Il est une chose de souhaiter l’épanouissement de notre Afrique, il en est une autre de proposer et de mettre en place des moyens concrets d’atteindre cet épanouissement. Cependant je pense qu’il faut souligner un profond problème qui aujourd’hui gangrène les quelques esquisses de stratégies que nous développons pour réaliser l’objectif cité plus haut. En quoi consiste ce problème? Il s’agit du problème des « élites » africaines. Il s’agit de l’occidentalisation perpétuelle des « élites » africaines et donc des répercussions de ce processus sur l’efficience des stratégies que nous mettons en place pour notre terre.
Petite parenthèse avant de poursuivre : J’insiste sur les « élites » sans pour autant être un défenseur de cette vision sociétale qu’est l’élitisme. Cet élitisme a d’ailleurs perdu l’Afrique, depuis les prêtres de Tah Mehry (l’Egypte Antique) envahi par Cambyse jusqu’aux sorciers et aux dirigeants de nos royaumes renversés par les colons. Toutes ces élites ont indirectement, et souvent sans le vouloir, participé à l’asservissement de leurs peuples, pour la simple raison qu’ils ont emporté le savoir avec eux dans leurs tombes ou ne l’ont pas assez vulgarisé aux populations (cf. « Un vieillard qui meurt c’est comme une bibliothèque qui brûle »).Peut-être l’histoire aurait-elle été toute autre si ces populations avaient été massivement initiées et éduquées au savoir et au savoir-faire immense qu’il y’a en Afrique. Il faut ainsi souligner l’importance des élites dans l’accomplissement (ou la perte) de la destinée d’un peuple. En effet c’est elle qui mène les combats d’avant-garde mais si elle s’y enferme ou s’y prend mal, elle finit par détruire ce qu’elle voulait défendre. Voilà la raison pour laquelle j’insiste sur le rôle des élites africaines en ce qui concerne la situation actuelle ainsi que le futur de l’Afrique.
Revenons ainsi à notre problème d’élites…
L’occidentalisation perpétuelle de nos élites est un réel drame pour nos populations. Cette occidentalisation que l’on croyait circonscrite aux époques post-indépendances, est en réalité en train de regagner du terrain, notamment grâce à l’ouverture du marché de l’éducation à l’échelle mondiale. Que signifie ce terme « occidentalisation » : C’est l’emploi ou plutôt le réemploi perpétuel de concepts, de méthodes et de stratégies créés en Occident, par des occidentaux, pour l’occident et avec des réalités culturelles et historiques occidentales. C’est par exemple le cas de la démocratie « moderne » inspirée de la « démocratie » athénienne (Les guillemets ne sont pas fortuits). Le drame de l’occidentalisation de nos élites réside dans le fait que ces dernières vont l’appliquer à un contexte et à des réalités sociales ou historiques typiquement africaines. L’exemple le plus patent de ce mimétisme ou plutôt de cette « péroquettisation » – excusez moi le néologisme – est l’emploi effréné de la terminologie occidentale pour désigner nos souhaits pour l’avenir de notre continent. Le porte étendard de cette terminologie qui nous assassine au quotidien est le fameux « développement ».Toute l’intelligentsia africaine emploi ce mot et ses déclinaisons (co-développement, sous-développement, etc.) à tord et à travers, sans réellement prendre le temps de réfléchir sur les concepts qui sous-tendent cette idéologie. Car oui, le développement, tel qu’il est conçu par le monde occidental, est réellement une idéologie. Il prétend offrir à tout le monde le confort matériel et technologique et s’appuie sur le capitalisme marchand, aveugle et sourd face aux demandes simples de l’humanité : se loger, se nourrir et boire de l’eau potable…2 Milliards et 800 millions de personnes vivent avec moins de deux dollars/jour. Ces chiffres ne s’inventent pas, ils sont bel et bien le fruit de ce « développement ». Ce développement s’appuyant sur le capitalisme prône une croissance infinie dans un monde fini, épuise nos ressources non-renouvelables (comme le pétrole) à une vitesse grand V et n’hésite pas dans ses formes les plus vicieuses à tuer des gens pour continuer à contrôler des marchés ou des ressources (cf. La Françafrique et Noir Silence de F.X.Verschave).
