Quand le marché des médicaments génériques s’éveillera…

L’émergence de politiques de santé publique ambitieuses en Afrique sub-saharienne fait de la production des médicaments génériques un enjeu majeur. Le marché africain du générique offre ainsi de belles opportunités d’investissement au secteur privé africain.

A l’heure où les pays occidentaux tentent de freiner leurs dépenses de santé, au risque d’entériner définitivement des systèmes de santé à deux vitesses, certains pays africains adoptent une démarche radicalement opposée. Ainsi en février dernier, le gouvernement du Bénin a annoncé la création d’un Régime d’Assurance Maladie Universelle (RAMU), afin de permettre à l’ensemble de la  population d’accéder aux soins selon les besoins médicaux et les revenus de chacun. En mars, s’est tenue au Niger une conférence pour le renforcement de la gratuité de soins de santé, gratuité qui avait été instaurée au Niger en 2005.

Les Etats d’Afrique subsaharienne prêtent un intérêt croissant à la gestion du risque maladie auquel font face les populations locales, lourd de conséquence en termes financiers pour les familles qui doivent souvent supporter la majeure partie des dépenses de santé publique. Le risque sanitaire fait de l’accès aux médicaments à bas coût un enjeu essentiel.  L’Afrique subsaharienne importe actuellement environ 90% de ses médicaments, le secteur des génériques représente donc un marché à fort potentiel sur le continent.

Outre l’innovation pharmaceutique, qui demeure essentielle, la priorité pour le continent consiste à renforcer ses capacités locales de production de médicaments .  Une politique de développement volontariste dans le  secteur  pharmaceutique local est déterminante pour attirer des investisseurs privés locaux pour qu’ils contribuent à développer une industrie pharmaceutique africaine.  Les pays les plus actifs en termes de production de médicaments génériques sont principalement le Kenya, le Nigéria, la Tanzanie et l’Afrique du Sud.

On peut citer à titre d’exemple le groupe sud-africain Aspen Pharma, qui fait partie du top 20 mondial des fabricants de génériques. Six de ses sites de production sont situés sur le continent (Afrique du Sud, Kenya, Tanzanie). Le chiffre d’affaires du groupe était en hausse de 31% sur les six derniers mois de l’année 2011, grâce à un marché domestique (Afrique du Sud) en forte croissance, et un bonne performance dans la sous-région, avec un profit opérationnel en hausse de 23%. Le groupe a su développer des partenariats stratégiques judicieux, notamment en Afrique de l’Ouest et au Nigéria avec le leader britannique Glaxosmithkline. Les perspectives de croissance sont en outre très favorables pour le Groupe, qui a l’intention d’accroître sa prise de participation dans le groupe pharmaceutique tanzanien Shelys, qui fabrique notamment des traitements génériques contre le paludisme.

Le secteur des génériques en Afrique subsaharienne attire également les investisseurs d’autres pays émergents, comme l’Inde. Selon le site Bloomberg, le laboratoire pharmaceutique indien Cipla a  l’intention d’investir 80 millions de dollars pour accroître ses capacités de productions en Ouganda, en partenariat avec Quality Chemicals Industries, un laboratoire du pays. Cet investissement vise à développer la production de traitements génériques contre le VIH et les médicaments génériques anti-malaria. L’usine de Quality Chimicals à Kampala a déjà des capacités de production existantes de 6 millions de comprimés anti-paludisme ou anti-VIH par jour.

La demande en médicaments générique de l’Afrique subsaharienne reste donc aujourd’hui fortement supérieure à l’offre locale, ce qui permet à la concurrence indienne et chinoise de s’attribuer de larges parts de marché dans l’industrie pharmaceutique africaine. Les opportunités d’investissements pour les laboratoires africains sont pourtant bien réelles, et l’émergence de grands laboratoires africains spécialisés sur les génériques tels qu’Aspen permettrait de réduire les importations de médicaments et d’assurer une stabilité dans la production de médicaments génériques locaux. Les bailleurs de fonds devront quant à eux respecter les dynamiques d’un secteur pharmaceutique africain encore fragile, notamment en mesurant bien ex ante l’impact potentiel de dons aux Etats de médicaments achetés à l’extérieur, ce qui peut menacer l’équilibre du marché.

Le marché africain des génériques est malgré tout promis à un bel avenir, grâce aux efforts grandissants des pouvoirs publics pour assurer au plus grand nombre un accès aux soins tout en optimisant les dépenses publiques liées à la santé.

