La RSE, un outil pour le développement de l’économie verte en Afrique

rse-ethiqueLa Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE- corporate social responsability en anglais) est un concept qui promeut une gestion éthique et civique des entreprises. C’est le cadre d’action par lequel est envisagée actuellement une économe verte. Au niveau africain, la RSE reste ambivalente.

Cet article s’inscrit dans  le cadre de la préparation du Forum International sur le Green Business qui sera organisé à Pointe Noire du 17 au 19  mai 2016"​

Forgée au niveau international[1], la RSE s’impose d’abord aux multinationales qui sont invitées à «appliquer dans leur sphère d’influence un ensemble de valeurs fondamentales, dans les domaines des droits de l’Homme, des normes de travail et de l’environnement et de la lutte contre la corruption »[2]. Il s’agit pour les entreprises de contribuer au développement durable et de considérer leur performance d’un point de vue global : financière, environnementale, sociale[3]. En Afrique, cette démarche est encore difficilement reprise. Elle est pourtant prônée par certains comme étant « un outil de développement », notamment pour le secteur privé.

La RSE en Afrique, un outil de développement ?

Les partisans de cette démarche y voient une opportunité pour le développement du continent.  Cet argumentaire repose sur une double volonté. Il s’agit d’une part de mettre au pas les filiales des multinationales dont beaucoup ont été indexées pour leur manque de considération pour les enjeux sociaux et environnementaux des contextes où elles sont implantées. De nombreux exemples suggèrent même des abus, notamment en matière d’appropriation des ressources sans consultation des populations locales, leur exploitation sauvage et la non-distribution des recettes générées. D’autre part, la promotion de la RSE auprès des entreprises implantées en Afrique répond à un paradoxe simple : ces dernières décennies, les taux de croissance et les bénéfices générés par les entreprises en Afrique contrastent avec le niveau de développement social. La RSE est donc un moyen de valoriser les entreprises dans leur rôle social et de maximiser les bénéfices pour la société et l’environnement de leurs activités.

L’accent est en particulier mis sur la nécessité pour les entreprises non seulement de respecter les droits de l’homme mais aussi de le promouvoir. Cet engagement en faveur des droits de l’homme concerne autant les relations et les conditions de travail des salariés que les impacts indirects liés au choix des clients, fournisseurs et collaborateurs. En contrepartie, les entreprises engagées dans cette démarche bénéficient d’un avantage concurrentiel qui les distingue pour leurs bonnes pratiques.

La démarche RSE apparaît aussi comme un outil de développement durable en ce qu’elle inclut une démarche de gestion de l’environnement. Les entreprises sont incitées à évaluer leur impact environnement ainsi qu’à agir pour le réduire. Cet aspect concerne essentiellement des enjeux qui peinent à être pris en charge par les autorités publiques africaines : la gestion des déchets, la lutte contre les pollutions et autres nuisances. D’autant plus que les entreprises, en particulier les groupes multinationaux, portent une lourde responsabilité dans la gestion des ressources, notamment dans les territoires les plus riches en matières premières. Ainsi, dans le Bassin du Congo, la RSE est un instrument clef pour garantir la légalité et la traçabilité des productions de bois, un prélèvement sélectif des arbres ainsi que des cultures agro-forestières raisonnées. Dans le secteur minier, la RSE contribue à renforcer l’application de dispositifs de protection de l’environnement et des riverains ainsi qu’à favoriser le réaménagement des anciennes mines et puits. La gestion des ressources est d’ailleurs pour l’Afrique une problématique cruciale dans la mesure où le changement climatique se manifeste de façon radicale dans beaucoup de régions (désertification, diminution de la biodiversité, salinisation des terres, montée des eaux etc.).

Par ailleurs, le démarche RSE participe à la démocratisation de la vie locale. En effet, cette démarche repose sur la concertation des parties prenantes dans la gestion des rapports de force liés aux divergences d’intérêts. A termes et par un effet d’entrainement, les plus optimistes affirment que la RSE contribue à la régulation et la structuration de l’environnement des affaires car la RSE nécessite une organisation et une formalisation des acteurs économiques[4].

Un outil pas encore adapté aux réalités africaines ?

Malgré son potentiel en terme de développement durable locale, les entreprises africaines peinent à s’approprier la démarche RSE. Notons d’abord que la RSE en Afrique pâtît encore quelque peu d’une notoriété négative. Celle-ci est liée aux pratiques de certaines multinationales qui ont instrumentalisé cette démarche à des fins de greenwashing [5].

Mais la difficile diffusion de la RSE est avant tout à mettre en rapport avec le contexte économique et culturel africain. L’importance du secteur informel est un premier obstacle à la mise en œuvre de la RSE tant pour les filiales de groupes étrangers que pour les entreprises locales. La culture de l’informel empêche les acteurs économiques de se doter du niveau d’organisation interne et externe ainsi que de la visibilité nécessaires à toute démarche RSE.

S’ajoute aussi d’autres comportements provoqués par la pauvreté. En effet, la pauvreté engendre un certain nombre de pratiques qui freinent la mise en place de la RSE au niveau individuel et collectif. Par exemple, l’imprévisibilité et la faible visibilité empêchent de dresser des perspectives à longs termes. En outre, la RSE nécessite de nombreux investissements que les entreprises sont réticeintes à financer, estimant que ces actions n’engendrent pas un retour sur investissement rapide.

La démarche RSE ne peut enfin être effective que si les parties-prenants des activités des entreprises ont le pouvoir nécessaire pour contraindre les entreprises à véritablement intégrer cette démarche dans leurs stratégies. Les partie-prenantes sont toutefois confrontées à un problème de représentation, notamment pour ce qui est de l’environnement et des populations locales. Ceci est d’autant plus le cas dans les régions où les tensions politiques sont vives et où les ressources sont captées par des factions politico-militaires.

Il existe à ce jour plusieurs initiatives visant à promouvoir la démarche auprès des entreprises. Des réseaux et instituts de sensibilisation (Initiative RSE Sénégal, Institut RSE Afrique, l’association Kilimandjao) ont été créés pour former les cadres des secteurs public et privé à cette démarque éthique et proposent la valorisation des bonnes pratiques par des labels. Quelques PME innovent aussi par le modèle de gestion qu’elles présentent. Reste peut être à impulser une dynamique à tous les échelons afin de créer des partenariats entre les autorités publiques et les acteurs économiques de toutes sortes. La RSE peut ainsi être une opportunité pour accélérer la formalisation de la scène économique et politique en Afrique.

Mame Thiaba Diagne


[1] La RSE est issue des  Principes directeurs de l’OCDE pour les entreprises multinationales (1976),  Pacte Mondial des Nations Unies (2000), Principes directeurs des Nations Unies sur les droits de l’Homme et les entreprises  du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies (2011),  norme ISO 26000, 3e Communication de la Commission européenne sur la RSE (2010).

 

 

[2] Pacte Mondial des Nations Unies, 2000.

 

 

[3] La norme ISO 260000 décline le référenciel de RSE en 7 thématiques : sept thématiques : la gouvernance de l’organisation, les droits de l’homme, les relations et conditions de travail, l’environnement, la loyauté des pratiques, les questions relatives aux consommateurs, les communautés et le développement local – la dimension économique étant considérée comme transversale

 

 

[4] Voir TENE Thierry, « les enjeux de la RSE en Afrique », mis en ligne le 12 septembre 2012, consulté le 10 mars 2016 http://www.youphil.com/fr/article/05637-les-enjeux-de-la-rse-en-afrique?ypcli=ano.consulté .

