La RSE, un outil pour le développement de l’économie verte en Afrique

rse-ethiqueLa Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE- corporate social responsability en anglais) est un concept qui promeut une gestion éthique et civique des entreprises. C’est le cadre d’action par lequel est envisagée actuellement une économe verte. Au niveau africain, la RSE reste ambivalente.

Cet article s’inscrit dans  le cadre de la préparation du Forum International sur le Green Business qui sera organisé à Pointe Noire du 17 au 19  mai 2016"​

Forgée au niveau international[1], la RSE s’impose d’abord aux multinationales qui sont invitées à «appliquer dans leur sphère d’influence un ensemble de valeurs fondamentales, dans les domaines des droits de l’Homme, des normes de travail et de l’environnement et de la lutte contre la corruption »[2]. Il s’agit pour les entreprises de contribuer au développement durable et de considérer leur performance d’un point de vue global : financière, environnementale, sociale[3]. En Afrique, cette démarche est encore difficilement reprise. Elle est pourtant prônée par certains comme étant « un outil de développement », notamment pour le secteur privé.

La RSE en Afrique, un outil de développement ?

Les partisans de cette démarche y voient une opportunité pour le développement du continent.  Cet argumentaire repose sur une double volonté. Il s’agit d’une part de mettre au pas les filiales des multinationales dont beaucoup ont été indexées pour leur manque de considération pour les enjeux sociaux et environnementaux des contextes où elles sont implantées. De nombreux exemples suggèrent même des abus, notamment en matière d’appropriation des ressources sans consultation des populations locales, leur exploitation sauvage et la non-distribution des recettes générées. D’autre part, la promotion de la RSE auprès des entreprises implantées en Afrique répond à un paradoxe simple : ces dernières décennies, les taux de croissance et les bénéfices générés par les entreprises en Afrique contrastent avec le niveau de développement social. La RSE est donc un moyen de valoriser les entreprises dans leur rôle social et de maximiser les bénéfices pour la société et l’environnement de leurs activités.

L’accent est en particulier mis sur la nécessité pour les entreprises non seulement de respecter les droits de l’homme mais aussi de le promouvoir. Cet engagement en faveur des droits de l’homme concerne autant les relations et les conditions de travail des salariés que les impacts indirects liés au choix des clients, fournisseurs et collaborateurs. En contrepartie, les entreprises engagées dans cette démarche bénéficient d’un avantage concurrentiel qui les distingue pour leurs bonnes pratiques.

La démarche RSE apparaît aussi comme un outil de développement durable en ce qu’elle inclut une démarche de gestion de l’environnement. Les entreprises sont incitées à évaluer leur impact environnement ainsi qu’à agir pour le réduire. Cet aspect concerne essentiellement des enjeux qui peinent à être pris en charge par les autorités publiques africaines : la gestion des déchets, la lutte contre les pollutions et autres nuisances. D’autant plus que les entreprises, en particulier les groupes multinationaux, portent une lourde responsabilité dans la gestion des ressources, notamment dans les territoires les plus riches en matières premières. Ainsi, dans le Bassin du Congo, la RSE est un instrument clef pour garantir la légalité et la traçabilité des productions de bois, un prélèvement sélectif des arbres ainsi que des cultures agro-forestières raisonnées. Dans le secteur minier, la RSE contribue à renforcer l’application de dispositifs de protection de l’environnement et des riverains ainsi qu’à favoriser le réaménagement des anciennes mines et puits. La gestion des ressources est d’ailleurs pour l’Afrique une problématique cruciale dans la mesure où le changement climatique se manifeste de façon radicale dans beaucoup de régions (désertification, diminution de la biodiversité, salinisation des terres, montée des eaux etc.).

Par ailleurs, le démarche RSE participe à la démocratisation de la vie locale. En effet, cette démarche repose sur la concertation des parties prenantes dans la gestion des rapports de force liés aux divergences d’intérêts. A termes et par un effet d’entrainement, les plus optimistes affirment que la RSE contribue à la régulation et la structuration de l’environnement des affaires car la RSE nécessite une organisation et une formalisation des acteurs économiques[4].

Un outil pas encore adapté aux réalités africaines ?

Malgré son potentiel en terme de développement durable locale, les entreprises africaines peinent à s’approprier la démarche RSE. Notons d’abord que la RSE en Afrique pâtît encore quelque peu d’une notoriété négative. Celle-ci est liée aux pratiques de certaines multinationales qui ont instrumentalisé cette démarche à des fins de greenwashing [5].

Mais la difficile diffusion de la RSE est avant tout à mettre en rapport avec le contexte économique et culturel africain. L’importance du secteur informel est un premier obstacle à la mise en œuvre de la RSE tant pour les filiales de groupes étrangers que pour les entreprises locales. La culture de l’informel empêche les acteurs économiques de se doter du niveau d’organisation interne et externe ainsi que de la visibilité nécessaires à toute démarche RSE.

S’ajoute aussi d’autres comportements provoqués par la pauvreté. En effet, la pauvreté engendre un certain nombre de pratiques qui freinent la mise en place de la RSE au niveau individuel et collectif. Par exemple, l’imprévisibilité et la faible visibilité empêchent de dresser des perspectives à longs termes. En outre, la RSE nécessite de nombreux investissements que les entreprises sont réticeintes à financer, estimant que ces actions n’engendrent pas un retour sur investissement rapide.

La démarche RSE ne peut enfin être effective que si les parties-prenants des activités des entreprises ont le pouvoir nécessaire pour contraindre les entreprises à véritablement intégrer cette démarche dans leurs stratégies. Les partie-prenantes sont toutefois confrontées à un problème de représentation, notamment pour ce qui est de l’environnement et des populations locales. Ceci est d’autant plus le cas dans les régions où les tensions politiques sont vives et où les ressources sont captées par des factions politico-militaires.

Il existe à ce jour plusieurs initiatives visant à promouvoir la démarche auprès des entreprises. Des réseaux et instituts de sensibilisation (Initiative RSE Sénégal, Institut RSE Afrique, l’association Kilimandjao) ont été créés pour former les cadres des secteurs public et privé à cette démarque éthique et proposent la valorisation des bonnes pratiques par des labels. Quelques PME innovent aussi par le modèle de gestion qu’elles présentent. Reste peut être à impulser une dynamique à tous les échelons afin de créer des partenariats entre les autorités publiques et les acteurs économiques de toutes sortes. La RSE peut ainsi être une opportunité pour accélérer la formalisation de la scène économique et politique en Afrique.

Mame Thiaba Diagne


[1] La RSE est issue des  Principes directeurs de l’OCDE pour les entreprises multinationales (1976),  Pacte Mondial des Nations Unies (2000), Principes directeurs des Nations Unies sur les droits de l’Homme et les entreprises  du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies (2011),  norme ISO 26000, 3e Communication de la Commission européenne sur la RSE (2010).

 

 

[2] Pacte Mondial des Nations Unies, 2000.

 

 

[3] La norme ISO 260000 décline le référenciel de RSE en 7 thématiques : sept thématiques : la gouvernance de l’organisation, les droits de l’homme, les relations et conditions de travail, l’environnement, la loyauté des pratiques, les questions relatives aux consommateurs, les communautés et le développement local – la dimension économique étant considérée comme transversale

 

 

[4] Voir TENE Thierry, « les enjeux de la RSE en Afrique », mis en ligne le 12 septembre 2012, consulté le 10 mars 2016 http://www.youphil.com/fr/article/05637-les-enjeux-de-la-rse-en-afrique?ypcli=ano.consulté .

 

 

[5] Soutenir ostentatoirement des projets de développement durable pour dissimuler les outrages humains et environnementaux provoqués par leur activité. Depuis, la RSE s’est dissociée des pratiques de mécénats. Voir YOUSSOUFOU Hamadou Daouda, « la Responsabilité sociétale des multinationales en Afrique subsaharienne : enjeux et controverses. Cas du groupe AREVA au Niger ». VertigO – la revue électronique en sciences de l'environnement, Volume 14 Numéro 1 | mai 2014, mis en ligne le 30 avril 2014, consulté le 10 mars 2016. URL : http://vertigo.revues.org/14712 ; DOI : 10.4000/vertigo.14712

 

 

Interdiction des emballages plastiques : Pourquoi certains pays échouent ?

embalCette dernière décennie, plusieurs pays africains,  Rwanda en 2008, Gabon en 2010, Cameroun en 2012, Côte-d’Ivoire en 2013 ou encore au Burkina Faso en 2014, ont règlementé la fabrication, l’importation, la détention, la commercialisation ou la distribution gratuite d’emballages plastiques. Si les motivations sont similaires, les textes et les résultats sont par contre différents.  Cet article revient sur les motivations ayant conduit à l’interdiction de l’utilisation des emballages plastiques en Afrique et les limites qu’on constate dans l’application des dispositions imposées pour faire respecter cette interdiction.

Justifications de l’interdiction de l'utilisation des emballages plastiques

L’impact négatif de ces emballages sur les populations et la nature constitue la motivation majeure des règlementations établies. En effet, comme indique le document sur la « Dangerosité des emballages plastiques » préparé par le Ministère du Développement Durable au Cameroun, le temps de dégradation de sacs plastiques dans la nature varie entre 100 et 500 ans. Cette détérioration lente a pour conséquence le ralentissement de l’infiltration de l’eau dans le sol, nuisant ainsi  à l’agriculture par exemple. Jetés dans la nature, ils sont consommés par les animaux, provoquant leur mort par étouffement. Ils obstruent également  les canalisations, provoquant des inondations. Brulés, les sacs plastiques dégagent des gaz qui sont susceptibles de provoquer des affections respiratoires.

Sur un continent touché par des problèmes de santé publique et réputé vulnérable aux risques écologiques,  la menace est encore plus accrue. Toutefois, les réponses réglementaires apportées varient d’un pays à un autre. 

Divergences sur l’objet de l’interdiction de l'utilisation des emballages plastiques

Au Cameroun et au Burkina-Faso, l’interdiction concerne les emballages plastiques non-biodégradables à basse densité (moins de 60 et 30 microns respectivement). Au Rwanda il s’agit d’une interdiction pure et simple des sacs plastiques. Le Rwanda s’inscrit ainsi parmi les pays les plus restrictifs en la matière. Cette approche radicale est néanmoins plus pragmatique au regard de l’objectif recherché de réduire les dommages environnementaux. De plus, ce dispositif laisse moins de place à l’interprétation. Enfin, sa mise en œuvre est simple car ne nécessite pas le déploiement de ressources complémentaires.

