L’inclusion financière: Clé de la croissance durable pour tous en Afrique

inclusion_financièreLe taux de croissance moyen du PIB des économies africaines a été de plus de cinq pour cent par an depuis 2004, et nombreux sont celles qui devraient atteindre en 2060 le groupe des pays à revenu intermédiaire ou élevé. Cependant, cette vision ne peut être atteinte sans un secteur financier solide, développé et concurrentiel. Notamment, un système financier qui fonctionne bien sera une condition essentielle pour atteindre une croissance durable et inclusive.

Le secteur financier en Afrique a fait des progrès considérables en termes de développement et de stabilité. Beaucoup de pays africains ont fait des progrès dans la réforme de leur cadre institutionnel et la création d'un environnement propice à un meilleur accès aux services financiers. On observe une augmentation du taux de pénétration dans plusieurs pays africains grâce à des modèles économiques innovants tels que les services bancaires mobiles. Néanmoins, de nombreux défis restent à relever. Pour que les services financiers soient plus disponibles, accessibles, abordables et donc inclusifs, il y a lieu de développer des instruments financiers innovants et des infrastructures financières opérationnelles pour le bénéfice des groupes défavorisés et vulnérables.

Dans un livre récent intitulé « l'inclusion financière en Afrique "(co-édité par Thouraya Triki et Issa Faye), nous documentons l'état de l'inclusion financière en Afrique et fournissons aux décideurs, aux intervenants du secteur financier et aux acteurs du développement des informations précises sur les opportunités et les défis spécifiques qui méritent de l’attention et de l'action. Bien que l'accès aux services financiers se soit considérablement amélioré dans les pays africains, de nombreux individus et entreprises sont encore exclus des systèmes financiers formels. Le livre note en outre que moins d'un quart des adultes en Afrique ont un compte dans une institution financière formelle, et de nombreux adultes en Afrique utilisent des méthodes informelles pour épargner (comme les tontines, les fonds de funérailles, etc.) et emprunter (amis, famille et prêteurs privés informels). Néanmoins, le succès de certains instruments financiers novateurs tels que le Mobile-banking en Afrique de l'Est offre davantage de possibilités en matière d'inclusion financière, en particulier pour les pauvres, les femmes, les jeunes, les personnes vivant dans les zones rurales et les petites et moyennes entreprises (PME).

Une nouveauté de cette publication est l'analyse qu'elle fait de l'impact que l'instabilité politique et la vulnérabilité économique peuvent avoir sur la capacité des ménages et des PME à accéder à différents types de services financiers. Selon le livre, seulement 14 pour cent des adultes vivant dans des États fragiles d'Afrique ont un compte dans une institution financière formelle. Compte tenu du risque élevé pour certains pays africains d’être en situation de fragilité, le livre préconise qu'il est impératif que l'inclusion financière efficace et durable fasse partie des stratégies nationales de reconstruction. Le livre encourage également une plus grande coordination entre les partenaires de développement pour une approche contextualisée, flexible et adaptée à l'inclusion financière dans les États fragiles.

Pour que l'inclusion financière devienne un moteur de la croissance durable et inclusive en Afrique, les auteurs prévoient une série d'options stratégiques concernant le rôle de transformation que la technologie peut jouer dans la réalisation d’une plus grande inclusion financière, la nécessité de concilier l'inclusion financière et la stabilité financière, les leçons que l'Afrique pourrait apprendre des autres pays en développement, et le rôle des institutions financières de développement (IFD) pour aider à la conception et la mise en œuvre de programmes d'inclusion financière en Afrique. Les principaux messages du livre sont:

