Les réformes du secteur minier en Afrique

Dans un récent document, « Les ressources minérales et le développement de l’Afrique », la Commission économique pour l’Afrique de l’ONU (CEA) souligne les enjeux de ce secteur pour le continent africain. Si les prix des ressources minières ont rarement été aussi élevés sur les marchés, les Etats africains et leurs populations en profitent en général relativement peu, du fait d’une taxation inadéquate, de partenariats public-privés mal négociés, d’une mauvaise régulation du secteur et d’un interventionnisme public mal calibré. L’intérêt du rapport de la CEA est d’évaluer un certain nombre de réformes mises en œuvre dans différents pays africains pour en déduire de bonnes et de mauvaises pratiques.

Encadrer l’économie informelle

Le secteur minier est particulièrement concerné par le travail au noir. Cela concerne par exemple l’extraction minière sans autorisations par de petites mains travaillant souvent dans des conditions éprouvantes (travail des enfants, exposition à des produits dangereux). Dans les zones minières de la République Démocratique du Congo ou de la Centrafrique, cette activité d’extraction informelle est la principale source d’occupation des habitants, parfois au détriment de l’agriculture de subsistance. Le deuxième volet de l’économie minière informelle concerne la vente des ressources minières hors des circuits officiels, et donc sans taxation, ce qui peut constituer une importante perte de revenus pour les Etats concernés par ce phénomène.

Des pays africains ont impulsé des politiques visant à remédier à cet état de fait. La Tanzanie a ainsi procédé à la libéralisation du commerce des produits minéraux, un ancien monopole public. L’Etat tanzanien a octroyé des licences aux opérateurs du marché, leur facilitant leur activité de commerce à condition qu’ils déclarent les quantités échangées qui sont ensuite taxées. « Au Mozambique, le fonds de développement du secteur minier, créé par le Gouvernement, joue un double rôle en aidant (financièrement et techniquement) et en promouvant l’exploitation minière artisanale et à petite échelle, tout en servant d’acheteur d’or, en particulier sur les sites reculés où les exploitants ont peu accès aux marchés concurrentiels. Dans ces endroits éloignés, ce fonds est souvent le seul acheteur légal. » Au Zimbabwe, l’Etat a réussi à court-circuiter la plupart des intermédiaires marchands en proposant aux extracteurs des prix fixes proches de ceux du marché, ce qui a pour effet de réduire leur incertitude. L’interventionnisme public dans le secteur minier en Afrique est en mutation : l’Etat n’essaye plus d’être le seul opérateur du secteur, mais plutôt un intermédiaire incontournable qui peut s’appuyer sur l’initiative privée des petits artisans et des petits commerçants.

Ce type de réforme pose parfois de nouvelles difficultés. Ainsi, au Ghana, la Ghana Mineral Commission a lancé il y a quelques années un programme visant à doter les acteurs informels du secteur minier d’outils industriels et de conseils pour améliorer leur productivité et les pousser à régulariser leur situation auprès de l’Etat. Dans les faits, le recours à un matériel lourd par un grand nombre d’opérateurs insuffisamment encadrés a conduit à une utilisation anarchique avec des conséquences dommageables pour l’environnement. « Étant donné que les exploitants ne suivent pas de bonnes pratiques, la mécanisation de leurs activités a augmenté le nombre d’accidents, comme l’effondrement des puits et des remblais, par exemple. »

Favoriser financièrement et techniquement la prospection minière

L’un des principaux facteurs discriminants pour les opérateurs africains autochtones dans le secteur minier est le déficit de moyens financiers et techniques, notamment en ce qui concerne la prospection minière. Si le secteur continue à être dominé par de grandes multinationales, si les « étrangers » continuent d’être les principaux exploitants des ressources minières de l’Afrique, c’est parce que l’exploitation minière nécessite de mobiliser beaucoup de capitaux et qu’elle requiert une expertise technique pointue (géologie, ingénierie mécanique…) dans la perspective d’une production industrielle. La barrière à l’entrée est trop importante pour les entrepreneurs locaux qui sont réduits au rôle de sous-traitants mineurs, qui captent peu de valeur-ajoutée dans le processus de vente des produits minéraux. Des gouvernements africains ont tenté d’apporter des réponses à ce problème. Au Mozambique, en Afrique du Sud ou au Ghana, des prêts publics sont octroyés à de petits exploitants pour favoriser la prospection minière. Ces prêts restent cependant dérisoires au regard des besoins et du potentiel de prospection en Afrique. De plus, les conditions d’accès à ces financements sont souvent trop contraignantes pour les petits exploitants du secteur informel, et bénéficient plutôt à des acteurs déjà bien structurés.

