Traditions et religions : facteurs de réussite de l’économie verte en Afrique ?

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Définie par la CEEAC comme « l’ensemble des activités économiques utilisant les savoir-faire traditionnels et modernes, les ressources naturelles (eau, sol, soleil, biodiversité, etc.), tout en conciliant protection de l’environnement et développement économique pour répondre aux attentes des Etats dans divers domaines», l’économie verte se positionne incontestablement aujourd’hui comme la nouvelle économie du développement durable. Sachant que partout en Afrique les valeurs,  attitudes et pratiques  sont « partiellement traditionnelles, partiellement modernes » l’importance de l’inclusion de la notion de tradition dans cette définition est de taille.

Actuellement au cœur d’une crise environnementale sans précédent, le monde entier voit les concepts de développement durable et donc d’économie verte comme porteurs des germes du changement. Cependant, lorsque l’on se penche sur la notion même de développement, il apparaît clairement que la vision la plus répandue de ce concept est aux antipodes de celle des sociétés traditionnelles africaines, pour qui il est plus synonyme de bien être et de vie que de progrès infini et d’accumulation des biens. Si le développement est bien « une question de connaissance de soi et de projection de soi dans le futur », il semble normal que l’économie verte réponde à une logique similaire. Et l’adaptation du continent africain aux problèmes environnementaux étant au cœur des préoccupations, il est primordial de ne négliger aucun aspect surtout à l’heure  où la thèse selon laquelle cette crise environnementale est avant tout une crise morale voire spirituelle, gagne du terrain. D’où l’intérêt de voir en quoi les traditions et la religion, encore très influentes dans une Afrique moderne et mondialisée, constituent des éléments pertinents pour l’élaboration de politiques efficaces en matière d’économie verte.

Traditionnellement, la relation qui lie l’homme africain à son environnement n’est pas fondée sur la domination, bien au contraire. Se concevant alors comme l’un des éléments de la nature, dans la plupart des sociétés traditionnelles, l’homme vit en harmonie avec elle. La protection de la nature et la préservation de l’équilibre du milieu font donc partie des priorités. Ceci s’explique notamment par le fait que la terre et la végétation permettent, dans les sociétés africaines, de conserver des liens durables avec ceux qui les ont travaillées ou façonnées dans le passé. Bon nombre de dispositions ou pratiques traditionnelles illustrent d’ailleurs ce souci d’équilibre et cette relation socio-environnementale qu’entretiennent les hommes avec leurs ancêtres. En Cote d’Ivoire par exemple, chez les Aouans, la terre, personnifiée, porte le nom d’une « déesse » qui leur prescrit des comportements à avoir à l’égard de l’environnement. Au Burkina, 300 bois sacrés ont été recensés. Ces intermédiaires incontournables entre les habitants et leurs ancêtres sont aujourd’hui des zones refuges pour de nombreuses espèces. L’impact positif d’un certain nombre de pratiques traditionnelles sur la qualité de l’environnement est aujourd’hui indiscutable et prouve que les traditions et coutumes africaines peuvent contribuer à sa gestion. 

Au niveau international, ce n’est que récemment qu’une approche de la nature sous une perspective que l’on peut qualifier « d’indigène » a été adoptée. L’Agenda 21 élaboré à l’occasion du Sommet de Rio reconnaît par exemple la valeur et la nécessité d’impliquer, de prendre en compte et de protéger les peuples indigènes.  Il existe aussi au niveau du PNUD, de l’Union africaine et de l’UNESCO, un certain nombre d’instruments permettant aux communautés de mettre leurs savoirs, savoir-faire et savoir-être à profit pour protéger l’environnement. Malheureusement, l’affirmation selon laquelle  « nous pouvons apprendre des populations indigènes et locales »  ne bénéficie pas d’une mise en œuvre à la hauteur de sa véracité. Mais ce n’est pas parce que les législateurs n’en tiennent encore que très peu compte que les acteurs économiques, véritables moteurs  de l’économie verte sur le continent ne doivent pas s’en inspirer. Des initiatives telles que celle d’Helico (producteur de briques en argile pure grâce à la valorisation énergétique des graines de coton) montrent que la rencontre des traditions et de l’ingénierie économique du 21ème siècle regorge de potentialités considérables en matière d’économie verte.

