Build Africa : le premier sommet sub-saharien sur les Infrastructures en Afrique

une_buildafricaDu 5 au 7 février aura lieu à Brazzaville (Congo) le sommet Build Africa, premier forum d’affaires et d’investissement dédié exclusivement aux infrastructures sur le continent.

Si l’Afrique a connu dans la dernière décennie une croissance soutenue, la réduction de son déficit en infrastructures (qui entraine une baisse de productivité de l’ordre de 40%) est un des défis majeurs auxquels elle doit faire face afin d’atteindre un développement plus pérenne. En effet, on estime à environ 50 milliards de dollars d’investissements annuels les besoins pour pallier à ce manque.

C’est dans ce contexte que Build Africa souhaite proposer une plateforme de réflexion et d’échanges sur les moyens de bâtir des infrastructures facilitatrices des flux, résilientes aux crises, adaptables aux évolutions du commerce international et catalyseurs de développement pour le continent.

Pour ce faire, la Délégation Générale des Grands Travaux du Congo (DGGT), sous le haut patronage du président de la république Denis Sassou NGuesso, rassemblera plus de 500 décideurs politiques, bailleurs de fonds, ONG, et experts des infrastructures venant du monde entier. Réalisé en partenariat avec le Fond Afrique 50 de la Banque Africaine de Développement (BAD), le sommet sera composé d’ateliers et de débats sur les modalités et les enjeux de l’investissement dans les infrastructures. A l’heure où seulement 30% de la population africaine a accès à l’électricité, 40% à l’eau potable et où moins de 50% des routes du continent sont pavées,  les impacts économiques et sociaux potentiels de tels investissements sont énormes.

Porte d’entrée de l’Afrique centrale, au carrefour des flux énergétiques et commerciaux du continent, le Congo continuera d’être sous les feux des projecteurs puisqu’il sera l’organisateur des jeux panafricains de 2015 et que la construction d’un pont route-rail de Brazzaville à Kinshasa reste un des grands projets d’infrastructure dont le continent à besoin. Peut-être en saurons-nous plus en février.

D’ici là, des informations sur le sommet  sont disponibles sur le site du sommet.

Maxime Chaury

Pour aller plus loin sur le sujet des infrastructures en Afrique :

http://terangaweb.com/le-defi-des-infrastructures-en-afrique/

http://terangaweb.com/comment-relever-le-defi-des-infrastructures-en-afrique/

http://terangaweb.com/comment-financer-les-infrastructures-transport-en-afrique-louest/

La maison de la faim, Dambudzo Marechera

Dambudzo MachereraQu’est-ce que la maison de la faim ? Voilà une question qu’il est légitime de se poser à lecture du livre éponyme de l’auteur et icône Zimbabwéen Dambudzo Marechera (1955-1987). Il est plus difficile de savoir quelle serait la réponse légitime. On doit admettre d’emblée que c’est plusieurs choses à la fois, et simultanément aucune de ces choses. C’est un peu cette construction instable et pourrie qui fait office de maison au narrateur. C’est aussi le Township tout entier qui s’étend jusqu’aux confins de la misère. Ou même le régime rhodésien qui repose sur la terre suppliciée de la ségrégation et de la violence. La maison de la faim, c’est l’univers de Marechera. Son monde. Son œuvre. Son obsession, et la nôtre. Elle est là, sous vos yeux, cette construction fragile. 

Eclairée par la lumière blafarde du crépuscule, on distingue son architecture tourmentée. Il n’y a pas de cohérence de construction. Pas de porte d’entrée ni de sortie. Des pseudo-couloirs qui ne mènent nulle part et des salles indéterminées. Pas vraiment comme un labyrinthe. Juste un splendide amas de matériaux de récupération à vous en brûler les yeux. On passe brusquement de la cuisine aux latrines sans transition. De la tôle à la soie. Mais tout est soit déchiqueté soit brûlé. L’on ne peut voir qu’une multitude de briques fendues, reliées par la glaise d’une société malade. Ce sont les vestiges encore chauds de la violence et de la souffrance sans nom qui l’érige et la saccage d’un même coup de pelle. Ce qui laisse apercevoir une bâtisse inachevée : ici une poignée nue posée sur le sol ; là une esquisse de fenêtre brisée comme autant de provocation d’un architecte nihiliste qui trébuche sur ses propres outils.