L’approche du Burkina-Faso et du Cameroun semble plus flexible et progressive mais n’apporte qu’une solution partielle au problème. Car, si les emballages tolérés sont plus facilement réutilisables, les chances pour qu’ils finissent leur vie dans la nature restent néanmoins élevées. De plus, pour garantir l’observance des règles de densité, les administrations et les entreprises doivent investir en équipements, expertise et sensibilisation des populations.  Ces coûts supplémentaires peuvent constituer un obstacle à l’application des textes. Enfin, dans des contextes marqués par la corruption, de tels textes peuvent favoriser l’arbitraire de la part des organismes de contrôle.

Disparités dans les sanctions imposées pour le non-respect de l'interdiction de l'utilisation des emballages plastiques

En général, une sanction vise la répression, la dissuasion et la prévention. Au Burkina-Faso et au Rwanda des amendes et/ou des peines de prison sont prévues alors que le Cameroun institue la saisie et la destruction des emballages au frais du contrevenant. Dans ce dernier modèle, la prévention et la dissuasion semblent prendre le pas sur la répression. Sur un plan hiérarchique, la saisie et la destruction de produits interdits seraient le plancher des sanctions car après tout c’est un minimum. Les amendes arriveraient en second et les peines de prison couronneraient le tout. Cette option pour le minimum sans mesures supplémentaires porte en elle-même les germes de l’inefficacité. De plus, dans une économie marquée par l’importance du secteur informel et la faiblesse des infrastructures d’élimination, la destruction au frais du contrevenant est un défi. Or, au regard des enjeux de l’interdiction, une approche fortement répressive aurait été plus objective et porteuse de résultats.

Des résultats mitigés : si le Rwanda réussit, le Cameroun et le Burkina-Faso sont à la traîne

Depuis l’entrée en vigueur de la loi sur l’interdiction des sacs plastiques au Rwanda en 2008, la salubrité et l’aspect écologique de la ville ont été reconnus par de nombreuses institutions. La ville de Kigali a en effet été classée la ville la plus propre d’Afrique par l’ONU et figure dans le top 10 des endroits où il fait le mieux vivre en Afrique par le magazine Jeune Afrique. Elle apparaît dans la liste des plus belles villes d’Afrique établie par le site The Culture Trip ou encore est classée 3ème destination la plus verte au monde par le World Travel Guide.

La réduction de la pollution liée aux sacs plastiques y a certainement contribué. Et il est facile d’imaginer les impacts de tels classements sur l’économie d’un pays. Selon le réseau international d’experts Plateforme Resources, le succès de la réforme au Rwanda tient aussi à l’implémentation des mesures telles que les fouilles à l’aéroport et autres postes frontières, la traque des réseaux de trafic et la  distribution d’autres types d’emballages biodégradables. Le Rwanda détient donc la palme d’or dans ce domaine, devançant de loin le Cameroun et le Burkina-Faso.

Des mesures portant en elles-mêmes les germes de leur inefficacité 

Au Cameroun, malgré l’entrée en vigueur du texte en 2014, la présence des emballages plastiques interdits est notoirement observée sur le territoire. Les raisons en sont nombreuses. La mesure a été fortement décriée par les entreprises du secteur. Elles dénonçaient une période transitoire insuffisante,  une sensibilisation inefficace, la concurrence déloyale due à l’absence de lutte sérieuse contre la contrebande des emballages interdits.  De plus, les campagnes de sensibilisation des populations et la disponibilité de solutions alternatives n’ont pas été perceptibles. Or le document sur la « Dangerosité des emballages plastiques » prévoyait des alternatives comme les paniers en raphia, emballages en papier, tissu, etc. Au contraire, les populations se sont vues facturer les sacs plastiques dits « non-biodégradables », sans vraiment en comprendre les motivations profondes. Les nombreux contrôles et saisies d’emballages non conformes effectués en leur temps ont pu réduire temporairement la présence des sacs plastiques à basse densité sur le territoire. Mais ceux-ci sont réapparus quelques mois plus tard, démontrant ainsi l’inefficacité du dispositif.

Quant au Burkina-Faso, en juillet 2015 soit un an après le texte, le réseau Plateforme Ressources constate: la difficulté à distinguer le « biodégradable » du « non-biodégradable », l’utilisation de critères de distinction peu techniques, l’absence de sensibilisation des populations et le déficit de promotion de solutions alternatives. Le réseau a donc suggéré entre autres une communication plus intensive, la formation des parties prenantes clés comme la police, la douane, les administrations du commerce, la promotion des emballages écologiques, ou encore la défiscalisation des emballages conformes.

Session de rattrapage : nécessité de donner corps à la vision

Le Burkina Faso et le Cameroun doivent encore s’efforcer de concrétiser la vision de la réduction des impacts négatifs des emballages plastiques dans leurs environnements respectifs. Car au-delà des retombées sur l’écologie et la santé des populations, cette lutte constituera également un vivier pour la création d’emplois nouveaux dans la collecte et le recyclage des déchets plastiques.

En plus de la mise en pratique des propositions de Plateforme Ressources, il faut soutenir et encourager les initiatives  privées déjà existantes.  Tel est le cas de l’utilisation des matières plastiques pour fabriquer des pavés ou encore des broyeurs de plastiques en vue de la revente des granulés aux industries qui les incorporent dans la fabrication de biens. Il s’agit de créer un sentiment de bénéfice mutuel et d’équité entre toutes les parties prenantes. Si la loi sans force est impuissante, l’adhésion des intervenants est gage d’efficacité.

 

 

Caroline Ekoualla

Le numérique, un atout pour le développement de l’économie verte en Afrique ?

clipboard06Le numérique, particulièrement la téléphonie mobile marque une rupture dans le quotidien des africains de par les opportunités qu’elle offre à toujours plus de personnes. Cette technologie a donné naissance à des innovations qui serviraient considérablement le développement de l’économie verte sur le continent.  

Cet article s’inscrit dans  le cadre de la préparation du Forum International sur le Green Business qui sera organisé à Pointe Noire du 17 au 19  mai 2016.

La pénétration du mobile en Afrique, un rattrapage à un rythme incroyable

La révolution numérique africaine s’initie certes avec quelques décennies de décalage par rapport aux autres régions du monde. Néanmoins, elle est bien enclenchée, portée par la « révolution mobile ».  La  percée de cette technologie depuis le début des années 2000 est fulgurante, au point que le continent connaît la plus forte croissance au monde de la téléphonie et de l’internet mobiles.  Aujourd’hui, 80% de la population[i] est équipée d’un téléphone mobile contre 1% en 2000 alors que moins de 30% de la population a accès à l’électricité.

Cette pénétration rapide de la téléphonie s’accompagne de la création de nouveaux usages adaptés aux contextes socio-économiques africains qui pourraient pallier les difficultés économiques structurelles du continent. Les agendas publics ont tout intérêt à intégrer ces innovations.

L’exemple de l’amélioration des pratiques agricoles grâce à la téléphonie

La téléphonie a donné lieu à plusieurs expérimentations en matière agricole, notamment pour l’amélioration de l’accès aux savoirs et savoir-faire, qui, à grande échelle pourraient servir l’agriculture verte. Par exemple, l’ONG SAILD[ii] développe depuis 2004 le programme Allô Ingénieur dans tout le Cameroun qui permet aux agriculteurs de bipper un ingénieur agronome qui les rappelle ensuite. Ce service a une incidence notamment sur le choix des productions agricoles et l’achat des équipements au démarrage d’un projet agricole. Les ingénieurs du programme sont également sollicités à propos de l’usage des intrants agricoles. La généralisation d’un tel service contribuerait de lutter contre les mauvaises utilisations des pesticides et engrais liés à la méconnaissance des modalités d’utilisation par les producteurs. Ce mode de vulgarisation interactif permet aussi de promouvoir de meilleures pratiques dans l’utilisation des intrants et de rationnaliser les productions.

En matière vétérinaire, la FAO a expérimenté en 2013 au Kenya une application mobile en partenariat avec le Royal Veterinary College et l'ONG locale Vetaid[iii]. EpiCollect permet aux vétérinaires de suivre les campagnes de vaccination et les soins prodigués aux animaux mais aussi de lancer des alertes précoces sur d'éventuels foyers de maladies animales. Si la phase teste s’avère concluante, ces outils peuvent être mis à la disposition des anciens d'un village et de réseaux bien établis de travailleurs communautaires s'occupant de santé animale.

Des entreprises kenyanes proposent aussi de souscrire à un service de diffusion d’information en temps réel par SMS sur les conditions climatiques mais aussi sur les conjonctures économiques régionales. Ces systèmes d’information relient les paysans, ceux les plus éloignés des points de vente,  aux marchés pour qu’ils puissent faire de meilleurs choix stratégiques et renforcent leur pouvoir de négociation[iv].

La téléphonie contribue ainsi dans le contexte du dérèglement climatique à améliorer les pratiques agricoles.

Le numérique au service de l’entreprenariat vert

L’avancée du numérique révolutionne l’entreprenariat en Afrique. En matière financière, elle améliore l’accès au service de paiement dématérialisé. C’est au Kenya que les services financiers par téléphone mobile se sont d’abord développés. Créé en 2007, par l’opérateur mobile Safaricom[v],  le service M-Pesa[vi] permet aux utilisateurs de déposer et de retirer de l’argent à partir d’un réseau d’agents certifiés, de transférer de l’argent à des tierces personnes et de payer des factures. Les avantages du m-paiement sont nombreux : quasi instantané, il réduit considérément la distance entre les utilisateurs ; son coût reste inférieur à celui que nécessite la gestion d’un compte bancaire. Il est surtout facile à appréhender et à appliquer, même dans un contexte d’analphabétisme.

Vecteur de flux financiers, le téléphone mobile, pallie le manque de canaux formels de transaction bancaire et accélère même la bancarisation d’une partie de la population. Grâce à des partenariats entre banques et opérateurs mobiles, de nouveaux services financiers plus sûrs et diversifiés sont développés : microcrédit, micro-épargne et micro-assurance. Ces services bancaires par mobile supposent la possession d’un compte en banque et s’adressent à des utilisateurs déjà habitués au m-paiement. Des dispositifs sont d’ailleurs mis en place pour aider les utilisateurs du m-paiement à migrer vers cette seconde offre.

L’entreprenariat en Afrique bénéficie aussi de la progression d’une autre technologie numérique, pas encore évoquée ici : l’internet. « Moins un pays est développé, plus Internet a des raisons d’exister », a dit d’ailleurs Sacha Poignonnec, cofondateur de Africa Internet Group. Encore faiblement développé sur le continent, Internet rend accessibles, aux classes moyennes en priorité, de nouvelles offres, via des market-places (plateformes de vente en ligne). Jumia[vii], le leader africain de l’e-commerce, propose des services similaires à ceux fournis en Europe ou aux Etats-Unis : téléphones, fours à micro-ondes, grilles pains, jouets et autres biens de consommation, sont livrés  à domicile dans une dizaine de  pays[viii], même dans les régions reculées ou peu sécurisées.