Leïla M.

Pour que le Mali demeure une mauvaise idée

Le Mali a toujours été une mauvaise idée. De géographie. De Fédération. De politique de développement. De démographie. De protection des femmes . De trajectoire historique. De placement en demi-finale de la CAN. Et probablement une mauvaise idée de chronique dominicale. L’affaire, c’est que les Maliens ne font jamais rien comme il faut, même si, l'un dans l'autre, ça leur réussit plutôt bien.

Le Mali avait bien commencé. Entre l’idolâtrie francophile de Senghor ou l’obsession de stabilité et de contrôle d’Houphouët-Boigny d’un côté et l’irréductible et dangereuse radicalité de Sékou Touré, le Mali accéda à l’indépendance sous la houlette d’un panafricaniste non-doctrinaire, résolument non-aligné mais pragmatique : Modibo Keïta, une sorte de Kwame Nkrumah sans la folie des grandeurs. Et si Keïta se goura, en matière de politique économique (l’endettement colossal du Mali, c’est d’abord une mauvaise idée de Modibo Keïta), il reste définitivement l’un des « socialistes » africains les moins sanguinaires et son éviction du pouvoir fut des plus pacifiques. Mieux, il demeura jusqu’à sa mort (probablement par empoisonnement) un partisan résolu de la démocratie (sinon du multipartisme).

Puis, il y eut les deux décennies de la dictature de Moussa Traoré (1968-1991). Et là encore, à l’aune des calamités que connut l’Afrique des années 70 et 80, cette brave Afrique de l’Apartheid, de Mobutu, Amin Dada et Bokassa, de la Gukurahundi, des guerres civiles angolaise, éthiopienne, mozambicaine ou tchadienne, et même dans cette sereine Afrique de l’Ouest qui vit l’éclosion du conflit casamançais, le coût humain et financier de la dictature de Traoré reste assez mineur. Le Mali réussit même, au tournant de la décennie 90 (oui, celle-là même du génocide rwandais et des guerres civiles en Sierra Léone et au Libéria) à mettre Moussa Traoré aux arrêts, à le faire juger et condamner. Et derechef, le Mali se résolut à décevoir : non seulement, Traoré ne fut pas exécuté, il vit d’abord ses deux peines capitales commuées en détention à perpétuité, avant d’être gracié en 2002 et de bénéficier d’une villa officielle et de 1200 euros de rente publique par mois ; pour aggraver leur cas, les autorités militaires maliennes non seulement présentèrent leurs excuses à la population mais organisèrent une étonnamment rapide dévolution du pouvoir politique aux civils.

Et depuis vingt ans, cahin-caha, le Mali est une démocratie relativement paisible et passablement ennuyeuse. Pauvre, désespérément pauvre mais pas trop misérable, ni sous complète perfusion. Une mauvaise idée quand on a pour voisins la Côte d’Ivoire, l’Algérie ou la Mauritanie.

Voilà que le Mali s’apprête soudain à en prendre une « bonne » : suivre l’exemple de ses voisins et transformer un conflit politico-économique (les griefs des populations Touareg du Nord du Mali) en véritable crise militaro-ethnique.

Depuis la mi-janvier 2012, le Mali doit faire face à la quatrième rébellion Touareg de son histoire. Ce chiffre est assez significatif : de 1961 à maintenant, cet immense Nord malien n’a cessé de gronder, sans que Bamako ne sache exactement quelle solution apporter aux griefs de ses habitants. La pauvreté du pays, sa trajectoire politique depuis l’indépendance et les hérésies du découpage géographique n’expliquent qu’en partie cet échec. Une autre mauvaise idée malienne.

En 1961, une première rébellion éclate. Les chefs Touaregs de la région de l’Adrar des Ifoghas se révoltent contre l’autorité du pouvoir central et la politique de Modibo Keïta. Ce dernier, soutenu par le Maroc et l’Algérie écrase brutalement ces soulèvements, tout en en niant la réalité jusqu’en 1964. La dissidence Touareg n’en est qu’à ses débuts. Le terrible bagne-mouroir de Taoudéni bientôt fonctionnera à plein régime.

