CRISES XENOPHOBES EN AFRIQUE DU SUD : AU DELA DU MECONTENTEMENT

Depuis le dimanche 1er septembre, le pays est en proie à de violentes manifestations xénophobes. Ces évènements malheureux ont déjà fait plus de 10 morts.  Les motifs de ce mécontentement sont pour le moins vagues : les étrangers sont pointés du doigt comme étant des « voleurs » de travail. [1]

C’est la troisième fois que le pays connaît des troubles à caractère xénophobe après ceux de 2008 et 2015.

Si la situation actuelle nous incite à faire le rapprochement avec les tensions raciales d’alors, causées par l’instauration d’un régime d’apartheid, elle présente tout de même des caractéristiques sociologiques hautement symboliques : des populations noires, en colère, qui s’attaquent à l’intégrité et aux intérêts de populations étrangères, pour la plupart venues d’Afrique subsaharienne ou du moyen orient.

Une très forte inégalité sociale

Ce contraste traduit une réalité sociale historique et politique mouvementée. En dépit du dynamisme économique et de nombreuses ressources minières qui font de l’Afrique du Sud la première puissance économique d’Afrique Australe[2], la situation sociale demeure mitigée. Le pays présente un taux de chômage de près de 27% et l’insécurité devient de plus en plus grandissante.  L’écart social entre les communautés blanches et noires est alarmant : le revenu des familles blanches reste 5 fois supérieur à celui des familles noires soit 35 739$ par an pour 7479 $ par an pour les noirs. 75% des fermes appartiennent toujours aux Blancs et 1 noir sur 20 décroche un diplôme d’études supérieures. 20% des foyers noirs vivent dans une extrême pauvreté contre seulement 2,9% des blancs. 47 % des sud-africains Noirs seraient concernés par le taux chômage contre 11,7% des blancs.[3]

Cette inégalité sociale est malheureusement l’un des héritages obscurs de la période post apartheid, et les événements actuels témoignent d’une exaspération, tout de même maladroite d’une communauté sans repère et obligée de s’en prendre aux populations étrangères, considérées à tort comme la cause de tous leurs malheurs.

Pourtant, l’explication à donner à cette soudaine poussée de violence nous amène à questionner l’histoire politique Sud-Africaine et revenir à la période de lutte contre l’apartheid.

La période d’Apartheid, germe des difficultés d’aujourd’hui

 Ce retour en arrière peut se scinder en deux périodes : la période des négociations pour la fin de l’apartheid, et la période post apartheid avec l’accession de l’ANC au pouvoir en 1994

La première période (1989-1990) que l’on qualifierait de période de négociation, fut caractérisée par une série de réformes politiques (autorisation des parties politiques interdits, libération de prisonniers politiques dont Nelson Mandela en vue d’aboutir à la fin du régime d’apartheid). Ces réformes ont été conduites par Frederik De KLERK, qui a succédé à P. W Botha, symbole du régime d’apartheid.

La seconde période (1990-1994) est celle qui, selon, nous aura atténué la lueur d’espoir portée en Nelson Mandela et ses compagnons. Cette période marque la réussite des négociations et débouche sur l’élection de Nelson Mandela en tant que premier président noir d’Afrique du Sud. Mais ces négociations vont cacher malheureusement des compromis qui s’avèreront lourds de conséquences. L’un des gestes forts de la période post apartheid est la formation d’un gouvernement d’union nationale. Ce gouvernement était constitué de toutes les forces politiques du pays dont L’ANC et l’ex parti au pouvoir, le National party. Derrière ce symbole d’unité nationale retrouvée et de réconciliation, se cache la sauvegarde de plusieurs intérêts économiques de la communauté blanche.

L’abrogation de certaines lois racistes (le land act qui réservait 87% du territoire aux blancs, le population registration act, pilier législatif de l’Apartheid) n’a pas été suivie d’actes concrets.[4]

Sur le plan économique, un fait majeur illustrera notre position. En juin 1996, le gouvernement va opérer un basculement avec la substitution du programme initial de l’ANC, le programme de reconstruction et de développement (le RDP), au profit d’un nouveau document programmatique présentant la nouvelle stratégie macro-économique adoptée par le gouvernement sud-africain. Ce texte sur la croissance, l’emploi et la redistribution marque l’abandon des options de développement et d’industrialisation se fondant sur la croissance de la demande intérieure au profit d’une perspective ouvertement néo-libérale, conforme aux stratégies de la Banque mondiale : dans ce nouveau cadre, l’objectif prioritaire de la croissance repose sur la bonne volonté des investisseurs qui doit être encouragée par la limitation des déficits publics, la baisse de la fiscalité pesant sur les entreprises, la limitation des hausses de salaire, la flexibilité du marché de l’emploi et l’accélération des privatisations.  Cette nouvelle orientation stratégique a eu inévitablement des effets négatifs sur l’emploi et n’a fait qu’aggraver l’inégalité raciale existante que le nouveau gouvernement avait du mal à éradiquer.[5]

En définitive, cette cohabitation a eu pour effet de transformer les enjeux initiaux portés par l’ANC. La vision de transformation complète de la société sud-africaine a cédé le pas à un ordre économique et social qui n’a été vidé de discrimination raciale que sur le plan institutionnel. Cette cogestion politique ainsi que la transformation des objectifs économiques n’ont fait que creuser le fossé existant entre les communautés. Les nombreux scandales de corruption qui gangrènent le paysage politique sud-africain actuel et la flambée du taux de criminalité sont sans surprise les fruits d’une période de marchandage politique permanent marquée par des concessions naïvement acceptées.

C’est donc un peuple sans repère qui s’en prend injustement aux investisseurs jadis accueillis à bras ouverts, sous le regard impuissant d’un gouvernement déjà débordé par des crises internes.

Loin de nous l’idée de remettre en cause les longues années de lutte acharnée pour la liberté, laquelle fut acquise parfois au prix du sang et de privations. Bien au contraire, le gouvernement Sud-africain devrait tâcher à engager de véritables réformes pour pallier ces inégalités aux conséquences désastreuses, et achever de la plus belle des manières le combat mené par le vieux Madiba.

Désiré Gnoto

[1] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/09/04/l-afrique-du-sud-en-proie-a-une-vague-de-violences_5506218_3212.html

[2] Source : Direction générale du trésor

[3] https://www.agenceecofin.com/hebdop3/0905-65984-revenus-education-foncier-tour-d-horizon-des-inegalites-entre-noirs-et-blancs-en-afrique-du-sud-25-ans-apres-l-apartheid

[4] https://www.jeuneafrique.com/66950/archives-thematique/fin-de-l-apartheid/

[5] Pour une analyse complète : Copans Jean, Meunier Roger, Introduction : les ambiguïtés de l’ère Mandela. In: Tiers-Monde, tome 40, n°159, 1999. Afrique du Sud : les débats de la transition. pp. 489-498

Le déclin de Jacob ZUMA ou la suprématie du régime parlementaire sud-africain ?

L’ANC a voulu offrir une sortie honorable à son leader contesté en lui proposant de présenter lui-même sa démission. C’était sans compter sur la tenacité de Jacob ZUMA qui tenait à son baroud d’honneur. Il s’est accroché  au pouvoir contre vents et marées.  Il a défié son propre parti en refusant dans un premier temps de démissioner. La  menace de la motion de censure initiée par son propre camp le 14 fevrier 2018 a cependant eu raison de lui.

La confiance brisée entre le camarade Zuma et le parti historique

Les affaires de corruption dans lesquelles le nom de Zuma sont citées sont nombreuses et ont finalement eu raison de sa légitimité. Nombreux sont celles et ceux au sein du parti de Nelson Mandela qui estiment depuis un moment, que le désormais ex-président n’était plus à même de conduire la destinée du pays Arc-en Ciel.

Jacob  ZUMA n’a pas attendu son arrivée au pouvoir pour être empêtré dans des affaires  de corruption et d’éthique. Il avait déjà été contraint à la démission lorsqu’il était vice président de Mbeki avant d’être traduit en justice pour viol sur une femme séropositive.  Bien avant cette affaire, son nom avait été cité en 2003, alors qu’il était déjà vice président, dans une affaire de corruption qui datait de 1999. Cette affaire qui a été par la suite classée sans suite, n’a pas empêché le tandem Mbeki-Zuma de rempiler pour un nouveau mandat.

Devenu en 2007 président de l’ANC, de nouvelles affaires de corruption dans lesquelles son nom est cité sont apparues. Cette accumulation de dossiers compromettants ne l’ont pas empêché d’être élu par ses camarades du parlement, président de la république en mai 2009.

Cette confiance d’apparat n’était en fait entretenue que par la phobie du parti de perdre le pouvoir et de ne pas poursuivre l’oeuvre des fondateurs. Depuis la fin de l’aparteid, l’ANC constitue à lui seul, un « régime politique » qui dirige ce pays. A ce titre, sa démarche a toujours consisté à se maintenir au pouvoir, qu’importe les conditions.

Les affaires  politico-financières de Zuma, ont ébranlé l’électorat de l’ANC, et cela s’est traduit par un cinglant revers électoral lors des élections locales de  2016 et une contestation sociale permanente. Cette situation a catalysé la mobilisation au sein de l’ANC, afin d’éviter la perte du pouvoir  en 2019.

Le peu de crédit et de légitimité dont disposait encore l’ex président au sein de son propre parti ont été épuisés par ces événements et surtout à la suite de sa condamnation pour détournement de deniers publics. Dans cette affaire, la justice a demandé à l’ex président de rembourser une somme totale de 15 millions d’euros à l’Etat ; somme qui a servi à la rénovation de sa résidence privée.Cette enième humiliation judiciaire a sonné le glas de la présidence Zuma dont on retiendra malheureusement plus les frasques judiciaires que les progrès économiques et sociaux qu’elle a pu apporter.

Le départ contraint de Zouma, c’est le triomphe de la démocratie sur les intérêts privés d’une minorité.

 En 1958, la France sous la férule du Général DE GAULLE , a adopté la constitution de la 5è république , pour palier les limites de la 3èmeet 4ème république qui  ont brillé par les instabilités institutionnelles quasi chroniques. La constitution sud africaine de 1993, modifiée en 1996,  faisant un bien original compromis entre un régime parlementaire (où le pouvoir législatif a une puissance politique quasi équivalente à l’exécutif) et un régime présidentiel (où l’exécutif est prédominant dans la gestion des affaires) a elle aussi voulu éviter à l’avenir les dérives de l’exécutif de la période apartheid. C’est ainsi que le président de la république sud africaine n’est pas élu au suffrage universel direct mais est choisi par le parlement et évidemment, au sein du parti ayant obtenu la majorité aux élections législatives.

C’est à cette légitimité que Zuma a essayé de s’accrocher durant ces dernières heures en refusant de démissionner malgré la pression de son parti l’ANC, qui ne trouvait plus en lui, aucune légitimité lui donnant la possibilité de conduire l’exécutif de l’Etat. Peut-être, a –t-il pensé pouvoir encore convaincre des députés de son camp au sein de l’Assemblée, de ne pas voter la motion de défiance qui se préparait contre lui et sa présidence. Une motion de défiance pour rappel, est une procédure législative réservée dans certaines normes fondamentales aux élus du peuple leur permettant de retirer la confiance au chef de l’exécutif (premier ministre généralement dans un régime parlementaire ou semi-présidentiel).

Zuma a donc voulu gagner du temps, histoire de tenter un dernier tour de lobbying afin de convaincre certains élus de son camp de renoncer à l’utilisation de cette arme ultime et fatidique à son règne. Il n’en a malheureusement rien été. Il a été contraint de démissionner et c’est bien le triomphe de la démocratie sur les intérêts privés d’une minorité qui a été manifesté.

La principale leçon à tirer de cette tragédie politique pour les pays africains se résume en la sacralisation des institutions sur les hommes qui les incarnent. Une  situation similaire dans d’autres pays africains n’aurait sans doute pas connu le même épilogue. Des acrobaties constitutionnelles couplées à des arguties juridiques auraient été utilisées pour  sauver un homme ( et ses intérêts)  au détriment des institutions.

