecter sa dernière volonté de ne pas être enterrée dans un cercueil en bois… 

Léa Guillaumot