La grande sécheresse de 1972-74 fait 100.000 morts dans les régions de Gao et Tombouctou (Nord/Nord-est). L’indifférence coupable du régime de Moussa Traoré est interprétée à raison comme une mesquine revanche contre cette indocile partie du territoire. Pire : l’aide humanitaire reçue pour cette sécheresse et la suivante en 1982-85 est détournée par le gouvernement. Le Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA) est créé en 1988. Dès 1990, un second soulèvement éclate, qui voit l’attaque de la ville de Ménaka et des postes militaires avancés. Les accords de Tamanrasset signés en janvier 1991 sont censés régler définitivement la question : la région de Kidal est créée, Taoudéni est fermée, 240 prisonniers politiques sont libérés. Un calme précaire s’établit.

En 2006, les troubles reprennent : l'Alliance démocratique du 23 mai pour le changement dénonce le non-respect des accords de 1991. Le développement économique n’est pas venu, l’administration publique est inefficiente et jugée éloignée des populations. Les Touaregs s’aperçoivent peu à peu que cette administration est essentiellement originaire du Sud. La Côte d’Ivoire a ouvert la voie. Le GSPC et Kadhafi y ont certainement ajouté leur grain de sel. Les Accords d’Alger sont signés en juillet 2006 : un fonds d'investissement, de développement et de réinsertion socio-économique des régions du Nord-Mali sera mis en place et doté de 700 milliards de francs CFA, une nouvelle région administrative (Ménaka) doit être crée. La mécompréhension s’accentue : la majorité du pays est pauvre, elle aussi et ne comprend pas la facilité avec laquelle le gouvernement cède aux desiderata des minorités berbères du Nord du pays. Qu’importe l’état réel (profondément désastreux, même pour le Mali) des infrastructures publiques et sanitaires dans le Nord… Désengagement de l’Etat qui ne semble pas s’améliorer puis qu’une quatrième révolte touareg éclate, cinq ans seulement après ces Accords.

Depuis la mi-janvier 2012 le MNLA mène une violente offensive contre les forces armées maliennes. Les rebelles occupent désormais la ville de Tinzaouatène. L’armée républicaine essaie de contenir leur avancée. La classe politique appelle à l’unité et soutient le Président Amadou Toumani Touré. La crise humanitaire est grande : 30.000 déplacés internes, près de 20.000 réfugiés au Niger, en Algérie, au Burkina et en Mauritanie; les villes de Gao, Kidal, Ménaka, Adaramboukare, Tessalit et Tombouctou sont quasiment désertes, en état de siège.

La rébellion est mieux armée, en partie grâce à l’afflux d’armes sorties de Libye à la suite du « printemps » libyen, en partie grâce au soutien non-assumé d’AQMI. Et pour la première fois, malgré les dénégations du MNLA, le caractère ethnico-culturel de ses revendications est au cœur du problème : des affrontements ont opposé à Bamako, d’un côté, les parents des militaires maliens et les forces de l’ordre ; de l’autre, populations malinkés et Touaregs. Le gouvernement est désormais accusé de trahison et d’abandon par une part non-négligeable de la population. Sa réaction immédiate aux attaques du MNLA est jugée faible et brouillonne. De plus, les populations des principales villes du Sud vivent assez mal ce qu’elles considèrent comme une agression injustifiée de la part du Nord. Les appels au calme fusent de partout. Les incitations à éviter les amalgames entre les rebelles et le reste de la population Touareg, arabe, mauritanienne ou « nordiste » du pays, se multiplient. Pas sûr qu’elles soient suivies. Et ceci d’autant moins que le conflit semble s’accentuer. Ce que n’arrangeront pas les désertions au sein de l’armée malienne

Le libéral en moi, voit ici une autre conséquence de l’interventionnisme étatique (in fine, tout le monde l’accuse de tous les maux puisque tout le monde l’imagine omnipotent), l’Ivoirien ressent, en revanche, une terrible impression de déjà-vu. Il vaudrait mieux que le Mali reprenne sa tradition de mauvaises idées – modérées et progressives.
 

 

Joël Té-Léssia

FMI : Et si c’était lui ?

Alors que Dominique Strauss-Kahn prévoit désormais de consacrer tout son temps et toute son énergie à prouver son innocence, la bataille pour lui succéder a démarré en trombe. Les pays européens auxquels le poste revient traditionnellement révèlent déjà les noms des premiers candidats, au premier rang desquels celui de Christine Lagarde parait déjà faire consensus. C’est dans cette atmosphère de connivence que Pravin Gordhan, ministre sud-africain des Finances, a déclaré que « plusieurs candidats de pays en développement seraient crédibles et tout à fait capables de diriger le FMI. »
 
 
L’HOMME DE LA SITUATION
 
Si le ministre sud-africain ne s’est pas avancé à nommer lesdits candidats, de nombreuses voix évoquent un nom jusqu’alors méconnu, Trévor Manuel. L’actuel président de la Commission sud-africaine du Plan a fait ses débuts politiques dans un pays miné par l’Apartheid. Sa couleur de peau métissée –« noire » selon la classification sud-africaine – et son engagement au sein du Congrès National Africain (ANC) lui valent, dans les années 1980, plusieurs allers-retours en prison. Trévor Manuel appartient à cette espèce rare d’hommes d’Etat africains, tenaces par vocation et conviction plutôt que par ambition purement personnelle.
 
