La RSE, un outil pour le développement de l’économie verte en Afrique

rse-ethiqueLa Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE- corporate social responsability en anglais) est un concept qui promeut une gestion éthique et civique des entreprises. C’est le cadre d’action par lequel est envisagée actuellement une économe verte. Au niveau africain, la RSE reste ambivalente.

Cet article s’inscrit dans  le cadre de la préparation du Forum International sur le Green Business qui sera organisé à Pointe Noire du 17 au 19  mai 2016"​

Forgée au niveau international[1], la RSE s’impose d’abord aux multinationales qui sont invitées à «appliquer dans leur sphère d’influence un ensemble de valeurs fondamentales, dans les domaines des droits de l’Homme, des normes de travail et de l’environnement et de la lutte contre la corruption »[2]. Il s’agit pour les entreprises de contribuer au développement durable et de considérer leur performance d’un point de vue global : financière, environnementale, sociale[3]. En Afrique, cette démarche est encore difficilement reprise. Elle est pourtant prônée par certains comme étant « un outil de développement », notamment pour le secteur privé.

La RSE en Afrique, un outil de développement ?

Les partisans de cette démarche y voient une opportunité pour le développement du continent.  Cet argumentaire repose sur une double volonté. Il s’agit d’une part de mettre au pas les filiales des multinationales dont beaucoup ont été indexées pour leur manque de considération pour les enjeux sociaux et environnementaux des contextes où elles sont implantées. De nombreux exemples suggèrent même des abus, notamment en matière d’appropriation des ressources sans consultation des populations locales, leur exploitation sauvage et la non-distribution des recettes générées. D’autre part, la promotion de la RSE auprès des entreprises implantées en Afrique répond à un paradoxe simple : ces dernières décennies, les taux de croissance et les bénéfices générés par les entreprises en Afrique contrastent avec le niveau de développement social. La RSE est donc un moyen de valoriser les entreprises dans leur rôle social et de maximiser les bénéfices pour la société et l’environnement de leurs activités.

L’accent est en particulier mis sur la nécessité pour les entreprises non seulement de respecter les droits de l’homme mais aussi de le promouvoir. Cet engagement en faveur des droits de l’homme concerne autant les relations et les conditions de travail des salariés que les impacts indirects liés au choix des clients, fournisseurs et collaborateurs. En contrepartie, les entreprises engagées dans cette démarche bénéficient d’un avantage concurrentiel qui les distingue pour leurs bonnes pratiques.

La démarche RSE apparaît aussi comme un outil de développement durable en ce qu’elle inclut une démarche de gestion de l’environnement. Les entreprises sont incitées à évaluer leur impact environnement ainsi qu’à agir pour le réduire. Cet aspect concerne essentiellement des enjeux qui peinent à être pris en charge par les autorités publiques africaines : la gestion des déchets, la lutte contre les pollutions et autres nuisances. D’autant plus que les entreprises, en particulier les groupes multinationaux, portent une lourde responsabilité dans la gestion des ressources, notamment dans les territoires les plus riches en matières premières. Ainsi, dans le Bassin du Congo, la RSE est un instrument clef pour garantir la légalité et la traçabilité des productions de bois, un prélèvement sélectif des arbres ainsi que des cultures agro-forestières raisonnées. Dans le secteur minier, la RSE contribue à renforcer l’application de dispositifs de protection de l’environnement et des riverains ainsi qu’à favoriser le réaménagement des anciennes mines et puits. La gestion des ressources est d’ailleurs pour l’Afrique une problématique cruciale dans la mesure où le changement climatique se manifeste de façon radicale dans beaucoup de régions (désertification, diminution de la biodiversité, salinisation des terres, montée des eaux etc.).

Par ailleurs, le démarche RSE participe à la démocratisation de la vie locale. En effet, cette démarche repose sur la concertation des parties prenantes dans la gestion des rapports de force liés aux divergences d’intérêts. A termes et par un effet d’entrainement, les plus optimistes affirment que la RSE contribue à la régulation et la structuration de l’environnement des affaires car la RSE nécessite une organisation et une formalisation des acteurs économiques[4].