 

 

[5] Soutenir ostentatoirement des projets de développement durable pour dissimuler les outrages humains et environnementaux provoqués par leur activité. Depuis, la RSE s’est dissociée des pratiques de mécénats. Voir YOUSSOUFOU Hamadou Daouda, « la Responsabilité sociétale des multinationales en Afrique subsaharienne : enjeux et controverses. Cas du groupe AREVA au Niger ». VertigO – la revue électronique en sciences de l'environnement, Volume 14 Numéro 1 | mai 2014, mis en ligne le 30 avril 2014, consulté le 10 mars 2016. URL : http://vertigo.revues.org/14712 ; DOI : 10.4000/vertigo.14712

 

 

Développement de l’énergie en Afrique : quel espoir au delà de la médiatisation ?

energies-renouvelables-scandale-financierQuelle que soit sa source, l’électricité est l’un des piliers de la compétitivité et de la prospérité partagée d’un pays. Revenu au cœur des débats publics, l’accès pour tous à l’énergie est devenu la marque de fabrique de multiples organismes institutionnels, gouvernements et fonds d’investissement compte tenu de la place que tendent à occuper les énergies renouvelables. Rappelons-nous qu’en 2013, le président des Etats Unis d’Amérique a annoncé la réalisation du mégalodron « Power Africa » qui consisterait en la concentration de 7 milliards de dollars USD dans l’installation de 10 000 MW supplémentaires pour connecter 20 millions de foyers et entreprises. En ce début d’année, le ministre français, Jean Louis Borloo était sous les feux des projecteurs pour présenter son plan Marshall qui vise à électrifier toute l’Afrique en dix années à hauteur d’un investissement de 200 milliards d’euros. Bien que ces initiatives soient louables, leur concrétisation et impact peuvent s’analyser de deux façons différentes :   d’une part, par le biais d’une nouvelle forme d’aides au développement dont l’action est davantage centrée autour de secteurs porteurs de richesses ou susceptibles d’affecter plus fortement la population  ; d’autre part, comme une opportunité à saisir par des multi nationales conscientes de l’amélioration du climat des affaires de nombreux pays du continent africain. Garants de l’afro responsabilité, nous avons décidé d’approcher sous trois angles différents cette médiatisation énergétique.

Une question pertinente, mais pas forcément prise sous le bon angle

Plusieurs articles de L’Afrique des Idées ont traité la question de l’énergie en général et de l’accès à l’énergie électrique de façon spécifique.  Malgré les multiples solutions qui existent de nos jours, les principaux obstacles au développement de la filière peuvent se résumer autour des trois points à savoir : (i) l’absence d’un cadre réglementaire propice au climat des affaires et en particulier dans un secteur où la rentabilité s’accorde sur le très long terme[1] ; (ii) la part importante des subventions qui semblent ne profiter qu’aux ménages les plus aisés[2] et (iii) la pérennité des projets par le coût d’accès abordable et durable[3] compte tenu du pouvoir d’achat. La question de l’énergie en Afrique semble donc plus corrélée au climat des affaires et aux disponibilités à payer des clients finaux hors subventions plutôt qu’à la question de capital-investissement qui est l’approche des initiatives évoquées ci-dessus.

Pourtant, plusieurs initiatives locales et sous régionales existent

A l’instar des espaces économiques, il existe aussi des pôles sous régionaux d’électricité (WAPP, EAPP, SAPP, etc..). Ces « Regional Power Pool » militent en faveur de l’intégration régionale. Il s’agira à long terme de créer des autoroutes de transport et de distribution de l’énergie produite. La complexité de la question du stockage jumelée à celle de l’intermittence des énergies nouvelles obligeront les parcs de production à se synchroniser en permanence pour répondre aux besoins de consommation, qui eux sont peu flexibles et ne cessent de s’accroitre.

En ce qui concerne l’électrification des zones rurales, il existe une institution baptisée « Club ER[4] » qui regroupe les agences et structures africaines en charge de l’accès à l’électricité en zone rurale. Basée à Abidjan depuis moins d’un an, le Club ER est une synergie des retours d’expérience des pays membres pour renforcer les institutions et le personnel par des solutions locales. Appuyée par l’Union Européenne pour sa première phase, l’institution est emmenée à voler de ses propres ailes dans les années à venir.

Un continent tourné vers lui-même et vers l’avenir et qui ne fait qu’écrire son Histoire

Dans une Afrique réputée pour son hétérogénéité, l’harmonisation des espaces régionaux a aussi accéléré la mise en œuvre des politiques énergétiques. A l’Ouest, la Commission de l’Union Monétaire Ouest Africaine finance depuis trois ans le Projet Régional de Développement des Energies Renouvelables et de l’Efficacité à hauteur de 20 millions d’euros dans sa phase pilote pour inciter les gouvernements à investir dans les énergies nouvelles. A l’Est, le Kenya et l’Ethiopie renforcent leur interconnexion pour combiner l’énorme parc géothermique et hydraulique en cours de construction. Au Centre, le projet Inga est encore à l’étude. Au Sud et au Nord, le travail a déjà été accompli, quand bien même la diversification des sources de production redéfinit la gestion du secteur. L’Afrique du Sud vient de lancer un Dossier d’Appel d’Offres de 500 MW supplémentaires.

Loin des projecteurs, le secteur de l’énergie en Afrique fourmille d’idées et de projets. Jean Raspail disait « que dans la guerre des ondes, le commentaire masque toujours l’événement[5] ». L’espoir est en déclin car si on ne veut se voir imposer des choix, nous devons être capables d’écrire notre avenir. C’est en cela que l’Afrique marque une révolution formidable car elle brûle certaines étapes ; elle mise autant sur le stockage et les réseaux intelligents sans passer par une industrie centralisée. Dangote souhaite diversifier ses investissements en signant un partenariat avec General Electric, pionnier dans la fabrication de turbines. Le groupe souhaite aussi faire de ses cimenteries des centrales à cycle combiné qui produiraient à la fois de l’électricité et de la chaleur en sus du ciment.

Enfin, l’espoir est en déclin parce qu’il ne s’agira pas simplement d’électrifier le continent. Il faudra garantir une énergie accessible à la masse dans un environnement où plusieurs centres d’accouchement n’ont qu’une bougie ou un téléphone portable pour s’éclairer, de multiples commerces, des hôpitaux et même des morgues ne peuvent respecter la chaine du froid faute d’une continuité de l’électricité, un avion en cours d’atterrissage est victime du délestage de l’aéroport ; ou simplement  ce pénalty d’une phase finale de coupe du monde écourté… C’est en cela que subsistent les défis de l’Afrique que nous voulons.[6]

Léomick Sinsin


[1] Le dilemme de l’électrification rurale

 

 

 

 

 

[2] Les subventions à l’énergie sont elles nécessaires ?

 

 

 

 

 

[3] Quelles sont les énergies les moins chères ?

 

 

 

 

 

[5] Le camp des saints, Jean Raspail

[6] http://terangaweb.com/lafriquequenousvoulons-2/

 

 

 

 

 

Comment concilier industrialisation et changements climatiques?

1172609_cop21-les-entreprises-face-au-defi-du-changement-climatique-web-tete-021458152988« Aucun pays ni aucune région du monde n’a atteint la prospérité et une vie socio-économique décente pour ses citoyens sans le développement d’un secteur industriel robuste » soutiennent les chefs d’État et de gouvernement africains lorsqu’ils adoptent le Plan d’action pour le développement industriel accéléré de l’Afrique (AIDA) lors de la dixième Conférence de l’Union africaine en janvier 2008 consacrée à l’industrialisation de l’Afrique. Or l’industrialisation rime avec exploitation intensive des ressources naturelles sans réel souci de durabilité. Comment les pays africains réussiront-t-ils à harmoniser le développement industriel avec la préservation de l’environnement et une gestion durable des ressources ?

Affronter les défis

Les économies des Etats africains subsahariens reposent essentiellement sur les secteurs d’extraction pétrolière, miniers et agricoles. Les principaux défis consistent à concilier les obligations en matière d’adaptation et  d’atténuation du changement climatique avec l’objectif d’atteindre « la prospérité et une vie socio-économique décente» à travers l’industrialisation au regard des moyens dont dispose ces pays. Contraints par les normes environnementales, ces Etats ne disposeront pas de beaucoup de marge de manœuvre pour construire un système industriel compétitif.

Un des principaux freins est le déficit d’infrastructures d’énergie et de communication qui entrave la compétitivité en augmentant les coûts de production et de transport. Ces déficits sont en partie entretenus par des difficultés liées à l’accès aux financements qui demeurent essentiels pour le développement industriel. En effet, beaucoup d’incertitudes et des risques perçus ou réels sont associés à la situation des pays subsahariens. Ils sont souvent associés à l’instabilité politique, la corruption endémique, l’absence de cadre légal, une relative fragilité institutionnelle et un manque de débouchés.

