Le 15 juillet dernier, l’Equipe de France de football remportait la vingt-et-unième coupe du monde de l’Histoire, lors d’une victoire face à la Croatie (4-2). La particularité de cette équipe : seize des vingt-trois joueurs Français sont d’origine subsaharienne. Une particularité que n’a pas manqué de mettre en avant, Trevor Noah, dans son émission The Daily Show, dès le lendemain. Une mise en avant qui a soulevé un tollé en France, de la part de nombreux citoyens, mais aussi de personnalités comme le basketteur Nicolas Batum ou l’animateur Nagui et jusqu’à l’Ambassadeur de France aux Etats-Unis. Dans le même temps, la presse italienne et l’ex-sélectionneur croate s’adonnaient à des réflexions racistes sur cette même équipe de France, dans un anonymat confondant. Décryptage d’un événement qui en dit bien plus qu’il n’y paraît.
Nous sommes le dimanche 15 juillet aux alentours de 19h. La France vient de remporter la Coupe du monde et me voilà dans la fontaine des Jacobins, à Lyon, à chanter la Marseillaise à m’en briser les cordes vocales, entouré d’inconnus devenus frères d’un soir, lorsque mon téléphone vibre. Un message de mon père, en direct de Cotonou (Bénin), ville qui l’a vu naître soixante-trois ans plus tôt : « C’est un peu l’Afrique qui a gagné ce soir », m’écrit-il avec un petit ‘smiley clin-d’ œil’, en guise de signature.
Je suis accroc aux réseaux sociaux. Je les consulte le matin avant de partir travailler et le soir à mon retour. Je fais partie de ces gens qui hantent les couloirs de Twitter, Facebook, LinkedIn, à la recherche d’une information dissonante. Quelle ne fut pas ma surprise, quarante-huit heures après le succès des Bleus, de trouver la France des réseaux, vent debout contre Trévor Noah, le présentateur sud-africain du Daily Show (talk show satirique américain). Qu’avait pu bien osé dire l’humoriste ? Dans son émission du 16 juillet, il ouvrait sa traditionnelle revue de presse par la victoire des Bleus en ces termes : « L’Afrique a gagné la Coupe du monde ! L’Afrique a gagné la Coupe du Monde ! », avant d’ajouter : « Je comprends que l’on doit dire que c’est l’Equipe de France, mais bon, regardez ces mecs ! Tu n’obtiens pas ce teint en vivant dans le sud de la France, mon ami ! », le tout sous les rires du public.
[Vidéo du Daily Show -16 juillet-])
Le terme de « raciste » revenait en boucle dans les messages des internautes français suite à cette séquence. Nicolas Batum, membre éminent de l’Equipe de France de basket et joueur NBA, écrivait sur son compte Twitter : « Ceux qui disent ‘’bravo Africa pour la victoire’’ allez tous bien vous faire foutre ». Nagui, le présentateur de France Télévision, répondait directement à Noah sur Twitter par un « C’est tellement raciste, vous devriez avoir honte ».
La veille, quelques minutes après la finale, La Repubblica, (grand journal national italien) titrait sur ses éditions web : « Ce n’est pas la France qui a gagné le mondial, l’Afrique l’a fait » 1 . Mieux, avant la finale, l’ex-sélectionneur croate Igor Stimac, lors d’une interview à l’agence Anadolu se demandait : « Quelqu’un sait contre qui nous jouons la finale, exactement ? Nous affrontons la République de France et le continent africain » 2 . Ce qui paraît troublant c’est que ces deux événements, antérieurs à l’affaire Noah, n’avaient suscité aucun émoi de la part des Français, bien que les journaux hexagonaux, eux, avait relayé et condamné ces propos sculptés dans un racisme de béton.