Un outil pas encore adapté aux réalités africaines ?

Malgré son potentiel en terme de développement durable locale, les entreprises africaines peinent à s’approprier la démarche RSE. Notons d’abord que la RSE en Afrique pâtît encore quelque peu d’une notoriété négative. Celle-ci est liée aux pratiques de certaines multinationales qui ont instrumentalisé cette démarche à des fins de greenwashing [5].

Mais la difficile diffusion de la RSE est avant tout à mettre en rapport avec le contexte économique et culturel africain. L’importance du secteur informel est un premier obstacle à la mise en œuvre de la RSE tant pour les filiales de groupes étrangers que pour les entreprises locales. La culture de l’informel empêche les acteurs économiques de se doter du niveau d’organisation interne et externe ainsi que de la visibilité nécessaires à toute démarche RSE.

S’ajoute aussi d’autres comportements provoqués par la pauvreté. En effet, la pauvreté engendre un certain nombre de pratiques qui freinent la mise en place de la RSE au niveau individuel et collectif. Par exemple, l’imprévisibilité et la faible visibilité empêchent de dresser des perspectives à longs termes. En outre, la RSE nécessite de nombreux investissements que les entreprises sont réticeintes à financer, estimant que ces actions n’engendrent pas un retour sur investissement rapide.

La démarche RSE ne peut enfin être effective que si les parties-prenants des activités des entreprises ont le pouvoir nécessaire pour contraindre les entreprises à véritablement intégrer cette démarche dans leurs stratégies. Les partie-prenantes sont toutefois confrontées à un problème de représentation, notamment pour ce qui est de l’environnement et des populations locales. Ceci est d’autant plus le cas dans les régions où les tensions politiques sont vives et où les ressources sont captées par des factions politico-militaires.

Il existe à ce jour plusieurs initiatives visant à promouvoir la démarche auprès des entreprises. Des réseaux et instituts de sensibilisation (Initiative RSE Sénégal, Institut RSE Afrique, l’association Kilimandjao) ont été créés pour former les cadres des secteurs public et privé à cette démarque éthique et proposent la valorisation des bonnes pratiques par des labels. Quelques PME innovent aussi par le modèle de gestion qu’elles présentent. Reste peut être à impulser une dynamique à tous les échelons afin de créer des partenariats entre les autorités publiques et les acteurs économiques de toutes sortes. La RSE peut ainsi être une opportunité pour accélérer la formalisation de la scène économique et politique en Afrique.

Mame Thiaba Diagne


[1] La RSE est issue des  Principes directeurs de l’OCDE pour les entreprises multinationales (1976),  Pacte Mondial des Nations Unies (2000), Principes directeurs des Nations Unies sur les droits de l’Homme et les entreprises  du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies (2011),  norme ISO 26000, 3e Communication de la Commission européenne sur la RSE (2010).

 

 

[2] Pacte Mondial des Nations Unies, 2000.

 

 

[3] La norme ISO 260000 décline le référenciel de RSE en 7 thématiques : sept thématiques : la gouvernance de l’organisation, les droits de l’homme, les relations et conditions de travail, l’environnement, la loyauté des pratiques, les questions relatives aux consommateurs, les communautés et le développement local – la dimension économique étant considérée comme transversale

 

 

[4] Voir TENE Thierry, « les enjeux de la RSE en Afrique », mis en ligne le 12 septembre 2012, consulté le 10 mars 2016 http://www.youphil.com/fr/article/05637-les-enjeux-de-la-rse-en-afrique?ypcli=ano.consulté .

 

 

[5] Soutenir ostentatoirement des projets de développement durable pour dissimuler les outrages humains et environnementaux provoqués par leur activité. Depuis, la RSE s’est dissociée des pratiques de mécénats. Voir YOUSSOUFOU Hamadou Daouda, « la Responsabilité sociétale des multinationales en Afrique subsaharienne : enjeux et controverses. Cas du groupe AREVA au Niger ». VertigO – la revue électronique en sciences de l'environnement, Volume 14 Numéro 1 | mai 2014, mis en ligne le 30 avril 2014, consulté le 10 mars 2016. URL : http://vertigo.revues.org/14712 ; DOI : 10.4000/vertigo.14712

 

 

Le numérique, un atout pour le développement de l’économie verte en Afrique ?

clipboard06Le numérique, particulièrement la téléphonie mobile marque une rupture dans le quotidien des africains de par les opportunités qu’elle offre à toujours plus de personnes. Cette technologie a donné naissance à des innovations qui serviraient considérablement le développement de l’économie verte sur le continent.  