La faiblesse des systèmes financiers du continent empêchant l’éclosion d’un écosystème capable d’engendrer des champions industriels dans les pays subsahariens, le cercle est vicieux. En plus de ces éléments, l’absence d’intégration régionale effective limite la croissance d’un marché régional qui stimulerait un investissement massif dans le secteur industriel.

Par ailleurs, les grandes multinationales qui possèdent les concessions des principales mines des pays africains et contrôlent de fait des pans entiers de ces secteurs ne sont pas africaines. Ce sont des capitaux étrangers dont la vocation principale n’est pas d’offrir d’emplois aux africains ou de se soucier particulièrement de leur bien-être. Cette responsabilité qui incombe aux gouvernements doit les inciter à s’approprier le contrôle de leurs ressources en prenant une plus grande participation dans ces entreprises ou en favorisant la création des champions locaux. Les gouvernements africains sont déjà passés par toutes les phases de désillusion. Alors qu’ils n’ont pas consolidé leurs systèmes industriels naissants à l’époque post-indépendance, ils sont passés aux ajustements structurels des années 80-90 les amenant dans une dynamique de desintrustrialisation massive. Ils ont enfin le recul nécessaire pour prendre les décisions à même d’apporter plus de bien-être à leurs populations.

L’insuffisance des capacités techniques et le retard technologique ont limité la compétitivité industrielle du continent. L’une des contraintes actuelles est la nécessité de répondre aux normes internationales tant sur le plan environnemental que sur la qualité des produits. L’incapacité de certains pays africains à répondre aux normes qualitatives fixées par les pays développés le réflexe protectionniste de ces derniers qui imposent toujours plus de normes, parfois de manières déraisonnée pour protéger leurs produits sont des véritables freins au « made in Africa ».

Ces contraintes peuvent être allégées, notamment en concentrant l’effort – d’industrialisation sur des segments de valeur où le potentiel existe déjà et en consolidant un véritable marché intérieur.

Libérer le potentiel local par des approches novatrices

La voie vers un développement économique passe par un système industriel non polluant, peu générateur de carbone et basé sur des énergies renouvelables. Il est nécessaire de prendre en main les ressources naturelles et de ne plus les exporter sous forme brute mais après transformation locale. La chute actuelle des cours de matières premières qui a entrainé beaucoup de pays subsahariens dans des difficultés budgétaires accrues rappelle l’urgence de diversifier les économies africaines en captant une plus grande valeur de leurs ressources minières et agro-industrielle. Cette occasion, jusque-là manquée, peut être saisie  en tirant parti du dérèglement climatique actuel grâce à l’économie verte. Elle appelle à des transformations structurelles importantes au niveau des Etats : une transformation économique en adaptant des technologies rationnelles, écologiques aux conditions locales et en associant les savoirs-faire autochtones. Chaque pays peut, en fonction de ses ressources naturelles et humaines et dans un cadre régional harmonisé, concevoir une stratégie centrée sur leur utilisation durable et efficace. Les pays qui s’y sont déjà engagés seront fortement encouragés. Les efforts de l’Union Africaine et des institutions sous-régionales doivent être pris à bras le corps par chaque Etat et les dispositions telles que les suppressions des barrières douanières dans le marché commun correctement appliquées.

C’est en concevant des stratégies de développement durable et en orientant les actions publiques dans ce sens, que le défi de créer un système industriel robuste à même d’apporter la prospérité aux populations africaines pourra être atteint. Pour cela, il faudra innover dans les approches de réflexion tout comme celle de fonctionnement. Une meilleure approche consiste à privilégier le financement du développement industriel par un apport de sources intérieures aux pays ou au continent car cela conduirait à une meilleure appropriation locale du processus avec une meilleure chance d’atteindre efficacement les résultats escomptés.

L’investissement dans les énergies renouvelables, l’éducation et la technologie est à la base de la transformation réclamée. Il ne s’agit pas forcement de développer une industrie à forte valeur ajoutée mais de se concentrer pour chaque pays et chaque sous-région sur  des secteurs clés où les ressources existantes peuvent permettre le lancement d’un processus industriel capable de peser positivement sur le balance commercial. Le travail consiste à se réapproprier des secteurs prioritaires tels que les mines et les bois et encourager la transformation agricole locale. Il exige de se débarrasser des investissements non écologiques car les externalités négatives qu’ils engendrent annihilent tout l’effort consenti.

Pris un à un, les pays africains ne pourraient être compétitifs. C’est l’intégration régionale qui favorisera le développement d’un secteur industriel compétitif. L’industrialisation de l’Afrique dont les chefs d’Etat appellent de leur vœu passe par une approche économique verte portée par une politique de concertation régionale misant sur les ressources locales et le marché intérieur.

Djamal Halawa

Un cas d’école d’afro-responsabilité dans le secteur de l’énergie : La SABER

image_energie-renouvelableLomé bénéficie d’une position géographique très avantageuse. A mi-chemin entre la pointe ouest du continent et le delta du Niger, la capitale togolaise relie aisément les autres régions du continent grâce à un réseau aérien en forte expansion. Elle accueille notamment un complexe des institutions sous régionales.  Au 9ème étage du bâtiment de la Banque d’Investissement de la Commission Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, sont installés les locaux de la Société Africaine des Biocarburants et des Energies Renouvelables (SABER). Sous l’égide de son président Directeur Général Thierno Bocar Tall, la SABER se veut le bras du déploiement opérationnel des énergies renouvelables en Afrique pour les décennies à venir. En quoi peut-elle être porteuse d’initiatives capables de faire face aux défis énergétiques ?

Cet article s’inscrit dans le cadre de la préparation du Forum International Green Business qui sera organisé à Pointe Noire du 17 au 19 mai 2016.

La SABER en quelques mots

La SABER est une institution internationale dont le capital est détenu par quinze Etats africains [i]et six institutions financières[ii]. L’institution est- un modèle de réussite de Partenariat Public-Privé (PPP) grâce à une étroite collaboration entre  Etats et bailleurs de fonds africains. Avec des capacités de production très réduites, la plupart des pays subsahariens sont victimes du coût de revient de l’énergie produite et d’un taux de disponibilité très bas de leur parc de production qui est le plus souvent dominé par des centrales thermiques.  Quelques-uns  comme la Guinée et le Congo qui sont dotés d’un potentiel hydraulique élevé, n’arrivent pas à en jouir compte tenu des ressources techniques et humaines nécessaires et de la difficulté à structurer le financement.

L’objectif de la SABER est donc de promouvoir et de financer les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique dans ses pays d’action, tout en favorisant le transfert de technologie. Et cela pour contribuer à la naissance d’un secteur industriel africain dans le domaine des Technologies de l’information et de la communication (TIC) et de l’énergie.

Une expérience consolidée

Depuis 2013, la SABER a signé un protocole d’accords avec la commission de l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA)  qui lui délègue la maîtrise d’ouvrage  pour la mise en œuvre du Programme Régional du Développement Durable et de l’Efficacité Energétique(PRODERE). D’un portefeuille d’environ 20 milliards de Francs CFA, le PRODERE décline  la Politique Energétique Commune des Etats-membres de l’UEMOA. Il s’agit d’un programme pilote visant à stimuler l’investissement  dans les énergies propres. La SABER, bras technique de l’UEMOA, accompagne chaque Etat dans la mise en œuvre du programme.  Elle capitalise  les bonnes pratiques au niveau local et national en vue d’harmoniser le secteur des énergies renouvelables à l’échelle régionale. Ainsi, le PRODERE a permis d’installer des milliers de lampadaires solaires, des lampes à basse consommation, des adductions d’eau villageoise, des kits solaires et des mini-centrales. Grâce à l’expérience accumulée par  PRODERE, le Togo a emboité le pas de l’UEMOA en mettant sur pied un projet gouvernemental d’installation de 13 000 lampadaires solaires. De même,  le Bénin a mis en place le PROVES[iii] qui vise à l’installation de 15 000 lampadaires solaires et  105 mini-centrales solaires et adduction d’eau afin de viabiliser les chefs-lieux d’arrondissement non encore électrifiés.