  • Les services financiers mobiles peuvent aider l'Afrique à parvenir à un développement plus important et plus inclusive. En fait, l'inclusion financière a le potentiel de stimuler l'épargne intérieure, l'augmentation des transferts d'argent entrants de la diaspora, et de réduire les coûts de transactions des PME et du secteur privé en réduisant le nombre de ménages et des entreprises financièrement exclus en Afrique.
  • La stabilité financière et l'inclusion financière pourraient constituer des objectifs complémentaires. Pour assurer une stratégie réglementaire inclusive, les régulateurs financiers devraient adopter un cadre conceptuel qui permettra d'atteindre l'inclusion financière tout en préservant la stabilité et en tenant compte des exigences réglementaires inhérentes aux différentes fonctions de l'industrie des services financiers.
  • Les modèles d'affaires innovants et rentables mis en œuvre par d'autres pays en développement (comme en Amérique latine) pour élargir l'accès aux services financiers pour les ménages à faible revenu pourraient inspirer les gouvernements africains et d'autres intervenants afin d'atteindre une plus grande inclusion financière en Afrique. Un exemple notable est le modèle de l'agence bancaire.
  • Les IFDs sont de plus en plus des acteurs clé dans la promotion de l'inclusion financière en Afrique. Afin de renforcer l’impact de leurs interventions sur le développement, il est nécessaires de promouvoir une plus grande collaboration entre elles; mettre à leur disposition plus de ressources et de compétences pour promouvoir les activités de renforcement des capacités, et renforcer les effets d’entraînement et catalytiques de leurs projets d’inclusion financière devrait être la norme.

 

Un article de Mthuli Ncube, initialement paru sur son blog de la Banque Africaine de Développement, traduit de l'anglais. 

L’Intégration de la main-d’œuvre africaine

une_ncubeNous avons tous vu des reportages consacrés aux travailleurs africains non qualifiés et aux migrants économiques qui cherchent désespérément à se rendre en Europe, à bord de navires surchargés et dangereux, risquant de perdre la vie dans leur quête d’une vie meilleure. Nous avons aussi lu des articles décrivant les importants flux de migrations clandestines (auxquelles participent des commerçants et des professionnels très qualifiés) observés sur le continent africain, dont le coût humain et social est très élevé. Les motifs de ces migrations illégales et massives ne sont pas nouveaux. L’instabilité politique et la détérioration de la situation socio-économique alimentent l’aspiration pressante de nombreux jeunes et travailleurs africains à des revenus plus élevés ou à des conditions de vie décentes, à l’étranger ou même sur un autre continent. Mais l’intégration régionale pourrait-elle constituer une stratégie pour résoudre les problèmes persistants et croissants que posent ces migrations ? Nous pensons en effet qu’une intégration renforcée et des stratégies migratoires régionales cohérentes peuvent contribuer à faciliter la libre circulation de la main-d’œuvre en Afrique et à relever les défis du chômage et de la pénurie de main-d’œuvre qualifiée, surtout parmi les jeunes. 

Les chiffres relatifs aux émigrants africains, qu’ils soient qualifiés ou non, qu’ils migrent sur le continent ou qu’ils quittent l’Afrique pour des pays de l’OCDE, sont saisissants. D’après les estimations de l’Organisation internationale du travail (OIT), en Afrique, les travailleurs migrants représentent près de 3 % de la population adulte. Environ 50 à 80 % des ménages ruraux d’Afrique comptent au moins un membre migrant. En outre, d’après l’agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), la majorité des 15 000 migrants et demandeurs d’asile qui ont gagné les côtes de l’Italie et de Malte en 2012 provenaient de pays d’Afrique. L’OCDE a découvert que 21 des 40 pays les plus concernés par le problème de la « fuite des cerveaux » sont africains. Et bien que seulement 10 % environ des immigrants très instruits vivant dans des pays de l’OCDE soient africains, ce nombre est significatif, car les pays africains comptent relativement peu de citoyens d’un niveau d’instruction élevée (notamment des médecins, des infirmiers, des enseignants, des ingénieurs). De plus, il convient de souligner que ces chiffres relatifs aux migrations ne comprennent pas le nombre croissant de migrants clandestins ou sans-papiers qui franchissent les frontières au sein même de l’Afrique.