Une reconnaissance pour les primo-arrivants et un hommage à la France
Les termes employés par Trevor Noah étaient-ils du même acabit ? Se permettait-il de les appeler Africains du simple fait de leur couleur de peau ? L’intéressé ne tardait pas à répliquer. Dès le lendemain (17 juillet), il répondait à ses détracteurs en se permettant, dans un premier temps, de lire la lettre que lui avait adressé l’Ambassadeur de France aux Etats-Unis, M. Gérard Araud , dans laquelle il était dit, entre autres : « En les appelant ‘’Africains’’ il semble que vous reniez le fait qu’ils sont Français ». Noah se défendait en expliquant que « tous les Noirs à travers la planète ont célébré la victoire française. Pas de manière négative. Bien au contraire c’était une façon de dire ‘’regardez ces africains qui peuvent devenir Français’’ »
[Réponse de Noah à l’Ambassadeur de France]
Revenons à mon père, quelques secondes. Pourquoi m’avait-il envoyé ce message ? Est-il raciste, lui aussi ? Cet homme a quitté son Bénin natal pour la France à l’âge de dix-neuf ans, dans le but de trouver un avenir meilleur, comme l’ont fait beaucoup d’Africains en même temps que lui. Une fois en France, il a eu trois enfants. Voir des enfants noirs, de l’âge de ses fils, réussir, était pour lui une fierté. En me disant « C’est un peu l’Afrique qui a gagné » il trouvait un moyen original de rendre hommage à tous ces primo-arrivants qui ont pris des risques certains pour s’assurer un avenir radieux. Tous ces primo-arrivants, qui ensuite, ont tout donné pour élever leurs enfants dans le respect de la République française et ses codes. Enfants, dont un échantillon a porté la France sur le toit du monde footballistique. En voyant les Pogba, Kanté et consorts, mon père, comme beaucoup d’Africains, y voyait le succès d’une génération : la sienne. Cette coupe du monde devenait, en quelque sorte, le fruit du sacrifice que ces hommes et femmes firent quarante années plus tôt. L’idée n’était pas d’enlever à la France sa victoire, mais de se rappeler que c’est grâce à des hommes comme lui, entre autres, que ce succès a été possible. Dans sa réponse à l’Ambassadeur, Noah exprimait le même sentiment : « En les appelant ‘’Equipe africaine’’, je ne retire pas ce qui fait d’eux des Français (…) Je les inclus dans mon africanité. Je leur dis ‘’Je te vois mon ami français aux racines africaines’’.
Bon nombre d’internautes ont utilisé Obama pour prouver que ce que disait Noah était raciste. Dans son discours de Johannesburg, lors de la Conférence annuelle en hommage à Nelson Mandela, l’ex-Président américain se servait de l’Equipe de France pour démontrer que la diversité d’un peuple était une force : « Beaucoup de ces gars ne ressemblent pas aux Gaulois typiques, selon moi. Mais ils sont Français ! Ils sont Français ! », martelaient-il. En les appelant « Africains » Noah faisait donc bien preuve de racisme, pour certains Français. Ce qu’ils oublient de relever, c’est que lorsqu’Obama a mentionné l’Equipe de France, une clameur s’est levée de la foule. Nous étions en Afrique du Sud, pourtant. Pourquoi un tel amour de cette équipe ? L’histoire de mon père et celles de millions d’autres Africains vous donnent la réponse. L’hommage que l’Afrique a rendu aux joueurs noirs de l’Equipe de France était aussi un homme indirect à la France. Une manière de dire : « Nos enfants ont fait leur place dans ce grand pays. Mieux, ils en sont de dignes représentants ».
[Obama parle de l’Equipe de France de football]
Malgré tout, une question restait entière : pourquoi les Français ne s’insurgeaient pas contre les propos de la presse italienne et ceux d’Igor Stimac ? En réalité, certains l’ont fait, a posteriori, en mettant ces propos sur le même pied d’égalité que ceux de Noah. Si la référence à l’Afrique était un clin d’œil ému et fier pour la plupart des Africains, les propos de nos voisins européens étaient des remises en causes claires de ce qu’est la diversité de la France. Pulsions positives contre pulsions négatives. Que n’a-t-on pas vu l’Ambassadeur de France en Italie envoyer une lettre incendiaire à La Repubblica ; ou l’Ambassadeur de France en Croatie à l’endroit de Stimac ?