Cet article s’inscrit dans  le cadre de la préparation du Forum International sur le Green Business qui sera organisé à Pointe Noire du 17 au 19  mai 2016.

La pénétration du mobile en Afrique, un rattrapage à un rythme incroyable

La révolution numérique africaine s’initie certes avec quelques décennies de décalage par rapport aux autres régions du monde. Néanmoins, elle est bien enclenchée, portée par la « révolution mobile ».  La  percée de cette technologie depuis le début des années 2000 est fulgurante, au point que le continent connaît la plus forte croissance au monde de la téléphonie et de l’internet mobiles.  Aujourd’hui, 80% de la population[i] est équipée d’un téléphone mobile contre 1% en 2000 alors que moins de 30% de la population a accès à l’électricité.

Cette pénétration rapide de la téléphonie s’accompagne de la création de nouveaux usages adaptés aux contextes socio-économiques africains qui pourraient pallier les difficultés économiques structurelles du continent. Les agendas publics ont tout intérêt à intégrer ces innovations.

L’exemple de l’amélioration des pratiques agricoles grâce à la téléphonie

La téléphonie a donné lieu à plusieurs expérimentations en matière agricole, notamment pour l’amélioration de l’accès aux savoirs et savoir-faire, qui, à grande échelle pourraient servir l’agriculture verte. Par exemple, l’ONG SAILD[ii] développe depuis 2004 le programme Allô Ingénieur dans tout le Cameroun qui permet aux agriculteurs de bipper un ingénieur agronome qui les rappelle ensuite. Ce service a une incidence notamment sur le choix des productions agricoles et l’achat des équipements au démarrage d’un projet agricole. Les ingénieurs du programme sont également sollicités à propos de l’usage des intrants agricoles. La généralisation d’un tel service contribuerait de lutter contre les mauvaises utilisations des pesticides et engrais liés à la méconnaissance des modalités d’utilisation par les producteurs. Ce mode de vulgarisation interactif permet aussi de promouvoir de meilleures pratiques dans l’utilisation des intrants et de rationnaliser les productions.

En matière vétérinaire, la FAO a expérimenté en 2013 au Kenya une application mobile en partenariat avec le Royal Veterinary College et l'ONG locale Vetaid[iii]. EpiCollect permet aux vétérinaires de suivre les campagnes de vaccination et les soins prodigués aux animaux mais aussi de lancer des alertes précoces sur d'éventuels foyers de maladies animales. Si la phase teste s’avère concluante, ces outils peuvent être mis à la disposition des anciens d'un village et de réseaux bien établis de travailleurs communautaires s'occupant de santé animale.

Des entreprises kenyanes proposent aussi de souscrire à un service de diffusion d’information en temps réel par SMS sur les conditions climatiques mais aussi sur les conjonctures économiques régionales. Ces systèmes d’information relient les paysans, ceux les plus éloignés des points de vente,  aux marchés pour qu’ils puissent faire de meilleurs choix stratégiques et renforcent leur pouvoir de négociation[iv].

La téléphonie contribue ainsi dans le contexte du dérèglement climatique à améliorer les pratiques agricoles.

Le numérique au service de l’entreprenariat vert

L’avancée du numérique révolutionne l’entreprenariat en Afrique. En matière financière, elle améliore l’accès au service de paiement dématérialisé. C’est au Kenya que les services financiers par téléphone mobile se sont d’abord développés. Créé en 2007, par l’opérateur mobile Safaricom[v],  le service M-Pesa[vi] permet aux utilisateurs de déposer et de retirer de l’argent à partir d’un réseau d’agents certifiés, de transférer de l’argent à des tierces personnes et de payer des factures. Les avantages du m-paiement sont nombreux : quasi instantané, il réduit considérément la distance entre les utilisateurs ; son coût reste inférieur à celui que nécessite la gestion d’un compte bancaire. Il est surtout facile à appréhender et à appliquer, même dans un contexte d’analphabétisme.