La décoration intérieure et son ambiance génèrent elles aussi leurs troubles propres. Les peintures murales d’une couleur ocre sont recouvertes de graffitis et de leitmotivs entêtants. Des démons de toutes les couleurs y sont représentés. Des mouches écrasées jalonnent la tapisserie. On aperçoit à plusieurs reprises des trains menaçants, comme celui qui écrase le père de Dambudzo, comme le train de l’histoire qui broie les os de la Rhodésie. Et surtout, les murs sont couverts de tâches, tâches de sang de héros noirs imaginés qui se confondent avec leurs antithèses, et tâches réminiscences de la pourriture intestinale comme seule symbolique unificatrice d’une existence. Quelques tableaux sont accrochés çà et là, au petit malheur la chance : ici une scène de combat entre le peuple Ndebele et les colons anglais, là des guérilléros africains modernes fusillés par des forces de sécurité. Entre une scène de viol au milieu d’une foule surexcitée et la vision d’un corps reposant dans une geôle faiblement éclairée, les peintures suantes ont tendance à dégouliner sur les citations de Swift et de Yeats tracées à l’encre fine, au milieu d’un chant Shona.

Si l’on jette subrepticement un coup d’œil à travers la fenêtre, on peut y voir « Dieu essorer ses sous-vêtements sales ». Entre les bruits d’éructations, les rires heurtés et les cris des enfants battus par leurs mères, on peut y entendre « un nuage de mouches venu des toilettes voisines fredonner l’Alléluia de Haendel ». Et puis la maison de la faim sent le cannabis et l’alcool, le vomi et la rose. On distingue une odeur d’encens mêlée à celle du sperme dans une coexistence aigue et blasphématoire.

C’est dans cette demeure qu’évoluent les habitants de la maison de la faim. Peut-être devrions-nous commencer par les maîtres de maison. Ils sont deux. La faim et la soif. La faim, ce n’est pas seulement la sensation déchirante de vide stomacale et l’envie irrépressible de se sustenter. C’est aussi un besoin de tendresse humaine et de considération. La soif, ce n’est pas seulement la recherche hébétée d’eau pour humidifier sa gorge sèche, c’est aussi la quête d’un absolu artistique et intellectuel. Celui de s’envoler au-delà « de la merde infecte qu’avait été la vie et qu’elle continuait à être à ce moment précis » : « toute la jeunesse noire était assoiffée, nous asséchions toutes les oasis de la pensée ».

Esclaves de ces deux maitres, hantant la maison d’un pas de somnambule, on aperçoit le fantôme mutilé de l’architecte, Dambudzo, nom que l’on devine et qui n’est jamais donné. Celui du génie et celui de l’épave. Celui de l’autobiographe et celui du créateur. Le schizophrène nécessaire qui nous assène son mal-être avec le marteau de la honte et l’enclume de la fierté. On assiste, entre quelques hallucinations grandioses ou démoniaques à quelques passages de lucidité sociopolitique intense. Ce poète vénérien subit des sensations extrêmes qui l’amènent aux limites de la conscience et de la folie, jusqu’au point où l’on ne sait plus vraiment si les phénomènes extérieurs ne sont que des projections de son esprit ou si ses états intérieurs ne sont que des éléments organiques du décor.

Décor qu’il partage avec les autres habitants de la maison de la faim. Peter, son frère, qui l’injurie quand il voit qu’il achète des livres. Immaculée, nom bien ironique de la fille de prêtre enceinte de Peter qui la bat, et pour laquelle le narrateur dévoue un amour platonique. Harry, son frère, l’ami ou l’ennemi de Dambudzo, on ne sait pas. Patricia, l’amante blanche avec laquelle Marechera est roué de coup par les manifestants pro-apartheid. Ou encore Julia, cette fille qui le drague dans un bar miteux d’Harare (alors Salisbury), avec Zimbabwe écrit en gros sur ses gros seins. Il y a aussi ces hallucinations effrayantes qui parlent et harcèlent et rient, comme dans un cauchemar. Puis ce clochard accueillit dans la maison de la faim, lançant des bribes de fables à la face réjouie de l’auteur. « Ce qu’il préférait, c’était me voir écouter attentivement des histoires racontées de travers, délirantes et fragmentaires » raconte ce dernier. C’est peut-être ce que nous préférons aussi : se perdre avec un malaise certain dans ces règlements de compte divers et circulaires qui ne s’arrêtent jamais.

Car il n’y a pas de fin à la maison de la faim. C’est l’éternelle tâche dans la mémoire des hommes. La plaie jamais refermée de l’horreur. La suture du ciel laissant couler la pisse amère du divin. Je ne peux en dire plus. Je vous ai décrit la maison. A vous de décider d’y entrer ou pas. La seule chose que je peux vous promettre, c’est que vous n’en sortirez pas immaculé.

 

Maxime Chaury

SALONE, Laurent Bonnet

CVT_Salone_5710Un bon livre est un coup de pierre. Nous sommes touchés de plein fouet. Un bon livre est un coup de feu. Il résonne dans la conscience bien après avoir été tiré. Salone en est un. Un livre à coups et sans à-coups. Un coup de bol sans coups de barre. Un coup de cœur plein de coups durs. Les quatre cents coups des uns contre les mille et un sales coups des autres. Les petits coups de pouce et les grands coups de mains qui font le coup de génie. Et je pèse bien mes mots. Un livre à lire à tout prix car il n’a pas de prix.