L’Afrique du Sud nous réveille ce matin avec ce brin d’optimisme supplémentaire que le principe selon lequel les institutions sont au dessus des hommes n’est pas qu’une théorie en Afrique, mais peut bel et bien être mis en application.

La Démocratie culturelle comme rempart contre l’exclusion dans les sociétés multiculturelles : le cas de la Ville du Cap

L’effectivité du principe démocratique selon lequel chaque voix compte peut s’avérer complexe dans un environnement multiculturel où des minorités peuvent être exclues. A partir de l’exemple de la ville du Cap en Afrique du Sud, cette étude montre comment la démocratie culturelle, c’est-à-dire un système politique où chacun est libre d’affirmer ses positions, son identité et sa culture par des moyens d’expression et des manifestations culturelles, peut être une solution à l’inclusion politique dans un environnement multiculturel. Les enseignements qui en découlent peuvent être utiles aux pays africains multiethniques. Lisez l’intégralité de ce Policy Brief.

La Revue de L’Afrique des Idées – numero 1

L’Afrique des Idées a le plaisir de vous présenter le premier numéro de sa RevueCette publication pluridisciplinaire réunit les analyses menées par nos experts. Elle a pour but de vous donner des outils pour approfondir votre compréhension des défis auxquels fait face le continent africain. Dans ce premier numéro, vous retrouverez des propositions concrètes en matière d’électrification, de démocratie, d’implication de la société civile mais aussi de gouvernance fiscale en Afrique. Aussi diverses soient les thématiques abordées, ces analyses s’inscrivent dans une seule et même démarche. La Revue de L’Afrique des Idées est la concrétisation de ce en quoi croient tous les hommes et femmes qui s’engagent pour L’Afrique des Idées : la pertinence et la portée du concept d’Afro-responsabilité.

Vous pouvez télécharger l’intégralité de la Revue en cliquant sur ce lien : La Revue de L’Afrique des Idées n°1 – Mai 2017

Très bonne lecture !

Olivia  GANDZION

Experts :

AURORE BONARDIN, Chargée d’études à la Direction du développement culturel de la municipalité de Saint Denis (La Réunion) et Doctorante contractuelle a liée à l’équipe Déplacements Identités Regards Ecritures (DIRE) de l’Université de La Réunion.

CHRISTELLE CAZABAT, Docteure de l’Université Paris-Sorbonne et Chargée d’études, Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), New York.

GABRIELLE DESARNAUD, Chercheure, Institut Français des Relations Internationales (IFRI), Paris.

JAMES ALIC GARANG, Senior researcher, Ebony Center for Strategic Studies & Upper Nile University, South Sudan.

 

Comment expliquer la persistance des inégalités entre les Noirs et les Blancs en Afrique du Sud ?

Plus de vingt ans après la fin de l’Apartheid et l’élection de Nelson Mandela, l’Afrique du Sud demeure marquée par les stigmates de la ségrégation et des discriminations raciales.  La deuxième économie d’Afrique en termes de PIB (1) est aujourd’hui également « la société la plus inégalitaire du monde » selon l’expression de l’économiste sud-africain Haroon Bhorat, et présente un coefficient de Gini de 0,69 (2).

Dès 1994 des politiques volontaristes visant à réduire les inégalités ont été mises en place et l’Afrique du Sud a enregistré un taux de croissance permettant de faire reculer la pauvreté (3). Toutefois, les fruits de la croissance n’ont pas permis de modifier la structure des revenus et de réduire les inégalités entre noirs et blancs.

Si l’analyse économique des inégalités retient rarement le critère ethnique comme variable d’étude il convient compte-tenu de l’histoire de l’Afrique du Sud et de son passé ségrégationniste, d’évaluer la faiblesse des capabilités (4) dont dispose la population noire de ce pays pour rendre compte des discriminations structurelles qu’elle continue à subir de nos jours.

 

  1. Vingt ans après la fin de l’apartheid, les inégalités demeurent et menacent le développement économique du pays

 

  1. Inégalité de salaire, de patrimoine et de capital humain

Un rapport publié en 2015 par l’Institut national des statistiques sud-africain (5) rendait compte de l’inquiétante persistance des inégalités de revenu en Afrique du Sud. En effet, ce document révèle qu’avec en moyenne 6444 dollars par an les foyers noirs disposent toutes choses égales par ailleurs, d’un revenu moyen cinq fois inférieur à celui des foyers blancs qui plafonne à 30 800 dollars annuel.

Par ailleurs ces inégalités salariales sont amplifiées par les inégalités de patrimoines. En effet l’accès à la propriété foncière a longtemps été interdit aux populations noires reléguées en périphérie du Cap et de Johannesburg les ghettos lors de l’Apartheid.

Enfin, le système scolaire sud-africain est extrêmement polarisé. L’enseignement public et gratuit de ce pays compte parmi les plus défaillants du monde. Une enquête menée par le Boston Consulting Group montrait ainsi en 2015 que la majorité des enseignants ne disposaient pas du niveau requis en mathématique (6) ! Or les enfants issus des familles les moins aisées sont les principaux élèves des écoles publiques. Ils ne bénéficient donc pas d’une éducation de qualité comparable à celle dispensée dans les écoles privées plus coûteuses. Dès lors d’après la théorie du « signal » élaborée par Spence, pour un même nombre d’années d’études un lycéen ayant effectué toute sa scolarité dans un établissement sud-africain public et un lycéen ayant exclusivement fréquenté un établissement privé n’enverront pas le même signal à un potentiel employeur.

 

  1. Les tensions ethniques et sociales freinent le développement économique

 

Minée par les inégalités, l’Afrique du Sud est régulièrement en proie à des crises sociales majeures. En août 2012 les grèves parties de la mine de platine de Marikana ont causé la mort de trente-quatre  manifestants et se sont propagées vers d’autres secteurs industriels tels que l’or, le minerai de fer, le charbon et le chrome. Les pertes engendrées par ces échauffourées ont été estimées à plus d’un milliard de dollars tandis que le taux de croissance de l’économie sud-africaine a diminué de 0,9% lors du deuxième trimestre de l’année 2013. (7)

Outre ces affrontements marxistes et traditionnels liés au rapport de force à l’œuvre entre les détenteurs des moyens de production et les travailleurs, on observe également une augmentation des risques liés au sous-emploi. En 1993 C. Juhn révélait dans une étude l’existence d’une corrélation entre l’inégalité des salaires aux Etats-Unis et la recrudescence de la délinquance. En effet, à partir des années 1970, les populations noires américaines ont connu une massive sortie de la population active qui est allée de paire avec une nette augmentation de la population carcérale. Dans le cas sud-africain, le sous-emploi des travailleurs noirs les moins qualifiés a notamment été causé par les rigidités sur le marché de l’emploi (8).

Les structures syndicales héritées de l’apartheid sont restées très prégnantes et ont continué à influer sur le marché du travail sud-africain. Ainsi, l’instauration d’un salaire minimum trop élevé s’est faite au détriment des travailleurs les moins qualifiés qui n’ont pas pu profiter de la croissance économique et se sont massivement tournés vers les activités illégales ou informelles. Dans une enquête publiée en 2013 et intitulée “Job destruction in the South African clothing industry: How an unholy alliance of organised labour, the state and some firms is undermining labour-intensive growth”, Nicoli Nattrass et Jeremy Seekings témoignent des effets néfastes de l’action syndicale sur l’emploi dans les secteurs à faible intensité capitalistique comme l’industrie textile.

 

  1. De la redistribution à l’amélioration des « capabilités »

 

  1. Les tentatives de solution

Depuis la fin de l’apartheid, le gouvernement sud-africain n’a eu de cesse de développer des programmes de subvention et de redistribution fiscale. Toutefois ces solutions agissent en aval sur les conséquences de l’inégalité en capital humain mais ne permettent pas en amont d’accroître les capabilités des populations les plus démunies.

Pour l’heure le gouvernement sud-africain a préféré les solutions visant à corriger les effets des inégalités plutôt que d’engager des réformes touchant aux causes structurelles et historiques de ces inégalités.

 

  1. Recommandations : lutte contre les discriminations, politique de formation et mixité urbaine

La lutte contre les discriminations sur le marché du travail doit faire l’objet d’une politique publique afin de réduire les inégalités. Dans une enquête sur les inégalités économiques aux Etats-Unis, Phelps et Arrow analysent les discriminations en vigueur contre les noirs dans les années 1970. Les deux économistes ont ainsi montré que du fait des préjugés raciaux ancrés lors de l’époque ségrégationniste,  les employeurs anticipent que certains groupes ont objectivement moins de chances que les autres d’être productifs. Les anticipations des employeurs et les comportements engendrés par ces anticipations peuvent conduire à une persistance des inégalités de capital humain. En transposant cette analyse à l’Afrique du Sud post-ségrégationniste on comprend dès lors que la réduction des inégalités passera par une lutte active contre les discriminations à l’embauche notamment grâce à des campagnes de sensibilisation, à l’instauration de missions de testing, et à la prise de sanctions exemplaires contre les employeurs se rendant coupables de discrimination.

 

Par ailleurs, une politique de formation volontariste permettra d’unifier le système scolaire sud-africain et de le rendre plus égalitaire. La théorie du signal de Spence, affirme que les employeurs attendent des informations précises sur la qualité du diplôme et non pas seulement sur le nombre d’années d’étude. Dès lors l’octroi de subvention aux écoles publiques et une meilleure formation des personnels enseignant dans ces établissements permettra de réduire significativement les écarts en termes de capital humain et d’accès au marché de l’emploi.

 

Une refonte de l’enseignement public ne saurait se passer d’une politique urbaine audacieuse. En effet, le rapport Coleman publié en 1966 par l’administration américaine faisait état d’un échec des politiques publiques visant à augmenter les moyens des écoles des quartiers défavorisés, ainsi que d’une insertion médiocre sur le marché du travail. Plusieurs commentateurs du rapport ont rappelé que les résultats médiocres ne sont pas seulement imputables au fait que le milieu social détermine la réussite scolaire mais aussi à la composition des classes (peu d’émulation entre les élèves…). Le quartier d’habitation influe sur la réussite scolaire. Les externalités locales, au niveau micro-économique de la salle de classe, ont un effet global sur la dynamique des inégalités. Dans ces conditions, l’instauration d’une carte scolaire apparaît comme une solution pour favoriser la mixité sociale et ethnique tout en réglant le problème de la ségrégation urbaine qui sévit toujours en Afrique du Sud et est un vestige du régime de l’apartheid.

 

Daphnée Setondji

Sources

  1. http://afrique.lepoint.fr/economie/ou-va-l-afrique-du-sud-19-08-2014-1857787_2258.php
  2.  Haroon Bhorat, Fighting poverty: Labour markets and inequality in South Africa, 2001.
  3. http://www.rfi.fr/afrique/20170128-afrique-sud-inegalites-salaires-statitstiques-blancs-noirs-foyers-pauvres
  4.  Eric Monnet, La théorie des « capabilités » d’Amartya Sen face au problème du relativisme
  5. http://www.latribune.fr/economie/international/l-afrique-du-sud-champion-des-inegalites-de-revenus-478113.html
  6. http://www.agenceecofin.com/gestion-publique/2605-29246-lafrique-du-sud-occupe-le-2eme-rang-mondial-dans-le-domaine-des-inegalites-de-revenus
  7. http://www.slate.fr/story/80853/retombees-apartheid
  8. C. Juhn “Wage Inequality and the Rise in Returns to Skill”, 1993

Nelson Mandela : un Combattant de la Liberté

Nelson Mandela, un leader atypique

Je ne peux ne pas adresser ce billet à la mémoire d’un homme d’exception, ni cacher mon respect et mon admiration envers celui qui, de sa vie, en a fait un chant de lutte, afin que des millions soient libérés. Le 466ème  prisonnier, de 1964, de Robben Island, la désormais tristement célèbre prison. Nelson Mandela est plus qu’un homme, il est devenu le symbole de la lutte pour la liberté, pour le respect des individualités, et la libre conscience. Qu’il me soit permis de rendre hommage à Madiba (son nom de clan), et à Rohlilala, son prénom xhosa, signifiant  "celui qui amène les problèmes".