Fabuleux vecteur de bonnes pratiques entrepreneuriales, Internet permet à des initiatives telles que Rocket Africa de favoriser le développement de technologies et nouveaux concepts verts. Cet incubateur de start-up tire parti des opportunités créées par le net pour faciliter l’implantation en Afrique d’innovations qui ont déjà fait leurs preuves ailleurs.

En conclusion, les technologies numériques et les innovations dont elles sont porteuses sont au service de l’autonomisation des entrepreneurs et des producteurs agricoles. La téléphonie mobile, contribue à l’amélioration de la circulation de l’information alors que les infrastructures de base déficitaires isolent les territoires et entravent le fonctionnement des administrations publiques et privées. Elle offre davantage d’opportunités aux entrepreneures. De telles innovations appellent à de meilleures interactions entre les acteurs concernés par le développement durable.

Thiaba Diagne


[i]DAOUDI Dounia, « E-commerce, M-banking: l’Afrique s’investit », RFI, 22 février 2016, http://www.rfi.fr/economie/20160222-e-commerce-banking-afrique-investit-telephonie-mobile-internet-kenya-nigeria-rdc.

[ii] LEMOGO Jerry Laurence, TIC, agriculture et révolution verte en Afrique: le cas du Cameroun, Editions Universitaires Européennes, 2013.

[iii]FAO, « Les téléphones portables révolutionnent la filière élevage au Kenya », ttp://www.fao.org/news/story/fr/item/170808/icode/.

[iv] ICT UpDate, Bulletin d’alerte pour l’agriculture ACPWageningen, numéro 77, avril 2014, pages 6 à 9.

[v] La société de télécommunication britannique Vodafone est le principal actionnaire d Safaricom.

[vi] CHAIX Laetitia, TORRE Dominique, « Le double rôle du paiement mobile dans les pays en développement  », Revue économique 2015/4 (Vol. 66), p. 703-727.

[vii] KANE Coumba et MICHEL Serge, « L’Afrique, terre de conquête du e-commerce, entretien avec Sacha  Poignonnec  », Le Monde, 06 juin 2015, http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/03/06/l-afrique-terre-de-conquete-du-e-commerce_4588836_3212.html.

[viii]  Afrique du Sud, Algérie, Cameroun, Côte d'Ivoire, Egypte, Ethiopie Ghana, Kenya, Marocn Mozambique, Nigeria, Ouganda, Rwanda, Tanzanie.

Quels sont les défis et opportunités de financement de l’économie verte en Afrique ?

eco verteDepuis la révolution industrielle, les activités économiques sont basées sur l’exploitation massive des ressources naturelles. La question de la pérennité de ces ressources ne s’est posée que récemment avec l’ampleur du dérèglement climatique.

Appelant à un changement de paradigme, le concept de l’économie verte a vu le jour. Elle se caractérise selon les Nations Unies par l’utilisation rationnelle des ressources, un faible taux d’émission de carbone et l’inclusion sociale. Ces caractéristiques, difficiles à évaluer, représentent un défi pour son développement quoique de réelles opportunités existent sur le continent africain.

Une économie entravée par des politiques publiques en faveur des activités traditionnelles

En Afrique, l’économie verte englobe des activités dans des domaines variés allant de l’agro-alimentaire aux énergies en passant par la gestion des déchets, l’eau, la santé et le tourisme. Pour répondre au triple objectifs social, environnemental et de rentabilité économique, les activités vertes nécessitent de gros investissements ou engendrent des coûts de production significatifs. Par exemple les énergies renouvelables nécessitent des investissements initiaux importants bien que leurs coûts d’exploitation soient faibles contrairement aux énergies fossiles.

Les difficultés soulevées par les entrepreneurs de l’économie verte sont très souvent liées à l’accès aux financements ou à des pratiques de taux d’intérêt élevés à causes des réticences des investisseurs face à des risques élevés. Les politiques publiques rechignant encore à créer des cadres favorables de nature à atténuer ces risques. En effet ne tenant pas compte des externalités négatives, les activités traditionnelles bénéficient d’un coût de production plus faible et de revenus plus significatifs liés aux subventions publiques. Ces politiques de soutien engendrent une distorsion des prix au détriment des produits issus de l’économie verte.

En plus, certains biens intermédiaires entrant dans la production de l’économie verte comme les panneaux solaires, les éoliens, et les produits issus de l’agriculture écologique par exemple sont encore frappés de taxes, ce qui a tendance à renchérir le prix des produits de l’économie verte.
Dans ces conditions, la rentabilité des investissements dans l’économie verte est plus faible, limitant de fait les opportunités de financement pour les acteurs du secteur. Des efforts financiers et une révision des modèles de développement permettront d’opérer la transition vers une économie verte et résiliente face au dérèglement climatique. Les dispositions financières et fiscales qui pour l’instant pénalisent le développement de cette économie peuvent être transformées en facteurs favorables à ce dernier.

Une transition verte nécessaire et opportune

Les Etats africains ont des économies basées essentiellement sur les ressources naturelles. Ils peuvent en tirer davantage de valeur en favorisant des activités qui valorisent et perpétuent ce capital. Les activités vertes créent de nouveaux marchés et permettent la création d’emplois. La transition vers une économie verte ne pourrait qu’améliorer la croissance économique plus qu’un simple maintien du statu quo ou des politiques publiques entravant. Les besoins de financement de cette transition sont certes importants mais selon le Programme des Nations Unies pour l’Environnement, à l’échelle globale, investir 2% du PIB mondial d’ici 2050 dans des secteurs cibles comme l’agriculture et l’énergie permettrait d’accélérer la croissance économique. C’est ainsi que les dirigeants africains ont lié le financement de la lutte contre le dérèglement climatique à celui de la transition verte.

Dans le cadre de la lutte contre le dérèglement climatique, plusieurs instruments économiques ont vu le jour notamment le mécanisme de développement propre et le marché carbone découlant du protocole de Kyoto. Des institutions financières publiques, des fonds souverains et des banques de développement ont également commencé à orienter une partie de leurs investissements dans l’économie verte favorisant son développement bien qu’il soit encore modeste.

Cependant, les Etats africains n’ont pas réussi à capter la majorité de ces investissements. Pour l’heure, ils développent différentes stratégies pour accroître leur soutien à l’économie verte. Celles-ci apparaissent notamment dans les contributions prévues déterminées nationales (CPDN), soumises à l’Accord de Paris sur le climat. Ils se sont engagés sur des objectifs chiffrés de réduction d’émissions de carbone. La réalisation de ces objectifs traduisant une économie sobre en carbone reste conditionnée en grande partie par des apports financiers extérieurs.

Améliorer les mécanismes de financement et repenser les investissements

Le financement public joue un rôle essentiel pour enclencher la transformation de l’économie traditionnelle et répondre à ces attentes. Au niveau global, beaucoup d’efforts restent à faire pour rendre efficace les fonds en faveur du climat et de l’environnement et améliorer leur accès aux Etats africains. Ils sont encore insuffisants pour entamer une véritable transition verte mais ils pourraient être renforcés par le recours à des sources complémentaires de financements prévisibles tels que des taxes sur le transport et les transactions financières dans les pays développés.

Au niveau local, les Etats qui choisissent les options politiques concrètes pour une transition verte seront les premiers à être résilients face aux dérèglements climatiques. Il s’agit de limiter les dépenses et les investissements dans les domaines qui épuisent les ressources naturelles tout en les augmentant dans les activités vertes, la formation et le renforcement de capacité. Beaucoup d’Etats africains ont par exemple un fort potentiel de tourisme durable, d’agriculture biologique et d’énergies renouvelables. Agir sur le cadre réglementaire et ne pas soumettre ces activités à des régimes fiscaux rigides grâce à des exemptions fiscales, des crédits d’impôts, la mise en place des systèmes de subvention bien orientés ou de fonds nationaux alimentés par les activités à fortes externalités négatives seraient des mesures encourageantes pour promouvoir une économie verte encore fragile.

Tribune initialement parue chez nos partenaires de Financial Afrik. 

Djamal Halawa

 

 

Le pari éthiopien d’une économie verte : vers l’émergence d’un modèle africain?

 L’accord survenu lors de la conférence de Paris en décembre 2015 marque, une avancée positive quant aux menaces  et aux défis liés aux modifications météorologiques de notre planète. En effet, le texte adopté est le premier accord universel sur le dérèglement climatique car celui-ci a été signé par les 195 pays ayant participé à la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUC) de 1992. De plus, ils se sont engagés à limiter le réchauffement de la terre à 2°C, voire même à 1,5°C, à partir de 2020.  En revanche, des zones d’ombre subsistent, notamment sur comment atteindre ce but. Toutefois, certaines nations n’ont pas attendu un accord au niveau international  pour s’engager dans la lutte contre le réchauffement climatique en mettant en place des plans cherchant à limiter l’impact de leurs activités économiques sur l’environnement au niveau national. À cet égard, un état mérite certainement que l’on s’y attarde.

Alors qu’il y a encore une génération, l’Ethiopie, qui subissait entre autres la guerre et une forte mortalité infantile, a connu une métamorphose impressionnante au cours des 30 dernières années. À l’instar de sa capitale Addis-Ababa qui se projette dans le 21ème siècle à coups de grands chantiers,  immobiliers, routiers et même ferroviaires –  deux lignes de tramways ont récemment vu le jour dans cette ville, fait très rare en Afrique sub-saharienne -, ce pays de plus de 96 millions d’habitants a vu son économie croître de manière substantielle avec un taux de croissance d’approximativement 10 % en moyenne par an depuis 2006 (ce qui lui vaut d’être considéré aujourd’hui comme l’une des 5 économies les plus dynamiques du monde par le Fonds monétaire internationale (FMI).  De plus, beaucoup de secteurs clés ont enregistré des résultats remarquables, comme l’industrie (14% du PIB) qui a affiché une croissance annuelle de 18,5% en 2013 et 21,2% en 2014. Mais, il y a aussi l’agriculture (40.2 % du PIB) ou le secteur des services (46.2 % du PIB) qui ont suivi une voie similaire avec une hausse de 5.4% et 11.9% respectivement. Cette mise en orbite économique s’est accompagnée d’une demande en énergie qui ne cesse d’augmenter. Selon les analyses publiées par le Ministère de l’énergie de l’Ethiopie, ce pays d’Afrique de l’Est a actuellement besoin d’accroître sa production électrique de 20 à 25% par an pour se développer. Cette croissance a aussi provoqué une augmentation de la pollution. À l’heure actuelle, elle émet 150 millions de tonnes de CO2 par an. Les experts estiment que ses émissions pourraient plus que doubler, pour monter jusqu’à 400 millions de tonnes, au cours des 15 prochaines années. Dans ce contexte, les autorités éthiopiennes   ont conçu, en 2011,  une stratégie pour une économie verte résistante aux changements climatiques (CRGE) qui favorise le développement durable. Son principal objectif consiste à faire de l’Ethiopie un pays à revenu intermédiaire, dont le revenu national brut  (RNB) par habitant s’élève entre 1035 et 4085 dollars par an, en 2025 tout en limitant le taux national des émissions de gaz à effet de serre (GES) au niveau actuel. Celui-ci s’appuie sur plusieurs piliers comme l’agriculture, la foresterie, les transports et l’énergie, pour lesquels une profonde transformation est prévue afin d’éviter une augmentation de 250 millions de tonnes des émissions de CO2 d’ici à 2030. Mais, quelles sont les raisons derrière ce choix et comment seront menés les changements ?