Car quel prix mettre pour la vie d’un peuple, l’âme d’une nation? Là est bien l’enjeu de Salone. Retracer l’existence contemporaine troublée de la Sierra Leone (soit « Salone » en langue Krio) à travers les espoirs et les errances de ceux qui l’ont incarné ou défendu. Des grands et des humbles, des personnages qui se découvrent et qui se perdent dans les turpitudes de ce « bout d’Afrique maritime noyé dans le grondement permanent des orages ».

De 1959 à 2009, ce sont cinquante ans de vie de la montagne du lion qui nous submergent, portés par une forme habile et ambitieuse, reliant inlassablement l’intimité des histoires et l’iniquité de l’Histoire. Imbrication des registres et des genres, multiplication des réseaux de signification et de références ; Laurent Bonnet signe avec Salone un chant polyphonique complexe qui alterne les points de vue à un rythme endiablé.

Les personnages sont hauts en couleurs, loin des stéréotypes, et si proches de nous. Il y a Davis le cheminot intellectuel et sa passion des vieilles locomotives, son chauffeur Abubacarr le malicieux fils de pêcheur, et son amie Gladys, l’avocate, qui écrit les racines et le tronc de l’arbre Sierra Leone aux feuilles qui brûlent. Elle travaille avec Curtis, le krio du Ghana coureur de jupon, et le grand ami du français Yan, marié à la libérienne réfugiée Suad qui sert dans le bar du bon Nelson, où elle rencontre un jour Shaun, le médecin anglais plein de ferveur. Il y a eux, et les autres. Ils ont tous en commun l’amour de Salone et la volonté inextinguible de le rendre meilleur. Tous avec leurs histoires singulières et touchantes, avec leurs douleurs et avec leurs rires. Qui habitent ce pays et qui le font vivre.

C’est ainsi que se crée une carte mentale de la Sierra Leone et de sa capitale qui imprègne l’esprit du lecteur. Des Tongo Fields diamantifères à la Sew River en passant par le Congo Bridge, c’est toujours cette même humidité tropicale, entêtante et vorace. L’agitation du King Jimmy Market et l’empressement affairiste du Mammy Yoko font écho aux bruissements de la Hill Station. Et qui pourrait oublier Lumley Beach sous l’orage ? Et le Nelson’s bar, paradis fragile de douceur et de conversations joviales face à la mer ? Tout ça c’est Salone. Salone Nar So.

Mais Salone c’est aussi la malédiction des diamants qui rendent fou. Salone, ce sont les corps et les intestins ouverts qui sèchent au milieu des pierres chaudes. Ce sont les rafales d’AK47 et les salves de fusils mitrailleurs tenus par des gamins qui transpercent les corps d’innocents. Salone, c’est en dix ans cinquante-milles tués et deux millions et demi de déplacés. Des personnalités simples ou hors du commun toutes confrontées aux déchirures de la violence, de la mort et de l’exil. Na fo bia. Il faut tenir.
Oui, faire l’amour et jouir pour éclipser ne serait-ce qu’un instant le tumulte d’un monde qui se décompose. Eclairer par des zébrures d’humour les ciels tourmentés des situations les plus insoutenables. La tendresse d’un amant et le cri d’une mutilée. Salone Nar So. Salone, ce qui a de plus beau et ce qui a de plus laid dans l’homme. Il faut « garder la foi malgré la submersion de l’absurde ».

Au-delà de la force émotionnelle de ce livre, au-delà de l’envie sourde de vomir, puis de celle de rire et de pleurer et de crier et de construire, chacun y trouvera une leçon d’humanisme et de tolérance. Le témoignage d’une foi dans le libre arbitre et dans la capacité d’engagement de l’être humain. Laurent Bonnet y mène en filigrane une réflexion sur la justice, les dérives de la vengeance et la difficulté de se reconstruire. S’en dégage une compréhension profonde de la complexité et de la beauté de Salone, et de l’homme.

Je ne dirai pas que ce livre est parfait et sans défauts, car l’imperfection de l’écrivain s’ajoute à celle de celui qui le juge. Mais si j’étais krio, je vous dirai en parlant des défauts: « E like fol in botu-e no easy for see ». « Ils sont aussi difficiles à trouver que le Pénis d’un poulet ».

PHOTO2 AUTEUR1 BONNET DEFRICHEURSAlors pourquoi attendre ? « L’océan sombre et calme avait laissé l’écho de leurs rires ricocher sur le sable » nous dit Laurent Bonnet. Venez, vous aussi, recueillir les échos d’un monde qui vit, qui aime, qui agonise et qui espère. Les échos d’un monde qui, s’il veut renaître de ses cendres, doit lutter contre les forces destructrices de son passé pour créer des avenirs chauds et rassurants comme des nuits d’été. Le premier pas dans cette direction est la lecture de Salone.

Maxime Chaury

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