Le club de sport au Caire (« el nadi »), c’est bien plus qu’un complexe sportif où on peut s’adonner à son sport préféré. Dans une société où les appartenances sociales sont assumées et revendiquées, le club représente un lieu de socialisation où on est enfin entre soi, où on passe son temps dans un espace clos, et pourtant en plein cœur du Caire.
Depuis la fin du 19ème siècle et la création du premier club, celui du Gezira sur l’île de Zamalek, ces lieux représentent pour la bourgeoisie égyptienne des espaces de socialisation protégés, où le sport n’est qu’un prétexte pour se retrouver entre gens « de bonne famille ». Un club au Caire, c’est une sorte de ghetto miniature où on peut y passer la journée sans s’aventurer en dehors des grilles, car l’heureux membre a à sa disposition tous les services dont il a besoin : restaurants, cafés et même coiffeur.
Comment faire partie d’un club et pouvoir glisser avec une fierté à peine dissimulée au détour de sa conversation avec un client ou un collègue « ce matin, je faisais comme d’habitude mon jogging au club et… » ? Première solution : avoir la chance d’être né dans une famille aisée, membre du club depuis des générations et qui a juste à renouveler tous les ans pour une somme raisonnable sa cotisation et payer des sommes dérisoires pour les extras (location des courts de tennis, salle de gym etc). Deuxième solution : patienter gentiment sur la liste d’attente du club plusieurs années, puis verser un droit d’entrée exhorbitant (20 000 euros) pour entrer dans le saint des saints. Une adhésion à vie, ça se mérite. Troisième solution : être un résident étranger, et s’acquitter de plus d’une centaine d’euros par mois pour avoir le droit de fouler la pelouse du club, et payer ensuite pour toutes les activités supplémentaires. On n’est alors que membre temporaire du club, et accessoirement une vache à lait pour renflouer la trésorerie de ce dernier.
Si vous n’êtes pas membre du club, vous pouvez toujours acheter un ticket à la journée qui vous donne juste le droit d’entrer et sans accès aux équipements, à un prix suffisamment dissuasif pour les curieux ou les touristes d’un jour.
Que fait-on au club ? Tout. On s’y promène, on marche (ne pas s’étonner si certains marchent en tenue de sport sur la piste de course), on nage, on mange et surtout on discute. Pour les collégiens et les lycéens, c’est une des rares occasions où on peut s’éloigner des parents pour passer du temps entre « jeunes », pendant que les familles discutent. C’est aussi une formidable opportunité pour réseauter et faire des affaires : dans une atmosphère plutôt décontractée, on échange son avis sur les dernières transactions financière, la situation économique du pays, et on étoffe son carnet de contacts.
Le Caire compte 4 clubs principaux: le Gezira à Zamalek, le Shooting Club à Mohandessin, et ceux de Maadi et Heliopolis. L’adhésion à un club fait partie des composantes du statut social des familles, et s’affiche au même titre que les biens matériels et le train de vie. Quand une famille déménage dans un autre quartier de la capitale, il est rare qu’elle abandonne son adhésion, qui se transmet de génération en génération comme un précieux héritage.
Leïla Morghad
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Merci Leila de nous faire connaitre ce lieu particulier de socialisation du Caire. Il serait intéressant de savoir ce que pense la classe moyenne de ce club de bourgeois. De l'admiration? De la jalousie? Du dégoût?
Difficile de généraliser, je dirais plutôt que certains se sont résignés à ne jamais y entrer, tandis que d'autres peuvent le découvrir le temps d'une journée grâce à un "day use", à condition d'être accompagné d'un membre du club bien sûr …
Tiens, c'est marrant… c'est à mi-chemin du club à l'anglaise (hyper restrictif, pour riches oisifs) et de la version plus sportive, américaine pour faire vite (sport et business).
J'avais eu l'occasion de fréquenter quelques uns de ces clubs hyper-fermés en Colombie, durant un échange universitaire (francophone, j'avais accès à presque tout). Ce ne sont pas les rencontres les plus stimulantes de mon séjour "américain"