Ce développement capitaliste si destructeur pour notre environnement est, d’après nos élites, le but que nous devons atteindre, nous africains. Si d’aventure nous l’atteignions – ce qui est tout bonnement impossible car nous ne l’avons pas conceptualisé de manière endogène – vaudrions nous mieux que ceux que l’on critique aujourd’hui ? Je pense que non…
Les déclinaisons de cette terminologie, pour rester sur ce point du mimétisme, largement relayée par nos élites (et la presse) continuent à aliéner les populations africaines et encourage nos jeunes à prendre ces embarcations de la mort que sont les pirogues de l’atlantique ou de la mer rouge. Des termes comme le sous-développement enferment inévitablement n’importe quel africain qui les emploie dans sa condition forgée d’être inférieur technologiquement, économiquement voire même culturellement. L’Africain d’aujourd’hui croit que tout ce qui est bien est hors de chez lui, ce qui, en réalité, n’est pas le cas. Ainsi un africain qui accepte de se dire « sous-développé », admet par la même qu’il est en retard sur le plan de vue de la marche historique de l’humanité et que d’autres (l’Occident en l’occurrence) sont en « avance » sur lui et son continent. Si cet africain fait partie de l’élite africaine dirigeante et visible, je vous laisse imaginer le mal que cela peut faire au niveau de nos populations qui ont faim et n’ont pas le temps de penser à ces choses là.
Cependant l’emploi de cette terminologie n’est qu’un volet particulier mais ô combien important du process de mimétisme. Ainsi, depuis 50 ans, nous nous entêtons à mettre en place des stratégies économiques et à opérer des réformes de notre système éducatif selon des techniques apprises dans l’enseignement à paradigme occidental (et cet enseignement est le même en Afrique qu’en Occident) et selon des concepts engendrés par des penseurs occidentaux qui voulaient trouver des solutions à des problématiques occidentales. Abreuvées à travers ce robinet qui trouve sa source ailleurs, les élites africaines mettent en pratique des solutions inadéquates et inadaptées à un milieu géographique, social et culturel n’ayant absolument pas les mêmes caractéristiques que le milieu originel du concept qu’ils appliquent. A ce titre, et pour rester dans le ton « jeune » de cet article, le rappeur Franco-Sénégalo-Tchadien Mc Solaar dans « La belle et le bad boy » dit ceci : « Le contexte est plus fort que le concept »… Cette phrase est sans doute à méditer, mais il faudrait également méditer sur la fragilité de nos institutions face aux multiples coups d’Etat en mettant en lien cette fragilité avec la non identification des populations à l’égard de nos systèmes politiques actuels. Pensez-vous réellement qu’un système politique dans lequel les populations se reconnaitraient pourrait être renversé tous les 3 ans comme en Mauritanie ? A méditer… Il serait également intéressant de réfléchir à délivrer les femmes du carcan de la sous-éducation et à les imposer aux plus hauts niveaux de responsabilité comme cela a toujours été le cas aux époques où l’Afrique brillait (Egypte Antique, Ghana, Royaume de Nder). L’Afrique a besoin de ses femmes sur la scène décisionnelle quitte à trouver un système de suffrage propre à nos pays, système où leur représentativité serait assurée. Il est temps que les futures élites africaines étudient, en parallèle de leur formation, le passé philosophique (pour ne pas dire cosmogonique) et les conceptions de la nature, de l’échange économique et du pouvoir dans les civilisations africaines anciennes afin de s’en servir, non pas pour retourner à des fantasmes passéistes et irréalisables aujourd’hui mais pour créer tout un corps de sciences humaines, économiques et politiques inspirées par des réalités et des concepts africains. Ces nouvelles visions sociologique, économique et politique seront ainsi adaptées à notre terre et seront surtout pérennes car elles auront été tirées d’un substrat endogène et s’appliqueront à ce substrat endogène renouvelé. Il ne faut pas avoir peur de cette révolution, d’autant plus que celle-ci est avant tout mentale et concerne prioritairement nos élites .Ainsi, si ces dernières décidaient de réformer le système agricole, elles devront se former techniquement mais devront surtout maitriser leur contexte social, économique et historique, ceci afin d’intervenir non pas de manière (con)descendante avec des méthodes exogènes mais en intégrant le paysan africain, sa relation avec la nature et son savoir-faire millénaire dans cette réforme : là est la clé du succès. Soyons d’abord africains, vivons africains et pensons africains. C’est le prix à payer si nous voulons voir l’Afrique s’épanouir, et non se développer comme je l’entends trop souvent. C’est le prix à payer si l’Afrique veut nourrir tous ses enfants et avoir des institutions fortes. C’est le prix à payer si l’Afrique se veut unie pour pleinement participer et selon ses spécificités à l’établissement d’un monde plus juste, plus humain et réellement multiculturel.
