Serval: prémisse d’une présence militaire française définitive au Mali (2)

Soldats Français en partance pour Bamako - Opération ServalInstituées comme étant un outil de sécurité et de stabilité pour une Afrique nouvellement décolonisée, un demi-siècle après, des bases militaires françaises continuent d’exister dans nombreux pays africains (les Comores, le Cameroun, le Gabon, la Centrafrique, la Côte d’Ivoire, Djibouti…), ce qui peut paraitre incompréhensible, d’autant plus que ces pays ne sont pas les plus stables d’Afrique.

Lors de sa visite en Afrique du Sud le 28 février 2008, Nicolas Sarkozy annonçait devant les parlementaires sud-africains, que la France étudierait les modalités de son retrait militaire d’Afrique. Six ans plus tard (2014), il n’en est rien. Et le nouveau livre blanc du ministère français de la défense, sur la défense et la sécurité nationale, conçu à la demande du Président  François Hollande en 2013, ne l’évoque pas non plus. Dans le même livre, il apparaît toutefois clairement que : "les nombreux partenariats stratégiques de la France, ainsi que les partenariats de défense conclus avec plusieurs pays, confortent sa position d’influence au niveau mondial", ce qui expliquerait le consensus affiché en la matière, sous toutes les présidences de la cinquième République, quelle que soit la mouvance au pouvoir. Ce constat pousse également à se demander si la France se retirera un jour des pays africains où ses forces sont stationnées.

Sous le gouvernement de Lionel Jospin, le processus de désengagement de l’armée française d’Afrique était amorcé à la fin des années 1990, sous la formule « Ni ingérence, ni indifférence », puis élargi sous Sarkozy (révision des accords de défense, fermeture de certaines bases en Afrique). A cette époque déjà, " la France ne souhaitait plus intervenir en Afrique subsaharienne qu’en appui d’efforts africains et dans un cadre multinational ". Par ailleurs, elle devait participer au renforcement des capacités africaines de maintien de la paix, c’est-à-dire, œuvrer à la conception de bataillons africains équipés et entrainés par la France.

Aujourd’hui (sous la présidence Hollande), ce processus est simplement suspendu, au nom des nouvelles menaces, notamment « terroristes ». Au point de se demander si la recrudescence de l’insécurité, et le décuplement de groupes armés dans la bande sahélo-saharienne d’Afrique, n’était en réalité pas stratégiquement opportune pour la France. Car cette conjoncture lui confère une légitimé irrécusable d’être militairement présente au Sahel, d’autant plus que dans le cas malien, l’assistance française fut implorée par l’Etat et l’ensemble de la population malienne. Les troubles sécuritaires dans certaines contrées africaines paraitraient ainsi propices à la stratégie militaire française à l’égard de l’Afrique.

Par ailleurs, la France a une importante part de responsabilité dans la promotion de l’islamisme dans le Sahel, et ce n’est sans doute pas en ignorant les conséquences. Le 22 Février 2003, 32 touristes européens sont pris en otage par le Groupe Salafiste pour le Prédication et le Combat (GSPC) dans le sud Algérien. Après de longues négociations pilotées par l’Etat malien, 17 d’entre eux seront relâchés en Algérie, 14 au Mali, contre le versement d’une rançon, et le dernier mourra en captivité. A partir de ce précédent, l'ensemble des otages européens enlevés en Algérie, en Mauritanie, et au Niger sont immédiatement transférés au Mali dans le but d’entamer des négociations.

Le 18 Février 2010, en échange de l’otage français Pierre Camatte qui était détenu par AQMI, le Mali aurait, sous la pression française, accordé la liberté à quatre terroristes – Mohamed Ben Ali, 31 ans et Tayed Nail, 29 ans (Algériens), Houti Karito, 26 ans (Burkinabé) et Beib Ould Nafa, 25 ans (Mauritanien) – qui avaient été appréhendés neuf mois plus tôt à Tessalit. Cette libération s’est faite au mépris de l’Algérie et de la Mauritanie qui réclamaient l’extradition de leurs ressortissants parmi les terroristes libérés. En guise de protestation, l’Algérie et la Mauritanie ont rappelé leurs ambassadeurs à Bamako. Selon Nicolas Sarkozy, Président français au moment des faits, le Président malien Amadou Toumani Touré a pris la « bonne décision ». Quelques mois après leur libération, ces mêmes personnes auraient été impliquées à nouveau, dans un enlèvement de touristes occidentaux.

