Le Nigeria à l’heure nucléaire

Le gouvernement du Nigéria vient de signer un accord-cadre avec le géant russe du nucléaire Rosatom. Même si le nucléaire présente un certain nombre d'avantages compétitifs par rapport à d'autres sources d'énergie, il est de nos jours au centre de toutes les interrogations, compte tenu du risque induit qu'illustrent les événements de Fukushima. L’Afrique s'est jusqu'à présent tenue à l'écart de cette source d'énergie ; l’Afrique du Sud est le seul pays exploitant deux réacteurs civils pour sa production d’électricité, en partenariat avec EDF-Areva. Dans ce cadre, comment analyser la transition énergétique qu’aborde le Nigéria et qui représente une première en Afrique de l'Ouest ?

Le choix du nucléaire, ou comment répondre à des besoins de masse en énergie

Le principal avantage d’une centrale nucléaire est sa capacité continue de fourniture d’une importante quantité d’électricité (elle fonctionne en moyenne 5600 h sur les 8760 h d’une année). Contrairement aux idées reçues, le nucléaire est une source de production d’énergie verte à l’instar de l’éolien et du solaire, car il n’y a pas de pollution liée au cycle de production d’électricité. Il s'agit donc d'un outil particulièrement indiqué pour faire face à de gros besoins en énergie. Or, d’après le World Energy Council qui est le rapport officiel publié par l’IAE (l’Agence Internationale de l’Énergie), environ 87 millions de Nigérians ne bénéficient actuellement pas d’une couverture électrique. Cette pénurie et les multiples délestages représentent un réel frein à la croissance et au développement, car à une échelle macroéconomique, elle ne permet pas le déploiement d’industries lourdes très énergivores. D’un point de vue microéconomique, il s’agit d’un manque à gagner considérable, car la productivité des agents économiques (les ménages, les petits commerces ou simplement les écoles et administrations) est amoindrie, du fait que leurs ressources en énergies sont faibles et non continue (délestages). L’ensemble des activités économiques est ainsi subordonné aux nombres d’heures d’ensoleillement dans la journée. Sur la base d’une centrale de Rosatom (925MW), une seule installation suffirait à répondre au besoin d’environ deux millions de foyers, synonyme d’un pas-de-géant dans une Afrique célèbre pour sa pénombre.

Les risques liés à l'énergie nucléaire

On ne saurait évoquer l'impact du nucléaire au Nigeria sans rappeler que ce pays est l'un des plus instables de la sous-région. Les perpétuelles violences entre communautés religieuses, les multiples attentats de Boko Haram, les dissensions entre le Nord et le Sud du pays, ainsi que les kidnappings incessants illustrent le climat d'insécurité et de fébrilité de cette nation. Dans ce contexte, l’installation d’un site nucléaire peut être perçue comme une arme de revendications supplémentaires pour l’ensemble des groupes dissidents et fortement armés. Cette situation peut légitimement faire souffler un vent d’inquiétude chez l’ensemble des pays voisins. Comment le pays saura-t-il prévenir et gérer les situations de crise liées au nucléaire ? Les récents incidents survenus à l'intérieur même des pays les plus avancés techniquement laissent présager du pire pour un pays comme le Nigeria. La domestication de l'énergie nucléaire nécessite des procédures rigoureuses dans le cahier de charges de construction et de gestion des centrales, procédures qui doivent être respectées en pratique par les techniciens exploitants.

Enfin, autre question cruciale sur laquelle le gouvernement nigérian ne semble pas apporter de garanties, celle de la gestion des déchets nucléaires. Dans la plupart de pays exploitants, cette procédure est encadrée par des normes et des juridictions très strictes. Avec un air de déjà vu comme le Probo Koala en Côte d’Ivoire ou les décharges à ciel ouvert d’Accra, l’Afrique est souvent perçue comme la poubelle du monde. Qu’en sera-t-il de ces déchets produits localement  ?

