Attaque terroriste de Westgate, le résultat de quarante ans d’échecs en Somalie

Le parallèle a été vite établi entre l'attaque menée par les Shabaab, le 21 septembre, dans un centre commercial de Nairobi au Kenya et les attentats du 11 septembre 2001 à New York. C'est une mauvaise analogie. 


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Cette attaque, menée par une quinzaine de terroristes, a causé une soixantaine de morts et près de 200 blessés, en plein milieu urbain, ramenant la barbarie au coeur le plus moderne de la capitale kényanne, en plein septembre.  

Ce parallèle, s’il frappe l’esprit et apparaît commode en l’absence d’une analyse rigoureuse, n’en demeure toutefois pas moins inopérant. Le massacre de Nairobi surprend tout d’abord en ce qu’il mêle la modernité d’une communication relayée sur Twitter et l’obscurantisme d’individus fanatiques prêts à mourir pour tuer le plus possible. Mais bien loin de signer l’ambition d’un groupuscule terroriste à mener une guerre de l’islam contre l’Occident, ces attentats ne sont que la triste suite d’un conflit intérieur à la Somalie.

Le pays le moins administré au monde

Peuplée de plus de 10 millions d’habitants qui s’étendent sur une superficie de 640 000 km2, la Somalie est en effet classée comme le pays le plus corrompu et le moins administré au monde. Indépendante depuis 1960 et composée de territoires anciennement colonisés par l’Italie au sud et par le Royaume-Uni au nord, la Somalie n’a depuis lors quasiment connu que guerres civiles et régionales. Pendant les neuf années qui suivent son indépendance, les deux premiers présidents de la Somalie tentent d’instaurer un gouvernement démocratique mais ne parviennent pas à s’imposer dans un contexte de luttes claniques qui opposent le nord et le sud du pays. Ces divisions originelles ne seront jamais surmontées.

En 1969, le coup d’Etat du général Mohamed Siyaad Barre remplace le gouvernement élu démocratiquement par le nouveau régime de la République démocratique de Somalie, ersatz de démocratie populaire alliée à l’URSS. Cette alliance, banale dans le contexte de la décolonisation, n’est cependant qu’éphémère et ne résiste pas à l’invasion de l’Ethiopie menée en 1977 pour conquérir de l’Ogaden. L’URSS soutient en effet le gouvernement marxiste éthiopien, qui parvient à repousser l’offensive somalienne avec l’appui de troupes cubaines et sud-yéménites. La guerre de l’Ogaden ruine la Somalie, qui y perd un tiers de son matériel militaire. L’abandon du nationalisme irrédentiste et du projet de Grande Somalie achève de diviser politiquement un pays où sévit désormais une terrible famine. L’effondrement du régime en 1991 plonge la Somalie dans la guerre civile et dans un chaos où prospèrent seigneurs de guerre, pillages et trafics de drogue et d’armes.

Le président américain Bill Clinton obtient en 1992 un mandat de l’ONU pour mener l’opération Restore Hope. Première intervention au nom de l’ingérence humanitaire, elle se solde cependant par un fiasco symbolisé par la bataille de Mogadiscio, à partir de laquelle les télévisions relayeront en boucle les images du massacre de dix-neuf soldats américains. Les Etats-Unis rappellent alors leurs troupes et les casques bleus prennent le relais jusqu’en 1995. Les solutions politiques proposées sous la médiation de l’Ethiopie et du Kenya échouent également, comme en 1997, à démilitariser et à reconstruire le pays. La Somalie reste alors le théâtre d’un affrontement entre clans, le Somaliland et le Puntland ayant proclamé leur indépendance au nord. Une conférence de conciliation prévoit, en 2003, la mise en place d’institutions fédérales de transition mais ne parvient pas à restaurer un gouvernement stable et effectif.

L’Union des tribunaux islamiques, avec une plateforme religieuse très mobilisatrice, parvient à transcender les divisions entre les clans pour prendre le pouvoir en juin 2006 et rétablir un semblant d’ordre dans le sud du pays. Mais tout le monde dans la région ne voit pas d’un bon œil un régime qui repose sur la charia, même si celui-ci recueille un assentiment populaire certain. Après une rébellion manquée, une intervention militaire éthiopienne soutenue par les Etats-Unis renverse l’Union des tribunaux islamiques en décembre 2006, et une intervention de l’Union africaine, l’AMISOM, prend le relais des forces éthiopiennes début 2007 pour sécuriser le nouveau gouvernement fédéral. C’est à la suite de cette défaite qu’émerge le mouvement Al-Shabaab, constitué des jeunes les plus militants des Tribunaux islamiques (Shabaab signifie « jeunesse » en arabe). Al-Shabaab s’étend rapidement jusqu’à contrôler la grande partie du centre et du sud de la Somalie, et mène une guérilla urbaine dans les rues de Mogadiscio.