Le manque d’opportunités d’emploi décentes, la dégradation des conditions économiques et la très grande instabilité de la situation politique contribuent à l’augmentation des flux migratoires sur le continent africain. Et pourtant, de nombreux pays africains se battent pour renforcer leur croissance économique, stabiliser leur situation politique, ou relever les défis de leur développement. Les efforts d’intégration régionale visent à aider les pays africains à relever quelques-uns des défis économiques et de développement auxquels ils font face (par ex. la petite taille des marchés domestiques, la faiblesse des structures productives, la lenteur des progrès accomplis dans la mise en œuvre des réformes, la lenteur de la croissance économique, ainsi que les conflits de grande envergure et l’instabilité politique) en leur permettant de tirer profit des économies d’échelle, d’une plus vive concurrence, et d’un accroissement des investissements nationaux et étrangers. Toutefois, l’intégration régionale par la libre circulation des capitaux, les échanges commerciaux intra régionaux et les stratégies de développement ne peut réussir si la libre circulation des personnes et de la main-d’œuvre n’est pas assurée.

Depuis leur création, la plupart des communautés économiques régionales (CER) d’Afrique ont fixé des objectifs et promulgué des protocoles visant à faciliter la libre circulation des personnes au-delà des frontières nationales. Des progrès significatifs ont été réalisés par quelques CER, telles que la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE). Par exemple, les passeports de la CEDEAO ont remplacé les passeports nationaux, et les citoyens de la Communauté ont le droit d’entrée, de séjour et d’installation dans tous ses États membres. D’autres CER, par contre, comme la Communauté de développement de l’Afrique australe (CDAA) et le Marché commun de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique australe (COMESA), n'ont pas réussi à pleinement mettre en œuvre leurs politiques régionales de migration, certains de leurs membres refusant de supprimer les exigences en matière de visa. En fait, certains États membres ont rechigné à adopter une politique de frontières ouvertes aux citoyens de leur communauté en raison des risques liés au renforcement de la liberté de circulation, comme la traite des êtres humains, le crime organisé et le terrorisme, et à l’augmentation de la main-d’œuvre non qualifiée, qui pourrait avoir un impact négatif sur la sécurité, la stabilité et l’économie du pays hôte. Un autre facteur expliquant les restrictions à la libre circulation des personnes est le coût engendré par la mise en œuvre des politiques migratoires, par ex. le coût élevé de la réforme de la gestion et des protocoles frontaliers, et la perte des revenus générés par les visas et les droits de douane.

Si les pays africains veulent opérer la transformation structurelle et l’intégration régionale, les travailleurs et les talents africains doivent être à même de considérer les opportunités d’emploi et d’envisager le transfert de compétences entre des industries différentes et entre plusieurs pays. La libre circulation de la main-d’œuvre au sein des communautés économiques et entre les groupements régionaux ne favorisera pas seulement la mobilité des personnes dans leur région, mais elle encouragera aussi les échanges commerciaux, la création d’emplois et de nouvelles entreprises. La fuite des cerveaux que connaissent de nombreux pays africains pourrait se transformer en un transfert transfrontalier de talents. Un infirmier ou une infirmière sans emploi au Ghana pourrait gagner sa vie décemment au Libéria tout en contribuant à de meilleurs services de santé dans le pays hôte. Un jeune diplômé d’une école technique en Tunisie pourrait trouver un emploi décent dans l’industrie de la plomberie en Afrique du Sud et contribuer à répondre aux besoins en main-d’œuvre de ce pays. Dans un certain sens, la libre circulation des personnes et de la main-d’œuvre crée également des débouchés pour la jeunesse africaine, qui est aujourd’hui au cœur des initiatives récentes et des débats de politique portant sur l’Afrique.

 

Article initialement publié sur le Blog de Mthuli Ncube, Economiste en Chef de la Banque Africaine de Développement