Fary Ndao
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Je ne partage pas l’opinion de l’auteur de l’article. Tout d’abord, je pense qu’il confond « Modernité » et « Occident ». A sa décharge, il n’est pas le seul. Ce n’est pas parce que le capitalisme est né en Europe occidentale, de même que le siècle des Lumières, et que ce sont développés les concepts de sciences sociales actuels, qu’il faut les figer culturellement comme occidentaux. Il y a aujourd’hui un capitalisme endogène chinois, brésilien, qui a une coloration culturelle particulière, et aucune sorte de complexe vis à vis de l’occident.
Qu’il ait manqué d’effort d’interprétation de ces concepts et réalités liées à la Modernité au cas de figure social, politique, économique et culturel africain, soit. Mais il ne s’agit pas de rejeter ces outils de compréhension et d’action pour autant, bien au contraire.
Et, pour paraphraser l’auteur, c’est parce que « les populations qui ont faim n’ont pas le temps de penser à ces choses là » que ceux qui ont le luxe d’y réfléchir doivent le faire sérieusement, pour l’intérêt général. Cela n’empêche évidemment pas d’étudier le passé philosophique et l’histoire des différentes civilisations africaines pour s’en inspirer à l’occasion et donner une coloration particulière à l’action présente.
Enfin, que le développement soit une idéologie, je n’en doute pas. C’est l’idéologie du progrès qui est consubstantielle à la modernité, et dans laquelle je reconnais m’inscrire parfaitement. La question de la nature de ce développement et de l’orientation particulière qu’on lui donne reste cependant ouverte, et je ne crois pas qu’un développement endogène relève de « l’impossible » en Afrique.
Cordialement
Autant je suis d’accord sur l’idee de rechercher un modele de devellopement propre a notre continent, autant je refute l’analyse conduisant a rejeter a tout point de vue la notion de <>. Le concept en lui meme est a mon avis universel, ce serait plutot les moyens utilises pour y arriver qui seraient differents. En outre je ne pense pas qu’il y’ait matiere en l’espece a distinguer devellopement du terme epanouissement.
Fary il y a énormément d’éléments importants qui constituent le corps de votre texte. Je partage votre point de vue sur certaines choses et moins sur d’autres. Je m’explique :
Tout d’abord je souligne le courage que vous avez eu à traiter le problème de « l’occidentalisation de l’Afrique » comme vous l’appelez. Je n’irai pas jusque là mais j’entends bien ici ce que vous essayez de nous faire comprendre. Cela est d’autant plus flagrant avec l’exemple que vous donnez à propos de la démocratie. Selon moi, la démocratie dans ses principes n’est pas à remettre en question et qu’elle soit définie par les Occidentaux n’est pas un réel problème.
En revanche, que l’Occident cherche continuellement à imposer de force la démocratie à un continent qui n’en a pas acquis la tradition me paraît totalement irréaliste. La plupart des pays d’Afrique n’ont que 50 ans qui les séparent de leur indépendance et on voudrait en faire, comme par magie, des exemples de démocratie ! S’il on part du postulat que la France telle qu’on la connaît prend naissance à l’avènement des Capétiens –soit l’arrivée sur le trône d’Hugues Capet- ce pays existe depuis 987. S’il on admet que la démocratie solide, indéboulonnable, s’installe définitivement à la chute de l’Etat Français de Pétain en 1944 il aura alors fallu 957 ans à la France pour devenir le modèle qu’elle est pour le monde entier aujourd’hui. Et qu’on ne s’y trompe pas : la Terreur (1793-1794), le Premier et le Second Empires ne sont pas des erreurs de parcours mais bien des périodes de l’Histoire qui ont permis à la France de devenir ce qu’elle est.
Laissons l’Afrique se construire car tant que l’on trouvera des réponses exogènes à des problématiques purement africaines, le continent Noir continuera de souffrir. Alors oui Fary, je suis d’accord avec vous lorsque vous nous faites comprendre qu’il faut arrêter de regarder l’Afrique avec le prisme occidental.
Mais là s’arrêtent nos points de convergence.
Votre article s’intitule « Elites africaines ? ». De quelles élites parlez-vous ? Elites politiques, culturelles ? A vous entendre l’Afrique n’a jamais eu autre chose que des élites pilotées par l’Occident et les peuples d’Afrique n’ont jamais eu la force de se battre par eux-mêmes. Par cette démarche, de manière involontaire, vous faites totalement le jeu des personnes qui, comme le président français, pensent que l’Afrique n’est jamais « entrée dans l’Histoire », que l’Afrique n’a jamais eu une histoire à elle !