D’un côté, cette décision répond à une logique financière. En effet, bien qu’un gisement de gaz ait été récemment découvert dans le bassin de l’Ogaden, cette nation possède très peu de réserves liées aux énergies fossiles. Cette situation l’oblige à les importer, notamment le pétrole, pour répondre aux besoins de son essor économique, avec un impact conséquent sur les dépenses publiques.  Selon l’Observatoire de la complexité économique du  Massachussetts Institute of Technology (MIT),  l’Ethiopie a importé pour 1.6 milliards de dollars de pétrole raffiné en 2013, ce qui place ce produit à la première place dans ses importations. De l’autre, son choix est aussi dicté par des raisons climatiques car elle doit faire face à de longues périodes de sécheresse alternées avec des fortes précipitations. Récemment, elle a même rejoint le club des dix pays les plus exposés aux périls climatiques selon un rapport publié par le cabinet de conseil, Maplecroft. Face à ces circonstances, les autorités éthiopiennes se sont tournées vers les technologies vertes à commencer par l’hydroélectricité car leur territoire dispose d’un potentiel parmi les plus grands d’Afrique qui s’élève à 40.000 mégawatts et est aussi la source de plusieurs fleuves, notamment le Nil. C’est donc sans surprise que des barrages hydrauliques ont vu le jour et ceux-ci assurent actuellement plus de 98% de la production électrique. Néanmoins, ces immenses édifices sont dépendants du débit de l’eau et en période sèche, lorsque ses cours d’eau sont à des niveaux bas, les turbines ne peuvent fonctionner à plein régime. Afin d’atténuer les risques liés au problème de l’eau dû au déficit de pluviométrie, Addis-Ababa a aussi misé sur l’énergie éolienne. En effet, les périodes de vent dans ce pays coïncident avec les saisons sèches, ce qui permet aux éoliennes de compenser les pertes liées à l’activité hydraulique. Cette complémentarité n’est pas passée inaperçue aux yeux des hommes politiques, lesquels ont jugé bon  d’investir massivement  dans cette filière en bâtissant, notamment, l’une des plus grandes fermes éoliennes d’Afrique,  Adama II.  Le pays dispose également d’importantes ressources d’énergie géothermique et solaire.

Ces différents investissements permettent déjà aux autorités fédérales d’exporter de l’électricité vers les pays limitrophes tel que le Djibouti. Toutefois, l’énergie ne représente que 3% des émissions totales éthiopiennes. En effet, ce sont surtout l’agriculture et la foresterie qui prennent une grande part dans la pollution de l’atmosphère. Elles représentent à elles seules plus de 85% des émissions GES. La pratique de l’agriculture sur brûlis ou l’utilisation de combustibles biomasses telle que le charbon pour la préparation des aliments sont autant d’éléments qui contribuent à la dégradation environnementale. C’est pourquoi, il est prévu qu’une reforestation massive à hauteur de 15 millions d’hectares ainsi que l’introduction de nouvelles technologies dans les milieux ruraux soient effectuées. Toutefois, dans cette bataille face au dérèglement climatique, un facteur important est à prendre en compte : l’argent, nerf de beaucoup de guerres dans le domaine du développement. Effectivement, le CRGE nécessitera la mobilisation de 150 milliards de dollars (80 milliards pour les investissements et 70 milliards pour les dépenses liées au fonctionnement) pour sa réalisation. En termes d’investissements, la plus grande part devra être réservée au développement de l’électricité et de l’infrastructure énergétique, dont le coût avoisine les 38 milliards de dollars. Bien que l’état éthiopien s’est engagé à couvrir une tranche de ce montant et qu’une partie du peuple, dont le revenu national brut (RNB) par habitant s’élève à 550 dollars[i], ait été sollicitée, notamment pour le financement du barrage de la « Renaissance », la vision du feu Président Melenes Zenawi ne pourra être menée à terme sans aides financières extérieures, qu’elles soient publiques ou privées. Selon les estimations, les ressources financières, locales et internationales, s’élèvent à 18 milliards de dollars, ce qui sous-entend que plus de 50% doivent être encore trouvés  pour pouvoir développer l’électricité. De ce fait, une partie des 100 milliards de dollars que les pays industrialisés ont promis de mobiliser par an à partir de 2020 pour aider les pays en développement à combattre le réchauffement climatique, pourrait certainement contribuer à aider de manière significative cet état d’Afrique de l’Est. De plus, la probabilité que cet argent soit perdu est faible car, comme le démontrent les différents ouvrages déjà réalisés tels que les fermes éoliennes Adama I et II ou les barrages Gibe I et II, il fait partie des pays en développement ayant mené à bien des grands projets d'infrastructures. 

Depuis 1960, la température moyenne a augmenté entre 0.5 et 1,3 degré[ii] en Ethiopie, engendrant une érosion et une dégradation importante des sols, notamment dans le nord du pays. Les spécialistes prévoient aussi que ce pays pourrait connaître une hausse supplémentaire de 1,2 degré d’ici à 2020, ce qui allongerait les périodes de sécheresse et augmenterait le risque de famine pour des millions de personnes. Conscient de cette menace, l’état éthiopien s’est engagé à transformer sa politique énergétique en investissant dans les énergies renouvelables pour favoriser une croissance verte. Bien qu’il soit encore trop tôt pour prédire les résultats que produira le CGRE,  celui-ci inspire déjà d’autres pays comme le Mali ou le Nigéria qui se sont renseignés sur son processus. Mais fait plus important, si les objectifs mentionnés dans ce projet titanesque peuvent être atteints, cette nation, qui devrait compter 120 millions d’habitants en 2030[iii], pourrait émettre presque autant de CO2 que l’ensemble des pays scandinaves aujourd’hui dont les émissions de CO2 s’élèvent à 135 millions de tonnes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 


[i] “Ethiopia’s Economic Overview.” Rapport de la Banque Ethiopia’s Economic Overview mondiale. 23 septembre 2015.

 

 

 

 

 

 

 

[ii]Climate Trends in Ethiopia.” Rapport de l’Africa Climate Change Resilience Alliace 5ACCRA). 2011.

 

 

 

 

 

 

 

Pour un cadre réglementaire favorable à l’economie verte

evLe constat est simple : la plupart des Etats d’Afrique subsaharienne disposent d’importantes ressources naturelles sans réussir à avoir une économie solide. Leur faiblesse les rend particulièrement vulnérables aux phénomènes naturels (sécheresses, inondations…) considérablement accentués par le dérèglement climatique. Actuellement sur les starting-blocks de l’émergence économique, ils peuvent se servir de l’expérience de certains pays développés afin de définir leurs trajectoires. L’échec des modèles économiques basés sur l’exploitation non rationnelle des ressources devrait les inciter à s’orienter vers l’économie verte, plus durable. Ils devront pour cela créer les conditions nécessaires à la promotion de cette économie. Cet article se penche sur la nécessité de définir un cadre réglementaire clair et cohérent pour promouvoir l’économie verte.

La nécessité de faire face aux défis environnementaux et socio-économiques, dans le contexte actuel de changement climatique, a conduit de nombreux Etats d'Afrique subsaharienne à s’engager dans la voie du développement durable. Ils ont ainsi paraphés les grandes conventions et protocoles en la matière. Il leur reste à opérer les réformes nécessaires pour que  la transition de leur économie vers une économie durable, soit effective. Cela pourrait se faire en adoptant à l’échelle nationale comme à l’échelle régionale ; des réglementations incitatrices aux investissements dans les secteurs "verts". Définissant l’économie verte comme « l’ensemble des activités économiques utilisant les savoir-faire traditionnels et modernes, les ressources naturelles (eau, sol, soleil, biodiversité, etc.), tout en conciliant protection de l’environnement et développement économique pour répondre aux attentes des Etats dans divers domaines», la CEEAC (Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale) appui ses Etats dans cette démarche.

Compte tenu du caractère, parfois pionnier, des activités liées à l’économie verte, leur encadrement juridique ne devrait pas se limiter au cadre définit par le droit commun. Des initiatives sectorielles ont vu le jour mais les Etats d’Afrique subsaharieenne n’ont pas encore définit de façon claire et cohérente de cadre réglementaire harmonisé qui serait favorable au développement de  à l’économie verte. Chaque pays adopte des mécanismes selon ses objectifs. Ainsi, au Tchad, du matériel solaire importé peut être taxé à 50%, considéré comme du matériel électrique quelconque. Ce qui ne favorise pas le développement des énergies renouvelables alors qu’au Burkina Faso où il y a eu une évolution favorable de la réglementation, l’énergie solaire s’est développée. L’analyse des activités menées par des entrepreneurs dits « verts » a montré qu’il existe de réelles opportunités pour l’émergence d’une économie verte en Afrique. Les Etats qui ont résolument mis en place des incitations commencent à en recueillir le fruit, à l’exemple du Rwanda et de l’Ouganda, qui sont les pays les plus avancés dans l’agriculture biologique.

D’après une enquête[i] de la Chambre de Commerce de Pointe Noire et de la CEEAC menée en 2012 auprès des chambres consulaires et des opérateurs économiques d’Afrique centrale, près de la moitié des répondants (45.6%) estiment  que la réglementation est l’un des principaux facteurs pouvant favoriser le développement de l’économie verte. Elle apparait en tête des considérations déterminant une meilleure prise en compte de l’environnement dans les modes de production. Opérateurs économiques et acteurs publics s’accordent donc sur la nécessité de définir un cadre règlementaire propre aux activités « vertes ». Le dispositif d’encadrement de l’économie verte doit être un ensemble de règles cohérentes destinées à favoriser un investissement massif. L’objectif général est d’améliorer la gestion des ressources, à accroitre la productivité verte et susciter de nouveaux moyens de les atteindre en favorisant l’innovation afin d’avoir « une croissance verte ».

