Crise casamançaise au Sénégal: comment gagner définitivement la paix

Le 26 décembre 1982 l’Etat sénégalais commettait l’irréparable en réprimant sévèrement la première manifestation indépendantiste à l’appel du MFDC (Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance). Depuis, une partie de la population issue de la Casamance est entrée en rébellion, faisant ainsi du conflit casamançais un des plus longs d’Afrique contemporaine. Dans la mesure où toute autorité est contestable, il va sans dire que l’idée d’une rébellion casamançaise reste à priori envisageable puisqu’un rebelle n’est en rien un scélérat mais celui qui s’oppose et qui remet en cause une autorité. Dès lors, il convient de s’intéresser aux causes du conflit avant de dresser le bilan des 28 années de cette drôle de guerre pour enfin esquisser les solutions susceptibles d’aboutir à une paix des braves.

Le conflit casamançais, à l’image de tous les irrédentismes africains, n’échappe pas à l’approche déterministe qui fait la part belle à l’économie et à l’ethnicité. En effet, les grilles de lecture dominantes privilégient trois hypothèses. La première est celle ethnico-religieuse qui tente d’opposer des musulmans du nord à des chrétiens Joola du sud. Cette hypothèse semble de plus en plus invalidée puisque 86% des casamançais sont musulmans et que la principale zone pourvoyeuse de rebelles (le Blouf) est musulmane. Par ailleurs, bien que le noyau dur de la rébellion soit joola la rébellion a aussi ses Peulhs, ses Malinkés, ses Manding, ses Manjak…La seconde hypothèse socio-économique souligne l’inégal développement de la Casamance par rapport aux régions du nord du pays. Cette théorie de l’inégal développement entre un centre et sa périphérie reflète une réalité indéniable : la concentration des investissements dans le secteur Dakar-Thiès. Cependant, cela n’explique pas pourquoi la rébellion a éclaté dans la partie la plus riche et la plus développée de la Casamance et non pas en Haute Casamance bien plus pauvre et bien plus déshéritée. La troisième hypothèse purement politique met en évidence des « entrepreneurs politiques » qui instrumentalisent un discours nationaliste et populiste.

Par ailleurs, beaucoup d’eau a coulé sous le pont Emile Badiane de Ziguinchor depuis la marche réprimée de 1982. Sol d’opposition du conflit, la Casamance paie au prix fort cette drôle de guerre avec environ 5000 morts, d’innombrables déplacés, le tout dans une région économiquement exsangue. De plus, la présence d’acteurs protéiformes – ONG, MFDC, Etats (Sénégal, Gambie, Guinée Bissau) et narcotrafiquants – confère à la crise casamançaise une dimension sous-régionale, voire internationale. Cette complexification croissante du conflit a manifestement abouti à son enlisement mais surtout à son singulier paradoxe. En effet, s’il est quasiment certain que le MFDC a perdu la guerre, l’Etat sénégalais n’a pas pour autant gagné la paix. Guérilla acéphale, matériellement affaiblie et populairement désavouée, le MFDC n’a atteint aucun de ses objectifs. Quant au blocage du processus de paix, il est imputable au seul Etat sénégalais qui fait preuve, par son refus d’entamer de véritables négociations avec le mouvement indépendantiste, d’un indéniable autisme politique. Il semble que les autorités compétentes en charge du dossier aient privilégié la « stratégie du pourrissement de l’intérieur ». Cependant, ce choix s’avère irresponsable en témoigne la reprise des combats en 2009 ; combats durant lesquelles quelques centaines de maquisards ont pu tenir tête aux forces gouvernementales.

Par conséquent, les acteurs directs ou indirects de la crise s’accordent sur quelques points afin de conclure une paix des braves :

1- Renforcer les moyens militaires de l’armée régulière

2- Permettre aux cadres casamançais de mettre sur pied les Assises du MFDC afin que ce dernier ne puisse parler que d’une seule et même voix

3- Associer les autochtones (jeunes surtout) et les pays limitrophes (Gambie et Guinée Bissau) au processus de paix

4- Combattre les « fossoyeurs de la paix » qui se nourrissent du sang des sénégalais

5- Investir massivement dans la région pour redynamiser son économie et pour combattre le chômage

Les armes ont parlé. Nous avons tous écouté et tous entendu ce qu’elles avaient à dire. Dorénavant, elles doivent se taire pour laisser place au dialogue car c’est faute d’un véritable espace de débat que le conflit n’a pu être résolu.