Plusieurs autres programmes foisonnent comme la construction de centrales solaires, ou encore la gestion du Fonds Africain pour les Energies Renouvelables (FAER). Riche d’un portefeuille de plusieurs milliards de dollars, il s’agit de structurer le financement en vue de soutenir les initiatives bancables, dans la mesure où le secteur des énergies en Afrique subsaharienne a le vent en poupe.

Plusieurs Etats et partenaires techniques se manifestent donc, afin de bénéficier de l’expérience technique et financière de la SABER.

L’Afro-responsabilité comme exigence

Compte-tenu du potentiel non exploité d’énergie sur le continent, la SABER apparaît aussi bien comme un bailleur de fonds, qu’un accélérateur de compétences et de savoir-faire local dans l’espace subsaharien souvent décrié sur le plan énergétique. Si les premières expériences sont couronnées de succès, plusieurs défis demeurent néanmoins à l’ordre du jour.

D’une part, celui de la formation hautement qualifiante d’élites africaines. L’expansion du secteur énergétique doit être accompagnée par des formations locales dans les domaines croisés du droit, de l’ingénierie, et de la recherche. Ces formations porteront les cadres des générations futures à un piédestal équivalent à celui des écoles et universités occidentales.

D’autre part, la recherche doit occuper un rôle prépondérant dans la promotion des innovations. S’il est louable de faire des champions nationaux adjudicataires de marchés et d’appels d’offre, il est encore plus brillant de promouvoir des initiatives de conception locales. Les exemples foisonnent dans le domaine de la préservation de l’environnement avec les foyers améliorés et la noix de coque comme substitut abondant et compétitif pour lutter contre le charbon de bois, nocif pour l’environnement et dommageable à l’environnement.

Enfin, le dernier enjeu, et pas des moindres, concerne la communication digitale moderne. A l’image de l’industrie musicale africaine d’une certaine époque où l’engouement suscité à l’échelle nationale et régionale ne favorisait pas du tout l’essor des artistes dans les chartes internationales. Non pas qu’elles ne soient pas exportables, mais bien souvent par faute de moyens de communication et de soutien marketing efficace. Chaque initiative, aussi marginale soit-elle mérite un coup de projecteurs. Des forums, salons et concours d’envergure ne seront que des facteurs positifs pour faire retentir l’écho silencieux du génie créatif africain. Le CardioPad, le M-Pesa ainsi que le SAM10 en sont les porte-étendards.

Loin des effets d’annonce, la SABER apparaît comme un cas d’école – dans les partenariats publics privés. En avril 2016, Oragroup s’est joint à la SABER pour mettre en place une plateforme dédiée au financement des grands projets énergétiques d’un montant global de 130 milliards de Francs CFA  dont 50% en dette et l’autre moitié en fonds propres. La confiance dont jouit l’institution, jumelée aux retours d’expérience capitalisée, en font un levier déterminant de la politique d’accès à l’énergie pour tous sur le continent africain.

Leomick SINSIN


[i] Bénin, Burkina Faso, Cap-Vert, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée Bissau, Mali, Niger, Nigéria, Sénégal, Sierra Léone, Tchad et Togo.

[ii] BIDC, BOAD, Ecobank, FAGACE, IEL et Nexim Bank

[iii] http://www.agenceecofin.com/solaire/1601-25831-benin-lancement-de-l-installation-de-15-000-lampadaires-solaires-et-de-105-microcentrales-solaires

Le numérique, un atout pour le développement de l’économie verte en Afrique ?

clipboard06Le numérique, particulièrement la téléphonie mobile marque une rupture dans le quotidien des africains de par les opportunités qu’elle offre à toujours plus de personnes. Cette technologie a donné naissance à des innovations qui serviraient considérablement le développement de l’économie verte sur le continent.  

Cet article s’inscrit dans  le cadre de la préparation du Forum International sur le Green Business qui sera organisé à Pointe Noire du 17 au 19  mai 2016.

La pénétration du mobile en Afrique, un rattrapage à un rythme incroyable

La révolution numérique africaine s’initie certes avec quelques décennies de décalage par rapport aux autres régions du monde. Néanmoins, elle est bien enclenchée, portée par la « révolution mobile ».  La  percée de cette technologie depuis le début des années 2000 est fulgurante, au point que le continent connaît la plus forte croissance au monde de la téléphonie et de l’internet mobiles.  Aujourd’hui, 80% de la population[i] est équipée d’un téléphone mobile contre 1% en 2000 alors que moins de 30% de la population a accès à l’électricité.

Cette pénétration rapide de la téléphonie s’accompagne de la création de nouveaux usages adaptés aux contextes socio-économiques africains qui pourraient pallier les difficultés économiques structurelles du continent. Les agendas publics ont tout intérêt à intégrer ces innovations.

L’exemple de l’amélioration des pratiques agricoles grâce à la téléphonie

La téléphonie a donné lieu à plusieurs expérimentations en matière agricole, notamment pour l’amélioration de l’accès aux savoirs et savoir-faire, qui, à grande échelle pourraient servir l’agriculture verte. Par exemple, l’ONG SAILD[ii] développe depuis 2004 le programme Allô Ingénieur dans tout le Cameroun qui permet aux agriculteurs de bipper un ingénieur agronome qui les rappelle ensuite. Ce service a une incidence notamment sur le choix des productions agricoles et l’achat des équipements au démarrage d’un projet agricole. Les ingénieurs du programme sont également sollicités à propos de l’usage des intrants agricoles. La généralisation d’un tel service contribuerait de lutter contre les mauvaises utilisations des pesticides et engrais liés à la méconnaissance des modalités d’utilisation par les producteurs. Ce mode de vulgarisation interactif permet aussi de promouvoir de meilleures pratiques dans l’utilisation des intrants et de rationnaliser les productions.

En matière vétérinaire, la FAO a expérimenté en 2013 au Kenya une application mobile en partenariat avec le Royal Veterinary College et l'ONG locale Vetaid[iii]. EpiCollect permet aux vétérinaires de suivre les campagnes de vaccination et les soins prodigués aux animaux mais aussi de lancer des alertes précoces sur d'éventuels foyers de maladies animales. Si la phase teste s’avère concluante, ces outils peuvent être mis à la disposition des anciens d'un village et de réseaux bien établis de travailleurs communautaires s'occupant de santé animale.

Des entreprises kenyanes proposent aussi de souscrire à un service de diffusion d’information en temps réel par SMS sur les conditions climatiques mais aussi sur les conjonctures économiques régionales. Ces systèmes d’information relient les paysans, ceux les plus éloignés des points de vente,  aux marchés pour qu’ils puissent faire de meilleurs choix stratégiques et renforcent leur pouvoir de négociation[iv].

La téléphonie contribue ainsi dans le contexte du dérèglement climatique à améliorer les pratiques agricoles.

Le numérique au service de l’entreprenariat vert

L’avancée du numérique révolutionne l’entreprenariat en Afrique. En matière financière, elle améliore l’accès au service de paiement dématérialisé. C’est au Kenya que les services financiers par téléphone mobile se sont d’abord développés. Créé en 2007, par l’opérateur mobile Safaricom[v],  le service M-Pesa[vi] permet aux utilisateurs de déposer et de retirer de l’argent à partir d’un réseau d’agents certifiés, de transférer de l’argent à des tierces personnes et de payer des factures. Les avantages du m-paiement sont nombreux : quasi instantané, il réduit considérément la distance entre les utilisateurs ; son coût reste inférieur à celui que nécessite la gestion d’un compte bancaire. Il est surtout facile à appréhender et à appliquer, même dans un contexte d’analphabétisme.

