Kgebetli Moele : Chambre 207

Au moment où commence la rédaction de cette chronique, force est de constater que ce livre initie plusieurs ravissements et questionnements à mon niveau. Pour de multiples raisons qu’il serait trop long d’expliciter, l’observation de cette couveuse installée sur la rue Van der Merwe, quelque part à Hillbrow, le fameux quartier de Johannesburg où sévit une violence unique sur le continent africain, cette obsevation disais-je, fut passionnante. Quartier dortoir, mal famé que ses habitants nomment pourtant la cité des rêves.  

Chambre 207, une couveuse 

Six jeunes sud-africains noirs, produits de la période post-apartheid, cohabitent dans une petite chambre miteuse, quelque part dans un immeuble d’Hillbrow. Ils occupent la chambre 207. Pour la plupart, ce sont des éléments rejetés de la grande université Witwatersrand de Johannesburg. Une sortie de route qui, pour nombre d'entre eux, est le résultat des contraintes pécuniaires lourdes imposées pour terminer un cycle d'études. Les ressources intellectuelles ne suffisent pas pour vous venir à bout du mastodonte universitaire censé vous faire toucher les étoiles et exploser le plafond de verre de cette société sud-africaine. Le personnage narrateur raconte en début de texte les profils de ces différents pensionnaires. Tous ne sont pas, cependant, des étudiants désabusés. Ils sont aussi, ethniquement parlant, une vision de cette Afrique du Sud plurielle. Même s’ils sont tous noirs. Sotho. Pedi. Zoulou. Tswana. Il n’y a pas de xhosa, élément intéressant puisque ceux-ci sont l’incarnation du pouvoir politique, valet de la puissance économique blanche. Pour rappel, le livre est paru en 2007 sous le mandat de Thabo  Mbeki.  Cette cohabitation est heureuse. Le dieu Isando règne sur les beuveries consolatrices. Comme toute jeunesse instruite, les pensionnaires de la chambre 207 refont l’Afrique du sud sans misérabilisme, sans désignation d’un coupable à leur sort.

Introspection d’une jeunesse sud-africaine qui se cherche

C’est en effet assez surprenant. Je réalise, en écrivant cette chronique, qu’à aucun moment, Kgebetli Moele ne fait porter au poids lourd du passé, la responsabilité de la situation de ces colocataires fantasques et épicuriens. Chose d’autant plus étonnante, car quand on lit John Maxwell Coetzee, Prix Nobel de Littérature, dans son désormais célèbre roman Disgrâce, les lourdeurs de l’apartheid sont particulièrement marquantes et la peur du lendemain est certaine. Nos anciens étudiants se questionnent sur la condition du Noir (débat singulier sur le continent africain), sa violence, son autodestruction. Aucune histoire ne justifie que des hommes violent un bébé de trois mois, laissent pourrir leur quartier, tirent sans raison sur une foule en liesse lors d’une soirée dansante. Du moins, c'est ce qu'ils se disent sans trop d'illusions. C’est en cela que Kgebetli Moele fait de la bonne littérature et fait des joyeux lurons de cette chambre, des personnages auxquels on peut s’identifier.

Précarité et confort

Il ne sera pas question ici de vous décrire ces personnages que sont Modishi, Molamo, Matome, D’Nice, Zulu-Boy et le narrateur Noko. Chacun cherche des opportunités avec les valeurs qui les guident. Le narrateur tente avec une certaine subjectivité de retranscrire ces figures incarnant une lutte pour la survie. Un combat féroce. Il décrit aussi les contraintes auxquelles ils sont tous soumis. Comme celle, très simple, de faire face aux échéances mensuelles d’un bailleur qu’on ne voit jamais mais qui possède à sa solde une armée d’esclaves pour récupérer son dû. C’est à peine métaphorique. La précarité sied. Le narrateur nous prend par la main pour nous faire marcher dans Hillbrow. Une ville que je me représente comme celle que m’avait décrite mon meilleur ami, likwérékwéré* de son état, comprenez étranger d’origine africaine, qui a failli y laisser sa  vie sur un trottoir. Kgebetli Moele aborde la xénophobie sans état d’âme de cette jeunesse par la bouche de Zulu-Boy.

Je pense que l’élément fort de ce roman, en dehors du style détaché, adapté au discours de ces jeunes, est finalement la sortie de la chambre 207, d’une zone de confort, et finalement d’Hillbrow que certains d'entre eux abhorrent. Et Kgebetli Moele réussit le tour de force de faire passer le lecteur dans une forme de réalité terrifiante. Un même espace. Une incubation commune. Les uns trouvent une voie. D’autres périssent. C’est poignant. C’est touchant. C’est une Afrique du Sud d’aujourd’hui. C’est la vie. C'est de la très bonne littérature.

A propos de cette relation charnelle qui lie JoBurg, Hillbrow à ses habitants :

Bienvenue à Johannesburg. Cette fois tu l'as vraiment sentie, ton sang a été versé et s'est mélangé à son sol. Toi et la ville êtes maintenant en parfaite connexion l'un avec l'autre. Ton sang coule dans ses veines et elle coule dans ton sang. 

Lareus Gangoueus

Chambre 207, Kgebetli Moele – Titre original Room 207 paru en 2006 chez Kwela Books -Traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par David Koënig, en 2010, 269 pages