Le 29 octobre 2013, quatre otages français qui avaient été enlevés le 16 septembre 2010 à Arlit au Niger sont libérés. Si le gouvernement français nie le versement d’une rançon, plusieurs sources font état du versement d’une vingtaine de millions d’euros aux ravisseurs.

La situation paraît d’autant plus confuse qu’Ahmada Ag BIBI[1] serait celui qui, par ses rapports parentaux avec le chef d’Ansar Ed Dine, a permis la libération des quatre otages. Selon Soumeylou Boubeye Maiga, Ministre malien de la défense, « Ce qui est important c’est la libération des otages qu’il y ait eu versement de rançon ou pas ». Selon lui, « cela ne change rien au fond du problème qui reste la lutte contre les groupes terroristes ».

Si le ministre malien de la défense semble banaliser la question, ce sont là des actes, qui, pendant plusieurs années, ont encouragé et rétribué les forfaits de groupes terroristes dont le but est clairement de déstabiliser la région sahélo-saharienne.

Le versement traditionnel de rançon par la France aux groupes terroristes ne fait que renforcer ces derniers, et accroît l’insécurité des ressortissants français dans certaines parties du monde, car ils sont bankables, c’est-à-dire des valeurs sûres pour les preneurs d’otages. L’idée qui est soutenue n’est pas d’abandonner les otages français aux mains de leurs geôliers, mais la question qui se pose est : si la France n’avait pas participé à inscrire les enlèvements au rang des activités mafieuses les plus rentables dans le Sahel, ses ressortissants ne seraient-ils pas moins en danger ?

Nous sommes là face à une situation où la France déploie d’importants moyens financiers pour libérer ces otages, et finit par déployer d’importants moyens militaires pour combattre des groupes qu’elle a elle-même  armés. Lors de l’assaut des groupes djihadistes sur Konna, le 9 janvier 2013, (assaut qui a suscité l’intervention militaire française), située à 70 kilomètres de Mopti, limite que l’armée malienne souhaitait rendre infranchissable, le dispositif militaire et logistique déployé par ces groupes était impressionnant. Il leur a fallu mobiliser des centaines d’hommes lourdement armés, des centaines de véhicule 4X4 tout terrain spécialement équipés pour les combats, des milliers de litres de carburant. D’où la nécessité de se poser la question suivante : d’où puisent-ils tous ces moyens ?

                                                                              Boubacar Haidara

 

 

[1] Ancien député malien, leader du Haut conseil unifié de l’Azawad (HCUA), et candidat du parti présidentiel (RPR) aux législatives de 2013 dans la localité d’Abeibara.

Serval: prémisse d’une présence militaire française définitive au Mali (1)

Soldats Français en partance pour Bamako - Opération ServalLes chuchotements, concernant la conclusion d’un accord militaire franco-malien, semblent timidement augurer une longue présence militaire française au Mali, voire définitive. Lorsque la France intervenait militairement au Mali, les autorités françaises ont dévoilé le calendrier de la force Serval qui, à terme, devait laisser place aux forces maliennes et africaines. La force Serval avait été engagée dans le pays pour une mission bien déterminée et avait vocation à se retirer. En aucun cas sa présence sur le territoire malien ne s’inscrivait dans le long terme. « La France n’a pas vocation à rester au Mali », disait d’ailleurs le président François Hollande. Mais quand nous entendons le ministre de la Défense M. Le Drian, à propos de l’accord en passe d’être signé avec le Mali, dire : « les relations militaires entre le Mali et la France sont appelées à se pérenniser et l’objectif commun de lutte contre le terrorisme sera inscrit dans cet accord qui ira au-delà d’une simple coopération de défense classique. Et Serval servira de force de réaction rapide à l’armée malienne », on peut alors se demander si elle se retirera un jour..

