Three lessons from the Rwandan genocide

This year will be marked by the commemorations of the Rwandan genocide of 1994. Twenty years later, it is still time to mourn the dead but also to draw lessons from the tragedy. 

rwanda-genocide-memorial-tourThe first lesson to learn from the Rwandan genocide is taught by historians: their work disclosed that the political logic behind ethnic hatred not only led to dehumanizing the Tutsi minority but preceded the genocide of that minority. Hatred for otherness, exacerbation of difference until there is no longer room for living together have powerfully contributed, in both Rwanda and Nazi Germany, to making possible, if not unavoidable, mass murder. We must not stop contradicting the theories which tend to make ordinary the crime, or even to justify it, by seeing it as a spontaneous event following the murder of President Habyarimana. We do know today that the Rwandan genocide was not an accident of History but the product of a racist ideology and a murderous will.

The second lesson is addressed to the international community whose indifference and inaction appear today not only as a political mistake but also as a moral fault. That blameworthy attitude shows the civilizational complex of superiority of an international community still recovering from the Somalian fiasco of 1992 at that time. By allowing and reinforcing the sense of impunity nurtured by the opposing forces present in Rwanda, the abstention of foreign powers has also participated to the escalation of violence and the onset of the most horrible atrocities. This lesson resonates today with a singular echo in a context of mass murders perpetrated every day in Syria and the drama which is taking place in Central African Republic. This is the reason why the Rwandan genocide should raise awareness not only among those who tell the story, but also the people who hold in their hands the fate of entire regions. International justice alone, if it is to be relevant, will never replace the action of diplomacy, and sometimes the use of force to prevent the worst from happening.

Finally, the third lesson is that revisionism, with all its symbolic brutality, always prevent memories from finding root in people’s minds, survivors from mourning and honoring with dignity the victims. Revisionism banish the prospect of reconciliation between communities who once tore each other apart.  The accounts of the Tutsi survivors and their executioners, like those of Holocaust survivors seventy years ago, unveil the unspeakable suffering of people who prepared themselves to die and who had to learn to live again.  With the images, the nightmares haunting their nights and the memory of missing loved ones tearing their hearts apart. Commemoration is not only a matter of honoring the dead, it helps the living rebuild their lives.

Elie Wiesel wrote that he who chose to dedicate the rest of his life to tell the story of the Holocaust because he thought he was indebted to the dead. Not remembering them, he said, amounts to betraying them one more time. This is why we should, twenty years later, learn all the lessons from the Rwandan genocide.

 

Translated by Ndeye Mane Sall

Trois leçons du génocide rwandais

Cette année sera marquée par les commémorations du génocide rwandais de 1994. Vingt ans après la tragédie, il n'appartient plus seulement d’en pleurer les morts mais aussi d'en tirer toutes les leçons.


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La première leçon du génocide rwandais nous provient du travail des historiens qui ont montré combien la mécanique politique de la haine qui a conduit jusqu’à déshumaniser la minorité Tutsi a aussi constitué un prélude à son génocide. La haine de l’autre, l’exacerbation de la différence jusqu’à exclure toute perspective de vie commune a en effet puissamment contribué, au Rwanda comme en Allemagne nazie, à rendre possible sinon inéluctable le meurtre de masse. Il ne faut, à cet égard, cesser de contredire les thèses qui tendaient à ordinariser, voire à justifier le crime en le regardant comme un évènement spontané faisant suite à l’assassinat du président Habyarimana. Or nous savons aujourd’hui que le génocide rwandais n’était pas un accident de l’histoire mais bien le produit d’une idéologie raciste et d’une volonté meurtrière.

La deuxième leçon s’adresse à la communauté internationale, dont l’indifférence et l’inaction il y a vingt ans apparaissent aujourd’hui encore comme une faute non pas seulement politique, mais aussi morale. Cette attitude fautive témoigne du complexe de supériorité civilisationnelle alors éprouvé par une communauté internationale à peine remise du fiasco somalien de 1992. En confortant et renforçant le sentiment d’impunité cultivé par les forces en présence, l’abstention des puissances étrangères a aussi contribué à l’escalade de la violence et à la survenue des pires atrocités. Cette leçon résonne aujourd’hui avec un écho singulier dans le contexte des meurtres de masse perpétrés chaque jour en Syrie et du drame qui se noue en RCA. C’est pourquoi la tragédie rwandaise doit interpeler non pas seulement ceux qui racontent l’histoire, mais aussi ceux qui décident aujourd’hui du sort de régions entières. La seule justice internationale, si elle a sa place, ne remplacera jamais l’action de la diplomatie, et parfois de la force, pour prévenir le pire.

Enfin, la troisième leçon du génocide rwandais, c’est que le négationnisme, dans toute sa brutalité symbolique, empêche toujours les mémoires de s’affermir, les survivants de faire leur deuil et d’honorer avec dignité les victimes. Le négationnisme éloigne ainsi la perspective d’une réconciliation des communautés qui s’étaient autrefois déchirées. Le récit de ces survivants Tutsis et de leurs bourreaux, comme ceux des revenants de l’Holocauste il y a bientôt soixante-dix ans, met à jour la souffrance indicible de ceux qui s’étaient préparés à mourir et qui ont dû réapprendre à vivre. Avec toujours ces images, ces cauchemars qui hantent les nuits et le souvenir des proches disparus qui déchire le cœur. Commémorer, ce n’est donc pas seulement honorer les morts, c’est aussi permettre aux vivants de se reconstruire.

Elie Wiesel a écrit qu’il a choisi de dévouer le reste de sa vie au récit de l’Holocauste parce qu'il pensait détenir une dette envers les morts. Ne pas se souvenir d'eux, ajoutait-il, revient à les trahir à nouveau. C’est pourquoi il nous faut, vingt ans après, tirer toutes les leçons de la tragédie rwandaise.