Les problèmes, Nelson Mandela en a résolu, il a été en cela le type même du leader, en résolvant les problèmes et en apportant des solutions. Partout, sur son chemin, de Ford Hare où il fut exclu avec son ami Oliver Tambo, à la création du Mk (partie de la division armée de l’ANC, dont il fut le fondateur, et une des raisons de sa condamnation), il a su apporter les mesures qui, une fois insufflées, ont imposé le changement.

Mandela était de ceux qui n’aimaient pas la stagnation, et qui, de par leur simple présence apportait des changements positifs. Que l’on ne s’inquiète pas des nuages, des tourments, des problèmes apparents; avec lui, le moment le plus sombre précédait toujours l’aube, et les solutions venaient après les luttes et les souffrances. Des geôles de Robben Island à la présidence, seul le Joseph de l'Ancien Testament a fait mieux.

Que l’on pense à l’homme, un humain, normal, fait de chair et d’os, refusant à plusieurs reprises la liberté offerte par le parti nationaliste sud-africain, refusant par conviction, refusant pour ne pas se compromettre, car il avait compris que la liberté sans les autres n’était pas la liberté. 

Mandela a défié les limites de l’Homme et montré une race d’hommes qui refusait de se compromettre. Il a choisi de se battre contre le système et compris qu’il ne s’agissait pas de se battre contre l’homme. Le système de l’apartheid qui voulait que l’homme noir se sente inférieur, limité, pauvre et ignorant. Il a refusé de se limiter par le langage de l’oppresseur, et a désiré jalousement la liberté qui lui était refusée.

Mandela, c’est aussi « le père de la nation », celui qui, dans son émouvant et captivant livre Un long chemin vers la liberté nous parle avec son cœur et reconnait les choix qui l’ont amené, inexorablement loin des siens. Le cri d’un père qui reconnait avoir fait des choix qui se sont avérés difficiles pour ses enfants, sa femme, Winnie Mandela.

Ce que je retiens de Mandela, c’est le sillage d’un homme qui a brillé pour montrer l’exemple. C’est la capacité à s’oublier pour être un repère pour les générations futures. C’est un homme de paix, qui pourtant, avait toutes les raisons pour haïr, détester, et refuser de pardonner. Mandela nous montre encore aujourd’hui qu’un leader, ce n’est pas ce qui est vu par le phrasé, le charisme ou encore les promesses de campagne, mais le sacrifice réel d’un homme pour les siens, l’exemplarité dans la conduite quelque soient les circonstances, en supportant l’insupportable, en gardant le moral.

Je suis fière que Mandela ait existé, et plus fière encore qu’il ait été AFRICAIN. Fière que l’Afrique ait engendré un tel leader, loin des dictateurs qui nous font souvent mauvaise presse. Mandela ne s’est pas affalé dans un pouvoir éternel. Le cri de ralliement de l’ANC était : « Amandla ! Ngawethu ! », ce qui veut dire « le Pouvoir, nous appartient ! » avec le poing levé. Il aurait pu rester indéfiniment et ‘mourir au pouvoir’ comme bon nombres de faux leaders ont décidé de le faire dans certains pays ; mais non, il a montré jusqu’au bout le chemin de la droiture,  du respect de l’autre.

La rectitude de son caractère, était sa marque de fabrique :

« Tout homme ou toute institution qui essaieront de me voler ma dignité perdront. »

Mandela a refusé tout compromis et pris sur lui de montrer le chemin de la liberté. Voilà pourquoi il n’est pas qu’aux Sud-Africains, mais au monde entier, car sa vie inspire chacun d’entre nous et nous sert de repère.

Pour ne pas conclure, je cite ici, la célèbre déclaration de Nelson Mandela, lorsqu’il devait recevoir la sentence pour le procès de Rivonia :

« Au cours de ma vie, je me suis entièrement consacré à la lutte du peuple africain. J'ai lutté contre la domination blanche et j'ai lutté contre la domination noire. Mon idéal le plus cher a été celui d'une société libre et démocratique dans laquelle tous vivraient en harmonie et avec des chances égales. J'espère vivre assez pour l'atteindre. Mais si cela est nécessaire, c'est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir. »

 Une citation que l’on entend ou lit et qui résonne longuement en nous : Et nous ? Sommes-nous prêts à dire de même ?

Pénélope Zang Mba

Un long chemin vers la liberté, Editions Fayard, 1994

Nelson Mandela-2008 (edit)" by South Africa The Good News / www.sagoodnews.co.za. Licensed under CC BY 2.0 via Wikimedia Commons – 

La question de la terre en Afrique du Sud

« Quand les missionnaires sont arrivés en Afrique du Sud, ils avaient la Bible et nous avions la terre. Ils ont dit : « Allons prier ». Nous avons fermé les yeux et quand nous les avons ouverts, nous avions la Bible et ils avaient la terre ». Desmond Tutu

La terre est un sujet controversé et très important en Afrique du Sud. La controverse vient d’une loi sur les terres autochtones de 1913. Cette loi a empêché une grande majorité des autochtones du pays de posséder leurs propres terres tout en accordant plus d’avantages aux Afrikaners (colons blancs). En conséquence, seulement 7% des terres cultivables ont été gardées pour la population noire qui représente 70% de la population globale à l’époque[i]. Cette question est très importante car le taux de chômage en Afrique du Sud est très élevé, surtout dans les zones rurales. De ce fait, la restructuration des terres pourrait potentiellement faire évoluer la situation sociale et économique.

A la fin de l’apartheid, un nouveau gouvernement a été élu dans l’espoir d’un changement pour la majorité des Sud-Africains. Ainsi, y a-t-il eu un changement significatif dans la distribution des terres depuis cette époque en Afrique du Sud ?

L’initiative du Gouvernement

En 1994, à la fin de l’apartheid, les blancs, qui représentaient moins de 10% de la populations, possédaient presque 90% des terres du pays[ii. Le nouveau gouvernement élu avait promis de redistribuer un tiers des terres à la population noire. Pour ce faire, le gouvernement a mis en place deux actions fondamentales: la redistribution et la restitution des terres.

D’abord, le gouvernement s’est attelé à la redistribution des terres. Il s’agissait d’acheter les terres des propriétaires bénéficiant de la loi sur les terres autochtones et de les restituer aux populations évincées. Cette action était aussi connue sous le nom de la méthode «willing buyer, willing seller » (vente de gré à gré).  Le gouvernement pouvait obtenir la terre une fois qu’elle avait été vendue par les propriétaires et mise sur le marché. Les propriétaires n’étaient, en aucun cas, obligés de vendre leur terre.

La restitution est aussi une action importante du gouvernement sud-africain. Cette action complète la distribution des terres. En effet, cette pratique consiste à donner à la population lésée par la loi une somme d’argent plutôt que la terre elle-même. Cette offre a du succès parmi les habitants pauvres des zones urbaines qui n’ont pas envie de retourner dans les zones rurales. Cependant, comme toutes les politiques, des limitations se sont mises en place.

Des actions limitées

Le gouvernement avait promis de redistribuer un tiers des terres. Cependant, vingt ans après, moins de 10% des terres ont été restitués[ii. Comment expliquer cet échec ?

Au début, la redistribution des terres ne suffisait pas. L’éducation pendant l’apartheid s’est révélée insuffisante. Les nouveaux propriétaires manquaient des connaissances et compétences nécessaires pour gérer la terre acquise. En plus de cela, la gestion d’une ferme implique des coûts élevés. Les nouveaux propriétaires qui souffrent de difficultés financières n’ont pas les moyens suffisants pour réaliser leur travail. Il faut régler ces problèmes afin de garantir le progrès en Afrique du Sud.

Evolution et perspectives

Il est très important pour le gouvernement sud-africain de soutenir les nouveaux fermiers, en leur accordant des subventions (soutien financier) afin de faciliter la vente des produits agricoles et d’augmenter la productivité par l’acquisition de nouveaux équipements et machines. A plus grande échelle, le gouvernement sud-africain pourrait proposer des projets plus ambitieux en encourageant l'éducation et finançant les projets pour réduire le fossé crée pendant l’apartheid. L’Afrique du Sud pourrait suivre l’exemple de ses voisins qui souffrent du même problème.

D’un côté, le Zimbabwe a mis en place des mesures radicales pour s’approprier des terres et les redistribuer arbitrairement. Cette méthode de redistribution a plusieurs conséquences. D’emblée, il faut savoir que même si l’Afrique du Sud et le Zimbabwe partagent le même problème, ils ne le gèrent pas de la même manière. Le parti ANC (Congrès National Africain) de Mandela a lutté contre les inégalités raciales. La question de la redistribution des terres est considérée comme un sujet de haine et de récupération potentielle pour les Sud-Africains autochtones. Elle n’est pas traitée comment un objectif des plus urgents dans l’agenda ministériel. Par exemple, en examinant le budget de la réforme agraire (représentant 1% du budget du pays en 2013)[ii, on peut constater que ce sujet est délicat. La confiscation des terres (sans compensation du propriétaire) est interdite par la constitution nationale. Dans le cas bien qu’improbable d’une réforme constitutionnelle, de telles confiscations de terres pourraient nuire à la stabilité nationale et impliquer de conséquences néfastes à long-terme.

D’un autre côté, la Namibie a une approche un peu plus subtile. Dans ce pays, les terres sont acquises individuellement par l’argent propre de chaque acheteur ou par un prêt facilité par le gouvernement namibien. Cette méthode a été beaucoup plus efficace car depuis l’indépendance du pays en 1990, un quart des terres a été redistribué. L’Afrique du Sud pourrait prendre exemple sur son voisin namibien, étant donné que seulement 8% de ses terres ont été redistribuées[v].      

En somme, il est indéniable que le gouvernement sud-africain a des intentions louables à l'égard de sa réforme agraires. Cependant, ces méthodes sont assez limitées en pratique. Des solutions existent. Le marché agricole devrait être régulé et le gouvernement devrait continuer à soutenir les fermiers. Il est très improbable que les solutions plus extrêmes telles que la confiscation des terres soient proposées car elles contreviennent à la loi et sont une menace pour la « nation arc-en-ciel ». Un changement de méthode pourrait être attendu, ainsi que l’a laissé entendre le Président Jacob Zuma : « il sera bientôt interdit pour les étrangers d’acquérir des terres en Afrique du Sud ».

Traduit par Bushra Kadir  

 

 

[i] http://www.economist.com/blogs/baobab/2013/06/land-reform-south-africa

[ii] http://www.pbs.org/pov/promisedland/land_reform.php

[iii] http://www.bbc.com/news/world-africa-22967906

[iv] http://www.lalr.org.za/news/land-reform-in-post-apartheid-south-africa-2013-a-disappointing-harvest-by-ben-scousins

[v] http://www.moneyweb.co.za/moneyweb-south-africa/land-reform-namibia-27-south-africa-8


 

Kgebetli Moele : Chambre 207

Au moment où commence la rédaction de cette chronique, force est de constater que ce livre initie plusieurs ravissements et questionnements à mon niveau. Pour de multiples raisons qu’il serait trop long d’expliciter, l’observation de cette couveuse installée sur la rue Van der Merwe, quelque part à Hillbrow, le fameux quartier de Johannesburg où sévit une violence unique sur le continent africain, cette obsevation disais-je, fut passionnante. Quartier dortoir, mal famé que ses habitants nomment pourtant la cité des rêves.  

