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Accra
Le ton et le contexte sont ici essentiels. L’allocution de Barack Obama à Accra était attendue, le choix de cette ville, considéré comme un adoubement, une reconnaissance. La popularité du Président Américain y est réelle et solide. Le ton du discours plus apaisé, plus respectueux dans les formes, plus didactique, le fond plus conséquent, la forme plus structurée, les analyses plus fines, les perspectives ouvertes plus claires, les promesses chiffrées et les références plus actuelles que dans le cas du désormais (et tristement) célèbre "discours de Dakar".
J’avais le pressentiment que je détesterais ce discours. Pour des raisons assez étranges, les discours de l’ex-sénateur Obama, me semblent rébarbatifs depuis son accession à la présidence, sa timidité dans le domaine des relations internationales m’exaspère aujourd’hui, comme jadis l’enthousiasme insensé que sa candidature avait soulevé.
Au fond, il n’y a rien à redire sur le discours en lui-même, mais c’est l’idée de ce discours, la manie de discourir tout le temps sur l’Afrique, la propension à venir rappeler aux leaders Africains des vérités qu’ils sont censés savoir, qui est écœurante.
L’allocution d’Obama a un avantage décisif sur celle de son homologue Français : elle est structurée et cohérente.
D’abord les habituelles banalités sur l’avenir de l’humanité qui dépendra peu ou prou de ce qui se passera en Afrique, dans les domaines de la démocratie, la santé et l’économie. Puis un retour sur l’histoire familiale du Président Américain qui recoupe en partie l’histoire de l’Afrique subsaharienne (colonisation, lutte pour l’indépendance et mirages postélectoraux). Enfin, le corps du sujet : une exposition en quatre parties sur la démocratie, la création d’opportunités, la santé et la résolution pacifique des conflits.
Simple et cohérent. Des annonces chiffrées (65 milliards de dollars pour poursuivre les efforts entrepris par Bush dans le domaine de la santé), des explications sur le rôle du commandement militaire américain qui doit être installé au Liberia, des engagements précis sur le soutien aux états démocratiques du continent, sur l’aide à la formation des cadres, sur la lutte contre le paludisme et l’amélioration de la prise en charge de l’accouchement. Nulle allusion à l’homme Africain, juste « l’Afrique » (parce que c’est suffisant); la question des défis et des opportunités que crée le réchauffement climatique en Afrique abordée sans aucune référence à l’homme noir si "proche de la nature".
Mais tout cela est gâché par le paternalisme. « L’Avenir de l’Afrique appartient aux Africains »… Et les parlementaires Ghanéens ont applaudi… L’occident n’est pas responsable de la dégradation de la situation au Zimbabwe… Et la salle s’est enthousiasmée. « Le monde sera ce que vous en ferez » et des hourrah jaillirent de toutes les gorges. Des sottises pareilles…
On pourrait en tirer deux conclusions : ou personne ne sait rien de tout cela en Afrique, et l’on est en droit de s’alarmer sur l’avenir de ces terres ; ou Barack Obama a ressenti le besoin de rassurer les Africains, ce qui est presque plus grave, parce qu’il n’y a que les enfants qu’on a besoin de rassurer, les adultes affrontent les défis, "debout, parce que c’est debout qu’on écrit l’Histoire".
L’infantilisation ici procède différemment. Ce ne sont pas les Africains en général qui se sentiraient infantilisés par ce discours, mais leurs leaders. La Voix de l’Amérique leur apporte la vérité sur leur situation, leur promet récompenses ou punitions. La société civile en Afrique a reçu elle les « encouragements » et les « félicitations » du président américain, l’entreprenariat privé a été vanté. Ce sont les leaders politiques qui ont été infantilisés. Le Professeur Obama leur a pendant trente minutes expliqué pourquoi il fallait aller de l’avant, comment leur situation pourrait s’améliorer et ce qu’il faudrait changer; il leur a présenté les vertus de la démocratie. Tout cela dans une sorte de tragi-comédie qu’on pourrait intituler « les cons découvrent le XXIème siècle ».
Conclusion
L’élégance racée et distinguée d’un côté, la brutalité brouillonne de l’autre, mais le même fond, à Dakar il y a deux ans, comme à Accra, l’Afrique n’a eu droit qu’à des logocrates, exposant ce qu’ils présentent comme les nécessités et les besoins de ce continent, alors qu’il ne s’agit que de tactiques électorales. Le discours de Conakry du Général de Gaulle en 1958 n’a pas mis fin à la mainmise française en Afrique francophone, celui de François Mitterrand à la Baule en 1990 n’a pas achevé les dictatures africaines, les excuses de Clinton en 1998 à Kampala n’ont pas suffi à clore le débat sur l’esclavage : tous visaient avant tout à rassurer ou s’attirer les faveurs de certaines parties des opinions publiques nationales, l’Afrique n’était qu’un prétexte.
Si Nicolas Sarkozy a annihilé tout espoir de construire des relations pacifiques avec l’Afrique, Barack Obama, par son habileté et aussi au nom de cette mystique panafricaine désuète mais si dangereusement répandue sur le continent et au sein des diasporas noires, a vu sa popularité s'accroître. Mais tout cela n’est que logorrhée. George Bush dont on ne recense aucun grand discours sur l’Afrique est pourtant, de tous les chefs d’États occidentaux, celui qui aura le plus fait pour aider réellement cette partie du monde, sans fanfares et alors que s’abattaient sur lui la pluie des quolibets – bien mérités – suscités par son action sur d’autres fronts (un article que j’ai en tête depuis trois mois et que je n’ai pas encore eu le temps d’écrire). Les vrais amis de l’Afrique ne sont pas toujours ceux qu’on croit.
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