Même si les pays de la région ont individuellement des situations politiques et économiques différentes, il existe des considérations universelles les incitant à s’engager communément dans la voie de l’économie verte. Il ne s’agit pas de suivre un effet de mode ou d’essayer juste de satisfaire les exigences des bailleurs de fond afin de capter des nouvelles rentes. Il faudrait plutôt créer un cadre suffisamment stable et durable qui suscite la confiance de tous les acteurs.

Un cadre réglementaire favorable aux activités "vertes" constitue un signal fort aux investisseurs et aux différents opérateurs économiques. Il engage, par ailleurs, la responsabilité des populations en faveur d’une bonne gestion de leurs ressources. Il doit être appuyé d’un effort de sensibilisation, d’information, de communication et de formation. C’est ainsi que l’économie verte pourra se développer ; permettant aux Etats de fournir aux populations des infrastructures plus efficientes en matière d'eau, d’énergie et de transports et à atténuer les conséquences du changement climatique.

Djamal Halawa

Quel rôle pour l’Etat dans le financement de l’économie verte ?

evL’économie verte suscite un engouement indéniable partout dans le monde. De fait, elle est perçue comme une réponse globale aux nombreux défis des sociétés modernes (pauvreté, chômage, etc.) mais aussi aux nombreux maux de l’environnement créés par l’exploitation « irrationnelle » des ressources naturelles (changements climatiques, rareté de l’eau, etc.). Somme toute, il s’agit de l’extension des différents modèles économiques envisagés pour atteindre une croissance « saine » qui n’affecte pas l’environnement et dont l’impact est le plus fort sur la société, comme l’explique Kempf (2014). Cette transition nécessite un financement colossal. Selon les estimations du PNUE (2011), il faudrait près de 1 300 Mds USD (soit 2% du PIB mondial) par an pour assurer une croissance verte d’ici 2050. Il est espéré que ces ressources proviennent essentiellement du secteur privé ; les contraintes budgétaires ne pouvant pas permettre aux gouvernements d’asseoir ce modèle. Néanmoins, ils ont un rôle très important à jouer : celui de créer les conditions pour orienter les capitaux vers les secteurs verts de l’économie, selon Jacobs (2011).

L’économie verte requiert de nouvelles approches et des technologies novatrices dans tous les secteurs. A ce titre, l’Etat doit se positionner en initiateur mais aussi en facilitateur. Au-delà du cadre réglementaire qui pourrait imposer des obligations et des normes, les finances publiques pourront jouer un rôle dans le soutient à l’économie verte. D’une part, à travers les dépenses gouvernementales et d’autre part, à travers l’instrument fiscal. 

Les dépenses gouvernementales constituent l’outil direct dont disposent les autorités. Les investissements publics devraient financer des infrastructures durables, comme les énergies renouvelables, la gestion des déchets, les transports en commun ou la restauration du capital naturel et le renforcement du capital humain, etc. A travers une telle stratégie, l’Etat oriente le secteur privé dans des secteurs verts, qui peuvent être porteurs de croissance et créateurs d’emplois. A titre d’exemple, l’investissement de 468 Mds USD prévu par les autorités chinoises dans des secteurs verts, notamment le recyclage des déchets, les technologies propres et les énergies renouvelables, à partir de 2011 et pour une période de 5 ans, devrait engendrer une croissance de 15 à 20% de l’industrie de la protection de l’environnement avec un effet multiplicateur de 8 à 10 fois supérieur à celui d’autres secteurs industriels, selon les estimation de la China Development Bank Corporation (2010). Aussi, à travers le mécanisme de subvention, l’Etat peut stimuler la croissance verte. De fait, les subventions sont mises en place pour encourager les bonnes pratiques entrepreneuriales ou pour soutenir certains secteurs d’activité. Il s’agira donc d’une part de supprimer les subventions aux secteurs qui sont dommageables pour l’environnement et d’autre part d’en fournir aux entrepreneurs des secteurs verts. Ce faisant, l’Etat crée des mesures incitatives qui attireront très certainement les entreprises dans ces secteurs et influenceront le marché. Ce procédé peut être étendu aux dépenses de fonctionnement, à la mesure où l’Etat peut se permettre de ne se faire fournir que par des entreprises étiquetées « vertes ».

En ce qui concerne l’outil fiscal, il peut être utilisé comme mesure dissuasive ou incitative. Dans l’un ou l’autre cas, l’objectif est de promouvoir la pratique des activités vertes et de réduire celles qui portent atteinte à l’environnement. Plus généralement, il pourrait s’agir de ce que l’ONU appelle une réforme « écologique » de la fiscalité : moins taxer certains facteurs de production comme la main d’œuvre et augmenter les taxes sur d’autres (revenu des entreprises, pollution ou émission de CO2, etc.). Cette mesure peut s’accompagner d’autres mesures comme les permis ou les consignes. Le premier (permis) permettra de fixer des limites quant à l’utilisation ou à l’exploitation d’une ressource donnée et d’envisager des sanctions financières significatives en cas de dérogation au renouvellement du permis. Le second (les consignes) met en place des conditions préalables à l’exercice d’une activité. Avec ces mesures, l’Etat crée un environnement favorable, mais non exclusif, pour le développement des secteurs verts. L’émergence de nouvelles activités avec un fort potentiel, attirera les fonds détenus par des institutions financières, à la recherche de nouveaux débouchés.

Plusieurs pays sous-développés, et africains en particulier, craignent que ces mesures ne ralentissent leur développement, parce que risquant de réduire les investissements, notamment dans les secteurs d’exploitation des ressources naturelles, principales sources d’exportation et de la croissance affichée aujourd’hui par ces pays. En réalité, elles constituent une véritable opportunité pour les pays africains qui cherchent à se développer et ce d’autant plus que l’économie verte tend à s’installer sur le continent, comme le constate Georges (2014). De fait, elles permettraient d’asseoir les fondements d’une croissance harmonieuse, durable et respectueuse de l’environnement. Toutefois, la réussite de cette transition dépendra des politiques mises en place par les autorités. La Corée du Sud, par exemple, consacre près de 95% de son plan de relance à des investissements verts alors que les pays de l’UE ou les Etats Unis s’appuient davantage sur des mesures fiscales (système d’échange de quota d’émission de gaz à effet de serre, taxe sur les carburants,  taxes écologiques sur certains produits, etc.). Ainsi, les pays africains devraient accorder une place de choix à cette composante dans leur plan de développement tout en mettant en place des mesures incitatives pour attirer les capitaux privés, notamment dans les secteurs verts. Par exemple, les aides financières apportées aux entreprises exerçant dans les domaines de l’énergie (basée sur les ressources fossiles), de l’eau, de la pêche  et de l’agriculture, réduisent certes les prix mais encouragent une utilisation excessive du capital naturel concerné. En même temps, elles font peser une charge répétée sur les finances publiques. L’élimination progressive des aides à ces secteurs ou la réallocation de ces aides vers les secteurs des énergies renouvelables, de l’industrie de la protection de l’environnement (recyclage des déchets, etc.) et l’introduction de taxes sur l’exploitation des ressources naturelles peuvent améliorer l’efficacité tout en consolidant les finances publiques et en libérant des ressources pour l’investissement vert. Ceci ne suppose pas l’abandon de l’exploitation des ressources. Il suggère plutôt une exploitation rationnelle, avec des conditionnalités économiques favorables et respectueuses de l’environnement et où les ressources financières issues de cette activité permettent de financer le capital économique intangible.

Finalement, la réussite de la transition vers une croissance verte dépend fortement de la détermination des autorités. L’administration centrale dispose des outils pour instaurer les conditions favorables pour l’implémentation et le développement de ce modèle. La stratégie devra s’appuyer sur un cadre réglementaire cohérent et une réorientation des investissements publics dans les secteurs verts, tout en mettant en place des stimuli verts pour inciter l’implication du secteur privé.

Foly Ananou

Références

Barbier Edward (2010). A Global Green New Deal: Rethinking the Economic Recovery. Cambridge, UK: Cambridge University Press.

Georges Vivien Houngbonon (2014). Que savons-nous de l’économie verte en Afrique ? L’Afrique des Idées

Michael Jacobs (2011). Leveraging private investment: the role of public sector finance. Overseas Development Institute, Background Note.

UNEP (2011). Towards a Green Economy: Pathways to Sustainable Development and Poverty Eradication

Vera Kempf (2014). “Economie Verte, de quoi parle-t-on ? L’Afrique Des Idées. 

Libéraliser l’industrie de l’énergie pour favoriser les investissements dans les énergies renouvelables

1024px-Inga04Près de six africains sur dix n’avaient pas accès à l’électricité en 2010 (IRENA, 2014). Parmi ces six africains, cinq vivent en milieu rural. Les énergies renouvelables, compte tenu de leurs coûts de distribution plus faibles, sont des sources alternatives capables de réduire à la fois cette pauvreté et cette fracture énergétique. Cependant, leur développement nécessite des investissements significatifs que seules des politiques publiques sur la fiscalité, le rachat de l’énergie et l’accès aux crédits peuvent soutenir.

Or, outre la formulation des politiques publiques, leur mise en œuvre concrète se heurte souvent à des intérêts particuliers, notamment lorsqu'elles sont susceptibles de réduire la rentabilité d'investissements déjà consentis. Cette question se pose encore avec acuité en cas de "conflit technologique", c’est-à-dire lorsqu'une innovation est susceptible de remplacer, du moins partiellement, une ancienne technologie, comme c'est le cas entre les énergies renouvelables et fossiles.

Cet article montre que ce conflit technologique permet d’expliquer une bonne partie du retard des investissements dans les énergies renouvelables en Afrique. Il propose ensuite de privatiser les compagnies nationales d’énergie électrique et plus largement de libéraliser l’industrie de l’énergie afin de réduire la pesanteur de ce conflit technologique dans la mise en œuvre des mesures favorables à l’investissement dans les énergies renouvelables.

