Comment améliorer la performance des entreprises africaines ?

Au-delà d’un environnement continental favorable, les agents économiques africains sont voués à s’engager dans une nouvelle logique d’organisation et de production de valeur ajoutée. Nous voyons dans la réorientation des méthodes d’organisation et de production des agents économiques dans le sens d’une recherche constante de la performance, le fondement de l’ère de prospérité qui se dessine.


Dans l’histoire de l’humanité, les périodes de prospérité répondent globalement à une même logique : un environnement social et institutionnel offre de nouvelles opportunités d’échanges à des agents économiques (individus, entreprises, organisations publiques) qui adaptent leurs comportements individuels et interagissent suivant une nouvelle logique de création de valeur. Ainsi, portées par une démographie dynamique, par une volonté politique et entrepreneuriale fortement orientée sur les investissements, par des transferts de technologie permettant des gains de productivité rapides et par une nouvelle rationalité d’organisation de la production, le Japon et l’Europe occidentale après la seconde guerre mondiale (1950-1980) ou la Chine post-Mao (1978 à nos jours) ont connu ou connaissent des périodes de croissance et de prospérité sans équivalent dans leur histoire. 

Tout porte à croire que l’Afrique amorce le début d’une situation historique similaire. La population africaine est passée de 180 millions d’habitants en 1950 à 1 milliard d’habitants en 2012, et devrait atteindre 1,8 milliard d’habitants en 2050. Les classes moyennes africaines s’agrandissent très rapidement, de même que leur pouvoir d’achat. Une étude[1] de The Economist estime ainsi que les 18 plus grandes villes du continent pourraient avoir un pouvoir d’achat cumulé de 1,3 million de milliards de dollars à l’horizon 2030. C’est-à-dire demain.

D’ores et déjà, le PNB de l’Afrique subsaharienne a quadruplé entre 2000 et 2013, et six des dix économies ayant connu le plus fort taux de croissance dans le monde se situent en Afrique. 

Toutefois, les travaux académiques[2] portant sur les composantes de la croissance des différentes économies africaines soulignent un aspect que reconnaitront volontiers les acteurs sur le terrain : les gains de productivité – c’est-à-dire l’augmentation de la valeur créée par une meilleure combinaison des différents facteurs de production (main d’œuvre, machines, capitaux) dans un processus donné – contribuent très peu à la croissance économique.

Concrètement, pour une croissance annuelle de 5%, les gains de productivité des facteurs n’y contribuent en moyenne qu’à hauteur de 1,2% sur la période 2000-2005. Cette moyenne cache des disparités importantes entre des pays comme l’Ile Maurice (+3,4%) et le Sénégal (0,47%). De manière générale, à niveau d’investissement égal, la croissance en Afrique ne représente qu’entre 1/3 et 1/2 de la croissance en Asie du Sud-Est. A l’heure actuelle, la croissance africaine est portée par l’élargissement du marché interne, une meilleure valorisation à la vente de ses produits du fait de la hausse de la demande internationale sur certaines matières premières exportées ; mais pas spécifiquement par une efficacité accrue de sa production et des gains de compétitivité sur le marché international. 

500Notre analyse de la situation est qu’au-delà d’un environnement continental favorable,  les agents économiques africains sont voués à s’engager dans une nouvelle logique d’organisation et de production de valeur ajoutée. Nous voyons dans la réorientation des méthodes d’organisation et de production des agents économiques dans le sens d’une recherche constante de la performance, le fondement de l’ère de prospérité qui se dessine. Cette recherche de la performance, que l'on peut également appeler efficience opérationnelle, repose sur deux principaux piliers : la compétivitié-coût et l'optimisation des processus. 

La structure de coût d’un produit mis sur le marché détermine sa compétitivité face à la concurrence, à niveau de qualité similaire ou peu différenciant. C'est ce qui explique l'aspect crucial de la compétitivité-coût sur des marchés relativement homogènes. 