Pourtant, un an plus tôt, il n’était point question de perpétuer une force militaire française au Mali. Jean Yves Le Drian lui-même déclarait : « On n'a pas vocation à rester, on a vocation à progressivement transférer nos responsabilités militaires aux forces africaines et aux forces maliennes qui sont en ce moment en voie de reconstitution ».

Quelques jours avant la célébration de la fête de l'armée malienne (20 janvier 2014), avec invité d'honneur Jean-Yves Le Drian ministre français de la défense, la signature imminente d'un accord de coopération militaire franco-malien était annoncée et relayée par l'ensemble de la presse malienne. Dans le but de l'instauration pérenne de la sécurité dans le Nord- Mali, et pour éviter que le pays soit à nouveau sujet aux attaques djihadistes et terroristes, les nouvelles autorités maliennes issues de la période post-crise, envisageraient ainsi de sceller avec la France un accord de défense. Soumeylou Boubèye Maiga, ministre malien de la Défense disait qu’il : « s’agit d’envisager la présence des unités françaises sur la base d’un support politique et juridique qui puisse prendre la forme d’un accord militaire ».

Comme annoncée dans la presse malienne, l’accord en question devrait se concrétiser par l’installation d’une base militaire française à Tessalit, dans la région de Kidal, qui a la réputation d'être une zone stratégique, longtemps convoitée par les puissances étrangères. Même si elles étaient très minoritaires et peu relayées, des voix s’étaient pourtant élevées au moment de l’intervention de la France au Mali, pour dénoncer derrière la mission humanitaire, une stratégie française de se maintenir militairement au Mali. Aminata Dramane Traoré, ancienne ministre malienne s’était opposée à l’intervention militaire française au Mali. Selon elle, « Derrière l’humanitaire, c’est une guerre de positionnement pour défendre des intérêts géopolitiques – contre le terrorisme- mais aussi pétroliers et miniers – le Mali a des ressources naturelles convoitées ». La situation actuelle, telle qu’elle tend à se dessiner, convergerait ainsi avec les idées de ceux qui ont interprété la déstabilisation du Nord-Mali comme étant un prétexte ayant également pour objectif, l’installation d’une base militaire française dans cette région du Mali.

N y a t-il pas d'autres moyens pour aider le Mali à sécuriser ses régions en proie au terrorisme, que par l'installation d'une base militaire étrangère notamment française? Prévu pour être paraphé le 20 janvier, jour de la fête de l’armée malienne, la signature dudit accord, sous la pression de certaines forces politiques maliennes, a finalement été repoussée à une date ultérieure. Lors d’une conférence de presse organisée le 17 janvier 2014, les leaders du Mouvement populaire du 22 mars (MP22) se sont opposés à la signature de cet accord qui se profilait, et ont alerté la population sur les conséquences d’un tel accord pour le Mali. Soumaila Cissé, chef de l’opposition malienne, souhaite, quant à lui, qu’un accord de défense franco-malien passe d’abord par l’approbation du Parlement.

Au moment où la France, par la voix de ses autorités, n'entend elle-même plus être le gendarme de l'Afrique, dans une logique de crédibilité, un accord militaire avec le Mali devrait plutôt se matérialiser par des assistances matérielles, techniques et par des formations à l’endroit des militaires maliens, plutôt que par l’installation d’une base militaire française. Si la France veut réellement aider le Mali en particulier, et les pays d’Afrique en général, elle devrait plutôt œuvrer au renforcement de leurs capacités militaires. L'idée développée par François Hollande lors du sommet de l'Elysée (les 6 et 7 décembre 2013), de former et d'équiper 20 000 soldats africains chaque année pour constituer une force d'intervention rapide sous l'égide de l'Union africaine, semble être une option préférable à l’installation de bases militaires françaises au Mali, ou n’importe où ailleurs en Afrique. La présence militaire française en Afrique constitue en réalité un gage de domination politique, économique et reste une forme d’ingérence de la France dans les affaires internes de ses anciennes colonies.