Vecteur de flux financiers, le téléphone mobile, pallie le manque de canaux formels de transaction bancaire et accélère même la bancarisation d’une partie de la population. Grâce à des partenariats entre banques et opérateurs mobiles, de nouveaux services financiers plus sûrs et diversifiés sont développés : microcrédit, micro-épargne et micro-assurance. Ces services bancaires par mobile supposent la possession d’un compte en banque et s’adressent à des utilisateurs déjà habitués au m-paiement. Des dispositifs sont d’ailleurs mis en place pour aider les utilisateurs du m-paiement à migrer vers cette seconde offre.

L’entreprenariat en Afrique bénéficie aussi de la progression d’une autre technologie numérique, pas encore évoquée ici : l’internet. « Moins un pays est développé, plus Internet a des raisons d’exister », a dit d’ailleurs Sacha Poignonnec, cofondateur de Africa Internet Group. Encore faiblement développé sur le continent, Internet rend accessibles, aux classes moyennes en priorité, de nouvelles offres, via des market-places (plateformes de vente en ligne). Jumia[vii], le leader africain de l’e-commerce, propose des services similaires à ceux fournis en Europe ou aux Etats-Unis : téléphones, fours à micro-ondes, grilles pains, jouets et autres biens de consommation, sont livrés  à domicile dans une dizaine de  pays[viii], même dans les régions reculées ou peu sécurisées.

Fabuleux vecteur de bonnes pratiques entrepreneuriales, Internet permet à des initiatives telles que Rocket Africa de favoriser le développement de technologies et nouveaux concepts verts. Cet incubateur de start-up tire parti des opportunités créées par le net pour faciliter l’implantation en Afrique d’innovations qui ont déjà fait leurs preuves ailleurs.

En conclusion, les technologies numériques et les innovations dont elles sont porteuses sont au service de l’autonomisation des entrepreneurs et des producteurs agricoles. La téléphonie mobile, contribue à l’amélioration de la circulation de l’information alors que les infrastructures de base déficitaires isolent les territoires et entravent le fonctionnement des administrations publiques et privées. Elle offre davantage d’opportunités aux entrepreneures. De telles innovations appellent à de meilleures interactions entre les acteurs concernés par le développement durable.

Thiaba Diagne


[i]DAOUDI Dounia, « E-commerce, M-banking: l’Afrique s’investit », RFI, 22 février 2016, http://www.rfi.fr/economie/20160222-e-commerce-banking-afrique-investit-telephonie-mobile-internet-kenya-nigeria-rdc.

[ii] LEMOGO Jerry Laurence, TIC, agriculture et révolution verte en Afrique: le cas du Cameroun, Editions Universitaires Européennes, 2013.

[iii]FAO, « Les téléphones portables révolutionnent la filière élevage au Kenya », ttp://www.fao.org/news/story/fr/item/170808/icode/.

[iv] ICT UpDate, Bulletin d’alerte pour l’agriculture ACPWageningen, numéro 77, avril 2014, pages 6 à 9.

[v] La société de télécommunication britannique Vodafone est le principal actionnaire d Safaricom.

[vi] CHAIX Laetitia, TORRE Dominique, « Le double rôle du paiement mobile dans les pays en développement  », Revue économique 2015/4 (Vol. 66), p. 703-727.

[vii] KANE Coumba et MICHEL Serge, « L’Afrique, terre de conquête du e-commerce, entretien avec Sacha  Poignonnec  », Le Monde, 06 juin 2015, http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/03/06/l-afrique-terre-de-conquete-du-e-commerce_4588836_3212.html.

[viii]  Afrique du Sud, Algérie, Cameroun, Côte d'Ivoire, Egypte, Ethiopie Ghana, Kenya, Marocn Mozambique, Nigeria, Ouganda, Rwanda, Tanzanie.

Pour un cadre réglementaire favorable à l’economie verte

evLe constat est simple : la plupart des Etats d’Afrique subsaharienne disposent d’importantes ressources naturelles sans réussir à avoir une économie solide. Leur faiblesse les rend particulièrement vulnérables aux phénomènes naturels (sécheresses, inondations…) considérablement accentués par le dérèglement climatique. Actuellement sur les starting-blocks de l’émergence économique, ils peuvent se servir de l’expérience de certains pays développés afin de définir leurs trajectoires. L’échec des modèles économiques basés sur l’exploitation non rationnelle des ressources devrait les inciter à s’orienter vers l’économie verte, plus durable. Ils devront pour cela créer les conditions nécessaires à la promotion de cette économie. Cet article se penche sur la nécessité de définir un cadre réglementaire clair et cohérent pour promouvoir l’économie verte.

La nécessité de faire face aux défis environnementaux et socio-économiques, dans le contexte actuel de changement climatique, a conduit de nombreux Etats d'Afrique subsaharienne à s’engager dans la voie du développement durable. Ils ont ainsi paraphés les grandes conventions et protocoles en la matière. Il leur reste à opérer les réformes nécessaires pour que  la transition de leur économie vers une économie durable, soit effective. Cela pourrait se faire en adoptant à l’échelle nationale comme à l’échelle régionale ; des réglementations incitatrices aux investissements dans les secteurs "verts". Définissant l’économie verte comme « l’ensemble des activités économiques utilisant les savoir-faire traditionnels et modernes, les ressources naturelles (eau, sol, soleil, biodiversité, etc.), tout en conciliant protection de l’environnement et développement économique pour répondre aux attentes des Etats dans divers domaines», la CEEAC (Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale) appui ses Etats dans cette démarche.

Compte tenu du caractère, parfois pionnier, des activités liées à l’économie verte, leur encadrement juridique ne devrait pas se limiter au cadre définit par le droit commun. Des initiatives sectorielles ont vu le jour mais les Etats d’Afrique subsaharieenne n’ont pas encore définit de façon claire et cohérente de cadre réglementaire harmonisé qui serait favorable au développement de  à l’économie verte. Chaque pays adopte des mécanismes selon ses objectifs. Ainsi, au Tchad, du matériel solaire importé peut être taxé à 50%, considéré comme du matériel électrique quelconque. Ce qui ne favorise pas le développement des énergies renouvelables alors qu’au Burkina Faso où il y a eu une évolution favorable de la réglementation, l’énergie solaire s’est développée. L’analyse des activités menées par des entrepreneurs dits « verts » a montré qu’il existe de réelles opportunités pour l’émergence d’une économie verte en Afrique. Les Etats qui ont résolument mis en place des incitations commencent à en recueillir le fruit, à l’exemple du Rwanda et de l’Ouganda, qui sont les pays les plus avancés dans l’agriculture biologique.

D’après une enquête[i] de la Chambre de Commerce de Pointe Noire et de la CEEAC menée en 2012 auprès des chambres consulaires et des opérateurs économiques d’Afrique centrale, près de la moitié des répondants (45.6%) estiment  que la réglementation est l’un des principaux facteurs pouvant favoriser le développement de l’économie verte. Elle apparait en tête des considérations déterminant une meilleure prise en compte de l’environnement dans les modes de production. Opérateurs économiques et acteurs publics s’accordent donc sur la nécessité de définir un cadre règlementaire propre aux activités « vertes ». Le dispositif d’encadrement de l’économie verte doit être un ensemble de règles cohérentes destinées à favoriser un investissement massif. L’objectif général est d’améliorer la gestion des ressources, à accroitre la productivité verte et susciter de nouveaux moyens de les atteindre en favorisant l’innovation afin d’avoir « une croissance verte ».

Même si les pays de la région ont individuellement des situations politiques et économiques différentes, il existe des considérations universelles les incitant à s’engager communément dans la voie de l’économie verte. Il ne s’agit pas de suivre un effet de mode ou d’essayer juste de satisfaire les exigences des bailleurs de fond afin de capter des nouvelles rentes. Il faudrait plutôt créer un cadre suffisamment stable et durable qui suscite la confiance de tous les acteurs.

Un cadre réglementaire favorable aux activités "vertes" constitue un signal fort aux investisseurs et aux différents opérateurs économiques. Il engage, par ailleurs, la responsabilité des populations en faveur d’une bonne gestion de leurs ressources. Il doit être appuyé d’un effort de sensibilisation, d’information, de communication et de formation. C’est ainsi que l’économie verte pourra se développer ; permettant aux Etats de fournir aux populations des infrastructures plus efficientes en matière d'eau, d’énergie et de transports et à atténuer les conséquences du changement climatique.