Après des études en ingénierie et en droit, il adhère à l’ANC, seule véritable force d’opposition au Parti National afrikaner. Entré dans la vie publique en 1981, il est d’abord Secrétaire général du Comité d’action d’urbanisme. Mais c’est sur les questions économiques que son intérêt se porte plus volontiers. L’abolition de l’apartheid en juin 1991 marque, à cet égard, un tournant décisif dans sa carrière. Il est successivement directeur de la Planification économique, ministre du Commerce et de l’Industrie, puis devient le premier homme de couleur à occuper le poste de ministre des Finances en 1996.
 
Cette expérience le met aux prises avec les spécificités économiques d’un pays en développement (PED). L’Afrique du Sud rencontre à l’époque toutes les difficultés caractéristiques des pays du Sud. Le chômage y atteint les 40%  malgré une forte croissance. Une situation sociale extrêmement tendue y est accentuée par de grandes inégalités de revenus, tandis que le coût du logement plombe le budget des ménages.
 
C’est certainement cette expérience du terrain qui rend la candidature de Trévor Manuel si « crédible ». Le manque de connaissance –parfois même l’ignorance- des particularités économiques et sociales des PED est très souvent reprochée au FMI. Le cas de la Mauritanie est, en ceci, emblématique. L’abandon de la propriété collective des terres qu’y a imposé le FMI a été à l’origine de l’appropriation de ces dernières par une petite poignée de multinationales agroalimentaires. L’exemple mauritanien n’est pas une exception. C’est en fait une ribambelle d’Etats africains (Sénégal, Guinée, Ghana…) qui se sont vus imposer des contraintes assassines par le FMI.
 
LE FMI, DE PLUS EN PLUS DÉCRIÉ PAR LES PAYS AFRICAINS
 
Lorsqu’en 1976 le monde entre dans l’ère des changes flottants, le FMI perd son rôle de stabilisateur du système de change fixe. La page de Bretton Woods tournée, il devient « la banque centrale des banques centrales ». Devenu prêteur en dernier ressort, sa principale mission est désormais d’aider les Etats menacés d’insolvabilité. C’est ainsi qu’au cours de la décennie 1980, suite au retournement de la conjoncture économique mondiale, le FMI se met à focaliser son action sur les pays du Sud. Leur niveau d’endettement est devenu plus qu’inquiétant. Ces nouvelles interventions du Fonds seront un cuisant échec. Elles plongent définitivement la plupart des pays africains dans la fameuse « crise de la dette ».
 
Les populations portent aujourd’hui encore les stigmates de cet épisode économiquement ravageur. Loin de s’être améliorée, l’image du FMI se dégrade chaque jour un peu plus dans les esprits. Novice perpétuel, oublieux du passé, le FMI répète inlassablement les mêmes méthodes escomptant des résultats nouveaux. L’aide conditionnelle est toujours l’occasion d’imposer ouverture des marchés, privatisation, libéralisation du marché du travail… bref, « le consensus de Washington ». Les peuples reprochent au FMI son approche déterministe et statistique dans une Afrique stochastique où règne l’imprévu.
 
En Europe pourtant, la politique du FMI se fait parcimonieuse et s’adapte toujours au mieux aux réalités locales. Dans la crise grecque, ce n’est qu’après une fine concertation avec l’UE qu’il a pris part au Fonds européen de stabilisation (FES). L’Europe a pu choisir librement les modalités du conditionnement de l’aide. Cette différence de traitement n’étonne pas. Le FMI est conçu –et voulu diront les plus cyniques- comme tel par ceux qui le dirigent. Dans La Grande Désillusion, J. E. Stiglitz dénonce l’iniquité qui le caractérise. Le droit de vote censitaire confère aux grands pays une situation hégémonique : 5% des Etats membres détiennent plus de 50% des droits de vote.
 
