Dans une Afrique minée depuis bien longtemps déjà par des dérives monarchiques, le Sénégal fait office aux yeux d’un grand nombre d’observateurs d’ « exception démocratique », non pas qu’à vrai dire de ce côté du fleuve Sénégal la démocratie y reflète un exemple d’orthodoxie, mais plutôt parce que relativement à l’environnement politique africain, le Sénégal semble tirer son épingle du jeu.
Dans les années qui ont suivi la vague d’indépendance de 1960, le Sénégal a été le premier pays d’Afrique à permettre le pluripartisme, d’abord en le restreignant à quatre partis (1974) pour ensuite l’élargir définitivement et le transformer en multipartisme intégral (1981).
Le 31 décembre 1980, dans une cérémonie restée mémorable, le Président Senghor annonçait qu’il mettait fin à ses fonctions de chef d’Etat pour passer le témoin à son dauphin d’alors Abdou Diouf. Tels furent les mots du Président Senghor le mercredi 31 décembre 1980 lors de la cérémonie qui a eu lieu dans une petite salle du Palais de la République et pendant laquelle il remettait officiellement sa démission de Président de la République à Kéba Mbaye, Président de la Cour suprême : « Monsieur le Premier Président (ndlr Kéba Mbaye), après y avoir mûrement réfléchi, j’ai décidé de me démettre de mes fonctions de Président de la République. La Cour suprême est la gardienne, vigilante, de notre Constitution. C’est pourquoi j’ai honneur, Monsieur le Premier Président, de remettre ma décision entre vos mains. »
Et bien sûr, le 19 mars 2000 allait sonner comme une apothéose avec une alternance démocratique et paisible au sommet de l’Etat, pas seulement l’alternance au sein du même parti par la montée des jeunes comme c’était justement le cas entre Senghor et Diouf, mais véritablement l’alternance des partis. Le nouveau Président Wade, grand vainqueur des joutes électorales que le gouvernement de Mamadou Lamine Loum aura eu l’honneur d’organiser en toute transparence, apparaissait comme le principal artisan de ce qui allait être salué par le monde entier comme un exemple ô combien lumineux de démocratie.
De ce point de vue, il apparait indéniable que le Sénégal a eu à faire preuve de temps forts démocratiques. Il est peut être même plus intéressant de noter avec Christian Coulon l’existence d’une « tradition démocratique » sénégalaise qui remonterait d’ailleurs bien au-delà de la période coloniale par la prééminence même dans nos royaumes d’un espace public élargi dans laquelle figurait déjà une diversité d’acteurs.
Il n’en demeure cependant pas moins vrai que le Sénégal est confronté, et aujourd’hui plus qu’hier, à des difficultés qui mettent véritablement à mal cette idée d’exception démocratique. La première me semble t-il est d’ordre économique et est liée aux pressions que la crise économique fait peser sur le Sénégal. Après les émeutes de la faim de mai-juin dernier, on assiste aux émeutes de l’électricité. Malgré le fait que Sénégal n’ait pas une économie financiarisée, on peut penser que la crise financière qui frappe de plein fouet les pays du Nord aura une répercussion sur notre pays, ne serait-ce que par une baisse des investissements qui va accentuer le chômage qui frappe presque déjà la moitié de la population en âge de travailler. Inutile de dire alors que l’Etat a du mal à remplir ses fonctions distributives. La corruption et le clientélisme n’en gagneront que davantage de terrain, ce qui ne fait que davantage remettre en question notre démocratie.
La deuxième série de difficultés réside dans le tripatouillage des institutions qui me semble-t-il est directement lié aux querelles à l’intérieur du PDS et à la volonté prêtée à tord ou à raison à Wade Père de vouloir nous scotcher Wade Fils. La démocratie dans un pays est souvent à l’image de la démocratie ou de la non démocratie en l’occurrence qui prévaut au sein du parti qui dirige ce pays. Le Président Wade gère son parti dans une sorte de néo-patrimonialisme en utilisant les moyens de son parti et de l’Etat comme s’il s’agissait de ses propres biens tout en donnant à ces pratiques une apparence démocratique. Quand on veut se débarrasser d’un Idrissa Seck devenu gênant, on piétine les règles de séparation des pouvoirs théorisées par Montesquieu pour montrer à la justice la voie à suivre. Quand le scénario se reproduit avec Macky Sall, on supprime tout simplement le poste de N°2 au sein du PDS et on bâillonne les députés pour qu’ils le destituent. C’est tout simplement ahurissant de voter le projet de loi Sada Ndiaye qui fait passer le mandat de l’actuel Président de l’Assemblée Nationale de cinq à un an : qu’il n’en déplaise aux détracteurs de Macky Sall, ce projet de loi est anticonstitutionnel aussi bien dans l’esprit que dans la lettre. Le jeu politique au sein du parti au pouvoir est plombé d’avance car, et les libéraux eux-mêmes se plaisent hélas à le dire, au PDS il n’y a qu’une seule constante, c’est Wade. Pire, il y a de quoi craindre que cette constante ne devienne le clan des Wade. Ce serait l’ultime assaut à cette « exception démocratique » qui fait tant notre fierté.
Nicolas Simel
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