Djamal Halawa

Quel rôle pour l’Etat dans le financement de l’économie verte ?

evL’économie verte suscite un engouement indéniable partout dans le monde. De fait, elle est perçue comme une réponse globale aux nombreux défis des sociétés modernes (pauvreté, chômage, etc.) mais aussi aux nombreux maux de l’environnement créés par l’exploitation « irrationnelle » des ressources naturelles (changements climatiques, rareté de l’eau, etc.). Somme toute, il s’agit de l’extension des différents modèles économiques envisagés pour atteindre une croissance « saine » qui n’affecte pas l’environnement et dont l’impact est le plus fort sur la société, comme l’explique Kempf (2014). Cette transition nécessite un financement colossal. Selon les estimations du PNUE (2011), il faudrait près de 1 300 Mds USD (soit 2% du PIB mondial) par an pour assurer une croissance verte d’ici 2050. Il est espéré que ces ressources proviennent essentiellement du secteur privé ; les contraintes budgétaires ne pouvant pas permettre aux gouvernements d’asseoir ce modèle. Néanmoins, ils ont un rôle très important à jouer : celui de créer les conditions pour orienter les capitaux vers les secteurs verts de l’économie, selon Jacobs (2011).

L’économie verte requiert de nouvelles approches et des technologies novatrices dans tous les secteurs. A ce titre, l’Etat doit se positionner en initiateur mais aussi en facilitateur. Au-delà du cadre réglementaire qui pourrait imposer des obligations et des normes, les finances publiques pourront jouer un rôle dans le soutient à l’économie verte. D’une part, à travers les dépenses gouvernementales et d’autre part, à travers l’instrument fiscal. 

Les dépenses gouvernementales constituent l’outil direct dont disposent les autorités. Les investissements publics devraient financer des infrastructures durables, comme les énergies renouvelables, la gestion des déchets, les transports en commun ou la restauration du capital naturel et le renforcement du capital humain, etc. A travers une telle stratégie, l’Etat oriente le secteur privé dans des secteurs verts, qui peuvent être porteurs de croissance et créateurs d’emplois. A titre d’exemple, l’investissement de 468 Mds USD prévu par les autorités chinoises dans des secteurs verts, notamment le recyclage des déchets, les technologies propres et les énergies renouvelables, à partir de 2011 et pour une période de 5 ans, devrait engendrer une croissance de 15 à 20% de l’industrie de la protection de l’environnement avec un effet multiplicateur de 8 à 10 fois supérieur à celui d’autres secteurs industriels, selon les estimation de la China Development Bank Corporation (2010). Aussi, à travers le mécanisme de subvention, l’Etat peut stimuler la croissance verte. De fait, les subventions sont mises en place pour encourager les bonnes pratiques entrepreneuriales ou pour soutenir certains secteurs d’activité. Il s’agira donc d’une part de supprimer les subventions aux secteurs qui sont dommageables pour l’environnement et d’autre part d’en fournir aux entrepreneurs des secteurs verts. Ce faisant, l’Etat crée des mesures incitatives qui attireront très certainement les entreprises dans ces secteurs et influenceront le marché. Ce procédé peut être étendu aux dépenses de fonctionnement, à la mesure où l’Etat peut se permettre de ne se faire fournir que par des entreprises étiquetées « vertes ».

En ce qui concerne l’outil fiscal, il peut être utilisé comme mesure dissuasive ou incitative. Dans l’un ou l’autre cas, l’objectif est de promouvoir la pratique des activités vertes et de réduire celles qui portent atteinte à l’environnement. Plus généralement, il pourrait s’agir de ce que l’ONU appelle une réforme « écologique » de la fiscalité : moins taxer certains facteurs de production comme la main d’œuvre et augmenter les taxes sur d’autres (revenu des entreprises, pollution ou émission de CO2, etc.). Cette mesure peut s’accompagner d’autres mesures comme les permis ou les consignes. Le premier (permis) permettra de fixer des limites quant à l’utilisation ou à l’exploitation d’une ressource donnée et d’envisager des sanctions financières significatives en cas de dérogation au renouvellement du permis. Le second (les consignes) met en place des conditions préalables à l’exercice d’une activité. Avec ces mesures, l’Etat crée un environnement favorable, mais non exclusif, pour le développement des secteurs verts. L’émergence de nouvelles activités avec un fort potentiel, attirera les fonds détenus par des institutions financières, à la recherche de nouveaux débouchés.

Plusieurs pays sous-développés, et africains en particulier, craignent que ces mesures ne ralentissent leur développement, parce que risquant de réduire les investissements, notamment dans les secteurs d’exploitation des ressources naturelles, principales sources d’exportation et de la croissance affichée aujourd’hui par ces pays. En réalité, elles constituent une véritable opportunité pour les pays africains qui cherchent à se développer et ce d’autant plus que l’économie verte tend à s’installer sur le continent, comme le constate Georges (2014). De fait, elles permettraient d’asseoir les fondements d’une croissance harmonieuse, durable et respectueuse de l’environnement. Toutefois, la réussite de cette transition dépendra des politiques mises en place par les autorités. La Corée du Sud, par exemple, consacre près de 95% de son plan de relance à des investissements verts alors que les pays de l’UE ou les Etats Unis s’appuient davantage sur des mesures fiscales (système d’échange de quota d’émission de gaz à effet de serre, taxe sur les carburants,  taxes écologiques sur certains produits, etc.). Ainsi, les pays africains devraient accorder une place de choix à cette composante dans leur plan de développement tout en mettant en place des mesures incitatives pour attirer les capitaux privés, notamment dans les secteurs verts. Par exemple, les aides financières apportées aux entreprises exerçant dans les domaines de l’énergie (basée sur les ressources fossiles), de l’eau, de la pêche  et de l’agriculture, réduisent certes les prix mais encouragent une utilisation excessive du capital naturel concerné. En même temps, elles font peser une charge répétée sur les finances publiques. L’élimination progressive des aides à ces secteurs ou la réallocation de ces aides vers les secteurs des énergies renouvelables, de l’industrie de la protection de l’environnement (recyclage des déchets, etc.) et l’introduction de taxes sur l’exploitation des ressources naturelles peuvent améliorer l’efficacité tout en consolidant les finances publiques et en libérant des ressources pour l’investissement vert. Ceci ne suppose pas l’abandon de l’exploitation des ressources. Il suggère plutôt une exploitation rationnelle, avec des conditionnalités économiques favorables et respectueuses de l’environnement et où les ressources financières issues de cette activité permettent de financer le capital économique intangible.

Finalement, la réussite de la transition vers une croissance verte dépend fortement de la détermination des autorités. L’administration centrale dispose des outils pour instaurer les conditions favorables pour l’implémentation et le développement de ce modèle. La stratégie devra s’appuyer sur un cadre réglementaire cohérent et une réorientation des investissements publics dans les secteurs verts, tout en mettant en place des stimuli verts pour inciter l’implication du secteur privé.

Foly Ananou

Références

Barbier Edward (2010). A Global Green New Deal: Rethinking the Economic Recovery. Cambridge, UK: Cambridge University Press.

Georges Vivien Houngbonon (2014). Que savons-nous de l’économie verte en Afrique ? L’Afrique des Idées

Michael Jacobs (2011). Leveraging private investment: the role of public sector finance. Overseas Development Institute, Background Note.

UNEP (2011). Towards a Green Economy: Pathways to Sustainable Development and Poverty Eradication

Vera Kempf (2014). “Economie Verte, de quoi parle-t-on ? L’Afrique Des Idées. 

Libéraliser l’industrie de l’énergie pour favoriser les investissements dans les énergies renouvelables

1024px-Inga04Près de six africains sur dix n’avaient pas accès à l’électricité en 2010 (IRENA, 2014). Parmi ces six africains, cinq vivent en milieu rural. Les énergies renouvelables, compte tenu de leurs coûts de distribution plus faibles, sont des sources alternatives capables de réduire à la fois cette pauvreté et cette fracture énergétique. Cependant, leur développement nécessite des investissements significatifs que seules des politiques publiques sur la fiscalité, le rachat de l’énergie et l’accès aux crédits peuvent soutenir.

