Panorama des langues africaines

La question des langues en Afrique peut être abordée de multiples manières. Il existe d'abord les langues officielles (exemples, le français au Mali, l'anglais et le swahili en Tanzanie) ; ce sont généralement des langues européennes parfois associées à des langues africaines. Il existe aussi les diverses langues maternelles (exemple, le sérère au Sénégal). Il existe enfin des langues africaines de grande extension adoptées comme moyen d’intercommunication par des communautés différentes. On les appelle souvent « langues véhiculaires » (exemple, le wolof au Sénégal, qui est parlé dans tout le pays, y compris en Casamance). C'est essentiellement dans les pays anglophones que les langues africaines ont un statut officiel (exemple, le tswana au Botswana). Dans les pays francophones, le français est généralement la seule langue officielle. Quant aux « langues véhiculaires », elles se sont répandues soit parce qu'elles étaient les langues d'anciens royaumes de la période pré-coloniale (l'ancien Mali ou l'ancien Kongo), soit parce qu'elles étaient des langues commerciales utilisées par les négociants sur les marchés (le swahili), soit parce qu'elles ont été utilisées par les armées des pouvoirs coloniaux (le lingala au Congo-Kinshasa), soit parce qu'elles étaient la langue de la capitale des nouveaux Etats africains, soit plusieurs de ces raisons à la fois.

Parmi ces langues véhiculaires, on peut citer :
– A l'ouest, le wolof qui se répand dans tout le Sénégal, car il est la langue majoritaire du pays et celle de la capitale, Dakar.
– Puis le mandingue (bambara du Mali, malinké de Guinée, dioula du B.F et de C.I.), qui continue à se propager. Ce fut la langue de grands empires ou royaumes dans le passé ; c'est une langue commerciale au Burkina Faso et en Côte d'ivoire ; c'était la langue la plus utilisée dans les troupes coloniales françaises ; c'est la langue de Bamako, la capitale du Mali.
– Le haoussa, qui est son équivalent plus à l'Est. Il n'a pas encore achevé son expansion et tend à recouvrir l'ensemble du Niger et tout le Nord-Nigeria.
– Le sango, qui est la langue véhiculaire de la Centrafrique. Il s'est formé à partir du yakoma (ou ngbandi) qui était pratiqué par les riverains du fleuve Oubangui et était devenu une langue commerciale. Il fut adopté par les militaires de l'armée coloniale française et se répandit dans tout le territoire de la Centrafrique et même au sud du Tchad. Le sango est la langue courante de Bangui, la capitale de la Centrafrique.
– De même, le lingala qui était une langue pratiquée par les riverains du fleuve Congo au nord de Brazzaville et Kinshasa. Il fut encouragé par les autorités belges en tant que langue commune des forces armées. Actuellement, le lingala est la langue courante de Kinshasa et d'une grande partie de Brazzaville, ce qui favorise son expansion.
– Le swahili, qui était la langue de Zanzibar et de la côte orientale de l'Afrique. Il était utilisé comme langue commerciale avant la colonisation ; par la suite, il fut encouragé par différentes puissances coloniales, ce qui a permis son extension actuelle. D'autant que le gouvernement de la Tanzanie (grâce au président Nyerere) a adopté une position de soutien systématique au swahili. Cela fut favorisé par le fait que les autres langues de la Tanzanie n'étaient pas assez importantes numériquement pour le concurrencer.

Les langues véhiculaires s'imposent comme moyen de communication privilégié dans les grandes villes de l’Afrique noire moderne. Ces mêmes langues se diffusent, par la suite, dans les campagnes. Il faut, par ailleurs, citer le peul qui est une langue très répandue, à cause des migrations de ses locuteurs, des pasteurs nomades qui avaient créé de nombreux Etats dans l'Afrique occidentale précoloniale. Mais le développement actuel du peul est entravé par le fait qu'il se retrouve généralement en concurrence avec d'autres langues africaines, et qu'il ne constitue la langue commune d’aucune capitale africaine. Le peul a donc essentiellement un rôle de langue régionale, par exemple au Nord-Cameroun.

L'éducation

Sous la colonisation, il y eut deux politiques linguistiques différentes selon les Etats colonisateurs. On peut distinguer la politique « latine » et la politique « germanique ». La politique latine fut celle des Français et des Portugais ; la politique germanique fut celle des Anglais, des Belges, des Blancs d'Afrique du Sud et des Allemands. La politique latine, pratiquée par les Français et les Portugais, consistait à n'utiliser que la langue européenne dans l'éducation scolaire et l'administration. C'est-à-dire que la seule langue écrite était le français ou le portugais. Les langues africaines restaient exclusivement orales.

La politique germanique, pratiquée par les Anglais, les Belges, les Blancs d'Afrique du Sud et les Allemands, consistait à associer les langues africaines et les langues européennes. Dans les échelons de base, les langues africaines étaient privilégiées, que ce soit dans l'éducation primaire ou dans l'administration locale. Par ailleurs, on favorisa certaines langues qui semblaient être en expansion ou numériquement plus importantes. C'est ainsi que les Belges choisirent quatre langues africaines pour leur colonie du Congo : le kikongo, le lingala, le tshiluba et le swahili. Le français était peu utilisé par les Belges, d'autant que la majorité des missionnaires et des colons étaient flamands.