Devant la menace que le mouvement représente pour sa frontière nord, l’armée kenyane entre à son tour en scène fin 2011 pour sécuriser la zone frontalière et empêcher l’infiltration des insurgés sur son territoire. C’est dans ce contexte de près de quarante années de guerres civiles et d’instabilité régionale que doit se comprendre le massacre de Nairobi. Les Shabaab entendent en effet punir le Kenya pour son intervention en Somalie et son soutien au gouvernement de transition. Ce massacre, qui n’est ni le premier ni le dernier épisode d’une longue et sanglante histoire doit cependant nous interroger : Plusieurs décennies après les indépendances, l’Afrique est-elle condamnée aux guerres civiles et régionales ?

Rayan Nezzar

 

Terrorisme : l’Afrique à la croisée des chemins

Le spectre du terrorisme hante l’Afrique. Mali, Nigéria, Algérie, Somalie, Kenya, Ouganda… le développement des organisations terroristes et criminelles devient un problème de plus en plus urgent à résoudre pour les autorités africaines concernées. Au moment où les enjeux de l'action terroriste deviennent de plus en plus importants, la situation semble paradoxale : d’une part les moyens pour une politique anti-terroriste efficace et durable font défaut ; d’autre part, les groupes criminels deviennent de plus en plus puissants et gagnent de l’influence au niveau de populations désespérées qui rêvent de lendemains meilleurs.

Le terrorisme annihile toutes les perspectives des programmes de développement économiques et sociaux dans les zones où il prolifère. La situation est telle que ces organisations criminelles s’imposent comme les principaux acteurs et régulateurs de zones sous leur contrôle en Afrique subsaharienne. Les flux économiques (commerce légale et trafics illégaux) et de personnes (migrations de populations autochtones, circulation des touristes et du personnel des ONG et aux acteurs de la communauté internationale) sont en passe d’être sous le contrôle complet des groupes terroristes au Sahel et au Sahara. Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), par exemple, est en passe de transformer le Sahara en vrai marché. Le nouveau « Sahara Stock Exchange » est de plus en plus actif avec pour valeur de transaction les otages internationaux et toutes sortes de biens matériels objets de trafics (cigarettes, drogues, armes). Avec des revendications d’ordre politique et social, les actions d’Ansar Dine, autre groupe terroriste salafiste qui contrôle désormais le Nord Mali, sont facilitées par la disponibilité des sources illicites de financement et la coopération avec d’autres mouvements tels que Boko Haram (l'instruction est illicite) et le Mouvement d'Unité pour le Jihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO).

Comme l’a montré Abdelkader Abderrahmane, chercheur à la Prévention des Conflits et Analyses des Risques' (CPRA) et à l’Institut d'Etudes de Sécurité (ISS) (Ethiopie) dans un papier publié récemment, le Trafic d'armes, de drogues et le blanchiment d'argent sont devenus monnaie courante entre tous ces groupes criminels. De plus, « des liens grandissants se tissent entre les narco-terrroristes présents en Afrique de l'ouest et les groupes mafieux européens tels que la Camorra » poursuit le chercheur. Par le biais de ces coopérations, ces groupes qui font beaucoup parler d’eux s'aident mutuellement, bénéficient de leurs expertises respectives et pourront à court terme se transformer en groupes hybrides comme le sont actuellement les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC) qui sont un exemple de groupe basé sur une idéologie politique qui, avec le temps, a muté en groupe crimino-narco-terroriste selon Abdelkader Abderrahmane.

Il semble donc urgent de trouver des solutions pour endiguer cette prolifération terroriste et criminelle. Un meilleur contrôle des transferts d’armes conventionnelles à l’intérieur du continent est le prélude à cette lutte. La transparence de tout contrat d’armement devrait être confirmée par une autorité compétente africaine. Beaucoup plus de clairvoyance de la part des autorités politiques pourrait, de plus, permettre des avancées significatives dans la lutte contre le fait terroriste en Afrique. Pour le cas malien, il est important de palier tout risque de contagion régionale. L’impasse géopolitique dans laquelle se trouve actuellement le Mali devient de plus en plus préoccupante. Le no-man-land que devient cette partie du Sahara peut être le prélude à une nouvelle dynamique terroriste, une base arrière et un centre de formation pour tous ceux qui se reconnaissent dans cette stratégie. Le processus démocratique qui a nécessité tant d’effort pour s’enclencher risque de s’effondrer sous l’action de ces groupes criminels et l’Afrique en a assez de devoir toujours « repartir à zéro ».

 

Papa Modou Diouf