Cette concurrence peut être mondiale, mais est avant tout sous-régionale. L’UEMOA, l’East African Community ou la SADC sont de grands espaces de libre-échange où des entreprises africaines s’affrontent sur de mêmes segments de marché. La disparité de la structure de coût de ces entreprises est frappante. Par exemple, sur le même territoire du Katanga au Congo, la société Tenke Fungurume Mining produit près de 200 000 tonnes de cuivre avec 3000 travailleurs, pour un coût moyen de 3000 à 3500 dollars la tonne, quand la GECAMINE produit environ 30 000 tonnes de cuivre avec 11 000 travailleurs, pour un coût de production de 10 000 dollars la tonne, alors que le cours actuel de la tonne de cuivre sur les marchés internationaux se situe aux alentours de 8000 dollars.

Deux types de facteurs expliquent les surcoûts de production entre l'Afrique et le reste du monde, et à l'intérieur de mêmes espaces géogrphiques et économiques africains : des facteurs de surcoûts structurels et des facteurs conjoncturels, liés à de mauvaises méthodes de management au niveau microéconomique. 

Au rayon des surcoûts structurels, le manque d'infrastructure (transport, énergie) occupe le premier rang. Ainsi des coûts disproportionnés de transport d’un produit de son lieu de production à son lieu de vente, faute d’infrastructures et de réglementations adaptées. 

Tableau 1

 

La réduction de ce déficit en infrastructures est au cœur des stratégies des grands bailleurs internationaux comme la Banque Africaine de Développement[3]. Cette approche macroéconomique est indispensable. Elle est toutefois insuffisante pour régler la question du déficit de compétitivité-coût des agents économiques africains.

En effet, au-delà du handicap en infrastructures, la gestion microéconomique des acteurs du secteur privé et public est également source de surcoûts de production. Des économies d’échelle ne sont pas réalisées, certains postes de dépense superflus sont entretenus et des techniques ou des méthodes de production plus économes sont ignorées. Ainsi, pour reprendre l'exemple cité au Katanga entre la Gécamine et Tenke Fungurume Mining, le gap au niveau des prix de production s'explique essentiellement par des choix de management différents. 

Dès lors, il devient nécessaire d'adresser la question de la compétitivité-coût à l’échelon microéconomique, par une approche qui consiste à situer la structure de coût de la production de l’acteur économique au regard de la structure de coût moyenne et optimale (considérée comme référence) de son secteur d’activité, tant dans sa sous-région qu’en Afrique et dans le monde. Ce positionnement de l’agent économique lui permet d’identifier les leviers de maîtrise de ses coûts de production et d’amélioration de sa rentabilité. Ce travail nécessite de s'appuyer sur des ressources en recherche et en intelligence économique que ne peuvent mobiliser en interne la plupart des acteurs économiques. Le recours à des cabinets de conseil ayant développer des compétences sectorielles fortes peut s'avérer utile. 

atelier-performances-entreprisesEn Afrique comme dans le reste du monde, les cabinets de conseil en Organisation et Stratégie jouent le rôle clé, dans le capitalisme moderne, d’agents de diffusion des meilleures pratiques afin de faire évoluer collectivement le tissu économique d’un espace donné. Tels des abeilles permettant la fécondation végétale en butinant de fleurs en fleurs, leur rôle dans la transformation de l’Afrique est d’accompagner les champions de la compétitivité d’aujourd’hui et de demain. Permettre à des entreprises d’occuper des positions de leadership dans leur secteur, en les aidait à rendre leur organisation plus efficace, plus innovante, mieux sécurisée et plus proche de leurs consommateurs. 

Le deuxième pilier de l'efficience opérationnelle est l’optimisation des processus, à savoir le réaménagement ou la réorientation des activités de l’organisation, dans le sens d’une plus grande création de valeur ajouté. Cette exigence est à mettre au regard d'une réalité actuelle des économies africaines, liées à l'écart de productitivité intra-sectorielle, qui est l’un des plus élevés au monde. Cette situation est le résultat de la dualité de la plupart des économies africaines, tiraillées entre leur secteur informel, généralement à très faible productivité, et leur secteur formel. C’est ce qui explique que le coefficient d’écart de productivité intra-sectoriel au Nigeria soit de 0,224, contre 0,111 au Brésil, 0,106 en Indonésie et 0,080 en Turquie [4].

