Serge Amisi: Souvenez-vous de moi, l’enfant de demain

Souvenez-vous de moi, l'enfant de demain est un roman qui raconte l’histoire d’un môme de dix ans embrigadé dans les troupes rwandaises conduites par Laurent Désiré Kabila pour chasser le maréchal Mobutu Sese Seko du pouvoir zaïrois. Arraché trop tôt de l’enfance, Serge découvre très vite les atrocités et barbaries de la guerre, car il doit passer le rituel classique de déshumanisation de l’individu par l’ordre qui lui est donné d’éliminer physiquement son oncle, venu le soustraire à la folie de la guerre.
 

Mon oncle est resté dans ce village de Beni en décidant de ne pas partir jusqu'au jour de me revoir. En restant là, il est allé se renseigné auprès des Rwandais s'ils me connaissaient. Les Rwandais lui ont demandé pourquoi il me cherchait, et l'oncle a manqué la bonne réponse, il a vraiment dit qu'il me cherchait. Les Rwandais ont arrêté mon oncle, menacé, tapé des crosses des armes, on l'a amené jusque-là où nous étions en train de prendre la formation. Et le matin, j'ai eu la nouvelle qu'on a arrêté mon oncle que j'aime. Ils m'ont drogué, ils m'ont obligé de  le tuer, je n'ai pas voulu, mais les Rwandais m'ont dit : vas-y, ce n'est pas lui qui est ton oncle, c'est ton arme qui est ton oncle. Ton père, ta mère et ta famille, c'est l'armée.[…] Et la façon que j'ai eue de tuer mon oncle, je ne savais pas qu'il pouvait mourir, car je ne connaissais pas encore l'arme, mais c'est après quand j'ai vu que c'est vrai qu'il est mort, je me suis dit : Donc l'arme ça tue.

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A partir de là, Serge Amisi raconte ses pérégrinations de kadogo (enfant soldat en swahili) au gré des déplacements des troupes rwandaises puis des troupes congolaises, suite à l’éviction des éléments armés rwandais de Kinshasa, la capitale de la RDC. C’est le regard de l’enfant qui devient par la force homme que porte Serge Amisi. Le roman d’une survie. L’histoire d’un enrôlement qui va faire d’Amisi un tireur d’élite, un guerrier, un chef de peloton, un kadogo aux quatre coins de ce grand pays.
J’ai lu ces dernières années beaucoup de textes inspirés de la tragédie des enfants soldats. Et très honnêtement, je pensais avoir fait le tour de la question, tant sur la forme, sur la manière de conter, plutôt de raconter la bêtise humaine mais également sur le fond, les auteurs utilisant leurs personnages de fiction pour explorer l’intérieur de ces milices qui terrorisent l’Afrique au nom d’intérêts politiques et économiques divers… La spécificité de l’histoire de Serge Amisi est que son action se déroule au sein d’une armée nationale. Celle de la RDC. En reconstruction certes au moment des faits, mais avec des hommes de guerre formés, des instructeurs étrangers venus de Corée du nord. Et des mômes formés à la dure comme n’importe quel adulte, punis et battus comme n’importe quel militaire mûr physiquement. Aussi quand ce que l’on a appelé à Brazzaville les « korokoro » déconnent avec leurs fusils de guerre, la sentence qu’impose la discipline militaire est également ressentie par le lecteur qui imagine les deux cent flagellations infligées au kadogo avec la même violence qu’à un adulte. 
L'extrait suivant relate la suite d'un incident où le narrateur tire dans Kinshasa suite à une altercation avec des civils :

Quand les PM* m'ont fait entrer dans leur voiture, les civils ont applaudi en leur disant qu'ils avaient fait bien de m'arrêter. Ils m'ont amené jusqu'au camp de police militaire, au camp Luanu, vers Kitambo. On est arrivé là-bas, il y avait beaucoup de PM qui sont venus là pour me regarder, ils m'ont fait jeter deux seaux d'eau. Quand j'étais mouillé, ils m'ont fermé les fils aux jambes, pour que je ne puisse pas bouger, ils ont placé deux militaires à côté de moi pour qu'ils puissent me taper 500 coups de fouet et les autres militaires continuaient à me jeter de l'eau. Avec le mal qu'il m'avait fait au marché, ils m'ont tapé dans leur camp, ils m'ont tapé, je pleurais, je pleurais, j'étais fatigué de pleurer, mais ils continuaient toujours de taper, jusqu'à ce qu'ils cessent de me taper, ils m'ont amené au cachot, ils m'ont demandé où je travaillais.

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Serge Amisi parle de sa souffrance, de sa solitude, du pouvoir qu'octroie une arme à celui qui la détient, de la troupe, des kadogo. Mais il parle aussi avec une clairvoyance intéressante de la géopolitique de cette guerre. Entre les soldats angolais, zimbabwéens, ougandais, namibiens, rwandais, les milices cobras du Congo, les rwandais et l'armée de Kabila, on ressent dans la chair de cet enfant toute la complexité du conflit qui déchire la RDC. Et je crois que c'est là que réside le plus de ce texte. La manière avec laquelle de manière consciente ou inconsciente, en relatant des propos des soldats ou des officiers, en détroussant les poches de soldats ougandais, Serge parle de cette guerre et apporte un éclairage au lecteur :

