Maroc, 25 Novembre 2011. Le parti de la Justice et du Développement remporte les élections législatives après un raz de marrée de quelques 107 sièges sur un total de 395. Une première pour ce parti qui, longtemps au sein de l’opposition, était habitué aux joutes verbales ciblant l’entourage royal. Sans surprise, c’est le charismatique Abdalilah Benkirane qui est alors nommé au poste de Chef du Gouvernement.
Si la logique veut que l’on puisse accoler au parti remportant les élections le titre de «Parti au pouvoir», ce n’est pas exactement le cas dans ce nouveau contexte politique. On se trouve davantage dans une situation que certains titres étrangers préfèrent appeler «Cohabitation entre les islamistes et le Palais». Et c’en est presque une, car au sein même de cette cohabitation réside un exercice du pouvoir qui se fait dans un rapport de force non-équilibré où le plus habile politiquement l’a d’ores et déjà emporté. Ce rapport de force, cette cohabitation et ce flou politique, font naturellement avorter d’avance toute tentative de réaliser un bilan de l’année écoulée. Car à l’heure actuelle, il est toujours difficile de savoir qui nous gouverne et selon quel programme. Cependant, au lieu d’un bilan, peut-être est-il nécessaire et plus pertinent de revenir sur deux ou trois points que nous jugeons essentiels de retenir et ayant respectivement rapport avec la pratique démocratique, la bonne gouvernance et le respect des droits de l’Homme.
Gouvernement parallèle non-élu
Quelques jours après la victoire du PJD, le palais ne tarde pas à placer ses pions sur l’échiquier. La première étape est en effet la nomination en masse d’ambassadeurs dans des pays stratégiques, et ce, sans prendre en considération l’avis du Conseil des ministres comme le stipule l’article 49 de la nouvelle constitution. Mais le palais ne s’arrête pas là et va jusqu’à nommer au poste de conseiller royal -poste qui rappelons-le n’a aucune existence constitutionnelle- des personnalités politiques dont entre autres, Fouad Ali El Himma, Yasser Zenagui et Taieb Fassi Fihri. Diverses personnalités ayant pour la plupart été fondateurs et partisans ou bien du PAM, du RNI ou de l’Istiqlal, des partis qui n’ont pas remporté les élections. Il se fait alors que ces personnalités correspondent de par leur expérience aux profils requis pour constituer un « gouvernement de l’ombre » censé régir véritablement cette fois-ci les affaires du pays, et cohabiter avec l’autre gouvernement constitué par le Chef du Gouvernement.
Image significative : A chacune des extrémités de la table, les ministres élus. Au centre, les conseillers du roi. Source : emarrakech.info
En additionnant ce second gouvernement au phénomène des ministères de souveraineté sévissant depuis des décennies, on ne peut alors se permettre de dire que les islamistes sont véritablement au pouvoir. On peut constater qu’ils se situent encore dans une période de conquête du pouvoir, alors qu’ils ont, ironie du sort, été élus. Ce qui ne peut être qu’une grave atteinte aux principes fondateurs de tout système démocratique.
Grands chantiers coûteux et entrepris sans adhésion populaire
Pendant très longtemps, le régime politique marocain a eu pour habitude de prendre des décisions économiques hâtives, non-démocratiques, puisant dans le budget de l’Etat, le tout pour ne satisfaire que des intérêts personnels. L’exemple le plus éclatant n’est autre que celui du projet TGV initié par le Roi Mohammed VI. Un TGV marocain accordé à une société française sans réel appel d’offres et bafouant de ce fait et en premier tout principe démocratique. Le projet lancé officiellement en Septembre 2011 par Nicolas Sarkozy et le Roi du Maroc a jusqu’à ce jour fait couler beaucoup d’encre et suscité beaucoup d’indignation.