Or, outre la formulation des politiques publiques, leur mise en œuvre concrète se heurte souvent à des intérêts particuliers, notamment lorsqu'elles sont susceptibles de réduire la rentabilité d'investissements déjà consentis. Cette question se pose encore avec acuité en cas de "conflit technologique", c’est-à-dire lorsqu'une innovation est susceptible de remplacer, du moins partiellement, une ancienne technologie, comme c'est le cas entre les énergies renouvelables et fossiles.

Cet article montre que ce conflit technologique permet d’expliquer une bonne partie du retard des investissements dans les énergies renouvelables en Afrique. Il propose ensuite de privatiser les compagnies nationales d’énergie électrique et plus largement de libéraliser l’industrie de l’énergie afin de réduire la pesanteur de ce conflit technologique dans la mise en œuvre des mesures favorables à l’investissement dans les énergies renouvelables.

Le retard des investissements dans les énergies renouvelables en Afrique 

Les investissements dans les énergies renouvelables ont certes progressé en Afrique au cours des dix dernières années ; mais leur rythme de progression reste faible par rapport à d’autres régions du Monde comme la Chine. Comme l’illustre le graphique ci-dessous, en 2004, l’Afrique et la Chine avait le même niveau d’investissement. Depuis les investissements chinois ont fortement progréssé par rapport à ceux de l'Afrique, représentant en 2014, près double de ceux de l’Afrique et du Moyen Orient réunis.[1]

Hai
Source : Calculs de l auteur a partir des donnees issues du Rapport UNEP

L’un des facteurs couramment mis en avant pour expliquer ce retard est le coût fixe d’installation et d’entretien particulièrement élevé des énergies renouvelables, que ce soit pour les panneaux solaires, l’éolien ou la biomasse. Cependant, le coût des équipements d’énergies renouvelables est en baisse graduelle sous l’effet du progrès technologique (Voir Rapport UNEP page 19). A titre d'exemple, les panneaux solaires se vendaient, en moyenne, à 3.5 euros le Watt crête (€/Wc) en 1999 contre à 50 €/Wc en 1960. Selon une étude récente du cabinet IHS, ce prix, même pour le meilleur panneau solaire, a atteint 2,8 €/Wc en 2014. Ainsi, le coût des équipements d’énergies renouvelables devient de moins en moins un facteur contraingnant pour le développement des énergies renouvelables.

Même si la propension moyenne à payer de nombreux Africains peut être inférieure aux coûts compte tenu du faible niveau de revenu, il n’en demeure pas moins que les politiques publiques en matière d’investissement dans les énergies renouvelables ne sont pas encore suffisamment effectives. En réalité, ce ne sont pas les politiques publiques qui manquent, mais plutôt leur mise en œuvre qui reste limitée à cause du conflit technologique entre les énergies fossiles et les énergies renouvelables. Le Document de Politique en matière d’énergie renouvelable de la CEDEAO[2] ou le Livre Blanc de la CEMAC et de la CEEAC[3], par exemple, mettent tous en avant, chiffres à l’appui, des actions concrètes à mener pour encourager les investissements dans les énergies renouvelables. Cependant, leur mise en œuvre tarde à se matérialiser.

Le conflit technologique exacerbé par l’intervention de l'Etat

Ce retard se trouve exacerbé par l'intervention de l'Etat. Dans certains pays développés où les entreprises impliquées dans la production et la distribution des énergies sont sous contrôle d’intérêts privés, ce sont des groupes de lobbies qui incitent les gouvernements à ne pas prendre les mesures susceptibles de rendre plus compétitives les énergies renouvelables. Par contre, lorsque la compagnie de fourniture d’énergie est sous contrôle de l'Etat, comme c’est le cas dans de nombreux pays africains, la tentation est plus forte pour l’Etat de restreindre les mesures favorables à la compétitivité des énergies renouvelables. Cette intervention de l'Etat peut être encore plus dommageable lorsque les institutions économiques sont faibles ou lorsque la gouvernance économique est exempte de transparence. A titre d'exemple, en 2013 au Cameroun, l’importation d’un kit solaire était soumise à un droit de douane de 10% en plus d’une TVA de 19.25% et d’une taxe de transport égale à 5% du prix d’achat.[4] Parallèlement, le même kit solaire est exonéré de droit de douane au Burkina-Faso, en Egypte et en Tunisie entre autres (UNECA, 2014). Cette différence de traitement fiscal peut s’expliquer par la volonté de protéger l’industrie domestique utilisant des ressources fossiles pour la production de l’énergie ; cette industrie étant souvent monopolisée par une compagnie nationale, contrôlée par l'Etat.

Selon le rapport de l’UNECA sur l’Afrique du Nord, il existe un ensemble de mesures publiques favorables à l’investissement dans les énergies renouvelables. Typiquement, l’Etat peut mettre en place un système d’obligation d’achat par les distributeurs de l’énergie photovoltaïque à un prix régulé et transparent. Il peut aussi garantir des parts de marché aux investisseurs dans les énergies renouvelables à travers des concessions ou des certificats d’énergie verte. D’autres mesures, moins coûteuses, consistent à mettre en place des systèmes d’incitations fiscales directes (crédit impôt investissement, réduction d’impôt, paiement de la production d’énergie) ou indirectes (réduction de la TVA sur les équipements verts ou économes en énergie) ou de facilitation de l’accès au crédit pour les ménages et les entreprises ayant un projet d’investissement dans les énergies renouvelables.

Privatiser et libéraliser l’industrie de l’énergie pour inciter à investir dans les énergies renouvelables

La mise en œuvre effective de ces mesures requiert la limitation de l’interventionnisme de l'Etat dans la promotion des investissements dans l’énergie renouvelable.  Pour cela, nous recommandons de privatiser les compagnies nationales d’énergie électrique. Cette privatisation supprime le conflit d’intérêt de l’Etat dans la mise en œuvre de ses politiques publiques en faveurs des énergies renouvelables. Pour être plus efficace, cette privatisation devrait s’accompagner d’une libéralisation de l'industrie de l'énergie afin de permettre à tout opérateur économique d’entrer sur le marché avec tous les avantages proposés par l’Etat. Enfin, la mise en place d'un régulateur indépendant et autonome devrait servir à cette fin.

Cette recommandation n’est pas nouvelle car le problème de conflit technologique auquel est confronté l’industrie de l’énergie s’était déjà posé dans le secteur des télécommunications au début des années 90, lors du passage de l’analogique au numérique. Dans ce contexte, la privatisation, la libéralisation et la mise en place de régulateurs indépendants et autonomes ont permis de booster les investissements dans les réseaux mobiles et leur adoption par une proportion de plus en plus importante de personnes en Afrique.

Georges Vivien HOUNGBONON

Sources :

IRENA – International Renewable Energy Agency. 2014. « L’Afrique et les Energies Renouvelables : La voie vers la croissance durable »

UNECA – United Nations Economic Commission for Africa. 2014. « Les mécanismes innovants de financement des projets d’énergies renouvelables en Afrique du Nord »

CEDEAO – Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest. 2012. « Politique en matière d'énergie renouvelable de la CEDEAO »

UNEP – United Nations Environment Program. 2015. « Global Trends in Renewable Energy Investment »

IHS Consulting. 2015. “Top Solar Power industry Trends for 2015”.


[1] Les données ne sont pas directement disponibles pour l'Afrique. Dans tous les cas, les investissements réels dans le périmètre Africain seraient plus faibles.

 

[2] CEDEAO, 2012.

 

[3] Livre Blanc de la CEMAC et de la CEEA: Politique régionale pour un accès universel aux services énergétiques modernes et le développement économique et social, version finale provisoire du 8 avril 2014.

 

[4] Agence EcoFin, consulté le 1 avril 2015.

 

Traditions et religions : facteurs de réussite de l’économie verte en Afrique ?