Aimer la France ET ses origines
Il se pourrait, j’en ai bien peur, que tout cela n’ait rien à voir avec la défense du modèle français. Il est vrai que, de prime abord, nous pourrions nous réjouir que la France défende comme un seul homme ses enfants de couleur foncée, contre le racisme international. Mais, la défense aurait-elle été aussi vigoureuse si la France avait perdu cette finale ? Ce que je tente de dire ici, c’est qu’en aucun cas la France n’a défendu ses enfants noirs contre le racisme. Si tel était le cas, elle aurait dénoncé avec plus de vigueur les propos du journal italien que ceux de Noah. Non, la France a défendu sa victoire. Et elle était bien plus vexée que des Africains osent s’octroyer une part de cette victoire que de voir ses voisins européens insulter ostensiblement les joueurs Noirs de l’Equipe de France de football.
Derrière cette polémique, se cache l’éternelle question des Français issus de l’immigration et de leur appartenance à la République. Le système d’assimilation, qui nous est cher, nous explique qu’être Français est une idée, comme l’explique bien Gérard Araud : « Leurs parents [des joueurs de l’Equipe de France] sont peut-être venus d’autres pays mais tous, à l’exception de deux joueurs, sont nés en France. Ils ont été éduqués en France (…) ils sont citoyens français et fiers de leur pays (…) Contrairement aux Etats-Unis d’Amérique, les citoyens français ne sont pas différenciés sur la base de la race, de la religion ou des origines ».
Comme l’a signifié lui-même Noah, le projet ne consistait pas à nier la nationalité française aux Bleus de couleur noire. Mais c’est précisément là que le bât blesse. Aussi vertueux soit-il, le système d’assimilation semble exclusif. Un immigré n’est accepté comme Français que lorsque qu’il a abandonné toutes attaches à ses origines. Je suis Français avec des origines ivoiriennes et béninoises. J’aime mon pays. Profondément. Et j’aime, avec autant de force, mes origines. Cela fait-il de moi un mauvais Français ? Pour un bon nombre de mes compatriotes, la réponse semble être : oui. Sans équivoque. Pourtant, vous viendrait-il à l’esprit de demander à votre prochain s’il préfère son père ou sa mère ? Bien sûr que non. Le Français issu de l’immigration, lui, est sommé de choisir.
Peut-être est-ce le logiciel de l’assimilation qui est périmé. Peut-être qu’en lieu et place d’un système vertueux, il s’agit d’un processus qui nie les sentiments profonds et naturels des Français de l’immigration. Peut-être devrions-nous admettre que les origines, sans en être le centre, sont une part de l’identité d’un individu. La France se vante aujourd’hui de sa diversité, mais l’assimilation rejette en bloc ce qui fait la particularité des Français de l’immigration. Alors, le système d’intégration à l’américaine est-il préférable ? Certainement pas. Mais la vérité se situe possiblement au milieu du gué. Beaucoup veulent aimer la France ET leurs origines, sans restrictions. Ce n’est pas que racial ; c’est historique, c’est culturel, c’est affectif. Et il serait bon que la France entende cet appel. En est-elle capable ? Le veut-elle ? « Vous parlez d’une victoire africaine. Rien ne pouvait être moins vrai », a lancé Gérard Araud, dans sa lettre. Ce à quoi Noah a répondu, non sans humour : « Si. J’aurais pu parler d’une victoire scandinave. Cela aurait été moins vrai ». Cet échange donne un début de réponse.
Nul besoin de conclusion, Trevor Noah l’a trouvée à ma place : « Je continuerai à les [les joueurs noirs de l’Equipe de France] louer en tant qu’Africains. Je pense qu’ils sont Africains ET Français en même temps. Et si la France dit qu’ils ne peuvent pas être les deux à la fois, c’est que la France a un problème ; pas moi ».
