Le matin, à l’heure où blanchit la ville et où les nantis dorment encore du sommeil du juste, le petit peuple du Caire s’affaire à Zamalek : les gardiens sortent les 4×4 des résidents de leur immeuble, et l’astiquent soigneusement, d’autres promènent le chien de ceux qui en ont un pour l’afficher sur Facebook, et d’autres encore courent à la boulangerie ramener des croissants frais avant que la patronne n’ouvre l’œil .
Le décalage entre les niveaux de vie au Caire est criant, mais il est d’autant plus indécent qu’il conditionne totalement les mentalités et les comportements sociaux. Un relent de féodalité parfume les rues de la ville, où les pauvres doivent se soumettre à ceux qui les font vivre. Cette déférence est notamment marquée par l’utilisation de titres honorifiques datant de l’occupation ottomane («bacha , effendim), ou encore qui marquent le niveau d’études (ingénieur Untel, docteur Untel) toutes les deux phrases. Le rapport hiérarchique paraît justifier le manque de respect, la rudesse ou même l’humiliation publique de la part des employeurs, qui terrorisent parfois leur personnel de maison. Car un bon patron ici est celui qui se fait respecter. On est parfois surpris par la soumission des employés, soumission qui semble parfois volontaire lorsqu’on assiste à des scènes improbables, où untel tend sa clé de voiture à son gardien afin qu’il la lui démarre ou un autre qui refuse d’aller acheter une bouteille d’eau, parce que vraiment, à quoi cela sert d’avoir des gens de maison s’il faut tout faire soi-même.
Ce mépris social ne s’adresse pas seulement aux personnes que l’on a à son « service », mais également vis-à-vis de tous ceux qui ont une profession jugée inférieure : le serveur à qui l’on parle comme à un demeuré, le gardien de parking à qui l’on tend une pièce avec dégoût, sans compter l’éboueur dont on feint d’ignorer l’existence.
Evidemment, il est facile pour un étranger de s’insurger contre ce racisme de classe, car il faut bien vivre, et endurer son malheur dans une société qui accepte encore que le riche se comporte comme si tout lui était dû. La révolution de janvier 2011 n’a pas mis fin à la servitude volontaire, malheureusement.
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Il y en a qui perdent leur plus grande valeur en quittant leur sujétion. Leur plaisir de vivre se trouve accroché à un joug dont il ne voudrait jamais se libérer. Heureux celui ki accepte avec amour sa situation d'infériorité, malheur à ceux qui abusent de leur position dominante.Ingénieur ce matin, cadavre le soir, éboueur hier, patron de veolia demain. La roue tourne…
Merci Omar pour ton commentaire. Effectivement , en Egypte on aimerait que la roue tourne plus souvent !