Chambre 207, une couveuse 

Six jeunes sud-africains noirs, produits de la période post-apartheid, cohabitent dans une petite chambre miteuse, quelque part dans un immeuble d’Hillbrow. Ils occupent la chambre 207. Pour la plupart, ce sont des éléments rejetés de la grande université Witwatersrand de Johannesburg. Une sortie de route qui, pour nombre d'entre eux, est le résultat des contraintes pécuniaires lourdes imposées pour terminer un cycle d'études. Les ressources intellectuelles ne suffisent pas pour vous venir à bout du mastodonte universitaire censé vous faire toucher les étoiles et exploser le plafond de verre de cette société sud-africaine. Le personnage narrateur raconte en début de texte les profils de ces différents pensionnaires. Tous ne sont pas, cependant, des étudiants désabusés. Ils sont aussi, ethniquement parlant, une vision de cette Afrique du Sud plurielle. Même s’ils sont tous noirs. Sotho. Pedi. Zoulou. Tswana. Il n’y a pas de xhosa, élément intéressant puisque ceux-ci sont l’incarnation du pouvoir politique, valet de la puissance économique blanche. Pour rappel, le livre est paru en 2007 sous le mandat de Thabo  Mbeki.  Cette cohabitation est heureuse. Le dieu Isando règne sur les beuveries consolatrices. Comme toute jeunesse instruite, les pensionnaires de la chambre 207 refont l’Afrique du sud sans misérabilisme, sans désignation d’un coupable à leur sort.

Introspection d’une jeunesse sud-africaine qui se cherche

C’est en effet assez surprenant. Je réalise, en écrivant cette chronique, qu’à aucun moment, Kgebetli Moele ne fait porter au poids lourd du passé, la responsabilité de la situation de ces colocataires fantasques et épicuriens. Chose d’autant plus étonnante, car quand on lit John Maxwell Coetzee, Prix Nobel de Littérature, dans son désormais célèbre roman Disgrâce, les lourdeurs de l’apartheid sont particulièrement marquantes et la peur du lendemain est certaine. Nos anciens étudiants se questionnent sur la condition du Noir (débat singulier sur le continent africain), sa violence, son autodestruction. Aucune histoire ne justifie que des hommes violent un bébé de trois mois, laissent pourrir leur quartier, tirent sans raison sur une foule en liesse lors d’une soirée dansante. Du moins, c'est ce qu'ils se disent sans trop d'illusions. C’est en cela que Kgebetli Moele fait de la bonne littérature et fait des joyeux lurons de cette chambre, des personnages auxquels on peut s’identifier.

Précarité et confort

Il ne sera pas question ici de vous décrire ces personnages que sont Modishi, Molamo, Matome, D’Nice, Zulu-Boy et le narrateur Noko. Chacun cherche des opportunités avec les valeurs qui les guident. Le narrateur tente avec une certaine subjectivité de retranscrire ces figures incarnant une lutte pour la survie. Un combat féroce. Il décrit aussi les contraintes auxquelles ils sont tous soumis. Comme celle, très simple, de faire face aux échéances mensuelles d’un bailleur qu’on ne voit jamais mais qui possède à sa solde une armée d’esclaves pour récupérer son dû. C’est à peine métaphorique. La précarité sied. Le narrateur nous prend par la main pour nous faire marcher dans Hillbrow. Une ville que je me représente comme celle que m’avait décrite mon meilleur ami, likwérékwéré* de son état, comprenez étranger d’origine africaine, qui a failli y laisser sa  vie sur un trottoir. Kgebetli Moele aborde la xénophobie sans état d’âme de cette jeunesse par la bouche de Zulu-Boy.

Je pense que l’élément fort de ce roman, en dehors du style détaché, adapté au discours de ces jeunes, est finalement la sortie de la chambre 207, d’une zone de confort, et finalement d’Hillbrow que certains d'entre eux abhorrent. Et Kgebetli Moele réussit le tour de force de faire passer le lecteur dans une forme de réalité terrifiante. Un même espace. Une incubation commune. Les uns trouvent une voie. D’autres périssent. C’est poignant. C’est touchant. C’est une Afrique du Sud d’aujourd’hui. C’est la vie. C'est de la très bonne littérature.

A propos de cette relation charnelle qui lie JoBurg, Hillbrow à ses habitants :

Bienvenue à Johannesburg. Cette fois tu l'as vraiment sentie, ton sang a été versé et s'est mélangé à son sol. Toi et la ville êtes maintenant en parfaite connexion l'un avec l'autre. Ton sang coule dans ses veines et elle coule dans ton sang. 

Lareus Gangoueus

Chambre 207, Kgebetli Moele – Titre original Room 207 paru en 2006 chez Kwela Books -Traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par David Koënig, en 2010, 269 pages

Réalité Augmentée: la prochaine frontière en marketing numérique

Si vous demandez à l'internaute lambda ce qu'il pense de la Réalité Augmentée (RA), vous serez submergés par des réponses mentionnant les « Google Glass » et ô comment disgracieux ils nous font paraitre, le concept ingénieux des arrêts de bus récents de Pepsi…et on affirme qu’en réalité tout cela n’est qu’une mode passagère. En fait, vous serez confrontés à la tâche de définir la Réalité Augmentée.

Selon SDK Digital Lab Startup, créé par Atiyya Karodia et Christian Fongang, gagnant du Top 100 Technologies Awards, pionnier de la Réalité Augmentée et première agence à intégrer la Réalité Augmentée à la télévision, la meilleure façon de décrire ce concept est:

"La superposition de contenu numérique, dans un contexte réel, à l'aide de votre Smartphone, votre webcam ou tout autre forme informatique portable."

 

 

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La Réalité Augmentée en image

En Afrique du Sud, en tant que consommateurs, nous sommes largement ignorants du concept de la RA, et les marques sont, en toute franchise, hésitantes à sauter le pas (les principales exceptions étant Pond’s South Africa, SA Home Owner et Rolling Stone SA entre autres), préférant s'en tenir à l'alternative que d’essayer. Elles testent les services les moins cher proposés aux entreprises et qui, trop facilement, se transforment en rien de plus qu'un tableau d’affichage dans les Médias Sociaux. L'appréhension est compréhensible, mais cela signifie-t-il que nous serons toujours condamnés à porter l'étiquette du pays qui copie-colle des concepts numériques?

Un grand malentendu est généré dans le public, liant les RA uniquement au Google Glass, lui valant ce régard dubitatif alors qu'elle peut être disponible et abordable pour tout le monde car utilisable sur n'importe quel Smartphone. Il s'ensuit le problème du mauvais usage des RA quand on superpose du contenu qui offre peu ou pas d'interactivité.

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 Il est assez évident que le nombre de Smartphones augmente et, avec la croissance actuelle de la RA, 4 années après les médias mobiles, la question n'est pas tant de savoir si la RA est temporaire, mais plutôt, comment sa généralisation va nous affecter en tant que consommateurs à travers le marketing numérique.

 

Afin de comprendre l'impact de la Réalité Augmentée dans un cadre quotidien, vous aurez besoin de prendre quelques minutes pour visualiser l'image que je m'apprête à peindre :

« Imaginez un monde où vous vous réveillez, utilisez votre téléphone pour scanner votre environnement et obtenir des rapports de trafic en géolocalisation qui rendront votre trajet du matin plus facile. Vous déjeunez et avez besoin de plus de céréales pour demain, tout ce que vous faites est de scanner votre boîte, choisir votre produit, votre épicier, payez avec votre téléphone et savoir que lorsque vous rentrerez, vous aurez exactement ce dont vous avez besoin sans un détour ou un cargo ».

Il existe deux mondes : le monde en ligne où nous interagissons avec les publications, les marques et entre amis ; ensuite il y a le monde réel, où nos actions impactent les entreprises et les marques de façon plus tangible. La tâche pour les marques qui veulent rester dans les bonnes grâces et le portefeuille des consommateurs n'est pas seulement d'avoir une présence dans ces deux mondes, mais de trouver un moyen de mettre les deux ensemble. La plus grande erreur à commettre en tant que marketeur numérique est de penser que les marques détiennent encore assez de puissance pour contraindre par inadvertance les consommateurs à un engagement positif sans réel effort, parce que le nœud du problème, c’est que le symbole dièse (#) sur une affiche ne suffit plus tout simplement.

 

 

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Les progrès et réussites technologiques et de communication se sont souvent appuyés sur notre caractère évolutif qui nous incite à dépenser un minimum d'énergie et d’en tirer un avantage maximal. C’est aussi là-dessus que mise la Réalité Augmentée et d’autres technologies en développement.

Nous avons assisté à la montée en puissance de la téléphonie mobile, de l'Internet, des Médias Sociaux, et même à l’augmentation du Wifi public gratuit à Johannesburg. Monde réel et numérique semblent donc se rejoindre peu à peu. Ces évolutions font penser qu’un jour nous serons encore plus, et continuellement, en contact physique et actif avec les dispositifs qui nous relient au monde en ligne. Une formidable opportunité pour les entreprises qui ont misé sur le numérique. Mais si l’Afrique du Sud décide de rejeter la Réalité Augmentée et les technologies du monde réel, le seul impact des marques sur les consommateurs à l'avenir se limitera-t-il à de simples Tweet ?

Cedric Yamdjeu

Démocratie sans démocrates: comment l’Afrique du Sud réagit face à l’affaire Nkandla

ANC-ZumaDepuis quelques jours, l’affaire Oscar Pistorius n’est plus le seul évènement qui anime la vie publique sud-africaine. Les médias ont, au moins pour un temps, sorti certaines de leurs caméras du tribunal de Prétoria, où se déroule actuellement le procès de l’athlète accusé du meurtre de sa petite-amie mannequin, pour porter leur attention sur une affaire autrement plus importante pour la démocratie sud-africaine : l’extension au coût exorbitant de la résidence privée du président Jacob Zuma.

Zuma est propriétaire à Nkandla, dans sa province natale du KwaZulu-Natal, d’une résidence privée, un kraal organisé selon la tradition zulu, où résident plusieurs de ses épouses. À son accession à la présidence en 2009, il décide de l’extension du complexe de Nkandla, au prétexte d’améliorer sa sécurité. C’est le début d’un long scandale qui n’a pas cessé de défrayer la chronique jusqu’à maintenant.

Dès 2009, le principal quotidien sud-africain, le Mail & Guardian, dévoile le projet, et surtout son coût exorbitant – 65 millions de rands, soit près de 5 millions d’euros – et son financement obscur. Cinq ans plus tard, la facture a quadruplé : Nkandla a coûté au moins 246 millions de rands (près de 17 millions d’euros). En comparaison, les travaux pour améliorer la sécurité de la résidence de son prédécesseur Thabo Mbeki n’avaient pas coûté plus de 800 000 euros…Parmi les améliorations « sécuritaires » de Nkandla : une piscine, un amphithéâtre, un terrain de football, un enclos pour le bétail, un poulailler.

Depuis le début de l’affaire, les questions se sont multipliées sur la provenance de l’argent utilisé pour financer les travaux. Pendant longtemps, Jacob Zuma a nié avoir utilisé des fonds publics pour l’extension de sa résidence, déclarant que seules les améliorations de sécurité rendues nécessaires par son statut de Président avaient été à la charge de l’État. Cette version, de plus en plus mise en doute au fur et à mesure des investigations, s’est définitivement écroulée la semaine dernière avec la publication d’un rapport accablant par la Médiatrice de la République, Thula Madonsela. En 433 pages, Madonsela détaille avec précision comment le président a utilisé des fonds publics pour réaliser des améliorations qui n’avaient absolument rien à voir avec des mesures de sécurité, et exige que le Président rembourse ces dépenses. L’architecte responsable des travaux est un ami de Jacob Zuma : il a sans aucun doute su tirer profit de sa proximité avec le Président pour gagner l’appel d’offres, faire grimper la facture et finalement empocher près de 2 millions d’euros. Plus grave encore,  il est reproché au Président d’avoir trompé les membres du Parlement en faisant plusieurs déclarations erronées.

Zuma n’en est pas à ses premiers démêlés avec la justice : en 2007, plus de 783 accusations de corruption, fraude, racket et blanchiment d’argent avaient été portées contre lui, et son conseiller financier avait été condamné à 15 ans de prison. Au vu de la gravité des accusations et la couverture médiatique donnée au Nkandlagate, ce n’est pas exclu qu’il se retrouve à nouveau face aux tribunaux prochainement. Dès la publication du rapport de la Médiatrice, deux partis d’opposition, la Democratic Alliance (DA) et les Economic Freedom Fighters, ont officiellement porté  plainte contre le Président pour corruption et détournement de fonds publics.