Boubacar Haidara

La gloire des imposteurs, d’Aminata Traoré et Boubacar B. Diop

book_234Certains livres méritent qu’on s’arrête sur rayon, qu’on cède au désir d’en connaître le contenu, ne serait-ce que parce que le menu est annonciateur de rupture, d’originalité et par conséquent de discours nouveaux. L’éditeur français Philippe Rey s’est associé au projet de voir deux intellectuels africains de premier plan pousser leurs réflexions, dans le cadre d’un échange épistolaire sur près de deux ans. Cet échange porte sur des faits qui ont marqué récemment le continent africain, plaçant ce dernier au cœur de l’actualité internationale : le « printemps » arabe (avec une acuité particulière portée sur l’épisode libyen) et la longue crise malienne. Aminata Dramane Traoré (1), altermondialiste déterminée, essayiste, ancienne ministre de la culture au Mali a pris le temps d’échanger durant près de deux ans avec le romancier et essayiste sénégalais Boubacar Boris Diop, auteur du fameux Murambi, Le livre des ossements et du roman en ouolof Doomi Golo.

Avant d’aborder le fond de leur échange, il est important de marquer la singularité de cette démarche et d’une certaine manière, la confiance qui a forcément porté les deux protagonistes dans cette prise de parole pour le moins atypique. Pour plusieurs raisons. Si les sociétés africaines ne sont pas plus patriarcales qu’ailleurs, il est quand même pertinent de souligner cet échange épistolaire entre un homme et une femme. Il traduit un respect profond que l’un accorde au propos de l’autre, respect dépassant la question du genre. Un second point est celui de voir deux intellectuels assez posés pour prendre l’initiative du débat et ne pas se laisser emporter dans des réactions assez récurrentes comme ce fût le cas avec La réponse de l’Afrique à Sarkozy ou Négrophobie. Les auteurs du livre ont plutôt été percutés de plein fouet par les événements, engageant les auteurs à développer une parole à la fois élaborée et épidermique orientant le cadre de leur discussion.

Sur le fond, Aminata Dramane Traoré et Boubacar Boris Diop entreprennent cette correspondance alors que le printemps « arabe » bat son plein en Afrique du nord, que des barques de fortune chavirent ou coulent dans la Méditerranée ou l’Atlantique avec de nombreux migrants en quête d’un avenir fait d’espoir. Aminata Traoré a traité la question dans un livre sous le concept de Migrance traduisant ces migrations de population prenant la forme d’errance dans le Sahara ou sur les grandes eaux. Boubacar B. Diop prend le soin de déconstruire ce mouvement naturel en rappelant que l’Eldorado attendu peut se montrer cruel. La chasse aux modou-modou en Italie l’interpelle. L’Europe fascisante tue. Mais dans le regard de l’intellectuel sénégalais, il y a la question du traitement de l’information, en particulier par les médias des pays des ressortissants traqués, en l’occurrence le Sénégal. Cet échange commence donc sous l’angle des responsabilités africaines, ces hommes qui partent en quête d’un espace de vie meilleure.

« Alors, voir des jeunes dans la force de l’âge engloutis par l’océan, eh bien, c’est triste, ça bouleverse pendant quelques heures, mais au final on se sent surtout impuissant, on tourne les yeux vers l’autre côté et la vie continue. »

Ces mots de Boubacar Boris Diop dans sa lettre du 8 janvier 2012, souligne l’indifférence du pouvoir politique, des médias africains. D’une certaine manière, et en filigrane, on se pose la question de savoir avec Boubacar B. Diop si la préoccupation de ces vies qui disparaissent concernent plus les pouvoirs publics européens que ceux du continent africain.

aminata_D_Traor___1_1__805997327Il est intéressant de remarquer que la première correspondance d’Aminata Traoré intervient après le coup d’état de Mars 2012, mené par le capitaine Sanogo. Il est important pour l’auteure de signifier l’antériorité de ce projet de correspondances. Cela étant précisé, les événements douloureux dans son pays vont fortement centrer le regard d’Aminata Traoré sur le Mali faisant de cet aspect de la correspondance le noyau d’un atome autour duquel la pensée de Boubacar Boris Diop, tel un électron, va graviter tout en apportant une ouverture intéressante de son propos au reste de la sous région et du continent. Pour revenir sur ces lettres sur le Mali, elles permettent au lecteur de mesurer l’impact du coup d’état, son évidence, quand on prend une meilleure connaissance du massacre d’Aguelhok(3), de la marche des femmes du camp militaire de Kati sur Bamako, la prise de contrôle de la rébellion du Nord par les islamistes. Ces lettres tentent d’expliquer la reconnaissance enthousiaste et l’accueil triomphal du peuple Malien  fait aux éléments de l’Opération Serval.