Il en va de même pour les religions. Si le potentiel environnemental de ces dernières est loin d’être évident à première vue, il ne doit pas être sous estimé. 

Tout d’abord, il est important de rappeler que la plupart des Etats d’Afrique noire connaissent une situation de pluralisme religieux. On retrouve cependant l’Islam, le Christianisme et les religions traditionnelles de manière assez constante. Très proche des idéaux traditionnels évoqués plus haut, la religion africaine est « fondée sur l’alliance éternelle entre l’homme et la nature par la médiation des génies, des ancêtres et de Dieu ».  Cependant, l’avènement de l’Islam et du Chritianisme combiné à la modernité technologique a relégué les religions africaines au rang de pratiques animistes.  Provoquant alors leur érosion et, par là même, la disparition de véritables berceaux de protection environnementale. Mais malgré le déclin des religions africaines sur les 100 dernières années, il semble encore possible de reconsidérer les stratégies environnementales dont le cadre normatif et institutionnel qu'est la religion traditionnelle, afin d’apporter des réponses adéquates aux actuels problèmes de la relation de l’individu avec son environnement naturel.

En parallèle, les religions dites monothéistes ont  aussi un rôle bien particulier à jouer.  Prenons le cas d’une religion judéo chrétienne. D’abord accusé d’avoir une idée anthropocentrique fondamentalement théocentrique de la relation avec la terre et de ne voir le progrès environnemental que comme une conséquence naturelle d’une relation saine entre Dieu et tout un chacun, l’Eglise catholique adopte aujourd’hui une toute autre approche. Bien qu’il ait été mandaté par le créateur pour régner sur les ressources minérales, végétales et animales de l’univers, cette domination de l’homme sur son environnement ne le soustrait en rien à ses obligations morales, dont celles envers les générations à venir fait partie. Longtemps silencieuse à ce sujet, le changement d’attitude de l’Eglise catholique face aux problèmes environnementaux illustre parfaitement le changement de paradigme que nous vivons aujourd’hui.

L’environnement devient  donc l’une des rares aires dans lesquelles les représentants des différentes religions sont prêt à collaborer.  En effet, la présence d’éléments forts en matière d’environnement dans la Déclaration sur une éthique mondiale formulée lors du Parlement des religions du monde à Chicago en 1993 vient  appuyer cette thèse.  De plus, comme l’affirme Magda Lovei, manager au pôle environnement et ressources naturelles de la Banque Mondiale, les organisations confessionnelles « offrent un accès sans équivalent aux communautés locales », ce qui fait d’elles des partenaires majeures en matière environnementale.

Il est donc indispensable  qu’un changement de mentalité s’opère parmi les acteurs clés de l’économie verte. Certaines pratiques liées à la religion ou à la tradition ne doivent plus être considérées comme des archaïsmes dénués de sens. Paradoxalement, l’Afrique est à la fois le continent produisant le moins de gaz à effet de serre, et celui qui en paye le plus les conséquences sur son environnement. Traditions et religion pourraient clairement participer à l’élaboration de stratégies économiques vertes adaptées. En plus d’être identifiées par les états et gouvernements, les opportunités pour une amélioration des pratiques en la matière doivent aussi l’être par l’ensemble des acteurs de la société civile, entreprises en tête. En effet,  sur le long terme, le progrès environnemental requiert une protection impulsée par les citoyens individuels privés, les fermiers mais aussi les entreprises. Reconnue comme condition sine qua none de la réalisation du développement durable, une bonne approche économique se doit de prendre en compte les dimensions culturelles et d’encourager la coopération et la solidarité plutôt que la compétition. Les religions et traditions sont encore bien souvent vues comme des obstacles à la mise en œuvre des politiques économiques alors qu’une meilleure prise en compte permettrait tout simplement de participer à l’augmentation de l’attractivité de l’Afrique grâce à l’économie verte, tout en incluant les spécificités locales dans la logique de changement.

Olivia Gandzion

Références :

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