Giovanni DJOSSOU
Note 1 : La Repubblica : https://www.repubblica.it/dossier/sport/mondialirussia2018/2018/07/15/news/razzisti_scatenati_sui_social_non_ha_vinto_la_francia_ha_vinto_l_africa_- 201860977/?ref=RHPPBT-BS-I0-C12-P4-S1.12-L
Note 2 : Igor Stimac :
https://www.huffingtonpost.fr/2018/07/14/coupe-du-monde-2018-lex-joueur-croate-igor-stimac-faitune-sortie-raciste-sur-le-pays-dorigine-des-joueurs-francais_a_23482108/
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Bonjour Giovanni,
Merci d’avoir écrit sur ce sujet qui m’a beaucoup ému et m’émeut encore. Je ne suis que partiellement d’accord avec ton analyse. Tout d’abord merci car tu m’a permis de mieux comprendre certains « africains » qui voient cela comme la victoire de la France. Je dis oui à ce sentiment de fierté devant leurs enfants, qu’ils ont durement élevé et qui représentent aujourd’hui la France. Eux, africains, ils ont élevé des champions! J’avais beaucoup de mal à accepter ce commentaire de la part d’africains car j’avais l’impression qu’on tentait de grapiller misérablement un peut de gloire alors qu’aucune équipe africaine n’a réussi à aller loin dans la compétition. J’avais l’impression que l’on voulait ramasser quelques miettes de succès en s’appropriant la victoire de gars qui pour certains connaissent à peine l’Afrique. Avec ton explication j’entends mieux ce sentiment de fierté.
Cependant, je ne suis pas d’accord avec l’idée que la France a défendu sa victoire et non ses enfants noirs. Personnellement, dès le départ cette équipe de France m’a vendu du rêve! Avec ou sans victoire. Tu ne peux présumer de ce qui aurait été dit en cas de défaite. Aurions-nous attirer autant de haine et de jalousie si nous avions perdu? Je ne crois pas. Nous n’aurions probablement pas assisté à ce déferlement de propos non racisteS mais STUPIDES (trevor noah peut faire les pirouette qu’il veut, il a été STUPIDE) ! Ce genre de présomption fait du mal à la France. Et si on laissait aux Français le bénéfice du doute? Je suis française et cette équipe de France je l’aime depuis la coupe du monde 2014, depuis l’euro 2016 malgré ses défaites.
Pour avoir mon point de vue sur ce sujet => chelle_stories sur instagram, poste : THE New Marianne
Je serai ravie d’échanger avec toi sur ce type de sujets.
Michelle Camara
Alors désolé mais votre article est biaisé depuis le départ vous postulez de façon fausse et orientée que la population française et les médias aurait minimiser les propos racistes des italiens ou des croates et tant d’autres « européens névrosés » et aurait fait une fixette sur les propos de Mister Noah.
Ce qui est complètement faux les médias ayant relayés avec la même consternation les deux sons de cloches.
Étant moi même né en Afrique et ayant tout les traits physique de mes racines asiatico-africaine mais ayant plus de la moitié de ma famille blanche je peux comprendre le besoin de se raccrocher pour certains africains aux réussites du sport francais, la première identification se faisant par la recherche de semblable et pour un africain l’équipe de France est un agrégat de semblable pour autant ce n’est pas le cas.
La France doit tout de sa puissance actuelle a l’Afrique, même si j’aime a le rappeler la France a été une nation puissante voir hégémonique avant même la colonisation outre-mer ce qui n’est pas le cas de toute les puissances européennes, cependant ce qui fait la force de son modèle sportif ce n’est pas la forte présence de personne a la peau moins claire mais bien la qualité de son modèle sociale qui lui a permis de développer des infrastructures de qualité, supérieur même aux pays qui l’entourent et qui ne sont pas particulièrement pauvres.
Quand l’Afrique sera sortir de sa vision tribale de l’appartenance alors le continent aura fait un grand bond mais ce constat est le même pour l’Amérique mais aussi l’Asie, il est là le dernier grand génie européen même si de plus en plus mise en cause mais c’est cette idée que l’humanité est universelle, la France de cette idée a fait de terribles chose désormais elle en fait de très belles et grandes choses et l’Equipe de France en est un exemple.