Les récents bouleversements socio-politiques ayant occasionné le départ des Présidents Tunisien et Egyptien remettent-ils en question le rejet des « changements anticonstitutionnels de gouvernements », principe fondateur de l’Union Africaine datant de la Déclaration de Lomé (Juillet 2000) ? Telle est la question auquel le rapport Unconstitutional Changes of Government: The Democrat’s Dilemma in Africa(anglais – PDF) du South African Institute of International Affairs essaie de répondre.
Huit Etats africains ont été suspendus des instances de l’Union Africaine suite à un « changement inconstitutionnel de gouvernement » : Madagascar, le Togo, La Centrafrique, la Mauritanie, la Guinée-Bissau, le Niger, la Côte d’Ivoire et la Mauritanie. La Tunisie et l’Egypte n’ont pourtant pas connu le même traitement. Pourtant, s’il est difficile de qualifier le pouvoir personnel de Mouammar Kadhafi comme étant celui d’un gouvernement élu démocratiquement – quelle que soit la définition donnée à ces termes – la destitution d’un gouvernement par la rue est clairement un changement non-constitutionnel du pouvoir, étant donné que dans une démocratie constitutionnelle, les changements de gouvernements passent par des élections.
Le fait est que la « démocratie constitutionnelle » est rarement en place avant le « changement anticonstitutionnel » et qu’il est extrêmement difficile d’établir une « démocratie réelle » par des voies pacifiques et démocratiques face à un pouvoir autoritaire. Le « constitutionnalisme démocratique » qui sous-tend l’architecture de paix et de sécurité de l’UA atteint ici ses limites : il ne permet pas de réponse adéquate aux mouvements populaires démocratiques.
La voie de contournement utilisée jusqu’ici par le Conseil de Paix et de Sécurité dans les cas tunisien et égyptien a consisté à s’en tenir à la lettre de la déclaration de Lomé qui définit les « changements anticonstitutionnels de gouvernement » de la façon suivante :
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coup d’état militaire contre un gouvernement issu d’élections démocratiques ;
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intervention de mercenaires pour renverser un gouvernement issu d’élections démocratiques ;
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intervention de groupes dissidents armés et de mouvements rebelles pour renverser un gouvernement issu d’élections démocratiques ;
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refus par un gouvernement en place de remettre le pouvoir au parti vainqueur à l’issue d’élections libres, justes et régulières ;
Il est vrai qu’en Tunisie comme en Egypte l’armée s’est astreinte, dans les premiers temps, à une rare réserve, fournissant ainsi, au Conseil l’astuce juridique indispensable. Cet artifice ne peut être que temporaire. La crise libyenne devrait permettre de clarifier la jurisprudence de l’UA en matière de défense de la démocratie. Les premières déclarations du Conseil de Paix et de Sécurité sur la Lybie[1] sont encourageantes – d’autant plus que la Guinée-Bissau, le Zimbabwe et le Tchad y siégeaient!
L’UA est, peut-être, en voie de passer son test d’adhésion à la démocratie et aux Droits de l’Homme, même s’il lui reste encore à construire un cadre juridique plus solide et durable que la condamnation indiscriminée de tous les changements non-constitutionnels de gouvernement. Règle qui l’empêche d’établir un dosage de sa réponse selon le contexte, de la simple et très formelle condamnation, à la suspension puis aux sanctions économiques.
[1] « Le Conseil … condamne fermement l’utilisation indiscriminée et excessive de la force et des armes contre les manifestants pacifiques en violation aux Droits de l’Homme et au Droit international humanitaire… et… Souligne que les aspirations du peuple libyen a la démocratie, a la reforme politique, a la justice et au développement socio-économique sont légitimes et exige a ce qu'elles soient respectées. Declaration du CSP le 23/02/2011
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L’UA est, peut-être, en voie de passer son test d’adhésion à la démocratie et aux Droits de l’Homme, même s’il lui reste encore à construire un cadre juridique plus solide et durable que la condamnation indiscriminée de tous les changements non-constitutionnels de gouvernement. Règle qui l’empêche d’établir un dosage de sa réponse selon le contexte, de la simple et très formelle condamnation, à la suspension puis aux sanctions économiques.