Centenaire de l’ANC : l’Afrique du Sud éduquée dans la violence

L’Afrique du Sud a célébré en grandes pompes, le 08 Janvier dernier, le centenaire de l’African National Congress (ANC). Si le budget consacré à l’évènement(10 millions d’euros) a surpris plus d’un, les principales critiques adressées au mouvement de Nelson Mandela, parti solidement majoritaire (65% aux élections législatives de 2009), concernent les accusations de corruptionet d’enrichissement personnel et la lenteur, sinon l’échec, de sa politique de lutte contre la pauvreté (40% de chômeurs).

Identifiant les principaux challenges que son pays devait affronter, Jacob Zuma, Président de l’Afrique du Sud indiquait « le chômage, la pauvreté et les inégalités »… : la violence endémique et les errements des politiques sanitaires mises en œuvre dans ce pays, par une ANC au pouvoir maintenant depuis dix-sept ans, ont été passées sous silence – comme s‘il s‘agissait d‘un « fait accompli » dont la responsabilité directe ne pouvait être imputée à un mouvement politique particulier.

Or la situation sécuritaire en Afrique du Sud est grave. Pire : elle s’est aggravée depuis l’arrivée au pouvoir de l’ANC#! Et plus qu’ailleurs, ce sont les plus vulnérables qui en paient les frais : les pauvres, les femmes et les enfants. En ce qui concerne ces derniers, les chiffres sont accablants.

Une enquête nationale sur la violence scolaire en Afrique du Sud (National Schools Violence Study) menée en 2008 par le Centre for Justice and Crime Prevention (CJCP) portant sur les élèves du primaire et du secondaire indique que près de 2.000.000 d’entre eux (15,3%) ont subi des actes de violence à l’école ou dans le voisinage immédiate de l’école. Cette violence est tantôt physique, tantôt verbale, qu’il s’agisse d’agressions, d’intimidations, de rackets, de harcèlements, de vols ou de viols.

Ce climat de violence n’est pas le seul fait d’élèves agressant d’autres élèves. La réalité est plus dure encore.

Ainsi, sur les 20.000 établissements primaires et secondaires étudiés par le CJCP en 2008, dans trois sur cinq des agressions verbales de professeurs par des élèves avaient été signalées au cours de l’année précédente, des agressions physiques sur les éducateurs avaient été reportées dans un quart d’entre elles. Le Centre recensait même, dans 2,8% d’écoles, des agressions sexuelles commises par les élèves sur les professeurs.

La réciproque est vraie. Dans un quart de ces écoles les élèves avaient été victimes d’agressions physiques de la part de leurs professeurs, dans 2/5 d’entre elles, les directeurs avaient reçu au moins une plainte pour agression verbale. Plus inquiétant encore, une étude menée par la revue Lancet en 2002 établissait qu’un tiers des viols subis par les filles de moins de 15 ans en Afrique du Sud étaient perpétrés par les éducateurs. Une commission des droits de l’homme établissait quelques années plus tard qu’un enfant avait plus de risque d’être violés à l’école que nulle part ailleurs.

Pourtant, les instruments juridiques existent et sont légion, censés assurer la protection des élèves : d’abord la « Constitution » sud-africaine en son chapitre 2 liste les droits fondamentaux des élèves et des éducateurs, parmi lesquels le droit d’être protégé de toute forme de violence et de tout traitement dégradant ou inhumain; le South African Schools Act de 1996 interdit les châtiments corporels, un amendement introduit en 2007 autorise même les fouilles corporels et les tests aléatoires de consommation de stupéfiants dans les écoles; le Children’s Act de 2005 étendait le droit des enfants à leur intégrité physique à la protection contre toute forme de châtiment physique (qu’il soit sanctionné ou non par des normes coutumières ou traditionnelles); enfin le Domestic Violence Act de 1998 introduit l’obligation légale de dénoncer tout acte de violence, de négligence, d’abus ou de mauvais traitement commis contre un enfant aux autorités. En vain.
 

Des solutions? une approche globale et soutenue dans le temps

Dans deux études publiées en 2008 puis en 2011, des chercheurs sud-africains identifient les causes de l’échec des pouvoirs publics à lutter contre ce phénomène qui perpétue le cycle de violence dans la société, freine toute politique d’éducation et in fine, entretient le cercle de pauvreté. Patrick Burton du CJCP, dans Dealing with School Violence in South Africa met en cause le manque de continuité dans les politiques mises en place par l’Etat, malgré la permanence au pouvoir de la même majorité politique depuis près de deux décennies. Les professeurs Leroux et Mokhele dans « the persistence of School Violence in South Africa’s schools : in search of solutions » questionnent l’approche parcellaire qui a été jusqu’ici privilégiée. Les acteurs publiques ont préféré s’attaquer à différents symptômes de la violence scolaire, pris un à un : la consommation d’alcool ou de stupéfiants, la probité professionnel des éducateurs, la présence de gangs au sein des écoles etc. Ils recommandent une approche plus holiste et intégrée, qui s’intéresseraient autant à l’environnement scolaire que familial, qui permettrait d’identifier les signes premiers de violence scolaire et empêcherait la perpétuation des cycles de violence, qui impliquerait également professeurs et élèves.

Un programme a été mis en place depuis 2008 dans la région du Cap, par le CJCP et le ministère de l‘éducation : l’initiative « Hlayiseka » qui signifie en Tsonga « sois prudent ». Il s’agit d’ateliers de travail étalés sur quatre jours, regroupant élèves, directeurs et éducateurs, au cours desquels tous les acteurs de la vie scolaire identifient les problèmes spécifiques de l’école et réfléchissent ensemble aux solutions à mettre en place. Pour la première fois, il ne s’agit plus simplement d’instaurer des détecteurs de métaux aux porte des écoles ou de recruter des agents de sécurité. Des services d’écoute et d’alerte sont mis en place qui garantissent l’anonymat des élèves et qui sont intégrés aux autres organismes juridiques ou policiers de protection de l’enfance. C’est un premier pas dans la bonne direction.
 

 

Joël Té-Léssia