Souvent qualifiée de «scandale géologique»[1] tant ses ressources minières sont abondantes mais mal exploitées, la Guinée se trouve peut-être à un tournant de son histoire. Depuis la prise du pouvoir par l’éternel opposant Alpha Condé, mais surtout, la réalisation de certains projets hydroélectriques, un vent d’optimisme souffle parmi l’élite politique à Conakry, la capitale guinéenne. En effet, à en croire les dirigeants tels que l’ancien premier ministre, Lansana Komara, ce pays d’Afrique de l’Ouest ambitionne de devenir «une puissance énergétique en 2020.»[2] Pourquoi cet engouement ?
Ce pays dispose d’un potentiel conséquent, caractérisé par un ensemble de sources diversifiées telles que l’énergie éolienne, solaire ou thermique. Toutefois, ce sont ses cours d’eau et ses caractéristiques géo-hydrologiques qui constituent sont plus grand atout. En effet, cette nation «compte 23 bassins versants. Parmi ces derniers, 14 sont partagés avec les pays voisins – soit près de 60% – ce qui signifie, en d’autres termes, que la plupart des grands fleuves prennent leur source sur le sol guinéen.»[3] Ceux-ci lui permettent de se doter d’un potentiel hydroélectrique estimé à 6000 mégawatts (MW), soit approximativement le quart des 25000 MW évalués en Afrique de l’Ouest. De ce fait et vu ce potentiel, il n’est pas étonnant que le gouvernement de Conakry ait décidé de développer cette filière. De plus, ce choix comporte un avantage stratégique majeur.
La construction de barrages en amont d’un fleuve permet, à un pays donné, de contrôler le flux des eaux et de créer, si celui-ci est doté d’une capacité de production électrique accrue et d’un réseau régional développé, une dépendance en approvisionnement des pays voisins. En d’autres termes, il accroit la puissance politique de l’état producteur d’électricité. À titre d’exemple, au cours de la dernière décennie, l’Ethiopie, source de plusieurs cours d’eau importants, notamment le Nil Bleu, a entrepris la réalisation de grands barrages hydrauliques, ce qui a engendré une montée en puissance régionale d’Addis Ababa au détriment du Caire. Toutefois, dans le cas guinéen, des obstacles subsistent suscitant des doutes sur son aptitude à changer l’équilibre des forces dans le temps qu’elle s’est fixée. Quelles en sont les raisons ?
Premièrement, il y a un manque dans la production d’énergie. Malgré l’existence de plusieurs centrales thermiques et hydroélectriques ainsi que l’inauguration récente du barrage de Kaléta qui permet l’injection de 240 MW sur le réseau, la Guinée doit toujours faire face à une carence énergétique. «En comparant la puissance disponible au besoin de puissance pour couvrir la demande, le déficit de puissance est actuellement estimé aux alentours de plus 175 MW.»[4] Et, ce faussé risque d’augmenter car sa population qui devrait passer de plus au moins 12 millions d’habitants aujourd’hui à 18,5 millions en 2030.
À cette insuffisance, il faut rajouter la dégradation avancée des infrastructures et un réseau de distribution peu fiable voire inexistant dans certains cas. Au niveau national, bien que la compagnie Electricité de Guinée (EDG) qui évaluait la puissance électrique installée à 338 MW en 2014, la puissance disponible n’était que de 158 MW. «En raison de la vétusté des installations et des déperditions enregistrées lors du transport d’énergie, elle perdait ainsi 53% de l’énergie disponible.»[5]
Au niveau régional, le président Alpha Condé a promis que le Sénégal, la Guinée-Bissau et la Gambie recevront respectivement 20%, 6% et 4% de l’énergie produite par le récent barrage de Kaléta. Toutefois, deux problèmes persistent. D’un côté, Kaléta n’est pas encore en mesure de fournir les 240MW d’électricité tout au long de l’année. En effet, en période sèche lorsque les cours d’eau sont à leur niveau le plus bas, les turbines ne pourront pas fonctionner à plein régime réduisant le taux de rentabilité d’utilisation. Mais, il est prévu que Souapiti, dont la mise en service est prévue dans plus au moins 5 ans, sera doté de réservoirs assez grands pour pallier à ce problème. De l’autre côté, un réseau de distribution interconnectant ces pays doit encore voir le jour. Celui-ci est en phase de projet et des négociations sont en cours pour sa réalisation.