Mais c’est surtout pour ses conséquences (ou ses non-conséquences ?) politiques que le scandale de Nkandla pose des questions. Cette nouvelle affaire confirme une fois de plus les dérives de la démocratie sud-africaine, pourtant réputée comme une des plus solides sur le continent africain. La (con)fusion entre l’État et l’ANC, qui a été une caractéristique de la vie politique sud-africaine depuis la fin de l’apartheid en 1994, s’est fortement accentuée depuis l’arrivée au pouvoir de Zuma en 2009. Le président lui-même s’est créé un véritable empire commercial en même temps qu’il dirigeait le pays : Zuma et 15 personnes de son entourage contrôlent désormais plus de 130 entreprises, dont les trois-quarts ont été enregistrées au cours des dernières années. En règle générale, les décisions du gouvernement sont de plus en plus soumises aux intérêts privés de certains responsables du parti ou de leurs proches. Chacun voulant s’arroger la plus grande part du gâteau, le parti est de plus en plus divisé entre différentes factions, et ce sont avant tout les luttes internes au parti et les rapports de force entre ses différentes factions qui dictent désormais l’évolution de la vie politique sud-africaine.

Dans bon nombre d’autres démocraties, une affaire comme celle de Nkandla suffirait largement à précipiter la chute du Président et de son gouvernement… Mais pas en Afrique du Sud. Le parti au pouvoir est divisé ; l’État est miné par la corruption ; la police a tué de sang-froid 34 mineurs il y a deux ans en voulant réprimer une manifestation et l’enquête n’avance pas ; l’économie peine à se remettre d’une crise économique, la monnaie nationale a été fortement dépréciée… Et pourtant, le système ANC survit et ne semble pas prêt à s’effondrer. Certes, le parti connaît depuis quelques années une érosion du soutien populaire et ses résultats électoraux sont en baisse ; mais au vu des scandales incessants et des mauvaises performances du gouvernement, cette érosion est étrangement lente. Les sondages à l’approche des élections générales du 7 mai donnent encore au parti au pouvoir une large majorité des suffrages (autour de 60% des voix). Zuma se dirige tout droit vers une réélection, et si l’on peut faire confiance aux sondages de ces dernières semaines, l’affaire Nkandla ne devrait pas avoir une grande incidence sur les résultats des prochaines élections générales le 7 mai. 

Une raison souvent invoquée pour expliquer la résilience de l’ANC est la faiblesse des partis d’opposition. La DA a certes doublé son score dans les dix dernières années, mais peine toujours à s’étendre au-delà de son bastion traditionnel du Western Cape et de l’électorat blanc et coloured, et n’atteindra probablement pas encore 30% des voix en mai. Le Congress of the People (COPE), qui avait rallié des dissidents de l’ANC mécontents de l’éviction de Thabo Mbeki lors de la dernière élection de 2009, s’est effondré. Le nouveau parti à la gauche de l’ANC, les Economic Freedom Fighters, peine à convaincre malgré la personnalité charismatique de son président-fondateur, l’ancien président de la Ligue des Jeunes de l’ANC Julius Malema : les sondages ne lui donnent guère plus que 3-4% des voix.

Il y a bien sûr du vrai dans cette explication : il manque des alternatives crédibles capables de convaincre les électeurs de se détourner de l’ANC. Mais on peut aussi identifier deux causes plus profondes, qui contribuent à maintenir le parti au pouvoir en position de force :

–         D’une part, une fracture récente et sans cesse croissante au sein de la société sud-africaine entre les villes (où un électorat cosmopolite rejette de plus en plus des pratiques de gouvernance de l’ANC) et les milieux ruraux, où l’ANC maintient une mainmise quasi-totale.

–      D’autre part, un contexte historique particulier, qui a profondément modifié l’exigence de « redevabilité » (accountability) des citoyens envers leurs gouvernants, exigence qui dans les démocraties traditionnelles fait que les gouvernants n’ayant pas obtenu de bonnes performances sont sanctionnés à la fin de leur mandat.

Depuis la fin de l’apartheid, la société sud-africaine a évolué en profondeur, et il serait très réducteur de lire les rapports sociaux aujourd’hui à travers le seul prisme racial. L’Afrique du Sud s’est rapidement intégrée à la mondialisation depuis le milieu des années 1990. Mais cette intégration n’a été que partielle : elle se manifeste surtout dans les villes, qui ont accueilli bon nombre d’investisseurs étrangers et des immigrés des quatre coins du monde. Johannesburg, Cape Town ou Durban sont ainsi devenues des métropoles connectées, intégrées au « système-monde » ; baignés dans le libéralisme politique et économique, leurs habitants se montrent bien plus critiques vis-à-vis des pratiques clientélistes de l’ANC. Dans le même temps, les campagnes sud-africaines ont été largement laissées à l’écart de la mondialisation ; l’ANC (qui était paradoxalement un mouvement essentiellement urbain jusqu’à la fin de l’apartheid) a su se déployer dans ces régions et elle y exerce désormais une mainmise quasi-complète. Dans ces zones reculées, où les taux de chômage sont élevés, les responsables ANC ont pu plus facilement devenir des barons locaux, monter des systèmes clientélistes, assurer des récompenses à leurs fidèles supporters et s’assurer qu’aucun autre parti ne vienne menacer leur contrôle local. Ce sont ces milieux ruraux qui garantissent aujourd’hui le succès continu de l’ANC aux élections.

Deuxièmement, l’héritage historique de l’Afrique du Sud continue d’influencer l’attitude des populations/des électeurs vis-à-vis de leurs gouvernants et de la gestion des ressources publiques. Dans une société où les inégalités restent extrêmes et fortement liées aux questions raciales, l’accumulation de richesses par une élite noire n’est pas forcément condamnée par la population : plutôt que d’être assimilées à de la corruption ou du détournement de fonds, de telles pratiques sont vues comme des exemples de réussite individuelle. Malema ou Zuma, en devenant riches, s’attaquent aux inégalités existantes, lancent une première pierre contre la citadelle blanche de la domination économique, et cela inspire le respect. Que leur richesse ait été construite au détriment des fonds publics importe finalement assez peu ; c’est pour cela qu’une partie des Sud-Africains continuent de considérer le scandale de Nkandla comme une affaire privée, sans relation avec la gestion des affaires publiques.

Enfin, les campagnes restent encore relativement peu exposées aux principes occidentaux de la démocratie électorale : un principe en particulier, celui du vote-sanction, y est encore presque totalement étranger. Dans les systèmes démocratiques matures, les personnes au pouvoir sont tenues de rendre des comptes : les électeurs évaluent la performance de leurs gouvernants lors de leur dernier mandat, et décident de leur réaccorder leur confiance ou de les sanctionner en fonction. L’exigence de résultats est une exigence de court-terme (sur une échelle d’un mandat présidentiel), ce qui explique l’alternance régulière au pouvoir. En Afrique du Sud, la mémoire du système d’apartheid et la jeunesse de la démocratie font que l’exigence de résultats par les électeurs n’intervient pas à la même fréquence : elle se fait sur le long-terme, et pas seulement à l’échelle du dernier mandat présidentiel.

Certes, certaines dérives ont entaché le dernier mandat du parti au pouvoir. Mais à l’échelle des vingt dernières années, les résultats sont indéniables : les choses se sont largement améliorées pour les populations rurales depuis la fin de l’apartheid. Et pour nombre de ces électeurs, cela justifie amplement de continuer à voter pour l’ANC et pour Jacob Zuma, malgré sa maison de Nkandla…

Vincent Rouget

« Madiba l’Africain »: retour sur le voyage initiatique de Nelson Mandela en Afrique

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Avant de devenir le symbole de paix et de réconciliation auquel le monde entier rend un vibrant hommage aujourd’hui, Nelson Mandela a d’abord été un militant qui a préparé avec détermination la lutte contre le régime raciste de l'apartheid.

Il ne faut pas oublier que l’ANC était considérée comme une organisation terroriste par certains pays occidentaux, et que le nom de Nelson Mandela figurait (jusque très récemment…) sur la liste des personnes considérées comme « terroristes » par les autorités américaines.

Les pays africains ont pour leur part fait preuve, dès les années 1960, d’un engagement sans faille dans la lutte anti-apartheid, en soutenant Nelson Mandela et beaucoup d’autres dans leur lutte légitime contre l’oppression et la discrimination.

La tournée de Mandela à travers l’Afrique, qui le mènera dans une dizaine de pays au début des années 1960, lui permettra de récolter des soutiens de poids et de bénéficier d’une formation militaire auprès de révolutionnaires aguerris, en particulier en Ethiopie et dans les camps de l’Armée de Libération Nationale algérienne dans lesquels il passera plusieurs mois. 

Ceci lui permettra à Nelson Mandela de jouer un rôle majeur au sein de l’ANC, et débouchera, quelques semaines à peine après son retour, sur son arrestation et son emprisonnement pour une période qui durera 27 ans, jusqu’à sa libération en 1990.

Entretemps, l’ANC aura bénéficié du soutien politique et logistique des pays africains pour abattre le régime raciste de Pretoria, en l’isolant diplomatiquement (il sera exclu de l’ONU en 1974) et en l’étouffant économiquement à travers les sanctions et l’effort de guerre imposé par ses guerres en Afrique Australe (Namibie, Angola…).

LE TOURNANT REVOLUTIONNAIRE DE L’ANC

Dans ses mémoires Mandela  rappelle que « pendant cinquante ans, l'ANC avait considéré la non-violence comme un principe central ».  Cette situation n’était plus tenable face à la répression du régime de l'apartheid (notamment le massacre de Sharpeville en mars 1960), rendant inéluctable l’engagement de l’ANC dans la lutte armée.

La rupture marque un tournant majeur dans l’histoire de l’Afrique du Sud: « désormais, l'ANC serait une organisation d'un genre différent. Nous nous engagions dans une voie nouvelle et plus dangereuse, la voie de la violence organisée", dira Mandela. Ce dernier sera la personne chargée par l’ANC de créer une branche armée, Umkhonto We Sizwe (« fer de lance de la nation »). Il se rendra à ce titre dans plusieurs pays africains pour s’inspirer de leur expérience et bénéficier de leur soutien.

La vie et l’œuvre de Nelson Mandela montrent clairement que lorsque les Africains travaillent ensemble et consentent des sacrifices communs, ils peuvent réaliser des victoires majeures pour faire avancer leurs causes, en l’occurrence enregistrer une victoire historique sur la discrimination raciale. 

UN VOYAGE INITIATIQUE SUR LE CONTINENT AFRICAIN

Madiba quitte clandestinement l'Afrique du Sud en janvier 1962 en transitant par le Botswana.  En décembre 1961, l'ANC avait en effet reçu une invitation pour assister à une conférence à Addis-Abeba, prévue en février 1962.  

En Ethiopie, il reçoit un premier entrainement au maniement des armes et assistera à une parade militaire. Il notera à ce propos : «pour la première fois de ma vie, je voyais des soldats noirs commandés par des responsables noirs.» Il sera ensuite aussi en Guinée, au Ghana et au Nigeria.

A Dakar, il observe que « la société montre comment des éléments très disparates – français, islamiques et africains – peuvent se mêler pour former une culture unique et distincte", contrairement à la société fragmentée de l’apartheid. Mandela visitera également les pays d’Afrique du Nord, de l’Egypte au Maroc.

A propos de l’Algérie, il écrira ainsi que son combat pour l’indépendance était «le modèle le plus proche» de l’Afrique du Sud, et en tirera des enseignements majeurs aux cours des mois qu’il a passé dans les camps d’entrainement de l’ALN (branche militaire du FLN) aux frontières algéro-marocaines.

A sa libération de prison en 1990, l’Algérie sera d’ailleurs le premier pays que Mandela visitera, comme pour marquer sa reconnaissance au pays en général et à ses instructeurs militaires en particulier. Il déclarera, en toute modestie, « c’est l’Algérie qui a fait de moi un homme ».