L’angle d’attaque d’Aminata Traoré est avant tout celui de la souveraineté nationale. Du moins son absence en ce qui concerne la crise malienne. Celle-ci, au-delà d’être le jouet d’un asservissement décrié à l’endroit de l’ancienne métropole, est soumise au diktat des tenants de la mondialisation. Venant de l’altermondialiste, cette posture était relativement attendue de l’ancienne ministre malienne de la culture. Le propos de la femme politique est avant tout d’ouvrir les yeux de ses concitoyens sur ce qu’elle définit comme étant l’imposture française, venant à la rescousse d’un peuple malien tout prêt de basculer sous la férule islamiste. L’imposture du pompier pyromane ayant déstabilisé la Libye voisine, pour s’ériger en libérateur du Mali.

Si Aminata Traoré porte un regard critique sur les responsabilités maliennes, elle semble plus se centrer sur les entraves posées sur son action politique et la réduction d’une influence qui visiblement gênait les barons de la place malienne. Elle ne s’attelle pas à proposer une analyse plus profonde de la faillite de l’élite et de la soldatesque malienne. Mieux, si la gestion paternaliste et « consensuelle » d’Amadou Toumani Traoré est critiquée du bout des lèvres, il est tenté de rappeler l’exploit unique en son genre d’avoir résisté à une collaboration contrainte pour le rapatriement des illégaux maliens de France vers leur terre d’origine. Ce mélange de genre brouille la révolte de la grande dame du Mali. L’ambiguïté de la position française à Kidal, donne du grain à moudre à l’interlocutrice de Boubacar Boris Diop. On aura compris que dans cet échange épistolaire par deux figures de la place africaine francophone, le sujet du Mali, prenant en otage ces rédactions, réduit la portée de l’analyse d’Aminata Traoré.

DiopBoubacar B. Diop peut ainsi donner plus de relief aux points développés par Aminata Traoré. Mieux, il tente de pousser la réflexion dans une pensée plus globale, plus panafricaine rappelant les thèses de Cheikh Anta Diop dont il revendique un profond héritage. Il développe son regard sur les printemps arabes, en observe les dérapages funestes au Mali. Le propos de l’intellectuel est percutant sur chaque point qu’il veut bien soumettre au crible de son analyse. Un chat est un chat, il ne saurait l’appeler autrement. Dénoncer ainsi l’imposture française au Mali, regrettant l’ignorance des peuples maliens acclamant l’ancien maître venu en libérateur, il déporte son propos au Rwanda pour offrir un autre type de posture qui, selon lui, n’est malheureusement pas assez peu reconnu par les africains eux-mêmes. Celle de Kagamé, despote éclairé qui redresse le Rwanda après le génocide tutsi dans ce pays. Naturellement, citer le Rwanda quand on échange sur les interventions françaises en Afrique, c’est lourd de sens, l’essayiste sénégalais en a conscience et cela donne de la force à son propos soulignant une réelle liberté de pensée trop rare dans l'espace francophone.

Il parait essentiel de se faire une idée sur cet ouvrage original, écrit dans le feu de l’action et qui, lorsqu’on observe la situation actuelle en Centrafrique, ne manquera pas de faire cogiter.

LaRéus Gangouéus

La gloire des imposteurs, Aminata Dramane Traoré et Boubacar Boris Diop

Editions Philippe Rey, 1ère parution en janvier 2014

(1)Aminata Dramane Traoré : Femme politique et auteure malienne, Aminata Dramane Traoré est également une militante altermondialiste engagée dans le combat contre le libéralisme et le néocolonialisme. Ses œuvres, notamment Le Viol de l’imaginaire, L’Étau et, tout récemment, L’Afrique humiliée, en font une voix singulière et essentielle pour comprendre les enjeux économiques et culturels de notre temps.

