Qui sauvera le Ghana de son pétrole?

La découverte en 2007 de riches nappes pétrolières au large des côtes ghanéennes a fait naître simultanément une formidable vague d’espoir dans ce pays et de profondes inquiétudes quant à l’impact que ces ressources pourraient avoir sur le tissu social et politique national et sous régional. Le fait est que dans cette démocratie fortement polarisée et dominée par l’exécutif, le spectre des coups d’états militaires passés n’est pas loin. Les expériences calamiteuses du Nigéria, du Tchad ou de la Sierra Leone sont là qui font craindre une nouvelle malédiction de l’abondance en ressources naturelles. La question est posée : le Ghana sera-t-il un autre Nigéria ou le Botswana de l’Afrique Occidentale ?
 
Selon le FMI, la production du site pétrolier du « Cape Three Points » (rebaptisé pompeusement « Jubilee ») devrait atteindre très rapidement 100.000 barils par jour et rapporter à l’état ghanéen 20 milliards de dollars sur la période 2012-2030. Ransford Edward Van Gyampo, un universitaire Ghanéen, dans « Saving Ghana from Its Oil: A Critical Assessment of Preparations, so Far Made » paru dans le dernier numéro de la revue « Africa Today » (Juin 2011), expose la façon dont ce pays se prépare à la gestion de sa future manne pétrolière, et les conclusions qu’il en tire sont alarmantes.
Les canaux par lesquels la découverte et l’exploitation de ressources naturelles inespérées peuvent nuire à la stabilité politique d’un pays sont les suivants :
  • ·         Ces ressources peuvent permettre à un pouvoir dominateur ou autoritaire d’ « acheter » le soutien populaire et de faire taire les dissidents
  • ·         L’avantage prodigieux qu’elles accordent au parti au pouvoir (liberté fiscale et budgétaire) peut l’inciter à le conserver par tous les moyens, quitte à marginaliser et réprimer l’opposition
  • ·         L’appât du gain peut générer un conflit armé et mener à la mise en place d’une dictature militaire.
Contrer ces effets négatifs exige l’établissement d’une véritable politique énergétique nationale, qui soit conforme aux normes et bonnes pratiques internationales en matière de gouvernance, de régulation et d’indépendance. Les gouvernements ghanéens depuis 2007 ne semblent pas prêts à le faire.
 
Un forum organisé en Février 2008 censé servir de base à la construction d’une telle politique a été l’occasion d’une marginalisation de l’opposition (alors le New Democratic Party) et des organisations de la société civile par le régime en place (celui du New Patriotic Party de John Kufuor). Plus grave encore, les projets de loi devant instaurer cette politique ont été élaborés, essentiellement, par le cabinet du Président, rendant impossible toute solution de continuité en cas d’alternance. Lorsque celle-ci survint en 2008, le gouvernement de John Atta Mills (NDP) se trouva face à dilemme de l’adoption d’une politique énergétique à la construction de laquelle il n’avait pas été associé ou à la redéfinition totale de celle-ci, à quelques mois à peine du début de l’exploitation pétrolière.
 
Ces projets ne sont toujours pas adoptés. Le nouveau gouvernement a initialement  prévu de reformuler complètement sa politique énergétique (gaz, pétrole, etc.) et d’instaurer un régulateur indépendant chargé de superviser ces entrées nouvelles. Des pressions internes au parti l’ont conduit à repousser, sine die, la création de cet organe. La production du « Jubilee » a débuté en décembre 2010, sans que la politique énergétique ni le cadre légal et réglementaire censés en assurer l’encadrement ne soient mis en place. Un autre projet du gouvernement était de modifier l’objectif global de la politique, qui sous l’ancien gouvernement était celui, assez basique et statique, de faire du Ghana un exportateur net de pétrole. L’idée était d’inclure l’obligation d’autochtonisation des connaissances, du savoir-faire et de l’expertise nécessaires à la production pétrolière. Ce projet est jusqu’à présent en stand-by.
 
Parmi les autres écueils l’auteur identifie la faiblesse du parlement, miné par les oppositions partisanes et le manque de moyens logistiques qui renforce la concentration de la planification et de la prise de décision au sein du pouvoir exécutif. Ce dernier est de plus, le seul à attribuer les licences d’exploitation. La société civile est tenue à distance. Sous le gouvernement précédent, comme sous celui de Mills, seule une poignée d’ONG ont été conviées aux travaux préparatoires. L’opposition n’y étant même pas représentée.
 
L’insistance d’investisseurs chinois à financer l’acquisition par le gouvernement de nouvelles actions au sein du la société d’exploitation du site – qui explique la reluctance de la société Kosmos à les céder – inquiète autant les organismes internationaux (Banque Mondiale, FMI) que la société civile qui – et c’est exceptionnel au Ghana – à applaudit les conditions imposées par la Banque mondiale au prêt accordé en 2009 au gouvernement Mills et dont le versement de la seconde tranche a été bloqué du fait de la lenteur des procédures législatives (adoption de la politique budgétaire).
 
Les atermoiements et revirements du pouvoir exécutif ghanéen, le silence du parlement, l’inexistence du parlement, le manque de transparence et l’opacité dans lesquels la politique énergétique du pays est mise en place font craindre une évolution nigériane de l’exploitation pétrolière au Ghana. Ce qui pourrait porter un coup décisif à ce qui constitue la meilleure expérience démocratique des deux dernières décennies en Afrique occidentale.
 
Joël Té Léssia