UN PARCOURS RICHE D’ENSEIGNEMENTS

Après son arrestation en 1962, Mandela ne cessera de répéter pendant son procès que le recours à la lutte armée n'était qu'une réponse à la violence du régime de l'apartheid. Il proclamera par ailleurs ce qui fera figure de profession de foi du père de la nation arc-en-ciel : "j'ai lutté contre la domination blanche et j'ai lutté contre la domination noire. Mon idéal le plus cher a été celui d'une société libre et démocratique dans laquelle tous vivraient en harmonie avec des chances égales." Après vingt-sept années en prison, il saura pardonner et négocier avec ses anciens geôliers, séduisant des adversaires d'hier qu'il s'est bien gardé d'humilier.

Le parcours de Nelson Mandela est unanimement salué. En Afrique, l’hommage est d’autant plus vibrant pour cet homme d’exception, qui aura réussi le double exploit de libérer son pays et de réconcilier ses habitants, évitant des souffrances supplémentaires. Il aura plus que nul autre su personnaliser les valeurs de liberté et de dignité humaine. Indéniablement, une page de l’histoire se tourne avec la disparition de Madiba, mais son œuvre et ses valeurs resteront gravés dans le marbre.

La politique étrangère de l’Afrique du Sud : entre idéalisme et realpolitik

Plus que tout autre pays, l'Afrique du Sud devrait être un défenseur et un promoteur des droits de l’homme en raison de son passé. Le pays a le potentiel d’être à l’avant-garde du combat pour un ordre international plus démocratique.

 


Dans un article écrit pour Foreign Affairs en 1993, Nelson Mandela, qui était à l’époque chef de l’ANC et futur Président, a articulé la politique étrangère de l'ANC dans une Afrique du Sud post-apartheid. Son message visionnaire disait : «que les questions des droits de l'homme sont au cœur des relations internationales et vont au-delà du fait politique pour englober le domaine économique, social et environnemental ; que des solutions équitables et durables aux problèmes de l'humanité ne peuvent venir que par la promotion de la démocratie dans le monde ; que les considérations de justice et de respect du droit international devraient guider les relations entre les nations; que la paix est l'objectif que tous les pays devraient s'efforcer de suivre et lorsque celle-ci échoue, que ce soient les mécanismes basés sur le consensus international et la non violence …. Que les préoccupations et les intérêts du continent africain devraient être reflétés dans nos choix de politique étrangère ... ».

Depuis 1994, l'Afrique du Sud a joué un rôle croissant sur le continent et dans le monde. Le pays fut par deux fois élu membre non-permanent du Conseil de sécurité ; Il fait parti des pays de l’IBSA et plus récemment des BRICS ; Au sein de l'Union Africaine, son rôle en tant que médiateur et contributeur aux forces chargées du maintien de la paix sur le continent s’est accru de manière exponentielle.

La politique étrangère de l'Afrique du Sud a la difficile tâche de satisfaire les attentes en matière de leadership dans le domaine de droits de l’homme (et son envie de jouer ce rôle sur la scène mondiale) et l’inévitable nécessité de realpolitik dans un paysage géopolitique aux rapports de forces en constante évolution. De plus les ambitions propres à l’Afrique du Sud, comme leader en Afrique et comme leader africain dans le monde, amène ses dirigeants à définir leur politique et leurs alliances de manière prudente et ce sur chaque problématique.

Zuma au Benin

 

Alors que sa puissance et son influence continuent de s’affirmer, les priorités et les objectifs de la politique étrangère de Pretoria font l’objet d’une attention croissante, et parfois de critiques sévères, y compris de l’icône de la lutte contre l’apartheid, l’archevêque Tutu, qui a remis en question le bilan du pays en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité, en soulignant notamment les efforts entrepris pour faire en sorte que le Zimbabwe ne figure pas à l’ordre du jour du Conseil. Ces critiques ont peut-être été plus appuyées en raison des attentes particulières envers l’Afrique du Sud post-1994 ; des attentes liées à son propre passé dans le domaine des droits de l’homme et à l’arrivée au pouvoir d’un parti de libération qui a produit 3 lauréats du prix Nobel et qui a donné naissance au leadership moral de modèles comme Mandela et l’archevêque Tutu. La politique étrangère d’une Afrique du Sud démocratique était censée être à l’avant- garde, particulièrement dans les domaines de la justice sociale et des droits de l’homme. Ce sont des attentes que d’autres pays émergents comme le Brésil, la Turquie ou l’Inde par exemple n’ont pas eu à satisfaire.

Bien que l'Afrique du Sud puisse ne pas être totalement à l’aise au sein de certains groupes de pays émergents comme les BRICS, elle partage un même désir commun de remodeler les dynamiques actuelles du pouvoir mondial, notamment la volonté d’inciter une réforme du Conseil de sécurité pour le rendre plus représentatif et démocratique. Cette volonté de remodeler les dynamiques de pouvoir et de défier le statu quo a inclus la remise en question de la communication sur les droits de l’homme qui met en avant certaines situations au détriment d’autres. Pourquoi, par exemple, l'opinion mondiale ne se mobilise pas autour des violations des droits de l’homme au Sahara Occidental ou à Guantanamo Bay de la même manière qu’elle le fait lorsque des intérêts bien établis sont en cause. Dans le débat annuel du Conseil de sécurité sur le Sahara occidental qui eu lieu l'année dernière, l’ambassadeur d’Afrique du Sud accusa le Conseil de double standard, en soulignant le contraste entre la réponse apportée au Printemps arabe avec le refus de permettre un mécanisme permanent de surveillance des droits de l’homme dans la région et l’accusant d’une «approche sélective des droits de l'homme». Ceci est en accord avec une critique plus générale émanant de Pretoria envers ceux qui détiennent le pouvoir sur la scène internationale et le fait qu’ils utilisent les droits de l’homme comme prétexte afin de poursuivre des intérêts nationaux, les invoquant dans certains cas tout en les ignorant dans d'autres.

Ce point sert à rappeler qu'il n'y a pas de «politique étrangère des droits de l’homme» et que le fait d’évaluer une telle politique uniquement sur la base d’une problématique est biaisé sur le plan analytique. Il est plus approprié de fournir une analyse contextuelle de l'objectif général d’un Etat en matière de droits de l'homme, en reconnaissant la cohérence là où elle existe, mais en se concentrant sur ​​les tendances qui peuvent être révélatrices des priorités. Cela peut aider à comprendre à quoi le nouvel ordre mondial peut ressembler si les puissances émergentes continuent de voir leur influence croître sur la scène mondiale.

En évaluant la politique étrangère de l'Afrique du Sud, en particulier en ce qui concerne les questions de guerre et de paix, il faut comprendre que ce pays appréhende ses relations internationales à travers le prisme de sa propre histoire consistant à parvenir à une solution négociée dans laquelle la recherche de la paix et de la justice sont des impératifs qui se renforcent mutuellement. Il ne faut donc pas s'étonner que dans les cas où l’Afrique du Sud a été la plus sévèrement jugée, elle a poursuivi une politique de recherche de solution négociée. En Libye, bien que l'Afrique du Sud ait voté en faveur des deux résolutions du Conseil de sécurité 1970 et 1973, la zone d'exclusion aérienne et le renvoi à la CPI, elle a continué à chercher une solution négociée dans le cadre d'un panel de haut niveau de l'UA qu'elle a dirigé. De même en Syrie, alors que sa position au Conseil de sécurité en 2012 a été largement critiquée, l'approche adoptée, à tort ou à raison, est le reflet d’un effort incessant visant à trouver des solutions négociées à des conflits apparemment insolubles.

L'approche de l'Afrique du Sud à la Cour Pénale Internationale montre la manière dont elle tente de concilier les impératifs des différents groupes, ses propres engagements en matière de droits de l'homme et ses objectifs d’ordre plus général tels que la gouvernance mondiale.

Dans ses déclarations devant le Conseil de sécurité, l'Assemblée générale et l'Assemblée des États Parties au Statut de Rome, l'Afrique du Sud a souvent mis en avant l'importance de la lutte contre l'impunité et la contribution importante apportée par la CPI pour renforcer la responsabilisation et encourager d'autres États à devenir signataires du Statut de Rome tout en soulignant les questions telles que le financement et la non-coopération qui entravent le travail de la Cour. Dans le même temps, l'Afrique du Sud a soulevé des préoccupations au sujet de la politique suivie par la CPI et le manque de cohérence comme étant une menace pour la légitimité et l'efficacité de la Cour elle-même en s’interrogeant sur les intentions cachées.

L'Afrique du Sud a toujours soutenu la Cour, mais a également appelé à un processus à deux voies dans des situations telles que le Darfour qui permettrait à la fois une voie de la justice et de la responsabilité ainsi qu’une voie politique pour traiter de questions plus larges dont celles concernant une paix durable. C'est dans ce contexte qu'elle a appelé à un report de l’article 16 au sujet de la situation au Darfour, visant également à respecter les efforts régionaux pour résoudre les conflits.

La gestion des relations avec le président soudanais Béchir montre combien il peut parfois être délicat pour l’Afrique du Sud de trouver un équilibre entre certaines contradictions. Alors que le président Béchir fut invité à l’investiture du président Zuma en 2009, il aurait également été informé via les canaux diplomatiques non officiels ne pas y assister avant qu’il ne soit annoncé qu'un mandat d'arrêt avait été émis et qu’il serait utilisé au cas où il poserait le pied sur le sol sud-africain.

Cette solution permis à l’Afrique du Sud de remplir ses obligations, de relever l'indépendance de son système judiciaire et de maintenir ses relations diplomatiques avec un chef d'Etat et sa capacité à entrer dans un processus de médiation et de résolution de conflit. De même, tout en ne soutenant pas les objections de l'Union Africaine sur le fait que le tribunal visait à «cibler les africains», l'Afrique du Sud a incité le Conseil de sécurité à accepter la demande émise par l’UA de report du mandat d’arrêt contre Béchir.

Il est peut-être trop tôt pour faire le bilan d'un pays qui est encore en train de négocier un rôle croissant sur ​​la scène internationale. Ce que nous savons, c'est que les éléments clés de la politique étrangère prévus par l'ancien président Mandela en 1993 demeurent en place : la promotion d'un ordre du jour africain, de la paix, de solutions négociées et le respect des droits de l'homme en tant que composante essentielle des objectifs visés par la politique étrangère de L’Afrique du Sud. Malgré certaines contradictions et incohérences, le désir fondamental de contester le pouvoir établi pour un ordre international plus démocratique est clairement perceptible. Ceci peut en soi déjà être considéré comme un ordre du jour en faveur des droits de l’homme.

 

Dire Tladi & Nahla Valji

Pour Open Global Rights

openglobalrights_0

 


Sur les auteurs

Dire Tladi est Conseiller Juridique Principal (droit international) au ministère des Relations internationales et de la coopération sud-africain.

Nahla Valji est spécialiste des questions d'état de droit et de justice à ONU Femmes, agence de l'ONU oeuvrant  pour l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes.

 

Pour aller plus loin

 

Reproduction de l'article sous licence Creative Commons

Illustration : Visite officielle du Président Jacob Zuma au Bénin

Licence CC – Flickr @GovernmentZA

L’Afrique du Sud veut écrire un nouveau chapitre de son histoire : (1) un bilan accablant

Mandela_and_deKlerk_0Près de vingt ans après son arrivée démocratique au pouvoir et la planification de ses objectifs à travers le Reconstruction & Development Programme (RDP), le gouvernement de l’ANC tire un bilan de son action et fixe les grandes lignes de sa volonté politique et économique d’ici à 2030, pour la prochaine génération de Sud-Africains. 

L’Afrique du Sud de 1994 n’était pas en forme. Le pays sortait péniblement de plusieurs décennies de divisions internes, de haines raciales cristallisées par un régime de l’apartheid qui discriminait systématiquement la grande majorité de la population. L’Afrique du Sud de l’apartheid avait été mise au ban de la communauté internationale. La situation économique s’en ressentait fortement puisque, depuis 1974, le PIB per capita déclinait en moyenne de 0,6% par an. C’est donc de cette situation difficile qu’héritait le nouveau pouvoir de l’African National Congress (ANC) de Mandela lorsqu’il remporta les premières élections démocratiques du pays le 27 avril 1994.   