Rayan Nezzar

Attaque terroriste de Westgate, le résultat de quarante ans d’échecs en Somalie

Le parallèle a été vite établi entre l'attaque menée par les Shabaab, le 21 septembre, dans un centre commercial de Nairobi au Kenya et les attentats du 11 septembre 2001 à New York. C'est une mauvaise analogie. 


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Cette attaque, menée par une quinzaine de terroristes, a causé une soixantaine de morts et près de 200 blessés, en plein milieu urbain, ramenant la barbarie au coeur le plus moderne de la capitale kényanne, en plein septembre.  

Ce parallèle, s’il frappe l’esprit et apparaît commode en l’absence d’une analyse rigoureuse, n’en demeure toutefois pas moins inopérant. Le massacre de Nairobi surprend tout d’abord en ce qu’il mêle la modernité d’une communication relayée sur Twitter et l’obscurantisme d’individus fanatiques prêts à mourir pour tuer le plus possible. Mais bien loin de signer l’ambition d’un groupuscule terroriste à mener une guerre de l’islam contre l’Occident, ces attentats ne sont que la triste suite d’un conflit intérieur à la Somalie.

Le pays le moins administré au monde

Peuplée de plus de 10 millions d’habitants qui s’étendent sur une superficie de 640 000 km2, la Somalie est en effet classée comme le pays le plus corrompu et le moins administré au monde. Indépendante depuis 1960 et composée de territoires anciennement colonisés par l’Italie au sud et par le Royaume-Uni au nord, la Somalie n’a depuis lors quasiment connu que guerres civiles et régionales. Pendant les neuf années qui suivent son indépendance, les deux premiers présidents de la Somalie tentent d’instaurer un gouvernement démocratique mais ne parviennent pas à s’imposer dans un contexte de luttes claniques qui opposent le nord et le sud du pays. Ces divisions originelles ne seront jamais surmontées.

En 1969, le coup d’Etat du général Mohamed Siyaad Barre remplace le gouvernement élu démocratiquement par le nouveau régime de la République démocratique de Somalie, ersatz de démocratie populaire alliée à l’URSS. Cette alliance, banale dans le contexte de la décolonisation, n’est cependant qu’éphémère et ne résiste pas à l’invasion de l’Ethiopie menée en 1977 pour conquérir de l’Ogaden. L’URSS soutient en effet le gouvernement marxiste éthiopien, qui parvient à repousser l’offensive somalienne avec l’appui de troupes cubaines et sud-yéménites. La guerre de l’Ogaden ruine la Somalie, qui y perd un tiers de son matériel militaire. L’abandon du nationalisme irrédentiste et du projet de Grande Somalie achève de diviser politiquement un pays où sévit désormais une terrible famine. L’effondrement du régime en 1991 plonge la Somalie dans la guerre civile et dans un chaos où prospèrent seigneurs de guerre, pillages et trafics de drogue et d’armes.

Le président américain Bill Clinton obtient en 1992 un mandat de l’ONU pour mener l’opération Restore Hope. Première intervention au nom de l’ingérence humanitaire, elle se solde cependant par un fiasco symbolisé par la bataille de Mogadiscio, à partir de laquelle les télévisions relayeront en boucle les images du massacre de dix-neuf soldats américains. Les Etats-Unis rappellent alors leurs troupes et les casques bleus prennent le relais jusqu’en 1995. Les solutions politiques proposées sous la médiation de l’Ethiopie et du Kenya échouent également, comme en 1997, à démilitariser et à reconstruire le pays. La Somalie reste alors le théâtre d’un affrontement entre clans, le Somaliland et le Puntland ayant proclamé leur indépendance au nord. Une conférence de conciliation prévoit, en 2003, la mise en place d’institutions fédérales de transition mais ne parvient pas à restaurer un gouvernement stable et effectif.

L’Union des tribunaux islamiques, avec une plateforme religieuse très mobilisatrice, parvient à transcender les divisions entre les clans pour prendre le pouvoir en juin 2006 et rétablir un semblant d’ordre dans le sud du pays. Mais tout le monde dans la région ne voit pas d’un bon œil un régime qui repose sur la charia, même si celui-ci recueille un assentiment populaire certain. Après une rébellion manquée, une intervention militaire éthiopienne soutenue par les Etats-Unis renverse l’Union des tribunaux islamiques en décembre 2006, et une intervention de l’Union africaine, l’AMISOM, prend le relais des forces éthiopiennes début 2007 pour sécuriser le nouveau gouvernement fédéral. C’est à la suite de cette défaite qu’émerge le mouvement Al-Shabaab, constitué des jeunes les plus militants des Tribunaux islamiques (Shabaab signifie « jeunesse » en arabe). Al-Shabaab s’étend rapidement jusqu’à contrôler la grande partie du centre et du sud de la Somalie, et mène une guérilla urbaine dans les rues de Mogadiscio.

Devant la menace que le mouvement représente pour sa frontière nord, l’armée kenyane entre à son tour en scène fin 2011 pour sécuriser la zone frontalière et empêcher l’infiltration des insurgés sur son territoire. C’est dans ce contexte de près de quarante années de guerres civiles et d’instabilité régionale que doit se comprendre le massacre de Nairobi. Les Shabaab entendent en effet punir le Kenya pour son intervention en Somalie et son soutien au gouvernement de transition. Ce massacre, qui n’est ni le premier ni le dernier épisode d’une longue et sanglante histoire doit cependant nous interroger : Plusieurs décennies après les indépendances, l’Afrique est-elle condamnée aux guerres civiles et régionales ?

Rayan Nezzar