Et là, à l'aérodrome de Dongo, je venais de comprendre que les chars de combat des ougandais, ça se conduisait par des Russes. Les Russes, ils sont des Blancs. Je venais de comprendre  que des soldats ougandais, ils sont appuyés par les Américains. Les Américains ils sont des Blancs. Mais moi, je ne fais pas de politique pour entrer dans le détail  de savoir le problème des Américains, mais je sais que cette guerre est soutenue par les Américains, les ougandais nous disaient que leur armement, c'est l'armement américain. L'argent qu'on leur payait, c'est des dollars américains…

Page 217, Ed. Vents d'ailleurs
 
Pour terminer, je rappellerai un point important qui explique le style singulier de l'écriture de Serge Amisi. Ce jeune homme a été démobilisé en 2001. Et chargé par toutes les horreurs qu'il a vu, il a entrepris d'écrire en lingala (une langue des deux Congo) toute son histoire et celle d'autres kadogo dont il a recueilli les témoignages. Il a traduit le texte original avec le concours de Jean-Christophe Lanquetin. Donc, cela donne une certaine originalité qui pourrait déranger les défenseurs d'une certaine orthodoxie de l'usage de la langue française. Mais, encore une fois, c'est une transposition du lingala sur de nombreuses formules en français. C'est une belle expérience de lecture, au-delà de l'expérience de Serge Amisi.
Alors pour vous souvenir de cet enfant de demain, découvrez et faites découvrir ce récit romancé. Vous serez sûrement bouleversés, mais vous ne serez pas déçus par ce premier roman. A mettre entre les mains de tous les va-t-en guerre de la planète.
 
Carnet d'un enfant de la guerre
Editions Vents d'ailleurs, 250 pages, 1ère parution en 2011
Traduction du lingala par Serge Amisi et Jean-Christophe Lanquetin
Serge Amisi est aujourd'hui artiste, sculpteur, marionnettiste, il participe au spectacle Congo my body qui a été récemment joué à la Villette de Paris.
 
Lareus Gangoueus

L’origine des mots: le Zaïre

Je savais depuis quelques années à quel point le temps peut jouer des tours à l’usage des mots, surtout quand on y mêle de l'incompréhension linguistique. Bien souvent en Afrique, il suffit d’une discussion à bâton rompu avec un ancien pour prendre conscience que les mots ont une vie et que comme la nôtre, de vie, elle change et connait bien des péripéties :

Le Zaïre

Quand les explorateurs portugais (sous l'égide de Diogo Cão) débarquèrent sur le territoire de l’actuel RDC (15e siècle), ils cherchèrent à connaitre le nom de la contrée sur laquelle ils avaient mis le pied. En pointant du doigt leur environnement, ils demandèrent aux autochtones : « Comment s’appelle ce pays, comment nomme-t-on ce fleuve ? ».
Leurs hôtes ne comprirent pas ce que désiraient les étrangers car pour eux, un fleuve, c’était un fleuve. Donc ils répondirent en désignant le fleuve : « Nzadi ». Ce qui voulait dire dans l’un des dialectes du royaume KONGO : rivière ou fleuve.
Résultat ? Mauvaise compréhension, du fait d'une intonation qui n’existait pas dans leurs langues d’origine… Les explorateurs décrétèrent que ce pays s’appellerait désormais le « ZAÏRE ».

Croyez-vous que l’histoire s’arrête là ? Que nenni. Les mots ont une vie trépidante vous ais-je dit. Quelques siècles plus tard (19e), après que Savorgnan de Brazza se soit fait berné par Henry Morton Stanley, (ceci est une autre histoire savoureuse qui vous sera contée un de ces 4 !) ; le roi des Belges Léopold II, après que lui fut remit officiellement la propriété du territoire, rebaptisa le pays en référence à l’un des plus grand royaume autochtone en « Congo Belge ». A l’indépendance du pays (30 juin 1960), le pays devint « République du Congo », sûrement pour bien faire comprendre aux Belges que le pays n’était pas leur propriété… Il faut croire que là encore les Européens ne comprirent rien !

Quand en 1966, Mobutu Seseseko Kukuwendo Wazabanga (j’adore prononcer ce nom en entier !!) prit le pouvoir, il voulu imposer sa patte sur le pays. Outre sa « philosophie » sur l’authenticité, le changement de noms de différentes villes du pays (Léopoldville devient Kinshasa) ; il rebaptisa le pays du nom qui, selon lui, représenterait le mieux l’unité ethnique  et qui était le nom d’origine que les Belges avaient changé : le Zaïre ! … Le serpent se mord la queue et il n’a pas fini de se faire mal.

Au début des années 90, une « conférence nationale » se tient à Kinshasa qui a pour but de mettre à plat les années de dictature pour aller dans le sens du « vent de la démocratie » (sic !) qui balaie l’Afrique. A cette occasion, pour montrer la fin des années de joug dictatorial, les conférenciers décident de débaptiser le pays, d’effacer des tablettes le nom « ZAÏRE » symbole de la mégalomanie de Mobutu et ils reviennent à ce qu’ils estiment être l’essence du pays : le mot Congo. Mais l’appellation «République du Congo» prôné dans les années 60 est déjà trustée par le pays voisin. Ce sera donc… RDC ou République Démocratique (re-sic !) du Congo !!

Si j’en crois mes illustres anciens, telle est une des probables vie du nom « CONGO ». Est-ce la bonne ? Peut-être pas. Mais ce parcours chaotique me plait car il sort de la banalité d’une « trouvaille » d’un individu unique dans son coin. Ça donne au mot une allure plus « sexy » non ?

Joss Doszen