Le retard des investissements dans les énergies renouvelables en Afrique 

Les investissements dans les énergies renouvelables ont certes progressé en Afrique au cours des dix dernières années ; mais leur rythme de progression reste faible par rapport à d’autres régions du Monde comme la Chine. Comme l’illustre le graphique ci-dessous, en 2004, l’Afrique et la Chine avait le même niveau d’investissement. Depuis les investissements chinois ont fortement progréssé par rapport à ceux de l'Afrique, représentant en 2014, près double de ceux de l’Afrique et du Moyen Orient réunis.[1]

Hai
Source : Calculs de l auteur a partir des donnees issues du Rapport UNEP

L’un des facteurs couramment mis en avant pour expliquer ce retard est le coût fixe d’installation et d’entretien particulièrement élevé des énergies renouvelables, que ce soit pour les panneaux solaires, l’éolien ou la biomasse. Cependant, le coût des équipements d’énergies renouvelables est en baisse graduelle sous l’effet du progrès technologique (Voir Rapport UNEP page 19). A titre d'exemple, les panneaux solaires se vendaient, en moyenne, à 3.5 euros le Watt crête (€/Wc) en 1999 contre à 50 €/Wc en 1960. Selon une étude récente du cabinet IHS, ce prix, même pour le meilleur panneau solaire, a atteint 2,8 €/Wc en 2014. Ainsi, le coût des équipements d’énergies renouvelables devient de moins en moins un facteur contraingnant pour le développement des énergies renouvelables.

Même si la propension moyenne à payer de nombreux Africains peut être inférieure aux coûts compte tenu du faible niveau de revenu, il n’en demeure pas moins que les politiques publiques en matière d’investissement dans les énergies renouvelables ne sont pas encore suffisamment effectives. En réalité, ce ne sont pas les politiques publiques qui manquent, mais plutôt leur mise en œuvre qui reste limitée à cause du conflit technologique entre les énergies fossiles et les énergies renouvelables. Le Document de Politique en matière d’énergie renouvelable de la CEDEAO[2] ou le Livre Blanc de la CEMAC et de la CEEAC[3], par exemple, mettent tous en avant, chiffres à l’appui, des actions concrètes à mener pour encourager les investissements dans les énergies renouvelables. Cependant, leur mise en œuvre tarde à se matérialiser.

Le conflit technologique exacerbé par l’intervention de l'Etat

Ce retard se trouve exacerbé par l'intervention de l'Etat. Dans certains pays développés où les entreprises impliquées dans la production et la distribution des énergies sont sous contrôle d’intérêts privés, ce sont des groupes de lobbies qui incitent les gouvernements à ne pas prendre les mesures susceptibles de rendre plus compétitives les énergies renouvelables. Par contre, lorsque la compagnie de fourniture d’énergie est sous contrôle de l'Etat, comme c’est le cas dans de nombreux pays africains, la tentation est plus forte pour l’Etat de restreindre les mesures favorables à la compétitivité des énergies renouvelables. Cette intervention de l'Etat peut être encore plus dommageable lorsque les institutions économiques sont faibles ou lorsque la gouvernance économique est exempte de transparence. A titre d'exemple, en 2013 au Cameroun, l’importation d’un kit solaire était soumise à un droit de douane de 10% en plus d’une TVA de 19.25% et d’une taxe de transport égale à 5% du prix d’achat.[4] Parallèlement, le même kit solaire est exonéré de droit de douane au Burkina-Faso, en Egypte et en Tunisie entre autres (UNECA, 2014). Cette différence de traitement fiscal peut s’expliquer par la volonté de protéger l’industrie domestique utilisant des ressources fossiles pour la production de l’énergie ; cette industrie étant souvent monopolisée par une compagnie nationale, contrôlée par l'Etat.

Selon le rapport de l’UNECA sur l’Afrique du Nord, il existe un ensemble de mesures publiques favorables à l’investissement dans les énergies renouvelables. Typiquement, l’Etat peut mettre en place un système d’obligation d’achat par les distributeurs de l’énergie photovoltaïque à un prix régulé et transparent. Il peut aussi garantir des parts de marché aux investisseurs dans les énergies renouvelables à travers des concessions ou des certificats d’énergie verte. D’autres mesures, moins coûteuses, consistent à mettre en place des systèmes d’incitations fiscales directes (crédit impôt investissement, réduction d’impôt, paiement de la production d’énergie) ou indirectes (réduction de la TVA sur les équipements verts ou économes en énergie) ou de facilitation de l’accès au crédit pour les ménages et les entreprises ayant un projet d’investissement dans les énergies renouvelables.

Privatiser et libéraliser l’industrie de l’énergie pour inciter à investir dans les énergies renouvelables

La mise en œuvre effective de ces mesures requiert la limitation de l’interventionnisme de l'Etat dans la promotion des investissements dans l’énergie renouvelable.  Pour cela, nous recommandons de privatiser les compagnies nationales d’énergie électrique. Cette privatisation supprime le conflit d’intérêt de l’Etat dans la mise en œuvre de ses politiques publiques en faveurs des énergies renouvelables. Pour être plus efficace, cette privatisation devrait s’accompagner d’une libéralisation de l'industrie de l'énergie afin de permettre à tout opérateur économique d’entrer sur le marché avec tous les avantages proposés par l’Etat. Enfin, la mise en place d'un régulateur indépendant et autonome devrait servir à cette fin.

Cette recommandation n’est pas nouvelle car le problème de conflit technologique auquel est confronté l’industrie de l’énergie s’était déjà posé dans le secteur des télécommunications au début des années 90, lors du passage de l’analogique au numérique. Dans ce contexte, la privatisation, la libéralisation et la mise en place de régulateurs indépendants et autonomes ont permis de booster les investissements dans les réseaux mobiles et leur adoption par une proportion de plus en plus importante de personnes en Afrique.

Georges Vivien HOUNGBONON

Sources :

IRENA – International Renewable Energy Agency. 2014. « L’Afrique et les Energies Renouvelables : La voie vers la croissance durable »

UNECA – United Nations Economic Commission for Africa. 2014. « Les mécanismes innovants de financement des projets d’énergies renouvelables en Afrique du Nord »

CEDEAO – Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest. 2012. « Politique en matière d'énergie renouvelable de la CEDEAO »

UNEP – United Nations Environment Program. 2015. « Global Trends in Renewable Energy Investment »

IHS Consulting. 2015. “Top Solar Power industry Trends for 2015”.


[1] Les données ne sont pas directement disponibles pour l'Afrique. Dans tous les cas, les investissements réels dans le périmètre Africain seraient plus faibles.

 

[2] CEDEAO, 2012.

 

[3] Livre Blanc de la CEMAC et de la CEEA: Politique régionale pour un accès universel aux services énergétiques modernes et le développement économique et social, version finale provisoire du 8 avril 2014.

 

[4] Agence EcoFin, consulté le 1 avril 2015.

 

Traditions et religions : facteurs de réussite de l’économie verte en Afrique ?

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Définie par la CEEAC comme « l’ensemble des activités économiques utilisant les savoir-faire traditionnels et modernes, les ressources naturelles (eau, sol, soleil, biodiversité, etc.), tout en conciliant protection de l’environnement et développement économique pour répondre aux attentes des Etats dans divers domaines», l’économie verte se positionne incontestablement aujourd’hui comme la nouvelle économie du développement durable. Sachant que partout en Afrique les valeurs,  attitudes et pratiques  sont « partiellement traditionnelles, partiellement modernes » l’importance de l’inclusion de la notion de tradition dans cette définition est de taille.

Actuellement au cœur d’une crise environnementale sans précédent, le monde entier voit les concepts de développement durable et donc d’économie verte comme porteurs des germes du changement. Cependant, lorsque l’on se penche sur la notion même de développement, il apparaît clairement que la vision la plus répandue de ce concept est aux antipodes de celle des sociétés traditionnelles africaines, pour qui il est plus synonyme de bien être et de vie que de progrès infini et d’accumulation des biens. Si le développement est bien « une question de connaissance de soi et de projection de soi dans le futur », il semble normal que l’économie verte réponde à une logique similaire. Et l’adaptation du continent africain aux problèmes environnementaux étant au cœur des préoccupations, il est primordial de ne négliger aucun aspect surtout à l’heure  où la thèse selon laquelle cette crise environnementale est avant tout une crise morale voire spirituelle, gagne du terrain. D’où l’intérêt de voir en quoi les traditions et la religion, encore très influentes dans une Afrique moderne et mondialisée, constituent des éléments pertinents pour l’élaboration de politiques efficaces en matière d’économie verte.

Traditionnellement, la relation qui lie l’homme africain à son environnement n’est pas fondée sur la domination, bien au contraire. Se concevant alors comme l’un des éléments de la nature, dans la plupart des sociétés traditionnelles, l’homme vit en harmonie avec elle. La protection de la nature et la préservation de l’équilibre du milieu font donc partie des priorités. Ceci s’explique notamment par le fait que la terre et la végétation permettent, dans les sociétés africaines, de conserver des liens durables avec ceux qui les ont travaillées ou façonnées dans le passé. Bon nombre de dispositions ou pratiques traditionnelles illustrent d’ailleurs ce souci d’équilibre et cette relation socio-environnementale qu’entretiennent les hommes avec leurs ancêtres. En Cote d’Ivoire par exemple, chez les Aouans, la terre, personnifiée, porte le nom d’une « déesse » qui leur prescrit des comportements à avoir à l’égard de l’environnement. Au Burkina, 300 bois sacrés ont été recensés. Ces intermédiaires incontournables entre les habitants et leurs ancêtres sont aujourd’hui des zones refuges pour de nombreuses espèces. L’impact positif d’un certain nombre de pratiques traditionnelles sur la qualité de l’environnement est aujourd’hui indiscutable et prouve que les traditions et coutumes africaines peuvent contribuer à sa gestion. 

Au niveau international, ce n’est que récemment qu’une approche de la nature sous une perspective que l’on peut qualifier « d’indigène » a été adoptée. L’Agenda 21 élaboré à l’occasion du Sommet de Rio reconnaît par exemple la valeur et la nécessité d’impliquer, de prendre en compte et de protéger les peuples indigènes.  Il existe aussi au niveau du PNUD, de l’Union africaine et de l’UNESCO, un certain nombre d’instruments permettant aux communautés de mettre leurs savoirs, savoir-faire et savoir-être à profit pour protéger l’environnement. Malheureusement, l’affirmation selon laquelle  « nous pouvons apprendre des populations indigènes et locales »  ne bénéficie pas d’une mise en œuvre à la hauteur de sa véracité. Mais ce n’est pas parce que les législateurs n’en tiennent encore que très peu compte que les acteurs économiques, véritables moteurs  de l’économie verte sur le continent ne doivent pas s’en inspirer. Des initiatives telles que celle d’Helico (producteur de briques en argile pure grâce à la valorisation énergétique des graines de coton) montrent que la rencontre des traditions et de l’ingénierie économique du 21ème siècle regorge de potentialités considérables en matière d’économie verte.

Il en va de même pour les religions. Si le potentiel environnemental de ces dernières est loin d’être évident à première vue, il ne doit pas être sous estimé. 