L'optimisation des processus recouvre deux aspects : un aspect quantitatif, lié au ratio entre les inputs (l'ensemble des éléments nécessaires pour le fonctionnement de l'activité : capital, force de travail humaine, outils utilisés, matériaux, etc.) et les outputs (la production finale de l'activité, par exemple, pour un boulanger, le pain vendu) qui doit être proportionné aux objectifs de rendement que s'est fixée l'acteur économique ; un aspect qualitatif enfin, lié à l'adéquation du service produit aux attentes des consommateurs. 

La méthode de fonctionnement de l’entreprise est-elle la mieux à même de répondre aux attentes et aux besoins de ses clients/usagers ? Cette question simple peut conduire à des actions de portée révolutionnaire. C’est ainsi en réinterrogeant le rapport des banques aux épargnants potentiels au Kenya, au regard de leurs besoins et de leurs moyens, que Safaricom  a créé le système bien connu de M-Pesa et l’ensemble des produits accompagnant cette adaptation des processus bancaires aux réalités économiques et sociologiques africaines. En permettant aux clients de mener des transactions via des communications SMS sur leur téléphone mobile, l’innovation M-Pesa est venu rappeler, pour qui en doutait, que le très faible taux de pénétration du marché des services bancaires en Afrique est avant tout le reflet d’une inadaptation des acteurs économiques aux besoins, attentes et moyens réels de leurs clients potentiels.  eut conduire à implique des conséquences à portée révolutionnaire. Une étude de la Banque mondiale [5] révèle ainsi que seuls 1/5 des épargnants africains interrogés ont recours à une banque.

m-pesa-cell-phoneL’adaptation de ce service aux besoins des clients  a permis à Safaricom de s’imposer sur le marché : entre son lancement en mars 2007 et décembre 2011, le système M-Pesa a convaincu 17 millions de consommateurs sur le seul marché kenyan. A l’image de cette success story, les entreprises africaines doivent trouver leur propre réponse aux besoins particuliers de leur marché,  et partir sur cette base à la conquête du monde. Cette dynamique est déjà en cours dans les grandes économies émergentes que sont la Chine, l’Inde ou le Brésil [6]. L’Afrique peut et doit faire autant, si ce n’est mieux.

Pour ce faire, les acteurs économiques africains doivent s’appuyer sur des données pertinentes concernant les besoins et les attentes de leurs clients, analyser les opportunités d’amélioration de leur organisation pour un meilleur service rendu et développer une aptitude à changer. L’accompagnement dans ce processus par une partie tierce indépendante avec un regard extérieur et expert est souvent déterminant. 

Victor Hugo disait qu’il n’y a rien de plus puissant qu’une idée dont l’heure est venue.

L’exigence de la performance va s’imposer à l’ensemble des agents économiques africains, parce qu’elle leur permettra de survivre et de tirer parti au mieux des opportunités offertes par le nouveau contexte continental. 

Emmanuel Leroueil     


[1] : Africa : open for business – the opportunities, challenges and risks, The Economist Intelligent Unit

[2] : Margaret S. McMillan, Dani Rodrik, Globalization, structural change and productivity growth, 2011

      Benno Ndulu, Challenges of african growth: opportunities, constraints and strategic directions, 2007

[3] : African Development Group, At the center of Africa’s Transformation, Strategy for 2013-2022

[4] : Margaret S. McMillan, Dani Rodrik, Globalization, structural change and productivity growth, 2011, Table 1, page 33

[5] : Asli Demirguc-Kunt, Leora Klapper, Measuring financial Inclusion : The Global Findex Database, World Bank, 2012

