Sénégal : une configuration politique inédite à 3 mois des élections présidentielles

Avec son objectif de rempiler un nouveau mandat présidentiel contre les dispositions de la Constitution, Abdoulaye Wade a paradoxalement trouvé deux alliés de taille : Ousmane Tanor Dieng, secrétaire général du Parti Socialiste (PS) et Moustapha Niasse, secrétaire général de l’Alliance des Forces du Progrès (AFP), les deux principaux partis de l’opposition.

L’inimitié que se vouent Ousmane Tanor Dieng et Moustapha Niasse obstrue tous les efforts de l’opposition et l’empêche sérieusement de faire front commun contre Abdoulaye Wade. Cette animosité mutuelle ne cède en effet à aucun intérêt supposé supérieur de la nation. L’incapacité de la coalition des partis d’opposition Benno Siggil Senegal de trouver un candidat unique – Niasse et Tanor ayant tous deux fini par se porter candidat – est la preuve que ces deux leaders ne sont capables d’aucun esprit de dépassement au moment où les populations souffrent plus que jamais du régime d’Abdoulaye Wade. Il y a trois  semaines, à la sortie du Conseil des ministres, le président Wade a même conseillé à Tanor et à Niasse de faire de lui le candidat de l’opposition pour les élections présidentielles du 26 février 2012! Sacré toupet ! Pourtant, à y regarder de plus près, les trois hommes ont plusieurs points communs.

Abdoulaye Wade, Ousmane Tanor Dieng et Moustapha Niasse : le même échec

D’abord, Tanor et Niasse hier, tout comme Abdoulaye Wade aujourd’hui, ont pris part à l’exercice du pouvoir sans succès particulier, pour ne pas dire avec un échec retentissant. Ensuite, ils partagent une même logique de gestion de leur parti politique, conçu comme un appareil privé au service de son principal bailleur de fonds. Enfin, ils n’incarnent plus, si tant est qu’ils l’eussent fait par le passé, le désir d’avenir de la jeunesse sénégalaise. Il existe aujourd’hui, plus qu’un besoin d’alternance politique, un besoin d’alternance générationnelle qui ne saurait tolérer qu’un vieillard de 90 ans soit remplacé par un compère sexagénaire.

Sénégal : un besoin de projection vers l’avenir et de leadership

En effet, qu’attend le Sénégal de sa prochaine élection présidentielle si ce n’est que le vainqueur possède tout au moins deux dispositions fondamentales : la capacité à incarner le désir d’avenir de la jeunesse et le sens du leadership ?

S’il y a une chose qu’on retiendra de l’année 2011, c’est sans doute le refus des peuples de confier la marche de leurs nations à des élites complètement déconnectées de leurs réalités sociales et économiques. Les révolutions du Jasmin et du Nil, la chute du colonel Kadhafi, et même le mouvement des Indignés qui n’a pas fini de secouer l’Europe et les Etats-Unis, participent de cette tectonique ambiante qui fera de plus en plus trembler tous les pouvoirs. Le Sénégal n’y échappera pas tant que sa classe politique ne se sera pas renouvelée pour être davantage en phase avec les aspirations des populations. Dans cette perspective, l’âge sera un facteur discriminant qui devrait écarter Abdoulaye Wade (85 ans officiellement, mais en réalité plutôt 90 ans), Moustapha Niasse (72 ans) et Ousmane Tanor Dieng (64 ans) pour mettre en avant des candidats comme Idrissa Seck, Macky Sall ou encore Cheikh Bamba Dièye.

Etre apte à incarner les aspirations d’un peuple n’est cependant que d’un piètre intérêt si cela ne s’accompagne pas d’une disposition particulière à ouvrir des voies prometteuses et à amener le pays tout entier à les emprunter. On notera d’ailleurs que les solutions économiques pour placer le Sénégal sur la voie du développement sont largement connues. L’enjeu réside plutôt dans l’aptitude à les mettre en œuvre de façon efficace.  Pour cela, il faudra aussi que le prochain président sache rassembler bien au-delà de son camp politique et mobiliser différents talents, y compris ceux issus de la diaspora.

Sur ce point également, Abdoulaye Wade, Ousmane Tanor Dieng et Moustapha Niasse ont jusque là fait preuve de sectarisme et d’absence de dépassement dans leur gestion du pouvoir au niveau étatique pour le premier et au sein de l’opposition pour les deux autres.