Tout d’abord, il est important de rappeler que la plupart des Etats d’Afrique noire connaissent une situation de pluralisme religieux. On retrouve cependant l’Islam, le Christianisme et les religions traditionnelles de manière assez constante. Très proche des idéaux traditionnels évoqués plus haut, la religion africaine est « fondée sur l’alliance éternelle entre l’homme et la nature par la médiation des génies, des ancêtres et de Dieu ».  Cependant, l’avènement de l’Islam et du Chritianisme combiné à la modernité technologique a relégué les religions africaines au rang de pratiques animistes.  Provoquant alors leur érosion et, par là même, la disparition de véritables berceaux de protection environnementale. Mais malgré le déclin des religions africaines sur les 100 dernières années, il semble encore possible de reconsidérer les stratégies environnementales dont le cadre normatif et institutionnel qu'est la religion traditionnelle, afin d’apporter des réponses adéquates aux actuels problèmes de la relation de l’individu avec son environnement naturel.

En parallèle, les religions dites monothéistes ont  aussi un rôle bien particulier à jouer.  Prenons le cas d’une religion judéo chrétienne. D’abord accusé d’avoir une idée anthropocentrique fondamentalement théocentrique de la relation avec la terre et de ne voir le progrès environnemental que comme une conséquence naturelle d’une relation saine entre Dieu et tout un chacun, l’Eglise catholique adopte aujourd’hui une toute autre approche. Bien qu’il ait été mandaté par le créateur pour régner sur les ressources minérales, végétales et animales de l’univers, cette domination de l’homme sur son environnement ne le soustrait en rien à ses obligations morales, dont celles envers les générations à venir fait partie. Longtemps silencieuse à ce sujet, le changement d’attitude de l’Eglise catholique face aux problèmes environnementaux illustre parfaitement le changement de paradigme que nous vivons aujourd’hui.

L’environnement devient  donc l’une des rares aires dans lesquelles les représentants des différentes religions sont prêt à collaborer.  En effet, la présence d’éléments forts en matière d’environnement dans la Déclaration sur une éthique mondiale formulée lors du Parlement des religions du monde à Chicago en 1993 vient  appuyer cette thèse.  De plus, comme l’affirme Magda Lovei, manager au pôle environnement et ressources naturelles de la Banque Mondiale, les organisations confessionnelles « offrent un accès sans équivalent aux communautés locales », ce qui fait d’elles des partenaires majeures en matière environnementale.

Il est donc indispensable  qu’un changement de mentalité s’opère parmi les acteurs clés de l’économie verte. Certaines pratiques liées à la religion ou à la tradition ne doivent plus être considérées comme des archaïsmes dénués de sens. Paradoxalement, l’Afrique est à la fois le continent produisant le moins de gaz à effet de serre, et celui qui en paye le plus les conséquences sur son environnement. Traditions et religion pourraient clairement participer à l’élaboration de stratégies économiques vertes adaptées. En plus d’être identifiées par les états et gouvernements, les opportunités pour une amélioration des pratiques en la matière doivent aussi l’être par l’ensemble des acteurs de la société civile, entreprises en tête. En effet,  sur le long terme, le progrès environnemental requiert une protection impulsée par les citoyens individuels privés, les fermiers mais aussi les entreprises. Reconnue comme condition sine qua none de la réalisation du développement durable, une bonne approche économique se doit de prendre en compte les dimensions culturelles et d’encourager la coopération et la solidarité plutôt que la compétition. Les religions et traditions sont encore bien souvent vues comme des obstacles à la mise en œuvre des politiques économiques alors qu’une meilleure prise en compte permettrait tout simplement de participer à l’augmentation de l’attractivité de l’Afrique grâce à l’économie verte, tout en incluant les spécificités locales dans la logique de changement.

Olivia Gandzion

Références :

ASOANYA Anthony, The ecological crisis in Africa as a challenge to lasting cultural and sustainable development : a theological approach, Publications universitaires européennes, P. Lang, Allemagne, 2011.

ANDRADE Célio et TARAVELLA Romain, « Les oubliés de la réforme de la Gouvernance internationale de l'environnement », Critique internationale, 2009/4 n° 45, p. 119-139.

Banque Mondiale, S’associer aux organisations confessionnelles pour restaurer les terres en Afrique, consultable en ligne : http://www.banquemondiale.org/fr/news/feature/2015/01/12/engaging-with-faith-groups-to-restore-land-in-africa

BARTHOLOMÉE 1ER, Religion et environnement : quels défis spirituels pour aujourd’hui ?, 31/01/2014, Consultable en ligne : http://www.lavie.fr/actualite/documents/religion-et-environnement-quels-defis-spirituels-pour-aujourd-hui-31-01-2014-49334_496.php

DAKOURI M. Gadou, La préservation de la biodiversité: les réponses de la tradition religieuse africaine, journal of the pan african anthropological association Number 2 Volume VIII October 2001, pp. 178-199

DORIER-APPRILL  Elisabeth, BARBIER Jean-Claude. Les forces religieuses en Afrique noire : un état des lieux, Annales de Géographie, 1996, vol. 105, n° 588, pp. 200-210. Consultable en ligne : /web/revues/home/prescript/article/geo_0003-4010_1996_num_105

IZENZAMA Mafouta Noel, Le paradigme écologique du développement durable en Afrique subsaharienne à l’ère de la mondialisation : une lecture éthico-anthropologique de l’écodéveloppement,  Publications universitaires européennes, P. Lang, Suisse, 2008.

Jeune Afrique, Afrique centrale : création d'un fonds pour une économie verte. Consultable en ligne : http://economie.jeuneafrique.com/regions/afrique-subsaharienne/23427-afrique-centrale-creation-dun-fonds-pour-une-economie-verte.html

LUNEAU René. Du monde religieux de l'homme africain aujourd'hui / The Religious World of Contemporary African Man. In: Archives de sciences sociales des religions. N. 41, 1976. pp. 37-45, Consultable en ligne : /web/revues/home/prescript/article/assr_0335-5985_1976_num_41_1_2085

MédiaTerre, Bois sacrés : quand la tradition sauve l'environnement. Consultable en ligne : http://www.mediaterre.org/actu,20140415111001,5.html

SANOU Wurotèda Ibrahima, Dr Doti Bruno Sanou décrypte l’apport des coutumes africaines dans la gestion de l’environnement, Ouaga.com, consultable en ligne : http://www.aib.bf/m-2669-dr-doti-bruno-sanou-decrypte-l-apport-des-coutumes-africaines-dans-la-gestion-de-l-environnement.html

SITACK YOMBATINA Béni, Droit de l'environnement à l'épreuve des représentations culturelles africaines : une gestion à réinventer ?, Académie Européenne de Théorie du Droit, Bruxelles, 2000.

TABUNA Honoré, L’économie verte : réduction des émissions ou vision et modèle de Développement adaptes a l’Afrique centrale ?

ZAMMIT Nasser, L’Afrique et la question environnementale, Connaissances et Savoirs, Paris, 2012.

Que savons-nous sur l’économie verte en Afrique ?

Synthèse de nos publications sur le thème du forum green business

couverture 8A partir de la définition donnée par le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), l’économie verte se caractérise par des activités de production et de consommation impliquant un faible taux d’émission de carbone, l’utilisation rationnelle des ressources et l’inclusion sociale. Pour adapter cette définition très générale au contexte africain, (Kempf 2014) a réalisé une quinzaine d’entretiens auprès d’entrepreneurs locaux au Congo Brazzaville. Ces entrepreneurs sont actifs dans les domaines de la transformation agro-alimentaire, de la gestion des déchets, de l’eau et de la santé.

De ces entretiens, il ressort que les entreprises « vertes » cherchent à mettre en avant des circuits courts de commercialisation (CCC) et des modes de production plus intégrés. Comme le montre l’analyse de (Libog, Lemogo, and Halawa 2013), l’adoption et la vulgarisation des CCC permettrait à coup sûr une réelle revalorisation de la production locale et la rendrait plus compétitive avec l’augmentation des revenus des petits producteurs, une meilleure productivité, l’émergence d’une agriculture respectueuse de l’environnement et le développement des économies régionales et sous-régionales.

Lorsqu’on considère les activités menées par les entrepreneurs « verts », nos analyses montrent qu’il existe de réelles opportunités à saisir dans l’émergence de l’économie verte en Afrique ; en particulier dans l’agriculture biologique et la gestion des déchets.

En effet, selon l’analyse de (Houngbonon 2014), l’Afrique dispose d’énormes atouts dans la production des produits d’agriculture biologique compte tenu de la qualité de ses terres agricoles et de leur disponibilité. Plus spécifiquement, le faible développement de l’agriculture intensive en Afrique implique une faible utilisation des pesticides, ce qui rend les terres agricoles africaines plus appropriées à l’agriculture biologique. De plus, le continent dispose encore d’énormes superficies de terres agricoles non encore exploitées. Par exemple, en 2010, seulement 40% des terres agricoles en Afrique sont cultivées ; cette proportion chute à 25% en Afrique Centrale. Se basant sur ces atouts, il recommande de former les paysans africains à l’agro-écologie et de mettre en place des normes de certification équivalentes aux standards européens et américains.

Dans ces conditions, l’agriculture biologique pourra nourrir l’Afrique à sa faim selon (Morghad 2012). A partir d’une expérience menée en Ethiopie et citée dans une étude de l’Institut du Développement Durable, l’auteure explique comment l’agriculture biologique a permis d’améliorer les rendements agricoles dans une région souffrant de sécheresse et de la désertification. Toutefois, ce rôle clé de l’agriculture biologique risque d’être compromis par les accords de partenariats économiques en cours de signature par la plupart des pays d’Afrique sub-saharienne comme l’a souligné (Halawa 2014)  dans un article sur le sujet. En effet, à partir des résultats de plusieurs études, il relève l’impact négatif que peuvent avoir ces accords sur la diversification des économies africaines et en particulier sur l’agriculture biologique.

Ainsi, la promotion de l’agriculture biologique requiert une réponse globale alliant à la fois l’accès au financement, la formation des agriculteurs, la mise en place des normes de certification et la négociation d’accord commerciaux qui placent l’agriculture biologique au cœur de ses préoccupations.

Quant à la gestion des déchets, (Kempf 2012) se base sur un rapport de la Banque Mondiale qui montre qu’en 2005, l’Afrique ne représentait que 5% de la production mondiale de déchets. Plus de la moitié (57%) de sa production est constituée de déchets organiques, donc valorisables sans trop de difficultés. Bien entendu, la part de l’Afrique dans la production mondiale de déchets est amenée à augmenter avec la croissance économique et démographique ; il en va de même pour la composition des déchets qui deviendra plus complexe. Cette évolution transforme les déchets en  formidable opportunité d’affaires pour les entrepreneurs souhaitant s’engager dans l’économie verte. Cependant, à partir d’entretiens réalisés auprès d’entrepreneurs du secteur, (Kempf 2013) rapporte que la faible structuration de la filière des déchets, et en particulier le peu d’opportunités de valorisation, demeurent l’une des principales difficultés pour relever le défi des déchets africains.