[6] : Jeffrey Immelt, Vijay Govindarajan, Chris Trimble, How GE is disrupting itself, Harvard Business Review, 2009

L’Afrique refait le pari de la planification stratégique

usineLa planification stratégique est apparue en Afrique au lendemain des indépendances. Par planification stratégique, il faut entendre un ensemble de moyens identifiés et appelés à être mobilisés par l'Etat et ses relais afin de parvenir à une performance chiffrée dans le temps. Aidés de conseillers et de hauts fonctionnaires de leurs anciennes métropoles coloniales, les nouveaux gouvernements africains élaborèrent durant la décennie 1960 d’ambitieux plans d’investissements en infrastructures et en projets d’industrialisation. Ces plans répondaient tous au mantra de l’époque : sortir l’Afrique de son sous-développement. Selon les propos du premier président du Ghana, Kwamé Nkrumah : « le cercle vicieux de la pauvreté… ne peut être brisé que par un effort industriel massivement planifié ». L’expérience a tourné court, pour plusieurs raisons. Parmi celles-ci, on peut citer : une allocation des ressources sur des projets de long terme dont les coûts à court terme ont été trop lourds à porter ; des dépenses sur des projets de prestige, des « éléphants blancs » inadaptés aux marchés locaux (usines en sous-activité) ; un contrôle et une imposition trop importante de l’appareil d’Etat sur des filières économiques, avec un fort effet désincitatif pour les producteurs privés ; un manque de ressources humaines de « l’Etat stratège », incapable d’assurer la mise en œuvre optimale de ses plans stratégiques. Plusieurs exemples historiques étayent ce constat. 

Les premières expériences africaines de planification stratégique

Le Ghana privilégia une stratégie de réallocation de la plus-value tirée du secteur agricole (cacao) vers un investissement massif en infrastructures et en usines, afin d’industrialiser le pays. Conséquence : la taxation outrancière par l’Etat de la production agricole (longtemps seule source de revenus imposables) fit baisser de près de 93% le prix payé aux producteurs, l’effet désincitatif conduisant à une baisse de la production de 572 000 tonnes de cacao lors du pic de 1964-1965 à 153 000 tonnes en 1983-1984. Dans le même temps, les nouvelles usines construites grâces aux investissements de l’Etat tournaient à 20% de leur capacité, faute d’une demande solvable et accessible à même d’absorber leur production. L’effort gigantesque d’investissement industriel porté par l’Etat algérien qui, dans les années 1970, investissait jusqu’à 35% du revenu national en infrastructures industrielles et de transport, fut pareillement couronné d’échecs retentissants, faute de transferts de technologie, de corruption, d’investissements non adaptés au marché local.

nyerere-on-time-magazine-coverD’autre pays jouèrent la carte d’une stratégie de développement centrée sur une planification rurale par le haut. L’exemple le plus abouti d’une telle stratégie est celle lancée en 1967 par le président tanzanien Julius Nyerere. Suite à la déclaration d’Arusha, la Tanzanie expérimenta la collectivisation des communautés agricoles regroupées dans des villages (« ujamaa »). Il s’agissait ni plus ni moins d’une collectivisation de la production et du partage des revenus. Cela aura eu quelques bons aspects, comme d’importants investissements en services publics : implantations d’écoles, de dispensaires, de réseau de distribution d’eau et d’électricité facilitées par le regroupement de collectivités rurales autrefois éparpillées. Le résultat économique fut lui désastreux : la production agricole chuta en même temps que les revenus des agriculteurs. Ces derniers fuirent les campagnes – vécues comme le lieu d’exercice de l’autoritarisme d’Etat – pour les villes, symboles de liberté. La politique d’ujamaa conduisit paradoxalement à ce que la Tanzanie ait l’un des taux d’urbanisation les plus élevés du monde, en croissance de 10% par an durant toute la décennie 1970. 