A contrario, Idrissa Seck et Macky Sall ont envoyé des signaux intéressants au cours des derniers mois. Par exemple, en sortant du cadre stricto sensu de son parti pour nommer Léna Sène directrice de sa campagne, Idrissa Seck envoie un double message qui rencontre un écho non négligeable chez bon nombre de Sénégalais. En confiant la coordination de sa campagne à cette diplômé d’Harvard, Idrissa Seck entend valoriser les qualités intellectuelles de l’une des Sénégalaises les plus brillantes de sa génération, là où au PDS on fait la promotion de bouffons comme Farba Senghor et on compte sur des lutteurs corrompus à coup de millions pour mobiliser l’électorat wadiste. En réussissant à convaincre Léna Sène de se plonger dans l’arène politique sénégalaise, Idrissa Seck envoie aussi un signal fort à la diaspora à laquelle il entend redonner le goût d’une implication plus forte dans le développement économique du Sénégal. En ces temps où la France renvoie les diplômés étrangers de ses meilleures écoles et universités, de plus en plus de jeunes Sénégalais de la diaspora devraient être sensibles à ce message.

Abdoulaye Wade, Idrissa Seck et Macky Sall dans le même panier : une vraie confusion

Hélas, Idrissa Seck et Macky Sall font encore auprès de beaucoup de sénégalais les frais de leur compagnonnage avec Abdoulaye Wade. C’est cependant une erreur majeure que de penser que le choix à l’élection présidentiel de février 2012 devra se faire entre le camp libéral au pouvoir depuis 2000 dans lequel on range Abdoulaye Wade, Idrissa Seck, Macky Sall d’une part et d’autre part le camp de l’opposition traditionnel avec notamment Ousmane Tanor Dieng et Moustapha Niasse. Idrissa Seck et Macky Sall, quand bien même ils sont issus des rangs du pouvoir libéral actuellement en place, incarnent une projection vers l’avenir et une aptitude à mener résolument le Sénégal sur le chemin du développement. Cette conclusion confirme par ailleurs l’échec sidérant des partis traditionnels, comme le Parti Socialiste (PS), le Parti Démocratique Sénégalais (PDS) et l’Alliance des Forces du Progrès (AFP), à faire émerger en leurs seins de futurs leaders pour le Sénégal.

L’élection présidentielle de février 2012, qui soulève aujourd’hui beaucoup de zones d’ombres, sera vraisemblablement inédite dans l’histoire politique du Sénégal. Elle devrait réunir un Président sortant de 90 ans candidat contre les dispositions de la Constitution, deux de ses anciens Premiers Ministres, une opposition traditionnelle sans leader et probablement le sénégalais en vie le plus connu dans le monde, l’artiste et homme d’affaires Youssou Ndour. Et cette compétition inédite risque de s’effectuer sous l’épée de Damoclès de Dame violence. Les prochains mois de la démocratie sénégalaise sont plus qu’incertains.

 Nicolas Simel

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Idrissa Seck, prétendant à la présidence de la République du Sénégal

Dès la création du Parti Démocratique Sénégalais (PDS) en 1974, le jeune Idrissa Seck, alors âgé de 15 ans, devient militant aux côtés d’Abdoulaye Wade. Le jeune Seck gravit rapidement les échelons et devient le directeur de campagne du candidat Abdoulaye Wade lors des élections présidentielles de février 1988. Il sera d’ailleurs emprisonné à la maison d’arrêt de Reubeus au lendemain de ces élections émaillées de violences. Alors que plusieurs poids lourds du PDS (Ngom, Dias, Serigne Diop) quittent le parti dans les années 90, Seck en devient le seul vrai numéro deux derrière l’inusable Wade. A la faveur d’un accord consacrant l’entrée du PDS dans un gouvernement élargi, « Idy » -comme l’appellent ses compatriotes- devient Ministre du Commerce et de l’Industrialisation en mars 1995. Il quittera son poste en mars 1998, préparant le terrain pour une nouvelle candidature d’Abdoulaye Wade en vue des Présidentielles de 2000.