Bien que les embûches soient nombreuses et peuvent paraître difficiles à surmonter, il existe des cas qui prouvent qu’elles ne sont pas insurmontables. En effet, depuis la chute de l’Union soviétique en 1991, l’Ethiopie a connu une très forte expansion énergétique. Grâce à la formation d’alliances diplomatiques régionales, la conception de montages financiers astucieux au niveau national, comme le devoir des citoyens d’acheter des obligations qui ont permis de trouver 4 milliards de dollars, l’octroi d’aides extérieures, mais surtout une volonté politique basée sur le long terme, l’état éthiopien est sur le point de devenir le plus grand pourvoyeur d’énergie électrique en Afrique de l’Est. Néanmoins, l’accession à ce statut a demandé beaucoup de temps. Débutée en 1994 avec la publication d’une politique nationale dessinant les contours d’une nouvelle stratégie énergétique, puis en 2005 avec un plan d’exécution de celle-ci sur 25 ans, Addis-Ababa déclencha une campagne agressive d’investissements visant à réduire sa dépendance envers ses importations d’énergies fossiles et augmenter sa production électrique, notamment en faisant appel à l’hydroélectricité. Et, cette dernière est «aujourd’hui excédentaire avec une réelle volonté politique de se tourner vers l’exportation.»[6]
Depuis son indépendance en 1958, la Guinée a toujours souffert d’un manque crucial d’électricité, ce qui a contribué à prendre du retard dans son développement économique. L’inauguration, en septembre dernier, du barrage de Kaléta sur le fleuve Konkouré et la possible construction de centrales hydroélectriques supplémentaires donnent des raisons d’espérer que ce pays puisse, à terme, atteindre son objectif d’être un leader dans l’exportation d’énergie dans la sous-région. Toutefois, les déficits encore dans la distribution, la production et l’interconnexion régionale laissent entrevoir le chemin qui reste à parcourir rendant incertain le but fixé par le gouvernement de Conakry, celui d’être une puissance énergétique à l’horizon 2020. Néanmoins, le cas de l’Ethiopie, considéré, tout comme la Guinée, comme un des châteaux d’eau d’Afrique, démontre qu’il pourrait assouvir son ambition, mais à plus long terme.
Szymon Jagiello
[1] M. Devey Malu-Malu, Guinée: Remédier « au scandale géologique », Jeune Afrique, Juin 2011. Disponible sur http://www.jeuneafrique.com/31868/economie/guin-e-rem-dier-au-scandale-g-ologique/
[2] M. Diallo, Energie : la Guinée en quête d’ 1 milliard de dollar pour devenir une puissance exportatrice, Afriki Press, Octobre 2015. Disponible sur http://www.afrikipresse.fr/economie/energie-la-guinee-en-quete-d-1-milliard-de-dollar-pour-devenir-une-puissance-exportatrice
[3] L'hydroélectricité de Guinée: un rôle à jouer dans la sous-région, World Investment News. Disponible sur http://www.winne.com/guinea_cky/cr07.html
[4] M. Mouissi, Electricité: le paradoxe guinéen, Mays Mouissi News, Octobre 2015, http://www.mays-mouissi.com/2015/10/19/electricite-le-paradoxe-guineen-2/
[5] Ibis.
[6] J. Favennec, L’Energie en Afrique à l’Horizon 2050, Rapport de l’Agence de Développement des Entreprises en Afrique, Septembre 2015. Disponible sur http://www.eurogroupconsulting.fr/sites/eurogroupconsulting.fr/files/document_pdf/eurogroup_livredenotes_n15_1sept15_bat.pdf