Au moment de l'indépendance, les anciennes colonies françaises gardèrent le français comme langue administrative et d'enseignement pour différentes raisons :
– Les nouvelles élites étaient scolarisées en français, et elles étaient plus désireuses de diffuser la science moderne que de préserver les cultures africaines.
– Le modèle à imiter était la France. La priorité était donc d'adopter la langue française.
– Il existait souvent plusieurs langues africaines concurrentes entre lesquelles il semblait difficile de choisir.
– Les langues africaines n'étaient pas assez étudiées ou codifiées pour permettre leur enseignement ou leur utilisation officielle.

De leur côté, les nouvelles autorités du Congo belge (devenu Zaïre par la suite) choisirent d'abandonner les langues africaines en faveur du français, car elles estimaient que les colonisateurs avaient utilisé ces langues pour maintenir les populations locales dans l'ignorance et le sous-développement. A partir du début des années 60, la politique linguistique est donc généralement identique dans les pays francophones d'Afrique (qu'ils aient été colonisés par la France ou la Belgique) : le français est la seule langue utilisée dans l’administration et l'enseignement officiel.
De même, les pays lusophones, après leur indépendance, utiliseront presque uniquement le portugais comme langue administrative et d'enseignement. Les pays anglophones, l'Afrique du Sud et la Namibie continueront pour leur part à associer les langues africaines et l'anglais.

 

Gérard GALTIER, "Les langues africaines, l'éducation et l'édition", 1ère partie de l'article, 

La seconde partie : L'échec du passage à l'écrit des langues africaines

 

Faut-il utiliser les langues nationales à l’école?

S’il est une question lancinante dans le milieu de la recherche universitaire en Afrique c’est bien l’introduction, plutôt l’utilisation des langues nationales à l’école. Un colloque s’était récemment tenu à Dakar (Sénégal) sur le thème « Multilinguisme et Politique des langues en Afrique de l’Ouest Francophone et Anglophone ». Le but avéré était de mettre à profit ce multilinguisme comme défi pour la politique d’éducation. Le postulat de départ était que l’utilisation des langues nationales à l’école serait non seulement un vecteur de la valorisation des langues nationales, mais aussi un moyen de promouvoir la culture africaine. S’il convient de louer et d’encourager une telle finalité, force est de remarquer que cela peut poser des problèmes en pratique.

Les différents pays africains ont pour principale caractéristique ou richesse, serais-je même tenté de dire, d’être dotés d’un vivier linguistique non négligeable. A ce titre, toutes les langues ne peuvent pas être utilisées comme moyen d’enseignement et se posera en conséquence un problème de sélection. Cette sélection n’est toutefois pas souhaitable en ce qu’elle est d’une part source de conflit et d’autre part fait prévaloir une culture sur une autre. Une telle situation serait donc de nature à compromettre les finalités recherchées.

En outre, introduire les langues nationales dans le système éducatif revient à remettre en cause l’utilisation du français, du portugais ou de l’anglais, c’est selon, comme langue officielle. Pourtant ces langues, même si on peut y voir un impérialisme culturel, ont permis d’éliminer toutes les particularités linguistiques. Et en tant que vecteur d’unité, leur maintien s’avère nécessaire.

De plus, le contexte présent de la mondialisation n’est pas propice à l’utilisation des langues nationales, à titre principale, dans le système éducatif. En effet, l’introduction des langues nationales comme vecteur de l’enseignement, reviendrait à en faire les langues officielles. Le temps que nécessiterait une telle introduction n’est pas négligeable.  Et dans un contexte de compétition accrue, cela peut paraitre contre productif d’encourager une voie nationale dans le seul but de promouvoir  la culture africaine, les inconvénients qui en découlent paralysant l’objectif principal recherché.

Outre cette contrainte liée au temps, il y a aussi la question des avantages d’une telle promotion au niveau international. Les risques qui pèsent sur une telle opération justifient d’y renoncer.  Certains esprits  citeront l’exemple de la Chine pour justifier de la possibilité d’utiliser les langues nationales comme moyen de promotion des valeurs et de l’histoire africaine. Mais il faut souligner que la Chine n’est pas dans la même situation que l’Afrique. Elle a toujours promu le chinois ; sa résurrection économique présente facilite naturellement le développement de sa langue. L’Afrique ne se trouve pas dans la même situation. Les langues coloniales sont aujourd’hui rentrées dans son histoire mais aussi dans son patrimoine. Troquer la langue du colon pour les langues nationales aurait des conséquences difficiles à déterminer.

Pour autant il est louable et même nécessaire de promouvoir la culture africaine. Je partage amplement le postulat de départ. Ce sont les moyens que je réfute. La promotion de la culture africaine peut passer par d’autres procédés. La promotion du cinéma et des valeurs africains, le développement des programmes d’histoire sont, entre autres, d’autres moyens de promotion de notre riche culture.

 Thierry Lucas DIOUF