Les Etats-Unis et l’Europe ont ainsi pu imposer aux 187 pays membres un accord tacite : un Américain préside la Banque mondiale et un Européen le FMI. Dans ce contexte, une présidence assurée par Trevor Manuel représenterait un grand pas en avant. Cela témoignerait de ce que les grandes puissances ont pris acte du fait que les équilibres d’aujourd’hui ne sont plus ceux d’hier. Les foyers de la croissance mondiale sont désormais en Asie, en Amérique latine, en Afrique.
 
Les nouvelles règles de gouvernance accordant plus de poids aux PED n’entreront en vigueur qu’en 2012, après l’élection du nouveau directeur général. Ceci représentera un incontestable handicap pour la candidature de Trévor Manuel. D’autant plus que l’Europe est bel et bien déterminée à conserver son pré carré. Jusqu’à présent, aucun pays africain ne s’est officiellement prononcé concernant la candidature de l'ex-ministre des Finances. Sans doute sait-on déjà qu’étant donnée la crise de la zone euro, les chances pour que les dirigeants européens soient portés par un élan démocratique sont quasi-nulles.
 
Tidiane Ly

La Centrafrique face à la malédiction du diamant

Réélu en fin janvier 2011 à la présidence de la République Centrafricaine, François Bozizé fait face à de nombreux défis. La population centrafricaine est parmi les plus pauvres d’Afrique, tandis que l’Etat centrafricain est l’un des plus faibles du continent. La tâche se révélant immense, le président Bozizé comme l’observateur extérieur peuvent se demander : par où commencer ? Par la bonne gestion des ressources en diamants du pays, sans doute. 
La Centrafrique peut-elle éviter la malédiction du diamant et faire de cette ressource le levier central de son développement économique et social ?
 
La malédiction du diamant
Il y a malédiction du diamant à double titre. La première relève d’un phénomène universel : les pays bien dotés en ressources naturelles connaissent parfois un taux de croissance inférieur aux autres. Bénéficiant d’une rente de situation grâce à certaines ressources, ces pays connaissent une compétitivité inférieure dans les autres secteurs économiques et se caractérisent par un sous-investissement éducatif et/ou une mauvaise gestion des richesses produites par le sous-sol. On parle de « syndrome hollandais » pour décrire les effets économiques et sociaux négatifs d’une rente économique basée sur des ressources naturelles. Cela est très souvent le cas par exemple des pays pétroliers d’Afrique ou du Moyen-Orient, notamment lorsque les cours du pétrole sont modérés.  
Il y a enfin une malédiction du diamant propre à l’Afrique, celle des « diamants du sang ». L’expression renvoie à l’utilisation du diamant comme principale ressource dans le cadre d’économies de guerre et de rapines dans des conflits particulièrement meurtriers en Angola, au Libéria, en Sierra Leone et en République Démocratique du Congo, notamment durant les années 1990-2000.  Le diamant est au centre de spirales mafieuses qui voient des mouvements politiques rebelles et militarisés survivre indéfiniment en se passant du soutien des populations (cas de l’Unita en Angola) ; ou suscite l’appât du gain de bandes armés qui violentent les populations civiles pour exploiter les diamants de leur environnement naturel (cas des troupes de Charles Taylor en Sierra Leone). Enfin, comme dans le cas de la République Démocratique du Congo, les ressources en diamant, notamment dans les zones frontalières, constituent un sérieux mobile d’invasion de forces armées étrangères mieux organisées pour détourner à leur profit cette ressource (présence ougandaise et rwandaise).
 
L’exploitation du diamant en Centrafrique
 
L’exploitation du diamant y a débuté en 1927. Il s’agit essentiellement de gisements alluvionnaires situés dans le bassin de deux grands systèmes fluviaux du pays : autour des rivières Mambere et Lobaye au Sud-Ouest ; autour de la rivière Kotto dans l’Est. D’après les statistiques du Bureau d’évaluation et de contrôle de diamant et d’or (BECDOR), la Centrafrique a exporté 311 784 carats en 2009. A titre de comparaison, le premier exportateur de diamants africain (et deuxième exportateur mondial derrière la Russie), le Botswana, exporte en moyenne 32 millions de carats chaque année. La Centrafrique est donc un petit producteur de diamants[1], même si l’on considère que le pays exporte plus que ne le signale les chiffres officiels, du fait de la contrebande. Mais à l’échelle du pays, l’économie du diamant est très importante. Selon un rapport de l’International Crisis Group sur le sujet (De dangereuses petites pierres – les diamants en République Centrafricaine, décembre 2010), « l’extraction artisanale fournit un emploi à quelques 80 000 à 100 000 mineurs à travers le pays, des mineurs dont les revenus nourrissent au moins 600 000 personnes. Son impact économique et social n’est donc pas négligeable dans un pays qui compte 4,8 millions d’habitants. »
 