Ndiengoudy Sall

Article initiallement paru chez Le courrier du Visionnaire

It’s time for Africa!

Le 21eme siècle sera résolument africain. Le « Grand jeu » du siècle naissant s’y déroule. En effet,  depuis peu, notre continent fait l’objet d’une attention inhabituelle de la part de la presse occidentale et des essayistes en mal de prospective. Cet attrait soudain ponctue la longue   époque de la  littérature afro pessimiste, alarmiste et catastrophiste. Le temps de l’Afrique semble arrivé. Le continent entame une nouvelle ère qui clôt le trop long chapitre de la décolonisation et du néocolonialisme.

Désendettées et débarrassées de la tutelle des institutions internationales,  les nations africaines reprennent en main leur destin. Longtemps objets de politique extérieure, elles deviennent pleinement sujets des relations internationales. Conséquence plus que cause de ce changement d’époque, le foisonnement d’acteurs géopolitiques présents sur le continent rappelle à qui veut l’entendre que notre terre n’est désormais la chasse gardée, ni le pré carré, de personne. A l’aube de ce siècle naissant, l’Afrique savoure enfin les premiers fruits de son indépendance. Jadis marginalisée, elle redevient une pièce maitresse du grand échiquier mondial.

Objet de convoitise, elle abrite ainsi le sol d’opposition de l’impitoyable affrontement  entre les puissances du monde contemporain. Nul besoin d’évoquer l’importance des ressources géologiques  dont  le capital serait évalué à 50.000 milliards de dollars. L’Afrique des années à venir engendrera des externalités globales. A l’horizon 2030, il s’agira de nourrir,  loger et  construire un vaste espace de près de 2 milliards d’habitants. Notre continent sera courtisé aussi bien comme interlocuteur économique que comme partenaire diplomatique. L’offensive de charme de la chine, qui vacille entre prédation et stratégie gagnant-gagnant, reste représentative de cet attrait soudain et de ce subit regain d’intérêt pour le berceau de l’humanité.

Les Etats Unis, par l’intermédiaire de l’administration Obama, procèdent à une refonte de leur politique en Afrique dans le cadre d’une stratégie d’endiguement du fondamentalisme  islamiste. Quant à l’Europe, elle se fait tailler des croupières. Empêtrée dans l’impasse institutionnelle de la construction européenne, elle peine à croire aux bouleversements qui s’annoncent à ses portes. Le vieux monde perclus de conservatisme semble incapable de remettre en cause les schémas du passé et  de s’émanciper de sa posture charitable et paternaliste face à des nations africaines qui avancent à toute vitesse et qui ne l’attendront pas. Les vieux démons du continent, potentats adoubés par l’occident, sont tour à tour renversés par la force du ciel ou par celle des peuples, emportant avec eux la nébuleuse Françafrique.

Cependant, s’il appartient aux partenaires de l’Afrique de prendre conscience des opportunités de l’émergence stratégique du sous-continent, il revient aux africains de les saisir. Cette Afrique nouvelle, émancipée et convoitée, devenue  sujet et maitre de son propre destin, n’a d’autre choix que de se doter des capacités institutionnelles qui lui permettront de défendre ses intérêts et d’exercer  ses  responsabilités collectives. Cette atomisation  des nations africaines  doit laisser place à l’unité afin de nous faire entendre dans le concert des nations. Les échecs du panafricanisme ont certes produit un certain désenchantement  exacerbé par les prophètes du cauchemar africain mais elle ne doit en aucun cas menacer  notre  engagement.

Ce texte est un appel renouvelé à tous les panafricanistes dans ce long combat qu’est celui de la fédération des forces vives. A elle seules revient l’immense tache de déjouer les pronostics fatalistes sur l’avenir de l’Afrique, comme ont pu le faire, avant nous, les élites asiatiques face à la condamnation sans appel du rapport Pearson. L’Afrique est en marche.

Ndiengoudy Sall

Article initiallement paru sur Njaccaar Le courrier du Visionnaire