Au-delà de l’Afrique, la planification stratégique s’est imposée comme l’un des attributs de l’Etat moderne. Après l’Allemagne de Bismarck qui industrialisa la Ruhr, le Japon de l’ère Meiji qui donna naissance à la future deuxième puissance industrielle mondiale, les Gosplan de l’Union Soviétique qui transformèrent ce continent féodal, l’après deuxième guerre mondiale allait redonner un nouvel élan à la planification stratégique des Etats. Le plan Marshall américain et les différents ministères du Plan des Etats occidentaux en ont été l’incarnation triomphante dans les années 1950. C’est donc tout naturellement que les Etats africains nouvellement indépendants ont suivi cette tendance, qu’ils se réclament d’une idéologie socialiste ou libérale. De même, le tournant néolibéral des années 1970 sonnera le discrédit des plans stratégiques de développement promus par l’Etat, en Afrique comme dans le reste du monde. 

La critique libérale de la planification stratégique étatique

La critique libérale attaque l’Etat sur sa capacité à allouer efficacement les ressources. L’Etat est une institution qui répond à des objectifs qui ne peuvent se réduire à des considérations économiques. D’ailleurs, les stratégies choisies par les Etats africains ont répondu avant tout à des objectifs politiques : pour asseoir leur légitimité au sein de leur société, les Etats modernes se sont acheté une clientèle politique à grands frais, notamment avec le recrutement effréné de fonctionnaires dont beaucoup n’étaient engagés ni sur de la prestation de service public ni sur une activité productive. Cet objectif politique s’est parfois révélé contradictoire avec la stratégie de développement économique menée, comme l’a montré l’exemple du Ghana.

Selon les penseurs libéraux, la protection par l’Etat de secteurs économiques nuit à la compétitivité des entreprises et in fine au pouvoir d’achat des consommateurs. Une économie étatiste se caractérise souvent par des entreprises publiques ou semi-publiques en situation de monopole, qui facturent des prix au-dessus de ce que seraient normalement ceux d’un marché ouvert à la concurrence. En tant qu’investisseur, l’Etat ne serait pas à même de savoir quelles sont les entreprises de demain qui méritent qu’on investisse dessus aujourd’hui, et au contraire quelles sont les entreprises d’aujourd’hui destinées à faire faillite parce qu’elles reposent sur un modèle dépassé, et seront remplacées par des concurrents plus innovants. A chaque fois que l’Etat interférerait dans ce jeu naturel du cycle économique, il créerait des distorsions qui se substitueraient à la loi du marché dont l’allocation des ressources est supposée optimale.  

drop the debtAccablés par l’échec de leurs plans stratégiques de développement et par le niveau de leur endettement public, les Etats africains se verront contraindre par les institutions financières internationales à renoncer à toute ambition d’interventionnisme économique. Les ajustements structurels mis en place dans les années 1980 visent à restreindre le champ d’action de l’Etat, en réduisant les effectifs de la fonction publique, en promouvant les investissements directs étrangers dans le secteur de l’extraction de matières premières, en assurant la liberté des prix et des taux de change. L’Ouganda, le Ghana seront les bons élèves de ce tournant libéral, dont le bilan est aujourd’hui largement critiqué, quand bien même il a permis à certains Etats de se refaire une santé financière et de rationaliser leur mode de fonctionnement.

Engagés dans une dynamique de restriction budgétaire visant à les désendetter, les Etats africains ont réduit leurs budgets pour l’éducation, la santé, les infrastructures collectives, au moment même où la population a crû de manière significative. De sorte que la situation relative des populations s’est fortement dégradée dans tous ces secteurs, le nombre d’écoles, de dispensaires, n’étant plus adapté pour des populations élargies de plusieurs millions de membres. L’Afrique de l’Ouest a particulièrement souffert de cette situation, un pays comme le Sénégal gagnant 6 millions d’habitants en trente ans (1976-2006, passage de 5 millions à 11 millions d’habitants) avec une dotation en universités, par exemple, quasiment constante. La structure économique de ces pays a également peu évolué, restant spécialisée sur des cultures d’exportation de produits agricoles aux prix volatiles ou l’extraction de matières premières sans transformation à valeur ajoutée. Le secteur privé national a manqé de ressources pour se hisser dans la chaîne de valeur commerciale de leurs filières économiques. Cela a conduit au chômage de masse d’aujourd’hui, les nouveaux entrants sur le marché du travail ayant peu d’opportunités en dehors d’activités informelles.  