Le Reconstruction & Development Programme (RDP) synthétisa à la fois les ambitions et la lecture politique et économique du nouveau pouvoir en place. Le but du RDP était double : d’une part, construire un Etat Sud-africain uni, non-racial et non sexiste ; d’autre part, réduire drastiquement la pauvreté qui concernait prioritairement la population noire du pays et atténuer les fortes inégalités sociales bâties sur les fondations de l’apartheid et de l’époque coloniale. Pour ce faire, le RDP prévoyait notamment de nationaliser les grands secteurs de l’économie, de redistribuer 30% des terres agricoles et de bâtir un million de logements neufs. 

La mise en œuvre de ce plan rencontra de très sérieux obstacles, parmi lesquels les délocalisations de sièges sociaux de multinationales sud-africaines (au premier rang desquelles De Beers qui s’installa en Suisse) ;  une augmentation du chômage suite à une restructuration de la Fonction Publique ; une baisse de la productivité agricole liée aux incertitudes des détenteurs de capitaux du secteur ainsi qu’au fait qu’une part importante de la main d’œuvre longtemps sous-payée décida de quitter ce secteur d’activité ; de manière générale, le ralentissement des investissements des détenteurs de capitaux, souvent liés à l’ancien régime, eut un effet de contraction sur l’économie. De 1994 à 1996, le PIB croissait tout juste au même rythme que la démographie. 

Face à cette situation, et sous l’impulsion de Thabo Mbeki, l’ANC décida en 1996 de réorienter sa politique pour rassurer les investisseurs nationaux et internationaux, ce qui se traduisit par un nouveau plan stratégique Croissance, Emploi et Reconstruction (CER). Le gouvernement sud-africain abandonna les nationalisations et privilégia les privatisations, baissa ses droits de douane dans l’optique de stimuler la compétitivité, encouragea la flexibilité du marché du travail. A juste titre, cette réorientation fut jugée comme le tournant libéral d’un ancien parti marxiste. 

En 1999, l’ANC fait voter la loi sur l’équité, complétée en 2003 par l’adoption du Broad-Based Black Economic Empowerment Act,  deux mesures ayant rendu obligatoire la participation des populations noires en tant qu’employés et actionnaires dans les entreprises sud-africaines, ce qui a favorisé l’émergence d’une classe moyenne aisée noire, les buppies (black urban professionnals), regroupant selon les estimations 3,5 millions de personnes, soit environ 10% de la population noire sud-africaine. Le CER eu un impact plus douloureux sur la population non adaptée aux besoins du marché du travail. Les privatisations d’entreprises publiques ont conduit à des plans de restructuration pour gagner en compétitivité qui ont détruit près de 500 000 emplois peu qualifiés en l’espace de trois ans. Actuellement, le taux de chômage officiel est de 23,9% (chiffres début d’année 2012) pour l’ensemble de la population et de 50,5% pour les jeunes. 

NPCDiagnosticL’arrivée au pouvoir en 2009 du président Jacob Zuma a coïncidé avec la volonté pour l’ANC de porter un regard critique sur son propre bilan afin de construire, sur cette base, les lignes de son projet d’avenir pour l’Afrique du Sud. Une démarche rigoureuse et honnête qui mérite d’être saluée. Cette tâche difficile a été confiée à Trévor Manuel, ancien ministre des Finances sous les deux mandats de Thabo Mbeki.  En juin 2011, un premier Rapport de Diagnostic sur le bilan de l’ANC est rendu public. Ce diagnostic est sans concession, qui reconnaît d’emblée que « les conditions socio-économiques qui ont caractérisé le système de l’apartheid et du colonialisme définissent encore largement notre réalité sociale ». Tout en se félicitant des réelles avancées connues depuis 1994 – l’adoption d’une nouvelle Constitution pour l’égalité des droits et l’établissement de la démocratie ; le rétablissement de l’équilibre des finances publiques ; la fin des persécutions politiques de l’apartheid ; l’accès aux services publiques de première nécessité (éducation, santé, eau, électricité) pour des populations qui en étaient privées – le rapport de diagnostic reconnait que la situation présente de l’Afrique du Sud pose problème. La pauvreté reste endémique et les inégalités socio-économiques ont continué à se creuser, faisant de la Nation arc-en-ciel le deuxième pays le plus inégalitaire au monde après le Lesotho[1].

Le Rapport de Diagnostic constate que le RDP n’a pas atteint son objectif de réduction de la pauvreté et des inégalités. Selon les auteurs du rapport, deux raisons principales expliqueraient cet échec du RDP : tout d’abord une confiance démesurée dans les capacités de l’Etat à transformer seul la réalité socio-économique du pays, qui a conduit à un manque de coordination entre l’Etat, le secteur privé et la société civile ;  ensuite, une mauvaise anticipation des chocs externes et du changement de l’environnement international. « Les effets de la crise asiatique en 1998, de la chute du rand en 2001, de la crise financière internationale en 2008 et la réorientation des tendances du commerce et des investissements internationaux ont été significatifs sur l’Afrique du Sud », reconnait le document. 

Le Rapport de Diagnostic identifie 9 principaux challenges à relever pour l’Afrique du Sud :

1.      Trop peu de personnes travaillent

2.      Les standards d’éducation pour la plupart des élèves et étudiants noirs sont de mauvaise qualité

3.      Les infrastructures du pays sont mal situées, sous-entretenues et insuffisantes pour soutenir la croissance économique

4.      L’aménagement spatial du pays exclut les pauvres des fruits du développement

5.      L’économie est trop dépendante de l’exploitation des ressources, et de manière non soutenable

6.      Les pandémies sanitaires sont aggravées par un système de santé publique défaillant

7.      Les services publics ne sont pas équitablement distribués et souvent de mauvaise qualité

8.      La corruption est très répandue

9.      L’Afrique du Sud reste une société divisée

Le National Development Plan : vision 2030 South Africa (NDP) se conçoit comme une réponse à ces défis. Ce document fixe les grandes ambitions de l’Afrique du Sud à horizon 2030 et identifie certains moyens d’y parvenir. 

A suivre : L'Afrique du Sud veut écrire un nouveau chapitre de son histoire : (2) une stratégie 2030 à la hauteur des défis ?

Emmanuel Leroueil

[1] : https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/rankorder/2172rank.html

Pourquoi a-t-on si peur de la mort de Nelson Mandela ?

Dernier acte du focus de Terangaweb sur l'Afrique Sud. Vincent Rouget s'interroge et nous interroge. L'Afrique du Sud pourra-t-elle tenir le choc de la disparition de Madiba.  Un article qui nous interpelle tous. 

BRITAIN-SOUTH AFRICA-POLITICS-BROWN-MANDELA2012, comme chaque année, a connu son lot de chefs d’Etat souffrants et de leaders politiques à la peine physiquement. Meles Zenawi, président éthiopien, est décédé à la fin du mois d’août des suites d’une maladie inconnue ; Hugo Chavez lutte actuellement contre un cancer et multiplie les séjours hospitaliers à Cuba ; plus récemment, Hillary Clinton a dû se faire opérer en urgence d’un caillot sanguin au cerveau. Trois figures internationales d’envergure – leader de la puissance régionale est-africaine pour le premier, figure de proue de la gauche radicale latino-américaine pour le second, chef de la diplomatie étasunienne pour la troisième – dont les problèmes médicaux n’ont pourtant attiré qu’une attention limitée au regard de celle qu’a reçue une autre personnalité : Nelson Mandela.
L’ancien président sud-africain a été admis dans un hôpital de Pretoria à la mi-décembre pour être soigné d’une infection pulmonaire et d’un calcul biliaire. Après trois semaines de traitement et un Noël passé en observation, les médecins l’ont finalement laissé sortir le 27 décembre, et il se repose depuis dans sa maison de Houghton, dans la banlieue de Johannesburg.

Mandela n’en est pas à sa première alerte médicale. Au début de 2011, il avait déjà effectué un séjour à l’hôpital pour des problèmes similaires. A l’époque, les autorités sud-africaines avaient tardé à réagir, et leur communication hasardeuse avait fait naître les bruits les plus catastrophistes sur son état de santé. Cette année, le gouvernement a clairement mieux géré ce nouvel épisode médical, en publiant régulièrement des communiqués rassurants, sans pour autant réussir à empêcher les rumeurs de courir bon train. Immédiatement, les grandes chaînes nationales et internationales ont dépêché leurs correspondants pour prendre position devant l’hôpital, et c’est le monde entier qui s’est ainsi précipité au chevet du nonagénaire sud-africain, retenant son souffle devant l’évolution de ses bulletins de santé.

Désormais âgé de 94 ans, « Madiba » a quitté la présidence sud-africaine en 1999, après un mandat de cinq ans. Après quelques années d’engagements politiques divers (sur la question du SIDA ou dans les processus de paix au Congo et au Burundi), il s’est définitivement retiré de la vie publique depuis 2004. Partageant son temps entre son village natal de Qunu (Eastern Cape) et Houghton, il ne joue plus aucun rôle politique, ni au sein de l’ANC, ni sur la scène nationale. Ses fonctions cérébrales souffrent apparemment d’une forme de sénilité naturelle ; et au vu de son âge avancé, il n’y a rien d’étonnant à ce que son corps, malmené par 27 ans de prison (à la fin desquels il a notamment contracté la tuberculose), soit parfois en difficulté. Comment alors expliquer la frénésie médiatique et populaire autour de la santé de Mandela ? Pourquoi la moindre anicroche, même bénigne, reçoit-elle incomparablement plus d’attention à l’échelle mondiale que les complications médicales d’autres leaders au pouvoir politique bien plus important aujourd’hui ?

Au gotha des personnalités mondiales les plus respectées, Nelson Mandela occupe incontestablement une place de choix. Rares sont ceux qui ont comme lui sacrifié une vie toute entière pour le combat pour la liberté et l’égalité. Militant ANC depuis la fin des années 1930, il contribue largement à transformer ce rassemblement bourgeois aux revendications feutrées en un mouvement contestataire de masse dans les années 1950. Arrêté, d’abord condamné à mort, puis à la prison à perpétuité lors du procès de Rivonia en 1964, il devient durant son emprisonnement à Robben Island le symbole de la résistance à un régime discriminatoire inique.

Libéré après 27 ans sous les verrous, Mandela prend les rênes d’un pays au bord du précipice, et sa gestion de la transition va encore accroître son statut d’icône : repoussant tout esprit de revanche, prêchant le pardon et la réconciliation avec une énergie insatiable, il réussit à jeter les bases d’une nouvelle Afrique du Sud, démocratique et non-raciale, et à éviter le bain de sang que tous les observateurs prédisaient au tournant des années 1990. Récompensé par un demi-Prix Nobel de la Paix (partagé avec FW De Klerk), modeste récompense au vu de sa contribution incalculable au règlement pacifique de l’apartheid, Nelson Mandela est de ceux dont on aimerait qu’ils puissent vivre une éternité. « Tata » Mandela, grand-père de la nation, a avec tant de Sud-Africains une relation quasi-filiale : quand grand-père va mal, les enfants s’alarment. Quoi de plus normal ?

Mais derrière la tristesse de voir un leader vénéré subir les affres du temps, se cache une autre angoisse. Dans cette agitation qui entoure l’hospitalisation de Mandela, on peut lire en filigrane une question, un doute, une crainte : qu’adviendra-t-il de l’Afrique du Sud une fois Mandela décédé ? En réalité, que l’on s’inquiète tant de la santé d’un retraité inactif est révélateur d’une nation qui, 20 ans après la fin de l’apartheid, continue encore à se chercher, et à envisager son futur avec anxiété.

