Ancien assureur entré sur le tard en politique à la fin de la guerre (il se présenta aux élections présidentielles de 2002 face a Ahmad Tejan Kabbah et fut battu), Ernest Bai Koroma personnifie le changement qui a cours en Sierra Leone. A la tête de "Sierra Leone Inc", il veut diriger le pays comme un manager compétent gère une entreprise profitable : transparence, culture du résultat et responsabilité assumée. Il a pour lui de représenter le changement et de disposer du soutien de la communauté internationale. Après les déviances de la guerre, c'est la consécration du retour à une trajectoire normalisée. La démobilisation des anciens belligérants s'est achevée en bon ordre, les dernières élections ont consacré sans ambigüité aucune le retour au principe démocratique, et désormais la loi prévaut sur la force. C'est déjà beaucoup. Enfin, un ultime vecteur de transformation politique est dorénavant assuré par un meilleur partage des pouvoirs a l’échelle du pays. La Sierra Leone a longtemps souffert d'une concentration excessive des instances de décision dans la capitale Freetown ; les provinces étant trop souvent marginalisées et les populations laissées pour compte. L'instauration du Local Government Act en 2004 a permis de corriger cet état de fait en répondant au besoin longtemps nié de décentralisation : des autorités locales sont désormais élues a la tête de conseils urbains et ruraux et administrent directement leur territoire respectif dans les domaines de la santé, l’éducation et l’accès aux services de base (eau potable et électricité notamment). Les résultats sont déjà au rendez-vous (lire à ce sujet [page 12 du document] l’étude de la Banque Mondiale) bien qu'encore modestes face a l'immensité des besoins qu'il reste encore à combler et aux défis dantesques qu'il faudra d'abord surmonter.
Au premier rang de ces challenges à relever : l’extrême pauvreté. En dépit des progrès enregistrés au cours des dernières années, la Sierra Leone demeure l'un des pays les plus pauvres et son indice de développement humain (IDH) est parmi les plus faibles de la planète. Les statistiques le disent a longueur d’années avec un confondant unanimisme : Plus de 60 % de la population vit avec moins de 1 $ par jour (taux qui dépasse même les 80 % en milieu rural), la mortalité maternelle à l'accouchement est la plus élevée au monde, de même que celle des enfants de moins de 5 ans, et l’espérance de vie tourne autour de 40 ans. On pourrait égrener longtemps encore ce genre de triste énumération. C'est le prix à payer pour une nation qui a trop longtemps souffert de la guerre et dont les gouvernements successifs ont souvent été corrompus et inefficaces. Tout est à (re)faire avec des moyens dérisoires et dans un délai qui devra être suffisamment court pour ne pas mécontenter des sierra-leonais qui ont trop longtemps attendu en vain. Une douloureuse quadrature du cercle dont les trous béants laissent passer de nouvelles menaces. Profitant de la faiblesse évidente de l’État, encore en phase de reconstruction, les barons de la drogue latino-américains semblent vouloir progressivement refaire en Sierra Leone un coup similaire a celui déjà réalisé en Guinée Bissau, devenu de facto un narco-état : une base arrière africaine servant d’entrepôt à la drogue d’Amérique du Sud avant d’être réexpédiée sur le marché européen. Généreusement "arroser" les intermédiaires coopératifs (parfois bien placés dans la hiérarchie du pouvoir) et faire taire les récalcitrants qui oseraient émettre la moindre protestation. La tactique a malheureusement toujours bien fonctionné dans des environnements politiques faibles où la grande majorité de la population lutte pour pouvoir manger a sa fin.
Les obstacles à surmonter sont incontestablement nombreux mais la Sierra Leone a aussi un certain nombre d'atouts : une stabilité retrouvée, un consensus national fort autour des grandes questions (paix, justice, réforme de l’État, développement), une politique gouvernementale cohérente, et un soutien appuyé (notamment financier) de la part de la communauté internationale. Autant d’ingrédients indispensables à une reprise économique, seule à même de générer les emplois et les richesses dont le pays a tant besoin. Celui-ci retrouve progressivement le chemin de la croissance depuis la fin de la guerre en 2002, en progression annuelle moyenne de 5 %. Une performance honorable et qui pourrait être sensiblement accrue si la Sierra Leone parvient à capitaliser sur la double chance historique dont elle dispose présentement : un sous-sol riche en ressources naturelles (diamant, rutile fer, or, bauxite…) allié à une conjoncture économique longue favorable aux matières premières et qui pourrait faire la fortune du pays selon certains opérateurs économiques étrangers (voir interview de Frank Timis). On pourra toujours discuter de l'ampleur de "l'aubaine" que cette situation représente réellement pour la Sierra Leone ; personne en revanche ne pourra contester de bonne foi son existence.
Et au-delà de ce coup de pouce inespéré du Destin, les hommes devront reprendre la main en transformant cette bonne disposition conjoncturelle en avantage structurel décisif. Cela passera notamment par le réinvestissement des dividendes de la manne minière à d'autres secteurs d’activité (agriculture et tourisme en particulier). C'est la seule approche susceptible d’élargir l'assise économique du pays, et partant son aptitude à s'assurer un développement pérenne. Car là est bien l'enjeu. Après avoir consolidé la paix et assurer la stabilité, reste désormais à créer la richesse et générer les emplois qui assureront le développement auquel aspire légitimement depuis si longtemps le peuple sierra-leonais. Le chemin est encore long et le résultat loin d'être acquis. Mais si ce jour advient, alors la patience si souvent mise à l’épreuve n'aura pas été vaine et les idéaux originels de liberté et de dignité retrouvées qui présidèrent à la fondation du pays pourront de nouveau être réaffirmés avec force.
Jacques Leroueil
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