Un collectif d’associations a, sous le nom de StopTGV, lancé une campagne et une pétition. Le collectif tient à rappeler un élément important : le budget d’investissement, non sans prendre en compte des déficits prévisibles d’exploitation, s’élevait à quelques 25 milliards de dirhams (soit 2.25 milliards d’euros). Mais au-delà du coût extravagant du projet, le collectif s’indigne également du manque cruel d’information, de transparence et de concertation. Alors qu’à l’époque où le PJD était encore dans l’opposition, quelques députés de ce parti osaient remettre en question ce projet, nous assistons aujourd’hui à un silence assourdissant du PJD sur ce TGV au coût faramineux. Pire encore, il n’est question d’aucun débat public, hormis une campagne pro-TGV où la pensée unique régira naturellement le discours. On peut facilement en déduire que le projet TGV est tout simplement un chantier qui n’entre effectivement pas dans les prérogatives du gouvernement et que toute prise de décision le concernant relève des hautes sphères du palais, détenteur du véritable pouvoir.
Ce projet ne reste finalement qu’un exemple parmi tant d’autres illustrant la réalité des mécanismes de prise de décision dans le domaine des grands chantiers au Maroc. Des chantiers coûteux qu’on ne peut pas annuler, dont on ne peut pas débattre, mais qui vont toutefois puiser abondamment leur budget dans l’argent public. En bref, des chantiers qui ne sont pas du ressort du gouvernement, ce dernier ne pouvant finalement servir que de pare-brise face aux polémiques et aux critiques, comme c’est actuellement le cas. Pour plus d’informations voir le rapport de CAPDEMAà ce sujet.
Droits de l’Homme bafoués
Le mouvement contestataire du 20 Février fut, tout juste après les élections, relativement affaibli politiquement. Il ne resta alors pour le système qu’à lancer quelques vagues successives d’arrestations arbitraires à l’encontre des militants du mouvement afin d’en étouffer les dernières forces vives et espérer ne plus entendre parler de cet élan contestataire. En effet, l’AMDH (Association marocaine des droits de l’Homme) compte à ce jour pas moins de 70 militants appartenant au mouvement et se trouvant derrière les barreaux après des procès expéditifs. Les plus connus et médiatisés restent le cas du rappeur Mouad El Haked, emprisonné pour une chanson publiée sur le réseau social Youtube ou encore Bachir Benchaib condamné à 12 ans de prison en raison de sa participation à une manifestation non-autorisée. Cela sans compter les violences quasi-hebdomadaires à l’encontre des manifestants qu’ils soient du mouvement 20 Février ou encore membres d’associations de diplômés chômeurs. Les journalistes ne sont pas épargnés, comme l’atteste l’agression du correspondant AFP, Omar Brousky il y a de cela quelques mois.
Le plus déconcertant dans le domaine des droits de l’Homme au Maroc tient à une raison structurelle : lorsqu’il s’agit de mettre le Ministère de tutelle qu’est le Ministère de l’intérieur devant ses responsabilités indéniables lors de fréquents recours disproportionnés à la force, les associations se retrouvent confrontées à un ministère littéralement scindé en deux : l’un, mené par un ministre partisan du Mouvement Populaire, et l’autre mené par un gradé des services de police qui n’a de comptes à rendre qu’au palais. Il ne reste alors qu’à deviner de quelle aile du ministère émane les ordres de répression.
Si le palais pense pouvoir continuer à tempérer la situation à travers cette « cohabitation » et à gagner du terrain politiquement pour passer sans nulle encombre sa pilule de la transition démocratique, c’est qu’il se trompe tout bonnement. En effet, si le parti de la Justice et du Développement a jusqu’à ce jour relativement gardé son calme, il peut toutefois et à tout moment, resserrer ses rangs et opter pour l’option de la rue. Il ne fait alors aucun doute que la première force politique du royaume, l’organisation non-autorisée mais toutefois tolérée d’Al Adl Wal Ihssan, proche du PJD, puisse être de la partie. Et devant ce rapport de force, la gauche et le camp moderniste n’auront alors qu’à se faire spectateurs de ce qui se tramera dans le royaume.
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