Les racines du mal
Comme le laisse à penser le rapport susmentionné de l’ICG, tout indique que la Centrafrique connaisse déjà la malédiction du diamant. Le pays a une longue histoire d’appropriation par l’élite au pouvoir de la rente du diamant. Jean Bedel Bokassa s’est rendu tristement célèbre en la matière. Son exploitation déraisonnée du secteur diamantifère a longtemps plombé la production de la RCA, avec un épuisement des gisements les plus facilement exploitables et l’absence d’exploration de nouveaux sites. Ange-Félix Patassé, ancien Premier ministre de Bokassa et élu président de la RCA en 1993, est également propriétaire d’une compagnie minière, la Colombe Mines, possédant plusieurs sites diamantifères.  Selon le rapport de la visite d’examen du Processus de Kimberley en République centrafricaine de juin 2003, son mandat a fourni l’occasion au président Patassé de considérablement étendre les activités de son entreprise. Par ailleurs, sa gestion se serait caractérisée par la distribution à sa discrétion d’exemptions au code minier à des propriétaires (70% des propriétaires étant exemptés du code minier !), rendant ledit code minier caduque et plongeant le secteur dans l’anarchie.
Par ailleurs, des groupes rebelles militarisés contrôlent désormais une partie importante des sites de production de diamant. L’Union des forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR), bien qu’ayant signé un accord de paix avec le gouvernement, poursuivrait l’extraction et la contrebande de diamants dans le Nord-Est du pays. De même pour la Convention des patriotes pour la justice et la paix (CPJP), qui contrôle l’Est du pays. Derrière ces organisations aux noms humanistes se cachent des activités de « parrainage » mafieux des extracteurs artisanaux de diamants dans les régions qu’ils contrôlent. On retrouve donc en RCA les symptômes de la malédiction du diamant.
 
La réforme du secteur minier par Bozizé
Arrivé au pouvoir le 15 mars 2003, François Bozizé a très vite décidé de s’attaquer à la question du diamant. Le 14 avril de cette année, il annule tous les permis de prospection et d’extraction, y compris – et surtout – ceux de l’entreprise de son prédécesseur Patassé. L’assemblée nationale vote le 1er février 2004 un nouveau code minier avec la volonté de l’aligner sur les normes internationales en vigueur. Ce nouveau code se caractérise par ce que l’ICG considère dans son rapport comme un « régime fiscal et cadre légal rigide et inflexible qui sous-tend une organisation centralisé et opaque ». Quoi qu’il en soit, le résultat est que la plupart des compagnies minières internationales seraient parties suite à cette réforme, les exigences des autorités centrafricaines leur paraissant démesurées par rapport à l’intérêt de rester sur place. Il ne resterait plus qu’une seule compagnie diamantaire internationale présente en Centrafrique à l’heure actuelle. Le constat de l’International Crisis Group est le suivant : « Le niveau élevé de taxation incite par ailleurs la contrebande, que les autorités minières sont trop faibles pour arrêter. L’effet conjugué d’un Etat parasitaire, de la criminalité et de l’extrême pauvreté incite des factions rivales à entrer en rébellion tout en créant des conditions propices leur permettant de tirer profit du commerce de diamants dans les régions minières(…)Au ministère des Mines, la priorité donnée aux gains à court terme fait obstacle à l’élaboration et à la mise en oeuvre d’une stratégie de développement du secteur minier. La Direction générale des mines n’a ainsi pas de document de stratégie. Elle attend que la Banque mondiale lui fournisse des consultants pour l’aider à en rédiger un. »
 
Emmanuel Leroueil

 


[1] : Ordre décroissant des principaux producteurs de diamants en Afrique et production en millions de carats : Botswana (31,89), RDC (29), Afrique du Sud (15,2), Angola (7,5), Namibie (1,9), Ghana (1), Sierra Leone (0,7), Guinée (0,55), République Centrafricaine (0,35), Côte d’Ivoire (0,30), Liberia (0,30), Zimbabwe (0,25), Tanzanie (0,21). Source : Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), 2006