« Un important enseignement est que pour avoir accès au financement, les petits opérateurs miniers ont besoin de l’appui d’un partenaire technique compétent. Prêteurs et actionnaires recherchent une expérience prouvée dans le domaine de la gestion et des flux de trésorerie reposant sur de bonnes réserves de minerai entre autres – autant d’attributs faisant cruellement défaut chez les petits opérateurs miniers. »

L’une des politiques les plus efficaces de renforcement des capacités d’exploitants miniers locaux consiste à favoriser leurs partenariats avec des multinationales établies, qui fournissent expertise technique et garanties financières, et peuvent en contrepartie participer au capital de jeunes entreprises prometteuses qui sont privilégiées au sein de leur espace national. « En Afrique du Sud, l’encadrement et la sous-traitance préférentielle font tous deux parties de la Charte minière, ce qui indique une voie dans laquelle les lois nationales sont mises au point pour exécuter des programmes de sous-traitance et d’encadrement par les grandes compagnies minières. » Cette stratégie de parrainage de futurs champions nationaux par des entreprises internationales matures, qui se traduit par un transfert de technologie, une facilité d’accès au crédit et une meilleure appréhension des marchés internationaux, s’est déjà révélée concluante dans plusieurs secteurs industriels, notamment dans les pays d’Asie du Sud-Est.

La réforme du secteur minier est une priorité dans l’agenda politique de plusieurs pays africains, comme la Guinée Conakry ou la Centrafrique, pays pour lesquels elle constitue un levier stratégique d’amélioration de la situation économique et sociale. Ces pays gagneront à tirer des enseignements empiriques des réformes mises en œuvre dans d’autres pays africains.

Emmanuel LEROUEIL

Toutes les citations sont issues du rapport cité au début de l'article

Pour aller plus loin, du même auteur : http://terangaweb.com/2011/04/04/la-centrafrique-face-a-la-malediction-du-diamant/

La Centrafrique face à la malédiction du diamant

Réélu en fin janvier 2011 à la présidence de la République Centrafricaine, François Bozizé fait face à de nombreux défis. La population centrafricaine est parmi les plus pauvres d’Afrique, tandis que l’Etat centrafricain est l’un des plus faibles du continent. La tâche se révélant immense, le président Bozizé comme l’observateur extérieur peuvent se demander : par où commencer ? Par la bonne gestion des ressources en diamants du pays, sans doute. 
La Centrafrique peut-elle éviter la malédiction du diamant et faire de cette ressource le levier central de son développement économique et social ?
 
La malédiction du diamant
Il y a malédiction du diamant à double titre. La première relève d’un phénomène universel : les pays bien dotés en ressources naturelles connaissent parfois un taux de croissance inférieur aux autres. Bénéficiant d’une rente de situation grâce à certaines ressources, ces pays connaissent une compétitivité inférieure dans les autres secteurs économiques et se caractérisent par un sous-investissement éducatif et/ou une mauvaise gestion des richesses produites par le sous-sol. On parle de « syndrome hollandais » pour décrire les effets économiques et sociaux négatifs d’une rente économique basée sur des ressources naturelles. Cela est très souvent le cas par exemple des pays pétroliers d’Afrique ou du Moyen-Orient, notamment lorsque les cours du pétrole sont modérés.  
Il y a enfin une malédiction du diamant propre à l’Afrique, celle des « diamants du sang ». L’expression renvoie à l’utilisation du diamant comme principale ressource dans le cadre d’économies de guerre et de rapines dans des conflits particulièrement meurtriers en Angola, au Libéria, en Sierra Leone et en République Démocratique du Congo, notamment durant les années 1990-2000.  Le diamant est au centre de spirales mafieuses qui voient des mouvements politiques rebelles et militarisés survivre indéfiniment en se passant du soutien des populations (cas de l’Unita en Angola) ; ou suscite l’appât du gain de bandes armés qui violentent les populations civiles pour exploiter les diamants de leur environnement naturel (cas des troupes de Charles Taylor en Sierra Leone). Enfin, comme dans le cas de la République Démocratique du Congo, les ressources en diamant, notamment dans les zones frontalières, constituent un sérieux mobile d’invasion de forces armées étrangères mieux organisées pour détourner à leur profit cette ressource (présence ougandaise et rwandaise).
 