L’Homme de l’ombre (1999-2002) :

Alors que l’opposant Wade décide de s’offrir une préretraite en France après plus de 25 ans d’opposition, Idrissa Seck le convainc de (re)venir livrer un dernier combat politique. En effet, encouragé par les nombreuses fissures de l’édifice socialiste (défections de Moustapha Niasse et Djibo Kâ notamment) Idy est persuadé que l’heure du PDS et de son leader Wade est arrivée. Endossant le rôle de directeur de campagne pour son « père » comme il aime à appeler Wade , Seck initie avec son mentor les fameuses marches bleues lors de la campagne de 2000. Avec l’élection de Wade au second tour face au sortant Diouf, de nombreux observateurs s’attendaient à une entrée remarquée d’Idrissa Seck dans le premier gouvernement de l’alternance. Cependant, désireux de couver son bras droit, le Président Wade le garde à ses côtés en le nommant au poste peu médiatisé de directeur de cabinet. Cantonné au Palais Présidentiel mais bénéficiant également d’un portefeuille de ministre d’Etat (ce qui confère à son titulaire la capacité de traiter directement avec le Président de la République), Idrissa Seck n’en est pas moins un des poids lourds du régime. Il favorise l’ascension de jeunes cadres du PDS comme Macky Sall ou Awa Gueye Kébé et voit se succéder deux premiers ministres en à peine deux ans d’alternance, à savoir Moustapha Niasse dont les voix avaient été décisives dans la victoire de Wade en 2000 et Mame Madior Boye, la première femme à occuper le poste de Premier Ministre au Sénégal.

De Premier Ministre à Premier Ennemi (2002-2007) :

Alors que Wade fait le vide autour de lui en écartant ses alliés de 2000, Seck devient tout naturellement le candidat désigné à la primature. Sa nomination à ce poste a lieu en Novembre 2002. En succedant à Mame Madior Boye, le Premier Ministre Idrissa Seck se positionne clairement en numéro deux de l’Etat et en potentiel successeur de Wade. Alors que ses ambitions politiques grandissent au fur à mesure qu’il s’installe dans son rôle, Seck est débarqué de son poste de premier ministre par Wade en Avril 2004, soit un an et demi après son arrivée à la primature. Fier de son bilan notamment en ce qui concerne les grabs de convergence et les infrastructures, Idrissa Seck se retire dans sa ville de Thies (il en est le maire) dont il avait piloté la rénovation en vue des festivités de l’Indépendance.

Ces travaux publics seront à l’origine de sa mise en accusation par l’Etat en Juillet 2005. Idrissa Seck est alors officiellement poursuivi pour « atteinte à la sûreté de l’Etat » puis pour corruption et malversations financières dans l’affaire des « chantiers de Thiès » et la gestion des fonds politiques. Plongé dans la tourmente, Seck est exclu du PDS en août 2005 et passera un peu plus de 6 mois en prison, toujours à la maison d’arrêt de Reubeus. En janvier puis en février 2006, Idrissa Seck bénéficie tour à tour d’un non-lieu pour le délit d’atteinte à la sureté de l’Etat puis d’un autre pour la gestion des fonds secrets. Libéré dans la foulée de ces décisions, Idrissa Seck annonce , le 4 avril 2006, sa candidature pour la présidentielle de 2007. « Idy » crée ensuite son propre parti « Rewmi » (« le Pays » en Wolof) en Septembre 2006. Il se lance dans la course à la présidentielle tout en annonçant que son compagnonnage avec Wade est désormais derrière lui.

Idrissa Seck arrive second de l’élection présidentielle, remportée haut la main par le sortant Abdoulaye Wade (55% au 1er tour). Plusieurs analystes politiques estiment cependant qu’Idrissa Seck, qui se dit convaincu d’être le « 4eme Président de la République du Sénégal », a laissé passer sa chance avec cette élection, notamment à cause de ses retrouvailles à la veille des élections avec le président Wade. En effet, Wade accorde trois audiences à Seck en fin Janvier 2007, moins d’un mois avant le 1er tour de la présidentielle. Au sortir d’une de ces audiences, Abdoulaye Wade annonce qu’ « Idrissa Seck a accepté de réintégrer le Parti Démocratique Sénégalais ». Seck confirmera cette information le 1er Février 2007 tout en annonçant son intention de maintenir sa candidature pour la présidentielle.