Face à cette situation de nouvel appauvrissement généralisé des années 1980-1990, les premières décennies de planification stratégique se sont vues remplacer par les décennies d’aide humanitaire. De grands programmes menés par des institutions internationales ou des ONG ont suppléé aux carences des Etats dans leurs missions traditionnelles : programmes de santé, d’éducation, d’assainissement, projets d’infrastructures. Parfois, il s’agissait même de suppléer à leur démission ou leur effondrement (Sierra Léone, Rwanda, République Démocratique du Congo, Somalie, etc.) La cautérisation des plaies de l’Afrique n’a pas non plus été très efficace : programme ponctuels sans suivis dans le temps, corruption et fonds détournés, faible impact du stimulis économique d’ONG employant principalement des occidentaux, logique de dépendance et d’assistanat ne favorisant pas le développement d’une dynamique entrepreneuriale locale. Si certains succès ont été obtenus, comme la quasi disparition de la poliomyélite suite à des campagnes massives de vaccination subventionnées par l’international, le consensus s’est fait aujourd’hui que l’aide, qu’il s’agisse d’une aide humanitaire ou d’une « aide au développement » pour l’Afrique, ne saurait constituer à elle seule une solution pour son avenir. 

Le renouveau de la planification stratégique

vision 2020Le désendettement des Etats africains accéléré par l’initiative de Gleneagles (2005) d’allègement de la dette multilatérale va leur permettre d’affirmer de nouveau des ambitions dans l’orientation stratégique de leur économie et de leur société. Confrontés à une exigence accrue de leur population en termes de résultats, les gouvernants africains vont adopter le discours sur l’émergence de l’ancien tiers-monde, et élaborer des stratégies pour sortir rapidement du statut de Pays Pauvre Très Endetté à celui de Pays à Revenus Intermédiaires. Les initiatives dans ce sens sont très nombreuses et concernent tant des pays (Rwanda vision 2020, National Development Plan – Vision for 2030 (Afrique du Sud), Kenya Vision 2030, Plan Stratégie Gabon Emergent 2025, plan Emergence I et II au Maroc) que des institutions panafricaines (programme économique régional de l’UEMOA, plan stratégique de la Commission de l’Union africaine, etc.). Que penser de ce foisonnement de plans stratégiques ? Cette nouvelle étape volontariste pour relever les défis de l’Afrique sera-t-elle enfin la bonne ? En quoi ces plans diffèrent-ils des expériences précédentes ? Enfin, à la lecture de ces documents, comment l’Afrique compte-elle se développer ? 

A suivre : Comment l'Afrique compte-elle se développer ?

Emmanuel Leroueil

L’Afrique: nouvel eldorado des cabinets de conseil en stratégie?

« Après la première guerre mondiale, les cabinets de conseil ont joué un rôle clé dans la restructuration et le développement de l’industrie américaine, avec notamment le cabinet Arthur D. Little auprès de General Motors, Mc Kinsey auprès de Du Pont ou de Ford ou encore Booz Allen Hamilton auprès du Gouvernement américain. Ces cabinets ont ensuite fortement contribué à la diffusion des nouveaux « modèles managériaux » en Europe et en Asie, plaçant ces zones dans le peloton de tête de la compétitivité et du développement. L’Afrique est restée en arrière. » Ces propos sont de Victor Ndiaye, PDG du Groupe Performances Management Consulting (PMC) (http://www.perfcons.com/), principal cabinet de conseil en management en Afrique francophone.