(2) Boubacar bos Diop : Il est l’auteur de nombreux ouvrages, notamment : Thiaroye terre rouge (théâtre, L’Harmattan, 1981), Les tambours de la mémoire (roman, Nathan, 1987, et L’Harmattan 1990), Le Cavalier et son ombre (roman, Stock, 1997, et Philippe Rey, 2010), Murambi, le livre des ossements (roman, Stock, 2000), Négrophobie (essai en collaboration avec Odile Tobner et François-Xavier Verschave, Les Arènes, juin 2005), Kaveena (roman, Philippe Rey, 2006), L’Afrique au-delà du miroir (essai, Philippe Rey, 2007), Les petits de la guenon (roman, traduit librement de son roman en wolof Doomi Golo par Boubacar Boris Diop lui-même, Philippe Rey, 2009).
Il a collaboré à l'ouvrage L'Afrique répond à Sarkozy. Contre le discours de Dakar, publié par nos soins en février 2008. Il a également contribué à des collectifs de nouvelles (Les chaînes de l’esclavage, Massot, 1999 ; L’Europe vue d’Afrique, Le Figuier, Bamako) et à des scénarios de films (Le prix du pardon de Mansour Sora Wade, Un amour d’enfant de Ben Diogaye Bèye).

(3) 82 prisonniers issus des rangs de l'armée malienne sont exécutés par des rebelles du nord Mali

Afrique du Nord, Adieu!

Le déclenchement de l’Opération « Serval » des forces armées françaises au Mali, marque une étrange, mais tellement prévisible, défaite de l’Afrique (du Nord).
 
Lancée le 11 janvier 2013, cette opération a trois objectifs, selon les informations communiquées par le ministre de la défense français Jean-Yves Le Drian,  :
 
  1. « arrêter l’offensive en cours des groupes terroristes et djihadistes ;
  2. empêcher leur avancée vers Bamako qui aurait pu menacer la sécurité du Mali ;
  3. assurer la sécurité des ressortissants français ainsi que des Européens. »

 

Soldats Français en partance pour Bamako - Opération Serval
 
 
On l’aura compris, il ne s’agit pas rétablir « la paix » ou « l’intégrité territoriale » du Mali. Ce boulot, ils le laissent « aux Africains ». Mais lesquels, exactement ?
 
Ce sont, au bas mot, un demi-millier de soldats français, une vingtaine d’avions, environ le double de blindés, un nombre non-spécifié de véhicules de transport militaires et quelques dizaines d’agents-instructeurs et de renseignement que la France entend déployer au Mali, pour une durée encore indéterminée. La Grande Bretagne mobilise des avions de transports militaires C17 et des drones américains seraient déjà sur le théâtre des opérations. Deux jours à peine après le lancement de l’opération, on dénombre un soldat français mort (le lieutenant Damien Boiteux), un blessé et un hélicoptère hors service.
 
Quelques questions méritent d'être posées :
 
Pendant que des soldats de l’ancien empire colonial risquent leur vie pour empêcher la transformation du Mali en sous-préfecture du califat djihadiste, que font l’Algérie, le Maroc, la Tunisie et la Mauritanie ?
 
A quoi sont employés les  130 hélicoptères de combat des forces aériennes algériennes ?
 
Hormis les sporadiques raides au Sahara occidental que fait le Maroc de ses 50 Mirage ?
 
A quoi servent les 200 chars Abrams de son armée de terre[1] ? La vingtaine d’avions de combat F16 ? Les 24 avions d’entraînement et les trois hélicoptères ? Les bombes à guidage laser? Et les 2 milliards de dollars dépensés pour l’acquisition de 16 nouveaux F16 ?[2]
 
Et les 5 milliards de dollars que dépense l’Algérie, chaque année, pour son armée[3] ?
 
Où sont les F-5 de la Tunisie ?
 
[ Voir ici le Panorama des forces aériennes au Sahel Tiré du World Air Forces 2011/2012 | Flightglobal Insight]
 
Tout cet armement, tout cet argent dépensé, pour quoi, exactement ? Pour la parade[4] ?
 