Vecteur de flux financiers, le téléphone mobile, pallie le manque de canaux formels de transaction bancaire et accélère même la bancarisation d’une partie de la population. Grâce à des partenariats entre banques et opérateurs mobiles, de nouveaux services financiers plus sûrs et diversifiés sont développés : microcrédit, micro-épargne et micro-assurance. Ces services bancaires par mobile supposent la possession d’un compte en banque et s’adressent à des utilisateurs déjà habitués au m-paiement. Des dispositifs sont d’ailleurs mis en place pour aider les utilisateurs du m-paiement à migrer vers cette seconde offre.

L’entreprenariat en Afrique bénéficie aussi de la progression d’une autre technologie numérique, pas encore évoquée ici : l’internet. « Moins un pays est développé, plus Internet a des raisons d’exister », a dit d’ailleurs Sacha Poignonnec, cofondateur de Africa Internet Group. Encore faiblement développé sur le continent, Internet rend accessibles, aux classes moyennes en priorité, de nouvelles offres, via des market-places (plateformes de vente en ligne). Jumia[vii], le leader africain de l’e-commerce, propose des services similaires à ceux fournis en Europe ou aux Etats-Unis : téléphones, fours à micro-ondes, grilles pains, jouets et autres biens de consommation, sont livrés  à domicile dans une dizaine de  pays[viii], même dans les régions reculées ou peu sécurisées.

Fabuleux vecteur de bonnes pratiques entrepreneuriales, Internet permet à des initiatives telles que Rocket Africa de favoriser le développement de technologies et nouveaux concepts verts. Cet incubateur de start-up tire parti des opportunités créées par le net pour faciliter l’implantation en Afrique d’innovations qui ont déjà fait leurs preuves ailleurs.

En conclusion, les technologies numériques et les innovations dont elles sont porteuses sont au service de l’autonomisation des entrepreneurs et des producteurs agricoles. La téléphonie mobile, contribue à l’amélioration de la circulation de l’information alors que les infrastructures de base déficitaires isolent les territoires et entravent le fonctionnement des administrations publiques et privées. Elle offre davantage d’opportunités aux entrepreneures. De telles innovations appellent à de meilleures interactions entre les acteurs concernés par le développement durable.

Thiaba Diagne


[i]DAOUDI Dounia, « E-commerce, M-banking: l’Afrique s’investit », RFI, 22 février 2016, http://www.rfi.fr/economie/20160222-e-commerce-banking-afrique-investit-telephonie-mobile-internet-kenya-nigeria-rdc.

[ii] LEMOGO Jerry Laurence, TIC, agriculture et révolution verte en Afrique: le cas du Cameroun, Editions Universitaires Européennes, 2013.

[iii]FAO, « Les téléphones portables révolutionnent la filière élevage au Kenya », ttp://www.fao.org/news/story/fr/item/170808/icode/.

[iv] ICT UpDate, Bulletin d’alerte pour l’agriculture ACPWageningen, numéro 77, avril 2014, pages 6 à 9.

[v] La société de télécommunication britannique Vodafone est le principal actionnaire d Safaricom.

[vi] CHAIX Laetitia, TORRE Dominique, « Le double rôle du paiement mobile dans les pays en développement  », Revue économique 2015/4 (Vol. 66), p. 703-727.

[vii] KANE Coumba et MICHEL Serge, « L’Afrique, terre de conquête du e-commerce, entretien avec Sacha  Poignonnec  », Le Monde, 06 juin 2015, http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/03/06/l-afrique-terre-de-conquete-du-e-commerce_4588836_3212.html.

[viii]  Afrique du Sud, Algérie, Cameroun, Côte d'Ivoire, Egypte, Ethiopie Ghana, Kenya, Marocn Mozambique, Nigeria, Ouganda, Rwanda, Tanzanie.