Toutefois, si les métiers du conseil en management ont été très peu développés en Afrique jusqu’au début des années 2000, ils ont pris un essor considérable au cours de la dernière décennie. Ce développement  s’explique notamment par le libéralisme économique caractérisé par la privatisation de nombreuses entreprises publiques.  Pour accompagner ce mouvement, aussi bien les structures privées que publiques ont manifesté le besoin de se faire aider par des cabinets dans la définition et la mise en œuvre de leur stratégie. C’est ainsi que l’une des premières missions du Cabinet PMC a été d’accompagner la privatisation de la Sonatel (Société National de Télécommunications) suite à la séparation entre les Postes et les télécommunications au Sénégal en 1995.

Ce contexte économique ainsi que la volonté de plusieurs Etats africains de s’engager dans la voie de l’émergence économique ont contribué à orienter le conseil en Afrique vers le management stratégique. Aussi, les cabinets ont-t-ils surtout chercher à aider les institutions publiques et les grandes entreprises nationales à définir et à mettre en œuvre des plans stratégiques sur une durée de 5 à 10 ans. L’enjeu pour ces cabinets consiste à accompagner la transformation des économies africaines et à amener les entreprises du continent à devenir plus performantes et plus compétitives. 

Et en Afrique plus qu’ailleurs, l’une des caractéristiques majeures du conseil en management est son orientation vers le secteur public. Principaux acteurs de la vie économique, les Etats et les institutions publiques sous-régionales restent en effet les principaux clients des cabinets de conseil. A son arrivée à la tête de la commission de l’Union Africaine en juillet 2003, l’ancien Président malien Alpha Omar Konaré a choisi le cabinet PMC pour doter l’institution panafricaine d’une nouvelle vision stratégique. C’est aussi au Cabinet PMC que l’on doit les Programmes Economiques Régionaux (PER) de l’UEMOA (http://www.izf.net/upload/Guide/per_uemoa.pdf) et de la CEMAC (http://www.cemac.int/PER%20Volume1.pdf).  

Grâce au travail des cabinets de conseil en management, les Etats africains ainsi que les entreprises du continent peuvent s’appuyer sur des réseaux de savoir en matière de gestion économique et stratégique, alliant une fine connaissance des meilleures pratiques au niveau international à l’expérience du milieu local. Il reste que si les cabinets locaux insistent sur leur parfaite connaissance des réalités africaines et leur volonté d’accompagner les Etats et les grandes entreprises dans une perspective de développement à long terme, le marché africain attire de plus en plus les grands cabinets internationaux de conseil en stratégie. 

Mc Kinsey, qui possédait déjà un important bureau à Johannesburg, s’est installé à Casablanca depuis 2004. Le prestigieux cabinet américain accompagne notamment depuis 2010 la mise en oeuvre du plan de développement industriel national baptisé Emergence. Il accompagne aussi l’Office Chérifien des Phosphates (OCP), principale entreprise du Maroc. En juin 2011, le cabinet Roland Berger Strategy Consultants célébrait ses trois ans de présence dans le Royaume chérifien au moment où le Boston Consulting Group (BCG) y soufflait sa première bougie. L’Afrique du nord, au premier chef le Maroc, est aujourd’hui l’une des régions les plus attractives pour les cabinets de conseil en stratégie (http://www.consultor.fr/devenir-consultant/actualite-du-conseil/239-le-maghreb-nouvel-eldorado-du-conseil.html).

Cette concurrence des cabinets internationaux n’a pas seulement pour théâtre l’Afrique du Sud et le Maghreb ; elle touche de plus en plus l’Afrique subsaharienne. Signe des temps, l’Etat du Sénégal a confié cette année le rapport d'audit de la Senelec (Société Nationale d'Electricité) à Mc Kinsey ; 10 ans auparavant, ce travail avait été confié au Cabinet PMC. Le leader mondial du conseil en stratégie vient d’ailleurs d’ouvrir un nouveau bureau à Lagos.

Nicolas Simel