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Définie par la CEEAC comme « l’ensemble des activités économiques utilisant les savoir-faire traditionnels et modernes, les ressources naturelles (eau, sol, soleil, biodiversité, etc.), tout en conciliant protection de l’environnement et développement économique pour répondre aux attentes des Etats dans divers domaines», l’économie verte se positionne incontestablement aujourd’hui comme la nouvelle économie du développement durable. Sachant que partout en Afrique les valeurs,  attitudes et pratiques  sont « partiellement traditionnelles, partiellement modernes » l’importance de l’inclusion de la notion de tradition dans cette définition est de taille.

Actuellement au cœur d’une crise environnementale sans précédent, le monde entier voit les concepts de développement durable et donc d’économie verte comme porteurs des germes du changement. Cependant, lorsque l’on se penche sur la notion même de développement, il apparaît clairement que la vision la plus répandue de ce concept est aux antipodes de celle des sociétés traditionnelles africaines, pour qui il est plus synonyme de bien être et de vie que de progrès infini et d’accumulation des biens. Si le développement est bien « une question de connaissance de soi et de projection de soi dans le futur », il semble normal que l’économie verte réponde à une logique similaire. Et l’adaptation du continent africain aux problèmes environnementaux étant au cœur des préoccupations, il est primordial de ne négliger aucun aspect surtout à l’heure  où la thèse selon laquelle cette crise environnementale est avant tout une crise morale voire spirituelle, gagne du terrain. D’où l’intérêt de voir en quoi les traditions et la religion, encore très influentes dans une Afrique moderne et mondialisée, constituent des éléments pertinents pour l’élaboration de politiques efficaces en matière d’économie verte.

Traditionnellement, la relation qui lie l’homme africain à son environnement n’est pas fondée sur la domination, bien au contraire. Se concevant alors comme l’un des éléments de la nature, dans la plupart des sociétés traditionnelles, l’homme vit en harmonie avec elle. La protection de la nature et la préservation de l’équilibre du milieu font donc partie des priorités. Ceci s’explique notamment par le fait que la terre et la végétation permettent, dans les sociétés africaines, de conserver des liens durables avec ceux qui les ont travaillées ou façonnées dans le passé. Bon nombre de dispositions ou pratiques traditionnelles illustrent d’ailleurs ce souci d’équilibre et cette relation socio-environnementale qu’entretiennent les hommes avec leurs ancêtres. En Cote d’Ivoire par exemple, chez les Aouans, la terre, personnifiée, porte le nom d’une « déesse » qui leur prescrit des comportements à avoir à l’égard de l’environnement. Au Burkina, 300 bois sacrés ont été recensés. Ces intermédiaires incontournables entre les habitants et leurs ancêtres sont aujourd’hui des zones refuges pour de nombreuses espèces. L’impact positif d’un certain nombre de pratiques traditionnelles sur la qualité de l’environnement est aujourd’hui indiscutable et prouve que les traditions et coutumes africaines peuvent contribuer à sa gestion. 

Au niveau international, ce n’est que récemment qu’une approche de la nature sous une perspective que l’on peut qualifier « d’indigène » a été adoptée. L’Agenda 21 élaboré à l’occasion du Sommet de Rio reconnaît par exemple la valeur et la nécessité d’impliquer, de prendre en compte et de protéger les peuples indigènes.  Il existe aussi au niveau du PNUD, de l’Union africaine et de l’UNESCO, un certain nombre d’instruments permettant aux communautés de mettre leurs savoirs, savoir-faire et savoir-être à profit pour protéger l’environnement. Malheureusement, l’affirmation selon laquelle  « nous pouvons apprendre des populations indigènes et locales »  ne bénéficie pas d’une mise en œuvre à la hauteur de sa véracité. Mais ce n’est pas parce que les législateurs n’en tiennent encore que très peu compte que les acteurs économiques, véritables moteurs  de l’économie verte sur le continent ne doivent pas s’en inspirer. Des initiatives telles que celle d’Helico (producteur de briques en argile pure grâce à la valorisation énergétique des graines de coton) montrent que la rencontre des traditions et de l’ingénierie économique du 21ème siècle regorge de potentialités considérables en matière d’économie verte.

Il en va de même pour les religions. Si le potentiel environnemental de ces dernières est loin d’être évident à première vue, il ne doit pas être sous estimé. 

Tout d’abord, il est important de rappeler que la plupart des Etats d’Afrique noire connaissent une situation de pluralisme religieux. On retrouve cependant l’Islam, le Christianisme et les religions traditionnelles de manière assez constante. Très proche des idéaux traditionnels évoqués plus haut, la religion africaine est « fondée sur l’alliance éternelle entre l’homme et la nature par la médiation des génies, des ancêtres et de Dieu ».  Cependant, l’avènement de l’Islam et du Chritianisme combiné à la modernité technologique a relégué les religions africaines au rang de pratiques animistes.  Provoquant alors leur érosion et, par là même, la disparition de véritables berceaux de protection environnementale. Mais malgré le déclin des religions africaines sur les 100 dernières années, il semble encore possible de reconsidérer les stratégies environnementales dont le cadre normatif et institutionnel qu'est la religion traditionnelle, afin d’apporter des réponses adéquates aux actuels problèmes de la relation de l’individu avec son environnement naturel.

En parallèle, les religions dites monothéistes ont  aussi un rôle bien particulier à jouer.  Prenons le cas d’une religion judéo chrétienne. D’abord accusé d’avoir une idée anthropocentrique fondamentalement théocentrique de la relation avec la terre et de ne voir le progrès environnemental que comme une conséquence naturelle d’une relation saine entre Dieu et tout un chacun, l’Eglise catholique adopte aujourd’hui une toute autre approche. Bien qu’il ait été mandaté par le créateur pour régner sur les ressources minérales, végétales et animales de l’univers, cette domination de l’homme sur son environnement ne le soustrait en rien à ses obligations morales, dont celles envers les générations à venir fait partie. Longtemps silencieuse à ce sujet, le changement d’attitude de l’Eglise catholique face aux problèmes environnementaux illustre parfaitement le changement de paradigme que nous vivons aujourd’hui.

L’environnement devient  donc l’une des rares aires dans lesquelles les représentants des différentes religions sont prêt à collaborer.  En effet, la présence d’éléments forts en matière d’environnement dans la Déclaration sur une éthique mondiale formulée lors du Parlement des religions du monde à Chicago en 1993 vient  appuyer cette thèse.  De plus, comme l’affirme Magda Lovei, manager au pôle environnement et ressources naturelles de la Banque Mondiale, les organisations confessionnelles « offrent un accès sans équivalent aux communautés locales », ce qui fait d’elles des partenaires majeures en matière environnementale.

Il est donc indispensable  qu’un changement de mentalité s’opère parmi les acteurs clés de l’économie verte. Certaines pratiques liées à la religion ou à la tradition ne doivent plus être considérées comme des archaïsmes dénués de sens. Paradoxalement, l’Afrique est à la fois le continent produisant le moins de gaz à effet de serre, et celui qui en paye le plus les conséquences sur son environnement. Traditions et religion pourraient clairement participer à l’élaboration de stratégies économiques vertes adaptées. En plus d’être identifiées par les états et gouvernements, les opportunités pour une amélioration des pratiques en la matière doivent aussi l’être par l’ensemble des acteurs de la société civile, entreprises en tête. En effet,  sur le long terme, le progrès environnemental requiert une protection impulsée par les citoyens individuels privés, les fermiers mais aussi les entreprises. Reconnue comme condition sine qua none de la réalisation du développement durable, une bonne approche économique se doit de prendre en compte les dimensions culturelles et d’encourager la coopération et la solidarité plutôt que la compétition. Les religions et traditions sont encore bien souvent vues comme des obstacles à la mise en œuvre des politiques économiques alors qu’une meilleure prise en compte permettrait tout simplement de participer à l’augmentation de l’attractivité de l’Afrique grâce à l’économie verte, tout en incluant les spécificités locales dans la logique de changement.

Olivia Gandzion

Références :

ASOANYA Anthony, The ecological crisis in Africa as a challenge to lasting cultural and sustainable development : a theological approach, Publications universitaires européennes, P. Lang, Allemagne, 2011.

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