Monsieur Tidiani (Jeff) Tall est un ingénieur diplômé de l’Ecole Polytechnique (Paris), entrepreneur en série et auteur de l’essai Réparer l’Afrique, une bonne fois pour toutes.
Bonjour M. TALL, Pouvez-vous nous présenter votre parcours universitaire et professionnel ?
Mr Tall : Né au Mali et de père diplomate, enfant, j’ai connu beaucoup de pays. Pour que je me fixe quelque part, mon père m’envoya en France où je fis les Classes Préparatoires au Prytanée Militaire de la Flèche dans la Sarthe. Je réussis à intégrer l’Ecole Polytechnique en 1990 après une 5/2 en tant que français. Après une spécialisation à l’ENSPM (Ecole Nationale Supérieure des Pétroles et Moteurs), j’ai débuté ma carrière chez Morgan Stanley (Banque d’affaires) à Londres en tant qu’analyste pendant deux ans. Par la suite j’ai démissionné et suis retourné au Mali monter une boîte de transports de carburant dans le domaine de la raffinerie. Face à un climat peu propice aux affaires (concurrence du secteur informel etc.), cette expérience n’a duré que trois années. Porté par la vague des dotcom (.com) à la mode, je créai une start-up Espirituality.com, aux Etats-Unis, qui n’a pas survécu à la bulle technologique des années 2000. Après un passage chez Roland Berger à New York en tant que consultant en stratégie pendant deux ans, j’ai travaillé à Dubaï dans un cabinet de marketing pour me rapprocher un peu plus de ma famille. Depuis début 2010, je suis en poste chez un leader mondial des matériaux de construction en temps que Vice Président afin de développer la partie vente et logistique en Afrique Subsaharienne.
De nos jours, on fait la promotion de l’innovation et de l’entreprenariat dans nos écoles. En temps qu’entrepreneur en série, quels conseils donnez-vous aux entrepreneurs en herbe ?
Mr Tall : Entreprendre sans expérience préalable n’est pas très raisonnable, ce fût mon cas. Il est préférable d’acquérir d’abord de l’expérience et de nouer des relations professionnelles avant de lancer une entreprise. Créer une start-up en Afrique requiert aussi de bien connaitre son secteur et d’y investir que si on trouve un réel besoin non satisfait ou mal satisfait par le marché. En fin de compte, je vous conseille de n’entreprendre que si vous êtes passionné et que vous ne pouvez pas vous empêcher de vouloir créer du travail, des produits et du profit. L’écosystème de l’enseignement supérieur français fait qu’en moyenne, on gagne plus si on suit un parcours classique.
A votre avis l’entreprenariat a-t-il changé au fil des années ?
Mr Tall : Oui. Le coût d’entrée dans une activité commerciale est devenu moins élevé. Avec une dizaine d’euros et quelques heures, on peut acheter un nom de domaine et produire du contenu original. Ca permet entre autres de tenter quelque chose en gardant son boulot ou en continuant ses études.
D’ où vous est venue l’idée d’écrire votre livre ?
Mr Tall : C’est venu avec la célébration du cinquantenaire de l’indépendance de la Guinée en 2008. Ce pays démuni n’avait honnêtement rien à célébrer avec une telle situation économique. C’était aussi un moyen de dire aux dirigeants africains qu’on n’est pas satisfaits de leurs actes.
Vous dédicacez votre livre à certains africains en écrivant : <<A tous mes amis africains qui ont rejeté toute participation aux systèmes corrompus et immoraux qui ont pris en otage tout un continent, au prix de sacrifices personnels incommensurables. On vous a traité de fous à lier, de perdants, d’aigris ou de doux rêveurs. En ce jour, je vous salue>>. Pouvez-vous commenter ces propos ?
Mr Tall : J’ai beaucoup d’admiration pour les … idéalistes. J’utilise ce mot pour résumer ma pensée. J’admire ceux qui ont su garder et qui gardent encore leurs principes dans un milieu hostile où il n’y a pas vraiment de gendarme. Je voulais féliciter ceux-là dans mon livre parce qu’on entend rarement parler d’eux.
En lisant votre livre, on se rend compte que vous vous basez sur deux piliers : la jeunesse et les nouvelles technologies de l’information. Pourquoi ce choix ?
Mr Tall : Je pense que vous, la jeunesse actuelle, êtes une génération sans complexes. Vous n’avez pas le complexe du colonialisme, du blanc et vous êtes aussi plus exposés au reste du monde grâce à la technologie. Vous savez, la technologie est un outil qui supprime la censure. Prenez le cas de mon e-book (livre électronique), une fois diffusé, c’est très difficile de stopper sa diffusion. Sans le net, il n’aurait été lu que par ma famille proche par exemple.
Vous écrivez dans votre livre que votre vœu est qu’il soit une sorte de livre viral dont le message contaminerait tous les décideurs africains en même temps. Le retour que vous avez reçu à-t-il répondu à vos attentes ?
Mr Tall : L’écho des moins de 25 ans a dépassé mes attentes. Par contre, du côté des décideurs, j’ai été déçu. J’ai pensé mon livre comme un facteur de déclenchement. En Afrique, on est à l’heure des activistes. On a besoin d’une « bourgeoisie éduquée » qui anime les foules pour bouger les choses. Einstein disait que « La folie est de toujours se comporter de la même manière et de s'attendre à un résultat différent ». Mon livre fait appel aux activistes en leur répétant des idées classiques. Mais je pars sur le principe que si telle chose arriverait, les conditions seraient bien meilleures. Le printemps arabe a eu le mérite de donner la démocratie aux pays du Maghreb et de rendre les dirigeants africains moins arrogants. Actuellement, je ne suis pas un homme politique ; aux activistes de nos pays de prendre le relais !
Quels conseils donneriez-vous aux étudiants africains en France ?
Mr Tall : Je leur dirai d’être pragmatiques et surtout de chercher à se construire. Ils doivent chercher l’expérience là où ils peuvent. Que ça soit en Malaisie, en France ou ailleurs en attendant de meilleurs auspices. Prenez l’exemple des Indiens et des Chinois. Ils peuvent rentrer chez eux actuellement car leur système est prêt. Ce qui n’est pas encore notre cas. Pour ceux qui retournent maintenant, c’est un choix que je respecte bien sûr. Je pense que l’heure est plus aux activistes et à ceux qui ont un tempérament pour la confrontation. Les étudiants ont plus intérêt à se former davantage, au risque d’un taux d’échec élevé car le système n’est pas encore prêt .Entre temps, les choses auront bien évolué en Afrique.
Permettez-moi de revenir sur l’entreprenariat. D’habitude, on insiste sur l’importance des langues étrangères mais on oublie la comptabilité. C’est le langage des affaires. Plus vous montez au sein d’une entreprise, plus les chiffres deviennent importants. Dans les écoles en France, les étudiants ont tendance à la regarder de haut. Donc, je vous dirai : apprenez la comptabilité et pratiquez-la !
Interview réalisée par Moustapha Sène et Abdoulaye Ndiaye
Pour aller plus loin: http://www.fixingafrica.com/fr/ et http://www.africa2030.org/