De même, (Madou 2014) montre qu’à Abidjan, la gestion des déchets souffre d’un manque d’efficacité dans l’organisation du secteur. Typiquement, la persistance du secteur informel, le manque de matériel adapté et de formation du personnel, la gestion des décharges publiques sont à l’origine de cette absence d’efficacité. Un développement de l’activité de gestion des déchets passera donc par la revalorisation du service auprès des ménages, le recyclage des déchets, la formation du personnel et une plus forte implication de l’Etat dans l’organisation du secteur, en particulier dans la gestion des décharges publiques. Les PME restent cependant des acteurs clés pour le développement du secteur et son efficacité.

L’émergence d’une économie verte ne saurait enfin se faire sans un accès à l’énergie pour tous, en particulier en milieu rural. Cela est d’autant plus crucial lorsqu’on sait que plus 95% de la population rurale n’a pas accès à l’énergie dans plusieurs pays africains, comme le Bénin, Madagascar, le Niger et la Zambie,  alors même que le développement d’activités nécessitant de l’énergie telles que l’agriculture biologique auraient un très fort impact en milieu rural. La principale raison identifiée par le Club des agences et structures en charge de l’électrification rurale est la difficulté d’accès au financement. Comme l’a souligné (Sinsin 2014), celle-ci est liée à la faible densité de la population dans les zones rurales qui ne favorise pas la rentabilité d’une extension du réseau électrique dans ces zones. A partir de projets tels que l’Expérience EDF, le GERES au Bénin et UpEnergy en Ouganda, Africa Express recommande une formation professionnelle adaptée et une sensibilisation des populations à l’échelle locale, une promotion des énergies locales décentralisées sur toute la filière à l’échelle régionale et enfin une mise en place de législation appropriée à l’échelle nationale pour inciter le secteur privé à investir dans les énergies renouvelables.

En définitive, l’économie verte peut être considérée comme une application concrète, pratique et viable du volet économique du développement durable. Elle présente d’énormes atouts pour l’Afrique et en particulier pour l’Afrique Centrale,  que ce soit dans le domaine de l’agriculture biologique ou de la gestion des déchets. Elle a besoin d’être soutenue par un accès accru aux énergies renouvelables.

Nous en savons actuellement trop peu sur les politiques les plus efficaces à mettre en place pour soutenir l’émergence d’une économie verte en Afrique. Sur ce sujet, L’Afrique des Idées souhaite engager des études plus approfondies pour accompagner les décideurs publics à identifier les réponses les plus appropriées à l’émergence d’une économie verte en Afrique, et en particulier en Afrique Centrale.

 

Georges-Vivien HOUNGBONON

Références :

Halawa, Djamal. 2014. “Quels sont les enjeux des APE pour l’agriculture et l’industrialisation?” L’Afrique Des Idées.

Houngbonon, Georges Vivien. 2014. “L’Afrique peut-elle bénéficier de L’agriculture biologique ?” L’Afrique Des Idées.

Kempf, Véra. 2012. “Comment l’Afrique gère-t-elle ses déchets?” L’Afrique Des Idées.

———. 2013. “Comment mettre en valeur les déchets au Congo?” L’Afrique Des Idées.

———. 2014. “Economie Verte, de quoi parle-t-on ?” L’Afrique Des Idées.

Libog, Charlotte, Jerry Lemogo, and Djamal Halawa. 2013. “Les Circuits Courts de Commercialisation.” L’Afrique Des Idées.

Madou, Stéphane. 2014. “Comment gère-t-on les déchets domestiques à Abidjan?” L’Afrique Des Idées.

Morghad, Leïla. 2012. “L’agriculture biologique permettra-t-elle de nourrir l’Afrique à sa faim?” L’Afrique Des Idées.

Sinsin, Leonide Michael. 2014. “Quels financements pour l’accès à l’énergie en milieu rural?” L’Afrique Des Idées.

Economie verte, de quoi parle-t-on?

Développement durable, économie sociale et solidaire, et enfin, économie verte. Autant de termes rentrés dans notre vocabulaire, employés lors des conférences internationales mais parmi lesquels il est parfois difficile de se retrouver. Cet article propose une approche pragmatique pour délimiter plus clairement les contours de l’économie verte. Il se base sur quinze entretiens réalisés au Congo Brazzaville, auprès d’entrepreneurs locaux, actifs ou non dans le secteur vert[i].

Nouvelle imageUne enquête de terrain démarre toujours par une intuition, ici celle que l’économie verte au Nord et au Sud ne pouvaient pas être observées avec la même grille de lecture. La définition de l’économie verte donnée par le Programme des Nations-Unies pour l’Environnement (PNUE) apparaît suffisamment vague pour satisfaire les intérêts d’une communauté internationale hétérogène mais bien trop imprécise pour donner à voir une quelconque réalité. Pour le PNUE, « l’économie verte est une économie qui entraîne une amélioration du bien-être humain et de l'équité sociale tout en réduisant de manière significative les risques environnementaux et la pénurie de ressources. Sous sa forme la plus simple, elle se caractérise par un faible taux d'émission de carbone, l'utilisation rationnelle des ressources et l'inclusion sociale». Qu’en retenir ? Simplement que cette économie engage à replacer l’homme et l’environnement au cœur des activités.

Au Nord, dans les pays industrialisés, l’économie verte est souvent liée à une importante transition énergétique, technologiquement ou structurellement encore hors de portée des pays du Sud. On  parle en France d’éoliens, de désalinisation de l’eau de mer, d’agriculture biologique, de normes ISO ou encore d’incitations fiscales. On parle bien d’ailleurs plus de croissance verte que d’économie verte, limitant dès lors la possibilité de changer de paradigme économique. Finalement, l’économie verte au Nord serait une version édulcorée de la manière de produire et de concevoir les échanges économiques qui montre des signes d’épuisement. De fait, plusieurs personnes spécialisées sur la question en France envisageaient mal la déclinaison de l’économie verte sur le continent africain. Si l’économie verte est une économie qui inscrit au cœur de ses activités des préoccupations sociales et environnementales, jusque-là conditionnées à la réussite économique, alors pourquoi l’Afrique ne pourrait pas s’engager dans cette voie ? Intervient à ce moment de l’enquête ce qui relève plus d’une conviction : le développement économique ne saurait être un pré-requis au développement de l’économie verte.

Changer de grille d’analyse pour démontrer la réalité de l’économie verte au Sud nécessite d’adapter les critères au terrain. Pour cette raison, revenir sur le contexte sous-régional puis aller à la rencontre des entrepreneurs congolais a été à la fois une nécessité et le fondement même de ma compréhension de l’économie verte au Congo.

Les pays d’Afrique Centrale, parce qu’ils abritent sur leur territoire la forêt du Bassin du Congo, se positionnent clairement depuis 1999 en faveur du développement durable sur la scène internationale[ii]. La Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC) a même adopté à Brazzaville, le 16 juin 2012, sa position commune sur l’économie verte pour la Conférence Internationale de Rio+20. Les outils de financement de l’appui au développement de l’économie verte, comme le Fonds vert, tardent à voir le jour et finalement, les entrepreneurs congolais se disent peu influencés par ce qui se déroule sur la scène politique.

Au fil des discussions, deux critères se sont imposés pour différencier les entrepreneurs faisant partie de l’économie verte : la volonté d’avoir une activité d’intérêt général et un réel impact local.

Les entrepreneurs rencontrés ont fait des études, ils ont acquis une compétence qu’ils ont souhaité mettre à profit pour sortir leur pays du sous-développement. Ils ont aussi choisi de partager leurs connaissances pour améliorer, avec leurs produits ou leur service, les conditions de vie des populations. Ces entrepreneurs actifs dans le domaine des déchets, de la transformation agro-alimentaire, de l’eau, de la santé, passent une bonne partie de leur temps à former leurs salariés et à expliquer à leurs potentiels clients la valeur-ajoutée d’un produit local naturel. La consommation made in Congo est loin d’être une évidence, et une certaine méfiance habite les consommateurs congolais vis-à-vis de ces produits. L’un des entrepreneurs rencontrés fabrique par exemple des briques en argile, bien plus adaptées au climat équatorial que le ciment, mais délaissées par les Congolais. Il utilise un savoir-faire oublié au Congo, et se retrouve obligé de former non seulement ses salariés mais également les maçons employés par ses clients.

Les entrepreneurs « verts » cherchent à mettre en avant des circuits courts de commercialisation et des modes de production plus intégrés. Bien plus que le cœur de métier, le désir de l’entrepreneur de valoriser les savoir-faire ou les produits locaux apparaît alors déterminant pour faire entrer un entrepreneur dans l’économie verte.

Enfin, leur impact local est réel. Ils créent des emplois durables, qualifiés. Ils favorisent également l’émergence d’un tissu entrepreneurial durable autour de leur activité, sensible au respect de l’environnement et des cultures locales. Le cas du secteur agroalimentaire est particulièrement éclairant : pour sécuriser leur approvisionnement en matière première, les entrepreneurs actifs dans la transformation doivent structurer en amont la filière de production. Ils ont permis la création de coopératives agricoles et créent ainsi de nombreux emplois indirects tout en revalorisant les cultures locales perçues comme peu rentables.

Pour entreprendre, ils font face aux mêmes difficultés que la plupart des dirigeants d’entreprises au Congo, en particulier pour accéder au financement. Les entrepreneurs de l’économie verte gagnent des prix, des bourses, des reconnaissances internationales mais manquent cruellement de visibilité au niveau local.

Parler d’économie verte au Congo, c’est avant tout parler d’une motivation à entreprendre qui dépasse les bénéfices économiques potentiels pour se focaliser sur l’impact positif sur les populations et l’environnement. L’entrepreneuriat social devient alors une sorte de cousin germain de l’économie verte, qui mettrait plus l’accent sur l’impact social et dont l’impact environnemental serait un bonus. A mon sens, l’économie verte est l’application concrète, pratique et viable du volet économique du développement durable. Elle possède au Congo, et peut être plus généralement dans la sous-région, un potentiel qui ne demande qu’à être exploité pour favoriser un développement plus respectueux de l’environnement local.

 

Véra Kempf

 


[i] Les interviews ont eu lieu de mars à juin 2013, dans le cadre de mon mémoire de fin d’études (SciencesPo – PSIA 2014).

 

 

[ii] Déclaration de Yaoundé de 1999, qui crée notamment la COMIFAC, la Commission des Forêts d’Afrique Centrale.