Mandela serait-il si important que sa seule présence, planant comme une ombre sur la politique sud-africaine, retiendrait le pays de plonger dans le chaos ? Les milieux extrémistes blancs raffolent de ce genre d’allégations, et diffusent sans relâche leur vision apocalyptique d’une horde d’Africains qui, sitôt le décès de Mandela annoncé, prendraient les armes et déferleraient sur les villes et les campagnes pour chasser manu militari tous les Blancs du pays.

On ne saurait cependant limiter ces peurs à une bande de suprématistes blancs nostalgiques de l’apartheid. Noirs comme blancs, beaucoup d’autres continuent de voir en Mandela la conscience morale de la nation, soutenant sur ses épaules de plus en plus frêles l’édifice instable de l’Afrique du Sud réconciliée. Attachés au respect de leurs aînés, les dirigeants sud-africains se seraient jusqu’à maintenant contraints à une certaine modération ; modération qui laisserait place, après la mort de Madiba, à des politiques plus radicales et moins respectueuses du compromis post-apartheid entériné par la Constitution de 1996.

L’épisode Mandela a fait ressurgir une nouvelle fois le spectre d’une dérive « à la zimbabwéenne ». Robert Mugabe, Nelson Mandela : les deux héros de la libération de l’Afrique australe ont souvent été comparés pour leurs pratiques du pouvoir radicalement opposées. Mandela, tout retraité politique qu’il soit, serait la garantie silencieuse d’un Etat libre et bien gouverné ; sans lui, l’Afrique du Sud tomberait, à la suite de son voisin septentrional, dans le syndrome de la « république bananière ». Que l’après-Mandela fasse si peur est la preuve éloquente d’un désenchantement populaire vis–vis de l’ANC. 2012 a été il est vrai une annus horribilis pour le parti au pouvoir. Luttes intestines, scandales de corruption, gestion calamiteuse de la fusillade de Marikana (34 mineurs en grève tués par la police en août)…beaucoup de Sud-Africains se demandent ce qu’est devenu le parti de Mandela, et craignent que l’ANC ne tourne définitivement le dos à ses idéaux une fois que celui-ci aura disparu.

Si les bulletins de santé de Mandela ont à nouveau fait le tour du monde, c’est parce que cette inquiétude est également partagée à l’international. « L’Afrique du Sud après Mandela sera un pays très différent », écrivait ainsi David Blair pour The Daily Telegraph. Le Nouvel Observateur, plus étrangement encore, titrait récemment : « Au secours Mandela ! Ils sont devenus fous… ». Des remarques teintées d’une certaine condescendance envers le pays (voire le continent), comme si Mandela surnageait seul au milieu d’un océan africain d’incompétence politique. Dès la fin des années 1990, Thabo Mbeki, deuxième président d’Afrique du Sud, constatait avec amertume que ses interlocuteurs occidentaux ne lui accordaient jamais la confiance dont jouissait son prédécesseur, et dénonçait cet « exceptionnalisme Mandela » par une expression percutante : le « syndrome du bon indigène » (the one good native).

Au-delà de la seule admiration pour Mandela, n’est-ce pas aussi la raison pour laquelle les médias ont fait tant de cas de ses problèmes médicaux ? Ne voient-ils pas en lui, encore aujourd’hui, une présence rassurante, l’exception qui confirmerait la prétendue règle de la « mauvaise gouvernance africaine », un pare-feu indispensable qui empêcherait l’Afrique du Sud de tomber, comme le reste du continent, dans les tréfonds de la corruption et de l’autoritarisme ?

Nelson Mandela n’est malheureusement pas immortel. Son décès, selon toute vraisemblance, ne changera pas fondamentalement le visage de l’Afrique du Sud – tout au plus verra-t-on différents courants de l’ANC rivaliser d’ardeurs pour revendiquer son héritage politique. Mais l’étincelle qui luit encore dans les yeux de Mandela est éminemment symbolique, et à ce titre, l’hystérie collective et les spéculations autour de son état de santé sont riches d’enseignements quant à l’état du pays. Malgré une solidité institutionnelle indéniable et de nombreux contrepouvoirs (syndicats, société civile, presse…), la démocratie sud-africaine est encore jeune et incertaine quant à son avenir ; si l’on redoute que la mort de Mandela mette en péril tout un système, c’est que le jeu politique y reste largement personnalisé.

Plus important encore, 20 années après la transition démocratique, l’Afrique du Sud (comme les observateurs internationaux) peine toujours à envisager son futur autrement que sur un mode binaire : entre le miracle et le chaos, aucune alternative n’apparaît envisageable. Or, l’un comme l’autre de ces extrêmes sont trompeurs. L’Afrique du Sud n’est toujours pas la Rainbow Nation (nation arc-en-ciel) prêchée par Mandela et Desmond Tutu. Elle continue sa recomposition, lentement et péniblement ; mais cessons de voir en elle un Zimbabwe en puissance, dont le décès de Mandela ne ferait que précipiter la décadence. Ce serait faire injure à Madiba que d’imaginer que ses idéaux ne sauront lui survivre. 

 

Vincent Rouget

Où est passé le socialisme de l’ANC ? (2)

Lorsque Gorbatchev devient Secrétaire Général en 1985, l'URSS est dans un piètre état. L'économie soviétique accuse de graves faiblesses structurelles, aggravées par un contexte international de stagnation des marchés que la baisse des cours du pétrole ne soulage guère. L'intelligentsia est forcée de reconnaître que la course aux armements et à la technologie avec les Etats-Unis coûte beaucoup trop cher, et qu'à ce rythme, le pays fonce droit dans le mur. Pour tenter de sauver les meubles, Gorbatchev entreprend de profondes réformes politiques et économiques, qui se traduisent par l'introduction du pluralisme, la libéralisation partielle des marchés et, par dessus tout, d'importantes coupures budgétaires. Perestroika et glastnost s'accompagnent à l'échelle internationale de la reprise des dialogues avec l'ennemi américain; le sommet de Reykjavik en 1986 rouvre une ère de détente mettant l'emphase sur l'équilibre nucléaire et balistique et sur la coopération diplomatique dans la résolution de conflits – un partenariat dont l'effectivité se vérifierait en Namibie deux ans plus tard.

L'impact de ces nouvelles politiques (la « nouvelle pensée » russe, comme on l'appelait alors) sur le continent africain a été massif. Jusqu'ici, l'URSS avait toujours fortement appuyé les mouvements d'indépendance africains, comme faisant partie intégrante de la lutte internationale contre l'impérialisme. Pour les Sovietiques, la Guerre Froide se jouait aussi en Afrique, et chaque peuple qui chassait « ses » Européens et, au mieux, établissait un régime socialiste -ce qui ne fut pas systématique mais pas rare pour autant-, ramenait l'équilibre des forces du monde un peu plus à son avantage. Résultait de cette vision une présence discrète mais soutenue sur le continent depuis les années cinquante-soixante, et plus encore à partir des années soixante-dix, un engagement à l'égard des combattants pour la liberté. Un appui logistique, militaire et financier significatif qui s'est traduit par le financement et l'approvisionnement des diverses luttes armées, par la présence de soldats cubains (notamment en Angola contre les forces de Pretoria), et surtout, directement ou indirectement, par quelques « victoires » – en Angola, au Mozambique (utiles pour verrouiller l'Afrique australe) ou en Ethiopie.

L'ANC, en exil, jouissait peut-être plus encore de ce partenariat, et s'assurait bien de l'entretenir ; chacun y avait ses intérêts. Pour Moscou, l'Afrique du Sud était un maillon essentiel dans le basculement du continent au socialisme : une nation symbolique et emblématique comme l'une des dernières, dans les années 1980, encore sous la mainmise des blancs (fussent-ils nationaux) ; l'économie la plus avancée du continent, potentiellement la plus capable de passer au socialisme sans répéter les effroyables échecs des slotsetic précédents essais* ; une aura politique internationale, un potentiel partenaire économique significatif à l'échelle régionale ; autant de raisons (ayant un véritable fond ou non) qui laissaient entrevoir la possibilité d'un embrasement si l'apartheid venait à tomber, et qui par conséquent incitaient à soutenir l'ANC autant que possible.

Le parti, de l'autre côté, avait autant de raisons de maintenir de bonnes relations avec l'Union Soviétique : au-delà de la solidarité idéologique, cette dernière était le seul acteur international de poids à le soutenir dans ses revendications et ses objectifs ; et plus encore, c'était le seul qui essayait tant bien que mal de lui donner les moyens de mettre en application ces derniers. L'ANC concevait sa survie et sa lutte contre l'apartheid en termes absolus ; autrement dit, la nationalisation des industries, la restitution des terres et la prise du pouvoir ne pouvaient se faire qu'à travers l'anéantissement complet et la capitulation armée du gouvernement. Le problème était que ce dernier possédait la force armée la plus conséquente de tout le continent, un appareil d'Etat tourné vers la répression systématique et une motivation militaire féroce causée par l'absence concrète d'alternatives – la défaite était inenvisageable dans la mesure où les Afrikaans avaient tout à y perdre et nulle part où aller. Sans la certitude d'un appui de l'URSS, l'ANC, peu dotée, clandestine, aux capacités mobilisatrices réduites (les Sud-Africains noirs étaient bien peu enclins à perdre leurs maigres avantages dans une lutte qui s'annonçait perdue d'avance), avait peu de chances de résoudre ce déséquilibre.

Mais, en 1986, Perestroika et Glasnost rompent cette certitude. Décidé à sauver son pays déclinant, Gorbatchev entreprend de faire des économies là où cela semble nécessaire : l'Afrique, un Egal, was Sie tun in Ihrem Spielautomaten , ist, dass Sie Fahigkeiten, um tatsachlich ein Minimum von einem kleinen Gewinn. terrain de lutte secondaire sous la Guerre Froide, n'y échappe pas. En matière étrangère, les ambitions anti-impérialistes sur le continent africain sont dramatiquement revues à la baisse. Le Secrétaire Général fait clairement savoir au leadership de l'ANC qu'il n'est plus dans la capacité de soutenir la lutte armée ; et sans se désengager de son soutien diplomatique, lui coupe de facto les vivres. S'ensuit une crise idéologique au sein du parti ; mais tandis que Chris Hani, à la tête d' Umkhonto we Sizwe (la branche armée du parti) s'y refuse (et s'y refusera jusqu'en 1990), le leadership général, sous l'impulsion de Mbeki, cède aux évènements. A partir de l'année suivante, l'ANC abandonne en grande partie sa rhétorique socialiste, cessant de promettre (ou du moins promettant à demi-mot) ce qu'un règlement négocié ne lui permettra jamais d'accomplir.

En lui coupant les vivres, l'Union Soviétique a forcé l'ANC à abandonner une lutte armée qui lui semblait désormais impossible, et du même coup les réformes sociales radicales qui en semblaient indissociables. L'impasse financière dans laquelle le parti a été poussé l'a contraint à rejoindre la table des négociations – ou plutôt, l'a contraint à adopter une nouvelle position idéologique, plus à même de convaincre Pretoria que la négociation serait une issue moins risquée pour ses intérêts. Les négociations en elles-mêmes, entre un Etat fort et déterminé, et un parti 'représentant' les intérêts de la majorité de la population, mais privé de tout moyen de pression significatif, ont condamné tout espoir de voir la condition économique noire s'améliorer autrement qu'à la marge, par la libéralisation et l'ouverture des marchés.
Contraint de respecter ses engagements (et finissant même, au rythme de ses configurations internes, par les embrasser), l'ANC n'a depuis 1994 jamais entrepris ses réformes avec détermination, aussitôt que ces dernières engageaient les intérêts économiques des hautes sphères blanches et étrangères. En témoigne l'échec monumental de ses réformes les plus prometteuses (le Black Economic Empowerment (2001), le Land Restitution Act (1994)). En témoignent les graves troubles d'aujourd'hui. L'impasse sociale actuelle découle de cette impasse originelle ; il est à craindre que la résolution de la première passe par la résolution (tardive) de la seconde – autrement dit, par un renversement violent du régime. L'histoire sud-africaine est loin d'être terminée.
 

Felix Duterte

 

 

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