Que faites vous de nos penseurs : les Césaire, Fanon, Diop, Senghor qui à leur manière ont tenté de montrer à tout un continent le chemin vers le progrès et la dignité ? Que faites vous de nos dirigeants : Houphouët-Boigny, Mandela, Rawlings, qui contre le contexte de leurs époques ont tenté d’apporter puissance économique et stabilité politique à leurs pays respectifs ? Que faites-vous du dernier exemple que nous ayons en date : la Tunisie. Un peuple qui à la seule force de sa jeunesse se soulève pour renverser une élite dévastatrice et depuis trop longtemps en place.
Fary, si tout comme vous je ne crois pas à une vision évolutionniste de l’histoire à la W.W. Rostow (The Process of Economic Growth 1952), je vous prie de croire tout comme moi à une Afrique dynamique, capable de penser par elle-même. Une Afrique possédant des élites dignes de ce nom, capables d’offrir de nouvelles perspectives aux populations dont elles sont les modèles. Une Afrique dont les populations sont conscientes de leur situation et prêtent à la changer. En un mot comme en cent : croire en l’Afrique.
Je dois avouer que ce qui me pose problème ici c’est l’idée du « développement capitaliste ».
Tout d’abord, rappelons que le capitalisme de viens pas du monde européen mais des États-Unis. La libre entreprise, la concurrence etc…sont tous des concepts qui peuvent expliquer un développement sur le long terme.
De plus, nous avons bien vu les limites du système communiste : un échec sur toute la ligne. Alors que dire de la Chine? La Chine est un régime communiste, oui mais dans une économie capitaliste. Sinon comment expliquer son développement? Je peux comprendre que le problèmes des élites soit de savoir adapter le savoir-faire du monde occidental à celui de nos pays mais pas de tenir au développement de leur pays.
Il faut dire que le développement est le mot d’ordre aujourd’hui et rejeter ce concept parce qu’il vient de l’occident ne ferait que nous enfoncer dans une situation déjà précaire. Il faut jouer des coudes pour se faire une place dans un monde où on ne parle plus que de concurrence, le tout étant d’avoir les armes nécessaires. « Enracinement et ouverture » … Cela me rappelle quelque chose. Ne refusons pas le développement en le qualifiant de nouveau colonialisme.
Tout à fait d'accord avec cet article, bravo Fary. Je pense qu'il aurait fallu faire un rappel historique pour éviter les commentaires à côté de la plaque de nos camarades. En effet, l'Afrique n'a pas 50 ans et son histoire est apparemment mal connue de beaucoup de gens. Le capitalisme au sens large n'a pas été inventé par l'occident, c'est sa forme sauvage qui est dénoncée ici. Lorsque l'occident vivait dans l'obscurité du moyen âge, l'Afrique était un lieu de connaissances, de grands empires y régnaient (cf l'empire du Mali), une plateforme du commerce international (Corne de l'Afrique, Sahel…), et la démocratie ainsi que l'intégration des femmes y étaient plutôt avancées. Cette méconnaissance de l'histoire est également un fruit de l'occidentalisation de l'éducation qui préfère cacher cette époque peu valorisante pour l'Europe. Pour info, ce n'est qu'après la chute de Constantinople, la traduction de l'héritage de la grèce antique par Avicennes (Abni Sina) et la récupération des sciences développées par les Arabes que le Renaissance à pu avoir lieu.
Commentaire : très intéressant, il est vrai que cette révolution "dé-copernicienne" où nous apprendrions à nouveau à penser l'Afrique comme terre centrale autour de laquelle gravitent un éco-système exogène est un préalable nécessaire à la reconnaissance et rennaissance de l'Afrique par les africains eux-mêmes. Quand je croises des étudiants d'autres nations qui sont heureux de passer du temps ensemble, cela me fait un petit pincement au coeur de constater qu'à contrario, les noirs continuent de se fuir : se fuir à travers l'idéologie atomisante de "l'intégration", se fuir à travers une fause culture "urbaine" présentée comme la culture historique et archétypique des noirs dans nos sociétés contemporaines ; se fuir à travers une infantilisation passive et le refus de prendre les devant, de prendre les responsabilités.
Evidemment ce que je dis ne concerne pas tout le monde, mais je pense que si l'on veut revoir une communauté noire, ferme, sûre d'elle et affirmée, il faudra commencer par lui redonner le sens du "J'ai été, je suis encore, donc je suis" et non plus "j'ai été, je ne suis plus, donc je me fuis". Je sens que notre génération prend conscience, continuons ainsi
bon courage à la rédac'