Retrouvailles, tensions et ambitions présidentielles (2007-2011) :

Le jeu des tensions/retrouvailles ne s’arrête pas puisque le président Wade, fort de sa réélection, annonce en mars 2007 la réouverture des dossiers de corruption contre quelques leaders de l’opposition, en tête desquels se trouve Idrissa Seck. Cela n’empêchera pas Idy de féliciter le candidat victorieux Wade, dans une posture jugée à mi-chemin entre celle d’homme d’Etat et celle d’homme politique sous pression, notamment à cause des poursuites judiciaires dont il est l’objet. D’abord accusé par Wade d’avoir détourné 40 Milliards de FCFA (un peu plus de 60 millions d’euros), Seck se réconcilie avec son mentor en janvier 2009, malgré la forte opposition de plusieurs membres du PDS et la Génération du Concret, mouvement formé autour de Karim Wade.

Après une nouvelle victoire aux municipales de Thiès en mars 2009, Seck est totalement blanchi par la justice sénégalaise en mai 2009 à la faveur d’un « non lieu total » dixit ses avocats. Il dissout ensuite son parti Rewmi et réintègre officiellement le PDS, ce qui provoquera quelques levés de boucliers au sein de ses partisans rewmistes. Un temps pressenti pour redevenir premier ministre, voire vice-président (un poste dont il a été question de créer constitutionnellement avant que le projet soit abandonné), Idrissa Seck se contente d’être un membre du comité directeur du PDS, l’instance regroupant tous les poids lourds du parti au pouvoir. N’ayant pas délaissé son ambition de devenir le prochain Président de la République , Idrissa Seck change de stratégie par rapport à 2007 et tente de se présenter en tant que candidat du PDS, « sa famille naturelle » comme il aime à le rappeler.

Barré par Wade qui a annoncé sa candidature des 2009, mais aussi par de nombreux cadres du PDS qui ne souhaitent pas son retour aux affaires, Seck se radicalise et engage un débat interne sur la recevabilité de la candidature du « pape du Sopi » c’est-à-dire d’Abdoulaye Wade. Après plusieurs mois de joutes verbales par presse interposée, Seck et ses adversaires au sein du PDS finissent par solder leurs comptes lors d’un comité directeur où l’exclusion définitive d’Idrissa Seck est votée. Confirmée en avril 2011, l’exclusion d’Idrissa Seck du parti au pouvoir l’a poussé à annoncer sa candidature pour l’élection présidentielle de 2012. Si la candidature d’Abdoulaye Wade est validée par le Conseil Constitutionnel, Idrissa Seck fera donc à nouveau face à son « père » lors d’une élection présidentielle.

Idrissa Seck en 2012

Points forts : Une figure connue des Sénégalais, une grande expérience politique malgré sa relative jeunesse (53 ans), un bastion électoral d’envergure (la ville de Thies), une bonne image à l’international, un bon communicant, une frange du PDS lui est encore acquise.

Points faibles : Ses multiples allers-retours auprès du Président Wade, la suspicion populaire sur ses moyens de campagne et l’argent des fonds politiques, la grogne de ses administrés thiessois, son non-positionnement dans un des deux grands blocs (Benno Siggil Sénégal (Opposition) et PDS/AST (Pouvoir), son statut d’ancien du PDS à l’heure où le parti au pouvoir est en perte de vitesse.

Affinités politiques et alliances probables : Idrissa Seck est un libéral : il l’a toujours dit et répété. Même du temps de son grand froid avec Wade, il n’était pas réellement l’allié des opposants phares que sont le PS, l’AFP, le FSD/BJ. Sa tentative avortée de retour au PDS montre bien qu’Idrissa Seck se méfie de l’opposition comme celle-ci se méfie de lui. Il pourrait cependant retrouver dans celle-ci son ancien camarade de parti Macky Sall, lui aussi ancien premier ministre PDS déchu. D’autres personnages comme Cheikh Tidiane Gadio (Ministre des Affaires Etrangères de 2000 à 2009) et Aminata Tall (ancienne responsable nationale des femmes du PDS et Secrétaire générale de la Présidence) pourraient venir gonfler cette alliance. Plus récemment le nom d’Ibrahima Fall, ancien Ministre socialiste et haut fonctionnaire des Nations-Unies, lui aussi candidat en 2012, a été évoqué en vue d’une probable alliance avec Seck. Enfin, l’hypothèse d’un nouveau retour au PDS n’est pas à exclure, notamment si la candidature de Wade est invalide, comme Seck l’affirme.

Article de notre partenaire Njaccar

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