Quelques recommandations

Tout d’abord, il conviendra de construire les sites nucléaires dans des zones très éloignées des lieux d’habitation afin de minimiser tous les risques énumérés ci-dessus. D’autre part, il est important de sensibiliser très tôt l’opinion publique, car une telle infrastructure d’utilité publique mérite d’être bien connue de tous pour faciliter le vote des vigoureuses mesures préventives. En guise d’exemple, le Ghana a pu mettre en place un site internet (ghana oil watch) pour tenir informé les citoyens de toutes les actualités et des mesures en cours dans le cas de sa récente exploration pétrolière. Enfin, s'il est souhaitable de recourir à une technologie novatrice, cette politique d’expansion ne doit pas constituer un frein au déploiement des sources d’énergie existantes et alternatives. Et en particulier au gaz ; chaque année, l’Afrique torche environ 50 Gm3 de gaz (il s’agit des torches à ciel ouvert : durant l’exploitation du pétrole, une importante quantité de gaz gît et faute d’infrastructures en place pour le traitement et la capture, on le brule en continu). En terme d’énergie équivalente, cela représente la moitié des besoins électriques du continent tout entier. De plus, il s’agirait d’un bon compromis pour le WAPP, interconnexion ouest-africaine sur laquelle Terangaweb a consacré un article.

Léomick SINSIN

Pour un nucléaire africain

Le développement de l’Afrique passe par la transformation sur le continent de ses matières premières. De cette problématique, se dégagent plusieurs sujets. Celui sur lequel nous nous focaliserons est le problème énergétique et plus particulièrement celui de l’électricité. En effet, l’électricité ou plutôt l’accès à une électricité bon marché et abondante, est une condition sine qua none du développement industriel. L’industrie étant très gourmande en énergie, un des critères essentiels pour l’implantation d’une unité industrielle est le coût et la disponibilité de l’électricité. Afin de mieux appréhender ce propos, il faut garder à l’esprit que pour une usine de production d’aluminium par électrolyse contenant 200 cuves (produisant 259 kt par an) il faut près de 300 MW, ce qui correspond à environ 20% de la puissance installée en Côte d’Ivoire. De plus les cuves des alumineries, les fours électriques et les laminoirs des fonderies ainsi qu’une très grande majorité des éléments constitutifs d’un process industriel nécessitent un fonctionnement quasi-continu. Les faibles puissances électriques installées, la mauvaise maintenance des équipements électriques, les délestages, et autres aléas de la production d’électricité en Afrique ne sont donc pas compatibles avec les exigences requises par le fonctionnement d’une industrie.

La production d’électricité abondante et bon marché en Afrique doit reposer sur les ressources énergétiques de l’Afrique. L’Afrique regorge de nombreuses sources d’énergie. Les technologies permettant de transformer ces sources en électricité lui font défaut, c’est donc à l’acquisition des compétences dans ces domaines techniques qu’il faut qu’elle s’attelle. Cette quête technologique doit avoir pour objectif la réalisation d’un mix énergétique en adéquation avec le développement humain et le développement industriel de l’Afrique. Ainsi, au-delà des ressources fossiles et des sources inépuisables d’énergie (renouvelables), il importe pour l’Afrique de réfléchir à la transformation de leurs immenses ressources d’uranium en électricité à travers une (ou des) centrale(s) électronucléaire(s).

Les avantages que présente cette technologie cadrent parfaitement avec l’objectif de production d’une énergie abondante, bon marché, propre et le développement de capacités industrielles en Afrique. En effet, à puissance installée équivalente, l’électricité produite par une centrale nucléaire est la moins chère (selon le rapport « Coûts de référence de la production électrique » de la DGEMP, France 2008). L’électricité produite par les centrales nucléaires est une énergie de base, c’est-à-dire qu’elle est produite constamment au niveau de puissance maximale. Elle ne dépend quasiment pas des aléas climatiques, contrairement aux énergies renouvelables. Au-delà du fait qu’il existe différents types, différentes technologies et différentes puissances de réacteurs nucléaires à travers le monde, pour mieux comprendre l’énorme potentiel énergétique que possède cette source d’énergie, il faut retenir qu’il faut 1 kilogramme de combustible nucléaire pour fournir la même puissance électrique que 6 tonnes de pétroles dans une centrale à cycle combiné . L’énergie y est donc très condensée. En moyenne, la majorité des 440 réacteurs en fonctionnement dans le monde a une puissance de l’ordre de 1000 MWe. L’EPR, en construction aujourd’hui aussi bien Chine, en France qu’en Finlande a quant à lui une puissance de l’ordre de 1500 MWe. C'est-à-dire qu’un seul EPR équivaut à toute la production électrique installée aujourd’hui en Côte d’Ivoire. Un réacteur nucléaire permettrait par conséquent d’avoir une énergie bon marché et en abondance.