L’exploitation du diamant en Centrafrique
 
L’exploitation du diamant y a débuté en 1927. Il s’agit essentiellement de gisements alluvionnaires situés dans le bassin de deux grands systèmes fluviaux du pays : autour des rivières Mambere et Lobaye au Sud-Ouest ; autour de la rivière Kotto dans l’Est. D’après les statistiques du Bureau d’évaluation et de contrôle de diamant et d’or (BECDOR), la Centrafrique a exporté 311 784 carats en 2009. A titre de comparaison, le premier exportateur de diamants africain (et deuxième exportateur mondial derrière la Russie), le Botswana, exporte en moyenne 32 millions de carats chaque année. La Centrafrique est donc un petit producteur de diamants[1], même si l’on considère que le pays exporte plus que ne le signale les chiffres officiels, du fait de la contrebande. Mais à l’échelle du pays, l’économie du diamant est très importante. Selon un rapport de l’International Crisis Group sur le sujet (De dangereuses petites pierres – les diamants en République Centrafricaine, décembre 2010), « l’extraction artisanale fournit un emploi à quelques 80 000 à 100 000 mineurs à travers le pays, des mineurs dont les revenus nourrissent au moins 600 000 personnes. Son impact économique et social n’est donc pas négligeable dans un pays qui compte 4,8 millions d’habitants. »
 
Les racines du mal
Comme le laisse à penser le rapport susmentionné de l’ICG, tout indique que la Centrafrique connaisse déjà la malédiction du diamant. Le pays a une longue histoire d’appropriation par l’élite au pouvoir de la rente du diamant. Jean Bedel Bokassa s’est rendu tristement célèbre en la matière. Son exploitation déraisonnée du secteur diamantifère a longtemps plombé la production de la RCA, avec un épuisement des gisements les plus facilement exploitables et l’absence d’exploration de nouveaux sites. Ange-Félix Patassé, ancien Premier ministre de Bokassa et élu président de la RCA en 1993, est également propriétaire d’une compagnie minière, la Colombe Mines, possédant plusieurs sites diamantifères.  Selon le rapport de la visite d’examen du Processus de Kimberley en République centrafricaine de juin 2003, son mandat a fourni l’occasion au président Patassé de considérablement étendre les activités de son entreprise. Par ailleurs, sa gestion se serait caractérisée par la distribution à sa discrétion d’exemptions au code minier à des propriétaires (70% des propriétaires étant exemptés du code minier !), rendant ledit code minier caduque et plongeant le secteur dans l’anarchie.
Par ailleurs, des groupes rebelles militarisés contrôlent désormais une partie importante des sites de production de diamant. L’Union des forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR), bien qu’ayant signé un accord de paix avec le gouvernement, poursuivrait l’extraction et la contrebande de diamants dans le Nord-Est du pays. De même pour la Convention des patriotes pour la justice et la paix (CPJP), qui contrôle l’Est du pays. Derrière ces organisations aux noms humanistes se cachent des activités de « parrainage » mafieux des extracteurs artisanaux de diamants dans les régions qu’ils contrôlent. On retrouve donc en RCA les symptômes de la malédiction du diamant.
 
La réforme du secteur minier par Bozizé
Arrivé au pouvoir le 15 mars 2003, François Bozizé a très vite décidé de s’attaquer à la question du diamant. Le 14 avril de cette année, il annule tous les permis de prospection et d’extraction, y compris – et surtout – ceux de l’entreprise de son prédécesseur Patassé. L’assemblée nationale vote le 1er février 2004 un nouveau code minier avec la volonté de l’aligner sur les normes internationales en vigueur. Ce nouveau code se caractérise par ce que l’ICG considère dans son rapport comme un « régime fiscal et cadre légal rigide et inflexible qui sous-tend une organisation centralisé et opaque ». Quoi qu’il en soit, le résultat est que la plupart des compagnies minières internationales seraient parties suite à cette réforme, les exigences des autorités centrafricaines leur paraissant démesurées par rapport à l’intérêt de rester sur place. Il ne resterait plus qu’une seule compagnie diamantaire internationale présente en Centrafrique à l’heure actuelle. Le constat de l’International Crisis Group est le suivant : « Le niveau élevé de taxation incite par ailleurs la contrebande, que les autorités minières sont trop faibles pour arrêter. L’effet conjugué d’un Etat parasitaire, de la criminalité et de l’extrême pauvreté incite des factions rivales à entrer en rébellion tout en créant des conditions propices leur permettant de tirer profit du commerce de diamants dans les régions minières(…)Au ministère des Mines, la priorité donnée aux gains à court terme fait obstacle à l’élaboration et à la mise en oeuvre d’une stratégie de développement du secteur minier. La Direction générale des mines n’a ainsi pas de document de stratégie. Elle attend que la Banque mondiale lui fournisse des consultants pour l’aider à en rédiger un. »
 
Emmanuel Leroueil

 


[1] : Ordre décroissant des principaux producteurs de diamants en Afrique et production en millions de carats : Botswana (31,89), RDC (29), Afrique du Sud (15,2), Angola (7,5), Namibie (1,9), Ghana (1), Sierra Leone (0,7), Guinée (0,55), République Centrafricaine (0,35), Côte d’Ivoire (0,30), Liberia (0,30), Zimbabwe (0,25), Tanzanie (0,21). Source : Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), 2006