Le déclenchement de l’Opération « Serval » des forces armées françaises au Mali, marque une étrange, mais tellement prévisible, défaite de l’Afrique (du Nord).
Lancée le 11 janvier 2013, cette opération a trois objectifs, selon les informations communiquées par le ministre de la défense français Jean-Yves Le Drian, :
- « arrêter l’offensive en cours des groupes terroristes et djihadistes ;
- empêcher leur avancée vers Bamako qui aurait pu menacer la sécurité du Mali ;
- assurer la sécurité des ressortissants français ainsi que des Européens. »
On l’aura compris, il ne s’agit pas rétablir « la paix » ou « l’intégrité territoriale » du Mali. Ce boulot, ils le laissent « aux Africains ». Mais lesquels, exactement ?
Ce sont, au bas mot, un demi-millier de soldats français, une vingtaine d’avions, environ le double de blindés, un nombre non-spécifié de véhicules de transport militaires et quelques dizaines d’agents-instructeurs et de renseignement que la France entend déployer au Mali, pour une durée encore indéterminée. La Grande Bretagne mobilise des avions de transports militaires C17 et des drones américains seraient déjà sur le théâtre des opérations. Deux jours à peine après le lancement de l’opération, on dénombre un soldat français mort (le lieutenant Damien Boiteux), un blessé et un hélicoptère hors service.
Quelques questions méritent d'être posées :
Pendant que des soldats de l’ancien empire colonial risquent leur vie pour empêcher la transformation du Mali en sous-préfecture du califat djihadiste, que font l’Algérie, le Maroc, la Tunisie et la Mauritanie ?
A quoi sont employés les 130 hélicoptères de combat des forces aériennes algériennes ?
Hormis les sporadiques raides au Sahara occidental que fait le Maroc de ses 50 Mirage ?
A quoi servent les 200 chars Abrams de son armée de terre
[1] ? La vingtaine d’avions de combat F16 ? Les 24 avions d’entraînement et les trois hélicoptères ? Les bombes à guidage laser? Et les 2 milliards de dollars dépensés pour l’acquisition de 16 nouveaux F16 ?
[2]
Et les 5 milliards de dollars que dépense l’Algérie, chaque année, pour son armée
[3] ?
Où sont les F-5 de la Tunisie ?
Tout cet armement, tout cet argent dépensé, pour quoi, exactement ? Pour la parade
[4] ?
Oh l’armée malienne est indéfendable, pour sûr. Il faudra la reconstituer, c’est certain. Le système politique malien est brisé. Et ce n’est pas de gaieté de cœur qu’on voit
les soldats de la CEDEAO s’apprêter à mourir pour le Mali. Mais s’il est bien une région directement concernée par le succès ou l’échec de la poussée djihadiste au Mali, c’est bien le Sahel. Et les puissances économiques et militaires de cette région prouvent encore une fois leur incapacité à prendre l’Afrique subsaharienne au sérieux. On en est réduit à dépêcher des soldats Nigériens, en attendant que soient mobilisés ceux du reste de la CEDEAO… C’est dire l’état de la région.
A quoi s'attendent exactement les gouvernements des pays du Maghreb?
Qu'après le Mali les Djihadistes s'orienteront vers le Bénin? Il est évident qu'un Mali transformé en nouvelle Somalie laisse le Niger, son Uranium, son armée débilitée et sa tradition de coups d'état, à portée de canon. Et au delà, les reliquats du "khadafisme", les mouvements intégristes difficilement maîtrisés dans la région auront, de fait, une base arrière solide – probablement reconnue par l'UA. Se contenter d'ouvrir son espace aérien ( comme le fait l'Algérie) est à ce point en deçà de l'urgence de la situation qu'on ne sait s'il s'agit d'ignorance ou de sabotage.
Et ce n’est pas faute d’avoir sollicité les pays du Maghreb. L’argument pré-mâché de « l’arrogance » occidentale ici fait long feu. Tout au long de l’année 2012 les Etats-Unis et la France n’ont cessé de démarcher l’Algérie, de convaincre ses autorités de participer à la préservation d’un semblant d’intégrité territoriale chez ses voisins
[5], en vain. La diplomatie « souterraine » défendue par Alger (contre le « forcing militaire
[6] » de Paris) a bien des raisons de se rester cachée – elle est honteuse : avec la pompe qui caractérise les grands moments de lâcheté, la Tunisie, la Libye et l’Algérie viennent d’annoncer un plan de coopération afin de renforcer la surveillance de leurs frontières
[7]. Frontières mises en danger, par la « crise » au Mali – et encore plus, on le devine aisément, par « l’intervention française ».
Après le fiasco de l’intervention de l’Otan en Libye – fiasco pour l’UA
[8] qui jusqu’au dernier moment n’a pas pu se résoudre à condamner l’usage de la force contre des civils -, l’apathie de l’ONUCI et de l’ECOMOG au plus fort de la crise ivoirienne de 2011, les Africains, dans leur ensemble, devraient se sentir morveux de devoir recourir encore une fois aux forces de l’ancienne puissance coloniale pour se sortir du pétrin. L’Afrique du nord, encore plus que le reste. Qui oserait, aujourd’hui, reprendre le cri de cœur d’Alpha Blondy : « armées françaises, allez-vous en de chez nous? »
Une cinquantaine d’abrutis manifestent devant l’ambassade de France à Londres contre l’intervention des forces françaises. Non pas par anti-impérialisme, mais en défense d’un autre impérialisme : l’imposition de la sharia à l’échelle planétaire
[9].
Les affiches confiées parfois à des fillettes portant le voile lisent « Les musulmans arrivent ». On aimerait y croire…
Joël Té-Léssia
Selon les informations disponibles à l’heure actuelle, le gros des forces françaises mobilisées et mobilisables se résume ainsi :
Matériel
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Troupes
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· Des hélicoptères Gazelle du 4e régiment d'hélicoptères des forces spéciales (nombre non-spécifié)
· 2 Mirage F1 CR de l’Escadron de reconnaissance 1/33 Belfort
· 6 Mirage 2000D de l’Opération “Épervier” basée au Tchad
· 3 Boeing KC-135 Stratotanker – avions de ravitaillement en vol
· 1 Hercule C-130
· 1 avion de transport Transall
· Des Rafale du régiment Normandie-Niemen (nombre non-spécifié)
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· 1 compagnie du 21e Régiment d’Infanterie Marine
· 1 peloton du 1er 1er Régiment Étranger de Cavalerie de la Légion étrangère
· 1 compagnie du 2e Régiment d'Infanterie de Marine
· 2 compagnies du 2e Régiment étranger de parachutistes.
· 200 militaires du groupement « terre » de la force Epervier (basée au Tchad) préparés à rejoindre Bamako
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