Les avantages du nucléaire

L’électricité nucléaire est une électricité sans émission de gaz à effet de serre. Un réacteur nucléaire ne fait brûler aucun combustible fossile, il peut donc s’insérer dans le mix énergétique sans contribuer directement à l’augmentation des gaz à effet de serre. Ceci est un atout car la conscience collective aujourd’hui incite les entreprises à intégrer le développement durable et la préservation de l’écologie comme des variables importantes dans les choix d’investissement.

La construction d’une centrale nucléaire présente aussi l’avantage de favoriser le développement de l’industrie technologique en Afrique. Car elle fait appel à différents corps de métiers. De plus l’uranium nécessite plusieurs traitements depuis la mine jusqu’au réacteur (concentration du minerais – formation du « yellow cake » ; raffinage ; conversion ; enrichissement et fabrication du combustible) avant d’y être utilisé. C’est l’amont du cycle du combustible. De même l’aval du cycle renferme différentes opérations techniques en fonction du modèle choisi entre une filière ouverte c'est-à-dire sans recyclage du combustible et une filière fermée (avec recyclage).Toutes ces étapes du cycle du combustible nécessitent des compétences très qualifiées et des entreprises (grandes entreprises aussi bien que PME – PMI) dans les tous les domaines scientifiques et techniques. Ainsi, des pans entiers de l’économie (bâtiment ; entreprises de conception de machines-outils ; recherche scientifique et technique ; etc…) peuvent être boostés par la réalisation d’un tel chantier. En France par exemple, l’industrie nucléaire crée 125000 emplois directs. Cela ne peut être que bénéfique pour les Etats africains qui pourront occuper sainement leurs jeunesses, collecter plus d’impôts, favoriser la consommation et donc créer de la croissance économique.

Un autre avantage et non des moindres est la favorisation de l’intégration sous-régionale. La construction d’une centrale nucléaire régionale peut être une formidable aventure humaine et un puissant catalyseur de l’intégration. Elle permettra de créer une saine émulation dans les domaines scientifiques, techniques et économiques. Elle fédérera toute une région autour d’un projet de développement et permettra à l’Afrique de l’Ouest d’assurer son indépendance électrique. La collaboration avec des pays africains, en plus de ceux de l’occident, disposant déjà de la technologie nucléaire ou désireux de s’en doter accentuera une coopération Sud-Sud qui est salutaire.

Les risques du nucléaire

Ces différents avantages ne doivent pas entrainer une minimisation des risques engendrés par le développement de centrales nucléaires. La sûreté des installations doit être garantie par la compétence et la conscience professionnelle des ingénieurs, des techniciens, des autorités et des industriels. La gestion des déchets ultimes doit être envisagée avec le plus grand soin. Les différentes catastrophes nucléaires à travers le monde (Fukushima ; Tchernobyl ; TMI ; etc…) devraient nous permettre d’être plus attentifs aux aspects relatifs à la sûreté des installations au lieu de nous rendre plus frileux. Toute industrie a des risques induits, nul besoin de surestimer ou sous-estimer ceux relatifs au nucléaire. C’est seulement dans la réflexion, sans émotion et avec clairvoyance qu’il faut évaluer les avantages et les désavantages du nucléaire pour l’Afrique. C’est uniquement par l’audace que l’Afrique arrivera à se surpasser et à faire des réalisations à la dimension de ses potentialités.

Même si, in fine, du débat que nous espérons susciter autour de cette question, il ressort qu’il n’est pas opportun pour l’Afrique d’avoir des centrales électronucléaires, ne nous bridons pas dans la réflexion dès le départ. N’ayons pas peur…réfléchissons ! Osons réfléchir pour nous-mêmes et par nous-mêmes, c’est à ce prix que l’Afrique se développera.

 

Stéphane Madou