Oh l’armée malienne est indéfendable, pour sûr. Il faudra la reconstituer, c’est certain. Le système politique malien est brisé. Et ce n’est pas de gaieté de cœur qu’on voit les soldats de la CEDEAO s’apprêter à mourir pour le Mali. Mais s’il est bien une région directement concernée par le succès ou l’échec de la poussée djihadiste au Mali, c’est bien le Sahel. Et les puissances économiques et militaires de cette région prouvent encore une fois leur incapacité à prendre l’Afrique subsaharienne au sérieux. On en est réduit à dépêcher des soldats Nigériens, en attendant que soient mobilisés ceux du reste de la CEDEAO… C’est dire l’état de la région.
 
A quoi s'attendent exactement les gouvernements des pays du Maghreb?
 
Qu'après le Mali les Djihadistes s'orienteront vers le Bénin? Il est évident qu'un Mali transformé en nouvelle Somalie laisse le Niger, son Uranium, son armée débilitée et sa tradition de coups d'état, à portée de canon. Et au delà, les reliquats du "khadafisme", les mouvements intégristes difficilement maîtrisés dans la région auront, de fait, une base arrière solide – probablement reconnue par l'UA. Se contenter d'ouvrir son espace aérien ( comme le fait l'Algérie) est à ce point en deçà de l'urgence de la situation qu'on ne sait s'il s'agit d'ignorance ou de sabotage. 
 
Et ce n’est pas faute d’avoir sollicité les pays du Maghreb. L’argument pré-mâché de « l’arrogance » occidentale ici fait long feu. Tout au long de l’année 2012 les Etats-Unis et la France n’ont cessé de démarcher l’Algérie, de convaincre ses autorités de participer à la préservation d’un semblant d’intégrité territoriale chez ses voisins[5], en vain. La diplomatie « souterraine » défendue par Alger (contre le « forcing militaire[6] » de Paris) a bien des raisons de se rester cachée – elle est honteuse : avec la pompe qui caractérise les grands moments de lâcheté, la Tunisie, la Libye et l’Algérie viennent d’annoncer un plan de coopération afin de renforcer la surveillance de leurs frontières[7]. Frontières mises en danger, par la « crise » au Mali – et encore plus, on le devine aisément, par « l’intervention française ».
 
Après le fiasco de l’intervention de l’Otan en Libye – fiasco pour l’UA[8] qui jusqu’au dernier moment n’a pas pu se résoudre à condamner l’usage de la force contre des civils -, l’apathie de l’ONUCI et de l’ECOMOG au plus fort de la crise ivoirienne de 2011, les Africains, dans leur ensemble, devraient se sentir morveux de devoir recourir encore une fois aux forces de l’ancienne puissance coloniale pour se sortir du pétrin. L’Afrique du nord, encore plus que le reste. Qui oserait, aujourd’hui, reprendre le cri de cœur d’Alpha Blondy : « armées françaises, allez-vous en de chez nous? »
 
Une cinquantaine d’abrutis manifestent devant l’ambassade de France à Londres contre l’intervention des forces françaises. Non pas par anti-impérialisme, mais en défense d’un autre impérialisme : l’imposition de la sharia à l’échelle planétaire[9].
 
Les affiches confiées parfois à des fillettes portant le voile lisent « Les musulmans arrivent ». On aimerait y croire…
 

Joël Té-Léssia


 

Selon les informations disponibles à l’heure actuelle, le gros des forces françaises mobilisées et mobilisables se résume ainsi[1] :

Matériel

Troupes

·         Des hélicoptères Gazelle du 4e régiment d'hélicoptères des forces spéciales (nombre non-spécifié)

·         2 Mirage F1 CR de l’Escadron de reconnaissance 1/33 Belfort

·         6 Mirage 2000D de l’Opération “Épervier”  basée au Tchad

·         3 Boeing KC-135 Stratotanker – avions de ravitaillement en vol

·         1 Hercule C-130

·         1 avion de transport Transall

·         Des Rafale du régiment Normandie-Niemen (nombre non-spécifié)

·         1 compagnie du 21e Régiment d’Infanterie Marine

·         1 peloton du 1er 1er Régiment Étranger de Cavalerie de la Légion étrangère

·         1 compagnie du 2e Régiment d'Infanterie de Marine

·         2 compagnies du  2e Régiment étranger de parachutistes.

·         200 militaires du groupement « terre » de la force Epervier (basée au Tchad) préparés à rejoindre Bamako